Points clefs
  • De février 2022 à juin 2024, l’organisation Russian Field a publié quinze vagues de résultats de sondage à propos de la guerre en Ukraine.
  • Contrairement au célèbre institut de sondage Levada, Russian Field n’est pas catégorisé comme « agent de l’étranger » par le gouvernement russe. L’institut est néanmoins considéré comme professionnel et à prendre au sérieux. Il publie ses bases de données en accès libre.
  • Les résultats de ce sondage historique montrent une tendance : les Russes soutiennent de plus en plus la guerre et sur un temps de plus en plus long. Mais à l’intérieur de cette dynamique, de fortes disparités se font jour selon l’âge, le genre, le lieu de résidence et les moyens de s’informer.
  • Si un autre facteur déterminant dans les réponses est la mention ou non du Kremlin, ce sondage, comme ceux de Levada, montre que les Russes croient fermement à une victoire de Moscou en Ukraine.

Cet article est basé sur une recherche de l’organisation Russian Field, fondée en 2018 par Artemiy Vvedenskiy1. Russian Field collabore avec divers centres de recherche fédéraux et régionaux, des organisations gouvernementales et commerciales, des candidats et hommes politiques russes, des polit-technologues et consultants politiques, des groupes de communication et des partis politiques. Ils ont également produit des exit polls lors des dernières élections.

Les sondages nationaux de Russian Field utilisent le CATI (Computer-Assisted Telephone Interviewing), une méthode qui, selon Vvendenskiy, serait « plus rapide, pratique et à moindre coût »2, bien qu’elle soit susceptible d’inclure des écoutes par le FSB. Le taux de réponse à ces sondages se situe autour de 10 %.  Le site de Russian Field contient une liste des médias ayant publié les résultats de leurs recherches. Elle comprend des médias libres comme Radio Freedom ou la version russe de Forbes mais également des médias de propagande comme RTVI, NTV et Vedomosti. L’organisation souffre d’un manque de transparence selon les critères occidentaux — qui pourrait être en partie expliqué par la peur des répressions dans le contexte politique actuel en Russie. En l’absence de preuves indiquant qu’elle subirait des pressions directes, ses enquêtes sont jugées comme indépendantes et à prendre au sérieux. Il convient donc de faire preuve de prudence dans l’interprétation des résultats : comme tout sondage, l’image qu’ils donnent ne peut être séparée du contexte de leur production.

Pour tenter de voir cette Russie de l’intérieur en complément de cet article, nous vous recommandons cette excellente conversation à deux voix avec Andreï Kolesnikov et Alexandre Kynev, menée en amont des élections fabriquées de février dernier, et cette enquête de terrain signée Benjamin Quénelle. Si vous nous lisez, que vous voulez soutenir notre travail et que vous en avez les moyens, nous vous demandons de penser à vous abonner au Grand Continent

1 — Les Russes soutiennent de plus en plus la guerre

La formulation de la question posée par Russian Field est en soi intéressante : « Soutenez-vous ou non l’opération militaire des troupes russes sur le territoire ukrainien ? » L’institut de sondage a choisi d’utiliser la terminologie du gouvernement russe pour nommer la guerre en Ukraine : en effet, utiliser le terme de guerre pour poser la question aurait pu provoquer une certaine réticence de la part des sondés. Plutôt qu’une adhésion à la ligne politique du Kremlin, on peut supposer que cette formulation serve à éviter de s’en attirer inutilement les foudres. Par ailleurs, la formulation mise en avant est « na territorii Oukrainy » : l’utilisation de la préposition « na » au lieu de « v » revient à considérer l’Ukraine comme étant une région ou un territoire russe. Là encore, l’utilisation de la préposition « v » en Russie aurait eu une forte symbolique et aurait pu positionner l’institut de sondage comme anti-guerre et reconnaissant l’Ukraine comme pays souverain — pouvant influencer les réponses.

Toujours est-il qu’à cette question, les réponses démontrent qu’une majorité des sondés soutient la guerre, et cela dans la durée. Alors que Vladimir Poutine comptait sur une victoire rapide — que la résistance ukrainienne n’a pas rendue possible — les résultats des différents sondages montrent que la tendance n’est pas à l’affaiblissement du soutien. Bien au contraire.

L’impréparation de la population à l’offensive russe en Ukraine semble se traduire dans les résultats de ce sondage par le niveau de soutien le plus faible exprimé au début de l’invasion : on compte ainsi 59 % de soutien lors de la première vague de sondage (26 — 28 février 2022) mais ce chiffre augmente lors des résultats suivants — probable résultat d’une propagande efficace — et finit par se stabiliser, permettant d’observer une tendance comparable aux résultats également obtenus par l’institut de sondage Levada3, à la normalisation de la guerre à travers un soutien stable.

Notons que, battant en brèche l’idée reçue selon laquelle les personnes soutenant la guerre feraient partie d’un groupe social ayant un niveau d’instruction moindre, les résultats de ce sondage montrent que, pour la grande majorité des questions, le facteur du niveau d’études n’est pas déterminant.

2 — L’individu et le citoyen face à l’autorité : le poids du facteur Kremlin

« Cette guerre n’est nécessaire pour personne. Mais puisqu’elle est là, on ne peut pas y échapper. »

C’est ainsi que s’exprime l’un des représentants typiques de la société russe, dans une récente étude ethnographique sur les attitudes des Russes à l’égard de la guerre4. Les données quantitatives de Russian Field — qui recoupe en partie ceux des autres instituts fiables comme Levada — montrent en effet que la majorité de la population russe soutient la guerre sous une forme ou une autre.

Pour comprendre les racines de ce soutien, il faut se référer à la formule souvent répétée : « on ne peut pas y échapper ». Comme le montrait bien une enquête de Benjamin Quénelle parue dans ces pages, le contrat social russe permet à la population de se décharger de la responsabilité de la prise de décision et de mettre son destin à la merci des autorités de Moscou.

Cela explique la différence fondamentale entre les réponses à la question sur la nécessité de poursuivre la guerre ou de négocier selon les formulations retenues : avec et sans mention de Poutine.

Ainsi, lorsque la question est formulée comme une décision présidentielle de négocier, 78 % des Russes reconnaissent qu’une telle mesure est nécessaire. En répondant à la même question sans mention de la volonté du Kremlin, les citoyens russes sont 37 % moins souvent favorables à la paix.

3 — Responsabilité dans la guerre

Dans un sondage datant de décembre 2023 de l’institut Levada,  à la question « Selon vous, est-ce que des gens comme vous portent la responsabilité des civils tués et des destructions en Ukraine ? », 10 % des sondés répondent qu’ils sont « absolument responsables », 21 % « dans une certaine mesure », 62 % « absolument pas ».

Selon les résultats du sondage organisé par le même institut en juin 2024, une majorité des russes considèrent que les responsables des civils tués et des destructions en Ukraine sont les États-Unis et les pays de l’OTAN (65 %) alors que 11 % répondent l’Ukraine et que seulement 6 % d’entre eux tiennent la Russie pour responsable. Entre les mois d’avril 2022 et de juin 2024, on constate une augmentation des réponses qui tiennent pour responsables les États-Unis et les pays membres de l’OTAN et une légère baisse des réponses accusant l’Ukraine. Cela peut être le fruit du discours du Kremlin accusant l’Occident de faire durer la guerre et donc de provoquer la mort inutile des soldats dans le conflit.

C’est ce sentiment que la responsabilité incombe aux pays occidentaux et que la Russie finira par l’emporter en Ukraine qui peut expliquer le fait que lorsque l’institut Russian Field demande « Si vous aviez la possibilité de revenir en arrière et d’annuler la décision du déclenchement de la guerre en Ukraine, le feriez-vous ou non ? », 54 % répondent « Non » contre seulement 34 % de personnes affirmant « Oui ». 

À cette question, la jeunesse est la seule part de la population sondée qui répond en majorité « Oui » (55 %) contre 39 % de « Non », alors que les autres tranches de population répondent en majorité « Non » avec 58 % pour les 45-59 ans et 63 % pour les 60 ans et plus.

Les principaux sentiments ressentis à propos de la guerre en Ukraine sont l’anxiété, la peur et l’effroi selon 33 % des sondés — mais également la fierté pour la Russie selon 48 % d’entre eux. Une forte disparité est également présente par tranche d’âge dans le soutien des sondés à une deuxième mobilisation. 

Selon le sondage, le soutien varie considérablement entre les différentes tranches d’âge. Les jeunes âgés de 18 à 29 ans y sont les moins favorables — seulement 15 % d’entre eux soutenant une nouvelle mobilisation, tandis que 81 % s’y opposent. Le soutien augmente significativement chez les 30-44 ans, atteignant 30 %, mais une majorité de 63 % reste opposée. Chez les 45-59 ans, le soutien monte à 42 %, et les opposants sont légèrement moins nombreux avec 49 %. Les personnes de 60 ans et plus montrent également un fort soutien de 41 %, avec 48 % opposés à la mobilisation. Ces variations indiquent que les opinions sur la mobilisation sont profondément influencées par l’âge des sondés.

4 — Les principes et la perspective d’une paix — aux conditions de Poutine

À la question ouverte : « Quel devrait être le principe de l’accord de paix entre la Russie et l’Ukraine pour que vous le souteniez ? », les réponses sont majoritairement similaires aux conditions que Vladimir Poutine a de nouveau énoncées lors d’un discours durant sa rencontre avec la direction du ministère russe des affaires étrangères — à savoir la reconnaissance comme territoire russe des Républiques populaires de Louhansk et de Donetsk (c’est la réponse de 9 % des sondés), la reconnaissance comme territoire russe des oblast de Kherson et de Zaporijia (7 %), le refus que l’Ukraine rejoigne l’OTAN et qu’elle soit neutre (7 %)

Les autres réponses les plus récurrentes renvoient essentiellement à ce qui pourrait s’apparenter à une victoire russe : capitulation de l’Ukraine, paix selon les conditions russes, « dénazification » et arrêt des discriminations à l’encontre des russes en Ukraine, démilitarisation et éloignement de la menace ukrainienne. Tout cela semble témoigner d’une confusion dans l’esprit des sondés entre la conception de négociation de paix et celle de victoire.

À cet égard, les réponses incluant un retour aux frontières de 1991 ou bien le retour des territoires ukrainiens font partie des moins récurrentes. Néanmoins, 22 % des sondés estiment qu’il est trop complexe de répondre à cette question. Il est également à noter que les hommes privilégient la poursuite des conflits (51 %) à des négociations de paix (41 %), contrairement aux femmes dont 32 % sont favorables à la poursuite du conflit et 57 % pour des négociations de paix. 

Autre facteur déterminant : l’âge. Les jeunes (18-29 ans) sont en majorité favorables à des pourparlers (70 %) et 19 % pour la poursuite des conflits. La tendance s’inverse au fur et à mesure que l’âge du groupe augmente : 40 % des 60 ans et plus sont favorables à des pourparlers alors que 54 % préfèrent la poursuite du conflit. Cependant, la variable de l’âge est à relativiser lorsque l’on considère le fait que 52 % des jeunes soutiennent la guerre. Cela pourrait donc traduire un désir de la jeunesse d’éviter une mobilisation grâce à des négociations de paix aux conditions similaires à une victoire russe.

5 — Canaux d’information et confiance dans les médias

Selon les résultats publiés, 34 % des sondés utilisent la télévision comme principale source d’information à propos de la guerre en Ukraine, faisant de ce canal le principal moyen d’information des sondés. C’est, par ailleurs, ce groupe de personnes qui fait le plus confiance (à hauteur de 67 %) aux informations diffusées à propos de la guerre — seulement 28 % d’entre eux pensant le contraire. À titre de comparaison, à la question : « Pensez-vous que l’on peut faire confiance aux données officielles à propos de l’opération spéciale ? » 48 % des personnes s’informant sur les pages Internet des médias5 répondent « Non » contre 46 % « Oui ».

Cette confiance a une incidence importante sur la perception de la guerre au sein du groupe s’informant avec la télévision. 83 % d’entre eux soutiennent la guerre en Ukraine contre 65 % des personnes s’informant via les pages internet des médias. Au sein de ce groupe, seulement la moitié des sondés considère qu’une troisième guerre mondiale dans les 5 à 10 prochaines années est possible, alors qu’au sein des deux autres groupes (médias en ligne ou Telegram) le rapport est de deux tiers. Cependant, en cas de conflit mondial, c’est le groupe s’informant avec la télévision qui considère que la Russie a le plus de chance de gagner la guerre, 78 % (contre seulement 3 % de défaite de la Russie).

La machine de propagande russe semble donc toujours aussi efficace malgré un taux de confiance moyen dans les données officielles à propos de la guerre en Ukraine relativement faible (53 % au total). Ainsi, bien que la méfiance à l’égard des données des sources officielles soit significative, les sondés soutiennent tout de même en majorité la guerre en Ukraine (71 %) et 69 % considèrent même qu’elle est un réussite.

Les niveaux de confiance dans les données officielles varient également selon les tranches d’âge. Les personnes âgées (60 ans et plus) font le plus confiance aux données officielles à propos de la guerre : 63 % pensent qu’on peut faire confiance, 31 % pensent le contraire. Les plus jeunes (18 — 29 ans) sont les plus sceptiques : 45 % pensent qu’on peut faire confiance, 50 % le contraire.

6 — L’option nucléaire est « acceptable » pour 18 % des sondés

Si l’on en croit ce sondage, le sujet de l’arme nucléaire semble mettre la quasi-totalité des sondés d’accord. À la question : « Selon vous, l’utilisation de l’arme nucléaire est-elle acceptable ou inacceptable si cela est nécessaire à la victoire en Ukraine ? » 76 % des sondés répondent que ce serait inacceptable quand 7 % pensent que ce serait acceptable seulement en cas de risque de défaite et 11 % que ce serait acceptable quelles que soient les conditions.

Notons cependant que la question traite seulement de l’utilisation de l’arme nucléaire et laisse sous silence la possibilité d’une frappe sur une centrale nucléaire, comme cela a pu être craint par l’Agence internationale pour l’énergie atomique concernant la centrale nucléaire de Zaporijia6.

La question de l’acceptabilité de l’utilisation de l’arme nucléaire révèle des disparités significatives selon le genre et l’âge des sondés. 

Parmi les hommes interrogés, 25 % considèrent qu’il serait acceptable d’utiliser l’arme nucléaire si elle est nécessaire à la victoire, tandis que 70 % considèrent que ce serait inacceptable. Par ailleurs, 13 % des femmes interrogées considèrent qu’il serait acceptable d’utiliser l’arme nucléaire si elle est nécessaire à la victoire, contre 81 % qui estiment que ce serait inacceptable. Les personnes les plus âgées (60 ans et plus) acceptent davantage cette éventualité avec 22 % jugeant cela acceptable contre 72 % inacceptable, alors que le groupe le plus jeune (18-29 ans) est plus réticent.

7 — Une guerre mondiale est « probable » pour plus de la moitié des Russes sondés

La perspective d’une troisième guerre mondiale dans les 5 à 10 prochaines années semble possible pour plus de la moitié des personnes sondées : 16 % y voient une certitude, 41 % une perspective probable.

Ces résultats sont similaires à ceux du sondage de l’institut Levada7 recueillis également en juin 2024 — la question de Levada n’envisageait cependant pas explicitement une « guerre mondiale » mais un conflit avec les pays de l’OTAN.  Les pays alliés de la Russie revenant le plus souvent dans les réponses des sondés dans le cas d’un conflit planétaire seraient la Chine, le Bélarus, l’Iran et la Corée du Nord alors que ses adversaires seraient les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne, c’est à dire les pays fournissant le plus d’aide à l’Ukraine.

Dans l’éventualité où un conflit mondial éclaterait, 64 % pensent que la Russie gagnerait contre seulement 6 % prévoyant une victoire de ses adversaires, le reste répondant qu’il n’y aurait pas de vainqueur (18 %) ou bien qu’il est trop difficile de répondre à cette question (11 %). C’est au sein du groupe s’informant principalement via la télévision que l’on trouve la plus grande part de personnes pariant sur une victoire russe (78 %) alors que les plus sceptiques sur cette victoire (49 %) sont les personnes s’informant sur les pages Internet des médias. Cette répartition n’est pas étonnante lorsque l’on constate que 67 % des personnes s’informant via la télévision pensent que l’on peut faire confiance aux informations à propos de la guerre en Ukraine. Le groupe le plus sceptique à cet égard est celui s’informant via les sites Internet des médias (46 % de confiance). 

8 — Pessimisme des villes : Moscou et Saint-Pétersbourg contre la fédération

Les attitudes des résidents de Moscou et Saint-Pétersbourg vis-à-vis de la guerre présentent des différences notables par rapport au reste de la Russie. Les habitants de ces deux grandes villes sont moins optimistes quant au déroulement de la guerre. 71,1 % y affirment que la guerre se déroule bien contre 81,8 % dans  le reste du pays. Le soutien à la guerre est également plus faible à Moscou et Saint-Pétersbourg (67,6 %) comparé à d’autres régions (81,5 %). De même, le soutien à la nouvelle mobilisation est de 28,1 % à Moscou et Saint-Pétersbourg, contre 40,0 % dans le reste de la Russie. Cela montre une tendance des citadins à être plus critiques des actions militaires en cours.

En revanche, certaines opinions sont étonnamment similaires entre les deux groupes. Le soutien aux négociations annoncées par Poutine est élevé, avec 84,2 % à Moscou et Saint-Pétersbourg et 81,2 % ailleurs. La préférence pour la guerre par rapport aux négociations est également presque identique, avec 89,2 % des citadins de ces villes et 91 % des autres résidents préférant la poursuite des hostilités. Quant aux perspectives de conflit mondial, une majorité dans les deux groupes considère qu’une guerre mondiale est possible dans les 5 à 10 ans (63,60 % contre 61,10 %) et pense que la Russie et ses alliés sortiraient vainqueurs (50,20 % contre 68,60 %). Ces chiffres révèlent une dualité dans les opinions, où des différences notables coexistent avec des points de vue largement partagés sur certaines questions.

9 — Les Russes se préparent pour une guerre longue

Alors que le Kremlin se prépare à une longue guerre en mettant en œuvre des réformes et des changements de personnel, la société russe tend également à s’engager dans une confrontation à long terme. Au fil du temps, les opinions sur la durée des opérations militaires en Ukraine ont légèrement évolué.  En mars 2022, une majorité des sondés (58 %) croyait que l’opération militaire se terminerait en un an ou moins. Au fil des mois, cette perception a radicalement changé. En février 2024, la confiance en une résolution rapide du conflit a chuté, avec seulement 25 % des répondants partageant cet espoir. À l’inverse, la proportion des Russes ayant répondu que la guerre durerait plus d’un an en 2022 (13 %) est passée à 44 % en février 2024. Cette inversion de la tendance démontre une certaine résignation face à la prolongation du conflit.

Les résultats du sondage Levada démontrent un tendance similaire : initialement, 26 % des sondés pensaient que le conflit durerait de deux à six mois mais une proportion croissante de la population estime désormais que la guerre se prolongera bien au-delà de cette période. En janvier 2024, 45 % des sondés considéraient que les hostilités dureraient plus d’un an, contre seulement 21 % en mai 2022. Ces changements reflètent une désillusion croissante quant à une fin rapide du conflit et une adaptation des attentes face à la réalité d’une guerre prolongée.

Les opinions sur les différentes possibilités d’évolution du conflit proposées aux sondés sont marquées par des différences de genre. S’agissant par exemple du retrait des troupes, 25 % des hommes y sont favorables (66 % ne soutiendraient pas)  contre 35 % des femmes (50 % ne soutiendraient pas). 

10 — La fin de la guerre

Dans un sondage de Levada de janvier 20248, 77 % des sondés considèrent que le conflit en Ukraine se soldera par un victoire russe et 14 % qu’aucun des deux camps ne pourra prendre le dessus ; aucun sondé n’envisage une victoire ukrainienne.

Par ailleurs, bien que la victoire russe soit une réponse majoritaire pour toutes les tranches d’âge, on remarque que les 18-24 ans sont les plus sceptiques à cet égard, 19 % d’entre eux considérant qu’aucun des deux camps ne pourra prendre le dessus. Une fois encore, plus la tranche d’âge est vieillissante, plus la foi en la Russie est importante : ainsi, seulement 10 % des 55 ans et plus pense qu’aucun des deux camps ne pourra prendre le dessus. 

Les perceptions de l’issue des actions militaires en Ukraine sont fortement influencées par les sources d’information. 

Une majorité écrasante de 77 % croit en une victoire russe, mais ce chiffre grimpe à 88 % parmi ceux qui s’informent par la télévision, démontrant une confiance inébranlable dans les médias traditionnels. Les utilisateurs de YouTube sont plus sceptiques, avec 68 % partageant cet optimisme. Les réseaux sociaux, souvent perçus comme des espaces de désinformation, affichent un soutien à 79 % pour une victoire russe, tandis que les abonnés aux canaux Telegram se distinguent par un niveau de scepticisme plus élevé, 21 % d’entre eux pensant qu’aucune des parties prenantes ne pourra triompher.

Sources
  1. Le fondateur, a participé en août 2022 à une conférence organisée par Izvestia — un journal russe interdit dans l’Union européenne — sur les élections à Moscou. Il a présenté les résultats d’un sondage, ainsi légitimant le processus des élections et les partis participant. Vvedenskiy était accompagné par des journalistes apologétiques du Kremlin, y compris Pavel Danilin, un ancien rédacteur-en-chef de Kreml.org. et Alexandr Assafov, politologue russe qui transmet régulièrement la propagande du régime, notamment sur la responsabilité de l’Ukraine pour l’attaque à Crocus City Hall et non de l’État islamique. Peu avant la conférence de presse, Vvedenskiy a donné un entretien à Assafov. Voir : « Russian Field : Более 30 % москвичей знают точную дату муниципальных выборов », Информационный Центр Правительства Москвы, 23 août 2022.
  2. Alexandr Assafov, « Руководитель социологической компании Russian Field Артемий Введенский в программе “отбой” », Говорит Москва,17 août 2022.
  3. « Конфликт с Украиной : основные индикаторы, ответственность, поводы для беспокойства, угроза столкновения с нато и применения ядерного оружия », Левада Центр, 4 juillet 2024.
  4. Лаборатория публичной социологии, « Надо как-то жить.Этнография российских регионов во время войны На материалах осени 2023 года », 8 juillet 2024, p. 111.
  5. La formule СМИ (средства массовой информации ; en françàis : « médias de masse ») est utilisée dans le sondage pour se référer aux médias sans préciser leur nature.
  6. « Regain de tensions après une frappe sur la centrale nucléaire de Zaporijjia », Euronews, 8 avril 2024.
  7. Конфликт с Украиной : основные индикаторы, ответственность, поводы для беспокойства, угроза столкновения с нато и применения ядерного оружия, Левада Центр, 4 juillet 2024.
  8. Конфликт с Украиной : оценки конца 2023 – начала 2024 года, Левада Центр, 6 février 2024.