Hier vers 20h (CET) un entretien entre Elon Musk et Donald Trump a été transmis sur la plateforme X, non sans plusieurs problèmes techniques (les premiers mots de l’émission sont « toutes mes excuses si on commence si tard »).

  • Dans l’après-midi, une interaction particulièrement virulente avait eu lieu. Le Commissaire européen au marché intérieur, Thierry Breton, avait rappelé à Elon Musk dans une lettre les obligations de modération sur le réseau social pour éviter « l’amplification de contenus dangereux ». 
  • Le propriétaire de X lui avait répondu, avec un humour particulièrement grossier ce mème accompagné d’un commentaire : « Pour être honnête avec vous, j’aurais vraiment voulu répondre avec ce mème de Tonnerre sous les tropiques, mais je ne ferais JAMAIS quelque chose d’aussi grossier et irresponsable ! »
  • La traduction officielle dans la version française de l’extrait de Tonnerre sous les tropiques à l’origine du mème est la suivante  : « Tu vas pencher ta tête bien en arrière et tu vas te l’enfoncer dans ton propre fion. »
  • L’équipe du Commissaire européen a répondu au rédacteur en chef de France Inter, Stephane Jourdain, en affirmant que la réponse insultante d’Elon Musk à l’interpellation de Thierry Breton allait être « versée au dossier instruit actuellement contre X ».
  • Ce n’est pas la première fois que Musk se trouve au cœur de polémiques cette semaine. Lors des émeutes racistes en Angleterre, les autorités britanniques avaient critiqué le soutien direct du propriétaire de X à des manifestants ou à des personnalités d’extrême droite.

Dans l’entretien, Elon Musk qui est parmi les principaux soutiens financiers de la campagne de Donald Trump, demande au candidat à la Maison Blanche de se positionner sur « la lettre de la Commission européenne », en orientant la question sur le respect de la liberté d’expression des américains :

  • « Vous l’avez peut-être vu passer, mais j’ai reçu une lettre de la Commission européenne m’enjoignant de ne pas répandre de fausses-informations, à ne pas désinformer, pendant cette discussion. Il y a beaucoup de tentatives de la part d’autres pays de censurer les Américains. Qu’en pensez-vous ? »

La réponse de Donald Trump se structure sur trois piliers qui révèlent la vision transactionnelle et hégémonique du candidat Trump. L’Union européenne profiterait des États-Unis sur le plan commercial (1) et militaire (2), elle soutiendrait par ailleurs d’une manière insuffisante l’Ukraine (3). 

  • « Je connais très bien l’Union européenne. Comme vous le savez, ils profitent beaucoup des États-Unis dans le domaine du commerce et nous les protégeons par le biais d’un autre forum, l’OTAN… L’Union européenne a l’air gentille, mais laissez-moi vous dire que, si elle n’est pas aussi dure que la Chine, elle est très mauvaise, et je le leur fais savoir. C’est probablement pour cela qu’ils vous ont prévenu. »

Sur les dépenses militaires

Donald Trump avait fait de l’augmentation des dépenses militaires des membres de l’OTAN l’un des piliers de sa politique européenne. 

  • Il le rappelle dans l’extrait, en exagérant et en transformant la réalité : « Il n’y avait que sept pays qui payaient leur cotisation à l’OTAN sur 28 [avant que j’arrive à la Maison Blanche]. Les États-Unis subventionnaient énormément l’OTAN. J’y suis allé et j’ai dit : ’vous devez payer. Si vous ne payez pas, nous ne vous défendrons plus.’ J’ai été très critiqué, mais vous savez ce qui s’est passé ? Des milliards et des milliards de dollars ont afflué ».
  • Dans une déclaration particulièrement controversée lors d’un meeting en février 2024, Donald Trump avait même déclaré qu’il aurait encouragé la Russie « à faire tout ce qu’elle veut » contre un allié qui n’aurait pas un budget militaire suffisant. 
  • Selon son colistier J. D. Vance, ces déclarations font partie d’une stratégie : « Trump est en train de réveiller l’Europe »
  • Dans les années Biden, les pays de l’Union ont nettement augmenté leurs dépenses militaires. Cette année, 23 pays de l’OTAN devraient atteindre la cible de 2 %.

Sur le commerce et les guerres commerciales

Donald Trump avait fait de l’excédent commercial des États-Unis un argument récurrent lors de son premier mandat, en instituant des sanctions contre les exportations européennes. En 2019, pendant les négociations sur le Brexit, il déclarait : « l’Union est un partenaire commercial brutal avec les États-Unis, ce qui changera avec moi. »

  • Dans l’extrait, il revient sur l’asymétrie commerciale, en exagérant les chiffres et en déformant la réalité : « Pourtant, si vous construisez une voiture aux États-Unis, vous ne pouvez pas la vendre en Europe. C’est tout simplement impossible. C’est la même affaire pour nos agriculteurs, qui trouvent qu’il est très difficile de faire des affaires avec l’Europe. Vous savez, nous avons un déficit commercial de 250 milliards de dollars avec eux, et les gens ne s’en rendent pas compte. »
  • En réalité, le déficit commercial des biens et services des États-Unis avec l’Union européenne est bien moindre que le chiffre de 250 milliards avancé par Trump, s’élevant à 131,3 milliards de dollars en 2022. Si les États-Unis ont une balance commerciale en biens déficitaire, la balance commerciale en service est excédentaire1
  • Selon Renaud Lassus qui a étudié la doctrine du principal conseiller de Trump sur le commerce, un second mandat de Donald Trump, « serait beaucoup plus agressif, dès le premier jour, sur tous les sujets économiques et commerciaux internationaux, notamment à l’égard de l’Europe ».

Sur le soutien à l’Ukraine

Donald Trump insiste sur la proximité géographique de l’Europe avec la Russie pour expliquer pourquoi l’asymétrie dans l’aide à l’Ukraine est problématique et « injuste », selon l’expression d’Elon Musk (« pourquoi les États-Unis paient-ils disproportionnellement plus pour défendre l’Europe, que l’Europe elle-même ? Ça n’a pas de sens, c’est injuste. »)

  • « Nous les défendons, vous savez, avec l’Ukraine. Nous donnons 250 milliards de dollars, alors qu’eux ne donnent que 71 milliards. Et ils font la même taille que nous. Si vous additionnez les nations européennes en termes d’économie, elles ont à peu près la même taille que nous, n’est-ce pas ? Le risque qu’ils courent est beaucoup plus grand que pour nous. Un océan nous sépare de l’ennemi, en l’occurrence la Russie, alors qu’ils sont juste à côté. Malgré cette proximité, ils ne payent que 70 millions et quelques de dollars, je pense même moins que ça, alors que nous payons environ 250 milliards, et c’est possible que nous payons encore beaucoup plus que cela. Je dis donc : pourquoi ne pas égaliser ? Pourquoi ne paient-ils pas ce que nous payons ? Ils sont beaucoup plus, et l’enjeu est beaucoup plus important pour eux parce qu’ils sont juste à côté, ce qui n’est pas notre cas. »
  • En réalité, à cause du contrôle du Congrès par les Républicains, l’aide des États-Unis à l’Ukraine est de plus en plus limitée. La loi d’assistance à l’Ukraine, retenue depuis six mois, n’a été approuvée qu’en avril 2024. Au total, 60,84 milliards de dollars ont été alloués pour l’aide à l’Ukraine, dont 23,2 milliards serviront à reconstituer les stocks américains, 11,3 milliards à financer les opérations militaires américaines dans la région et 13,8 milliards à aider l’Ukraine à acheter des systèmes d’armes et d’autres équipements de défense. Comme on le montrait, pour le GOP, l’aide à l’Ukraine est motivée par l’America first — et non la lutte contre Moscou.
  • Le soutien de l’Union européenne à l’Ukraine dépasse celui des États-Unis. Depuis janvier 2022 et jusqu’au 30 juin 2024, l’Union a alloué un total de 110,2 milliards d’euros. 77 milliards en plus doivent être alloués.  
  • Donald Trump est opposé au soutien américain, car il se dit convaincu d’être en mesure de mettre fin au conflit « en 24 heures » s’il était élu, et ce avant même son investiture2.
Sources
  1. Office of the United States Trade Representative, European Union.
  2. Isaac Arnsdorf, Josh Dawsey et Michael Birnbaum, « Inside Donald Trump’s secret, long-shot plan to end the war in Ukraine », The Washington Post, 7 avril 2024.