Les élections européennes vues de Russie

Comment explique-t-on les élections européennes depuis Moscou ? De l’intérêt marqué par les commentateurs pour la victoire de Bardella et du RN à une étrange obsession pour l’ère Merkel, en passant par une théorie des « élites grises » de Bruxelles, ces échanges que nous transcrivons, traduisons et commentons reflètent l’état des points nodaux sur l’Union en Russie — parfois étonnants depuis cette extrémité du continent.

Auteur
Marlène Laruelle
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© AP/SIPA

Chez les élites russes, les élections européennes ont suscité un réel intérêt, les experts de politique étrangère étant bien conscients des enjeux de court et long terme liés au nouveau visage du Parlement européen. Pour la première fois en français, nous vous proposons la retranscription d’une table ronde organisée dès le lendemain des élections par RIA Novosti, l’agence de presse officielle russe.

Si les panélistes y notent la stabilité du PPE et du centre en général, ils prennent également acte de la montée en puissance des forces d’extrême droite mais tendent à relativiser celle-ci. Les droites radicales européennes n’auraient pas assez de pouvoir pour influencer le cours des choses ou bien seraient trop modérées et partageraient le mainstream sur de nombreux aspects. À les lire, on ne peut donc pas parler d’un soutien exalté aux leaders d’extrême droite — y compris à ceux réputés pour partager beaucoup des positions russes.

Car par rapport aux années clefs de la « lune de miel » — lorsque les voix russes étaient dithyrambiques sur les extrêmes droites européennes — le ton, à Moscou, a changé. Depuis 2022,une plus grande distance s’est installée, fondée sur l’idée que peu de forces en Europe auraient de fait la capacité réelle à s’opposer au conflit entre l’Occident et la Russie — un motif que l’on retrouve dans l’expertise russe sur les élections américaines et la capacité jugée limitée de Trump à potentiellement changer la donne. 

Les experts russes notent également que « l’eurosceptisme » s’exprime désormais differemment, non plus par des discours de sortie de l’Union mais par un investissement dans le projet europeen sous une forme plus nationaliste et protectionniste.

Comme le reste des élites politiques russes, les experts présents sur ce plateau n’attendent pas de changements radicaux à venir tant il est vrai que le PPE est vu comme le « parti de la guerre » — tout en reconnaissant qu’il sera difficile pour l’Union d’aller au-delà d’un soutien financier à l’Ukraine. Ils ne nient toutefois pas le risque d’une escalade militaire engageant les pays européens.

Enfin, il faut noter l’intérêt porté aux pays des Balkans et à leur statut de candidat à l’Union — et ce alors que la situation ukrainienne n’arrive paradoxalement que dans la partie finale du débat avec des questions venues de la salle. Vu de Russie, les Balkans restent un enjeu crucial pour la politique européenne, porteur de possibles instabilités, et le lien fait avec la question de l’accession à l’Union de l’Ukraine sont très présents dans les analyses russes.

Oksana Bouriak

Il semblerait que les résultats des élections sont plus importants pour la politique nationale des États membres de l’Union que pour la politique européenne en général. Alexei Kuznetsov, quelle est votre analyse de ces élections et quels aspects vous semblent les plus pertinents à retenir ?

Alexeï Kouznetsov1

Historiquement, les élections parlementaires au niveau paneuropéen ont toujours servi de référendum dans les pays où les élections nationales n’ont pas eu lieu depuis longtemps — en termes de confiance ou de défiance à l’égard du gouvernement en place. Mais à chaque nouveau cycle électoral, les élections au Parlement européen prennent de plus en plus l’allure d’élections parlementaires européennes.

Un autre point notable est que nous constatons qu’en France, cela a déjà conduit à des changements au niveau national. La situation en Hongrie est également intéressante : bien que le parti au pouvoir ait remporté les élections, il a perdu des voix. Cette perte de voix ne provient pas de son opposition traditionnelle, mais d’une autre direction.

Une situation très désagréable s’est produite en Allemagne, indépendamment de la répartition des sièges. Les journaux allemands ont déjà publié aujourd’hui des cartes qui montrent clairement la répartition entre les villes et les Länder : en dépit de leurs échecs, les Verts ont remporté Berlin et Hambourg, et les sociaux-démocrates ont gagné à Brême. Cependant, pour la première fois depuis la réunification, nous observons une division très nette entre l’Allemagne de l’Ouest et l’ex-RDA. Dans tous les États fédéraux de l’ex-RDA, l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) a remporté la majorité des voix. Si l’on examine les cartes des circonscriptions électorales plutôt que des régions, on constate qu’il y a seulement 3 ou 4 circonscriptions avec une majorité relative pour la CDU : dans l’ensemble, elles sont toutes dominées par l’AfD.

Il y a aussi d’autres dynamiques en jeu. Une histoire intéressante concerne la scission du parti de gauche. Ce dernier réussit à entrer au Parlement européen, en partie grâce à des règles de passage différentes de celles du Bundestag. Bien que la gauche ait légèrement augmenté sa cote, on observe globalement un renforcement de la CDU-CSU au niveau fédéral. Il est donc très probable que le prochain gouvernement fédéral soit à nouveau formé par les chrétiens-démocrates.

Oksana Bouriak

Selon vous, Scholz démissionnera-t-il ou tentera-t-il de rester en poste malgré la situation instable ?

Alexeï Kouznetsov

Vous savez, en Allemagne, il n’est pas courant de dissoudre de manière impulsive. Si vous vous souvenez bien, sous Merkel, peu importe comment les gens votaient, elle finissait toujours par gagner. Il y a eu une fois l’idée de provoquer de nouvelles élections pour clarifier les choses, mais cela n’a pas été fait. Pour l’Allemagne, les élections au Parlement européen s’inscrivent dans la série des élections territoriales ordinaires qui se tiennent à différents moments. La coalition au pouvoir et l’opposition s’orientent en fonction de ces élections et ajustent leur trajectoire en conséquence. Il est même arrivé qu’au cours de la période entre les élections au niveau national, un parti progresse significativement en termes de soutien, puis régresse au niveau de l’opposition. Par conséquent, je pense que les sociaux-démocrates vont essayer de retarder le moment décisif, car leur défaite peut prendre différentes formes : soit un échec écrasant, soit un simple glissement comme partenaire minoritaire de la coalition ou comme partenaire principal de l’opposition. C’est une distinction très importante pour eux en ce moment.

Je pense que les sociaux-démocrates vont essayer de retarder le moment décisif, car leur défaite peut prendre différentes formes.

Alexeï Kouznetsov

Oksana Bouriak

Vladimir Chveitser, vous avez prédit dans l’un de vos livres la situation à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui. Comment évaluez-vous les résultats des élections, et quelles nuances devons-nous prendre en compte ?

Vladimir Chveitser2

Mon travail se concentre essentiellement sur l’évolution du système des partis depuis 60 ans. D’abord en Autriche, puis dans des espaces plus vastes : aujourd’hui, je m’intéresse à l’ensemble de l’Europe. 

Ce qui est frappant, c’est la crise des élites politiques — qui n’ont pas été bien formées. Cette crise concerne les personnes, les programmes et les sociétés — et elle touche l’électorat. Elle révèle l’instabilité de la structure de l’Union européenne, qui a été créée pour unir, renforcer, éviter les conflits et permettre des accords pacifiques. Or cela n’a pas fonctionné. Et cela a échoué pour des raisons objectives, car il est impossible de prédire les événements dans le monde actuel.

Personne n’aurait pu prévoir les actions militaires actuelles en Europe. Qui aurait pu dire que les choses se passeraient ainsi ? Qui aurait pu imaginer qu’une véritable guerre éclaterait à proximité de l’Europe, au Moyen-Orient, et qu’elle ferait encore plus de victimes ? On aurait pu croire que la crise de 1956 autour du canal de Suez ou la guerre du Yom Kippour de 1973 seraient les dernières. Non, ce n’est pas fini. Et maintenant, l’incertitude totale de l’autre côté de l’Atlantique produit les résultats que nous voyons aux élections, car l’électeur ne sait parfois pas sur quoi se concentrer. Sur ceux qui ont déjà échoué ?

Prenons le cas d’Emmanuel Macron : il est clair qu’il va partir, il s’est épuisé, même s’il ne perd pas ces élections législatives anticipées. Le potentiel qu’il avait au départ ne fonctionne plus. En Allemagne, lorsque Merkel est partie, il semblait qu’il n’y aurait pas de grande différence avec Scholz. Mais non, la partie de l’électorat qui a voté a montré une incertitude et une confusion totales — votant de manière purement émotionnelle. J’ai regardé Euronews hier soir. Tous les entretiens montrent que les gens n’ont pas de vision claire : la crise de l’Europe moderne est d’abord la crise des élites politiques européennes — ces élections l’ont confirmé.

La crise de l’Europe moderne est d’abord la crise des élites politiques européennes — ces élections l’ont confirmé.

Vladimir Chveitser

Oksana Bouriak

Ekaterina Entina, quels aspects vous semblent importants à souligner ?

Ekaterina Entina3

Pour commencer, il me semble judicieux de mettre l’accent sur trois grands axes.

Tout d’abord, la tendance à la droitisation légère des partis centristes, en particulier du Parti populaire européen (PPE), s’est poursuivie. Cela s’explique à la fois par les attentes des électeurs et par le fait que les Verts ont renforcé leur position et ont misé sur une transition énergétique radicale au cours de la précédente législature. Les partis centristes n’ont plus besoin de cette radicalité. Le programme qu’ils voulaient lancer, à savoir la transformation de l’économie, a été initié. Cela a provoqué une réaction conservatrice, et maintenant ils s’orientent vers le protectionnisme. La deuxième tendance dans le même bloc est que les partis de droite ont commencé à se rapprocher lentement du centre. Ils n’ont plus de revendications aussi radicales, telles que la sortie de l’Union européenne, guidés en cela par le triste exemple de la Grande-Bretagne. Ces deux tendances ont apporté leur lots d’intrigues préélectorales et postélectorales.

Le deuxième thème que j’aimerais souligner est que la définition de l’euroscepticisme a sérieusement changé. Les eurosceptiques d’aujourd’hui ont des points de vue très différents de ceux d’il y a cinq, sept ou dix ans. Aujourd’hui, ils travaillent pour l’agenda paneuropéen et pour le renforcement de l’Union européenne, visant la création d’une autonomie stratégique. Par conséquent, ils sont plus euro-nationalistes qu’eurosceptiques. En ce sens, je me permets d’être en désaccord avec mes collègues : je note un certain renforcement idéologique dans les institutions européennes.

Aujourd’hui, les eurosceptiques travaillent pour l’agenda paneuropéen et pour le renforcement de l’Union, visant la création d’une autonomie stratégique. Par conséquent, ils sont plus euro-nationalistes qu’eurosceptiques.

Ekaterina Entina

Le troisième point, qui explique en grande partie la décision d’Emmanuel Macron de convoquer des élections législatives, c’est qu’en moyenne, moins de 50 % des électeurs ont voté. Dans les pays où l’abstentionnisme peut être punissable, comme au Luxembourg ou en Allemagne, plus de gens se sont mobilisés. En revanche, ailleurs, la participation a été nettement plus faible. En Croatie, seulement 21 % de la population a voté, en Lituanie, nous n’en sommes guère loin. Cela illustre bien l’attitude des pays et des citoyens européens envers leur organe le plus représentatif et l’un des plus influents de l’Union. Je suis d’accord avec mes deux collègues, cela montre que les élites politiques des organes paneuropéens sont d’une importance mineure pour les citoyens des pays européens.

Au-delà des inexactitudes, la question de l’abstention a évidemment été un facteur important, comme à chaque élection. Si la participation aux élections européennes a connu une légère hausse en 2024 par rapport à 2019 (+ 0,3 points de pourcentage), le taux a considérablement varié dans plusieurs pays. En Hongrie, en Slovénie, en Slovaquie et à Chypre, celui-ci a bondi d’une dizaine de points, tandis qu’il s’est effondré de moitié en Lituanie par rapport à 2019. Lire notre analyse.

Oksana Bouriak

L’extrême droite est-elle en mesure de former une large coalition au Parlement européen pour accroître son influence ? Ou les contradictions entre Meloni et Le Pen — et entre Le Pen et l’AfD — sont-elles trop fortes ?

Alexeï Kouznetsov

Tout d’abord, n’oublions pas que l’extrême droite, les eurosceptiques et les populistes radicaux, même réunis, ont obtenu moins de voix que le Parti populaire européen (PPE). Un autre point, encore plus important, est que les populistes de droite et les radicaux ne sont plus les mêmes qu’ils étaient dans les années 1950 ou 1970. Nous observons en France un exemple classique de ce changement : un nationalisme qui se concentre sur l’État-nation plutôt que sur la couleur de peau ou d’autres caractéristiques similaires. Par exemple, Jordan Bardella s’oppose à l’immigration illégale et considère que c’est elle qui pose problème. Lui-même est à moitié italien, à moitié algérien, originaire de Saint-Denis. C’est donc un Français exemplaire. Du point de vue d’une nation civique, qui a toujours été l’idéal en France, il correspond à ce critère.

Avec autour de 30 % dans les sondages, pendant cette semaine chaotique de pré-campagne, le RN a accéléré sa stratégie. En effaçant les éléments de rupture de son programme, en utilisant le jeune et télégénique Jordan Bardella comme un « proxy », Marine Le Pen cherche à séduire et rallier les élites administratives et économiques du pays.

Le PPE, quant à lui, s’est éloigné de son noyau centriste traditionnel. Ils ont toujours eu un grand programme manifeste, dont le premier paragraphe affirme que les partis centristes considèrent la civilisation judéo-chrétienne comme la base de l’Union européenne. En d’autres termes, ils excluent implicitement les musulmans de l’Union. Ils n’écrivent pas cela directement, car ils perdraient une partie de leur électorat. Mais c’est leur position de départ. Vous ne verrez cela dans aucun parti radical de droite. À la fin de leur programme, ils écrivent que la Turquie ne sera pas membre de l’Union européenne. Ils prétendent maintenant que c’est à cause des autorités en place, mais il faut comprendre que l’Ukraine ou les pays des Balkans occidentaux, qui attendent également d’entrer dans l’Union, ont eux aussi des autorités très différentes et ne répondent pas toujours aux exigences moyennes de l’Union européenne.

Jordan Bardella est à moitié italien, à moitié algérien, originaire de Saint-Denis. C’est donc un Français exemplaire.

Alexeï Kouznetsov

Par ailleurs, nous sommes habitués à considérer les populistes radicaux de droite comme des militaristes, tandis que les centristes, surtout les chrétiens, seraient plus modérés. Mais le PPE est désormais le parti de la guerre. Dans leurs manifestes électoraux, le thème de la guerre en Ukraine est l’un de leurs principaux sujets. Ne croyez pas qu’il s’agisse de lutter pour la démocratie et la liberté dans le monde, bien qu’ils tentent d’en parler dans leur programme. Le PPE cherche à renverser le pouvoir légitime en Biélorussie et ne le cache pas. Ils ont réussi à renverser le pouvoir légitime en Ukraine en 2013-2014, plongeant le pays dans une guerre civile, et participent maintenant à une guerre par procuration contre la Russie. De plus, le PPE ne cache pas que la prochaine cible est la Biélorussie. Ils se sont présentés aux élections avec ce slogan et ont globalement gagné.

Ils peuvent dire qu’ils n’ont pas perdu des voix, mais les comparaisons sont difficiles : faut-il comparer à ce qu’ils avaient après le Brexit ou au niveau de soutien en pourcentage de l’élection elle-même ? De plus, le taux de participation n’est pas très élevé, mais cela a toujours été le cas. Quoi qu’il en soit, ils n’ont pas subi la perte de voix des libéraux ou des verts. En réalité, ils ont même gagné quelques sièges. Nous devons également comprendre qu’ils ont reçu 15 sièges supplémentaires, car le quota n’a pas été complètement retiré au Royaume-Uni, ce qui montre que plusieurs pays des Balkans occidentaux pourraient tout à fait être acceptés dans l’Union pendant cette période électorale.

Le point suivant concerne l’attitude très intéressante du PPE envers la Chine. Bien sûr, le PPE n’écrit pas, comme les libéraux qui ont perdu les élections, qu’il faut combattre la Chine de manière frontale comme la liste Magnitski. Mais ils constatent que la Chine est un concurrent économique coriace. Et puis nous observons les actions concrètes que la Commission européenne a entreprises contre la Chine. Il est évident que l’Union ne va pas déclencher des hostilités contre Pékin, car elle n’en a ni la force ni la capacité. Mais le fait que le filtrage des investissements directs chinois, commencé il y a quelques années, risque de se terminer par un protectionnisme européen dur contre la Chine est évident. Ce sont ces forces qui restent au pouvoir.

En 2009, l’avocat Sergueï Magnitski meurt dans un centre de détention russe, déclenchant une réaction en chaîne d’abord aux États-Unis, puis en Europe. Cela aboutit en 2012 à la liste des sanctions américaines contre les personnes impliquées dans le meurtre de Magnitski et dans d’autres fraudes, persécutions et violations des droits de l’homme. La même année, le Parlement européen formule une résolution sur une liste similaire dans l’Union européenne, qui deviendra la première impulsion pour une série de changements dans la législation européenne, connue sous le nom de régime mondial de sanctions de l’Union en matière de droits de l’homme — souvent abrégée en « loi Magnitski ». Kuznetsov cite cet exemple pour différencier la position de Renew et du PPE sur la Chine, où le premier milite pour une législation à l’égard de la Chine à la même échelle, tandis que le second se concentre principalement sur les restrictions économiques.

Il faut donc nuancer les critiques à l’encontre des radicaux de droite qui les qualifient de forces pro-russes ou autres : ce sont des étiquettes de lutte politique. Chaque pays a ses propres dynamiques complexes. Je suis d’accord avec Vladimir Chveitser pour dire que la principale raison de la montée de ces partis non conventionnels est la crise absolue des élites politiques, une crise endogène. En Allemagne, tous les politiciens brillants et compétents qui auraient pu maintenir l’ancien système ont été artificiellement écartés par divers scandales. La même chose s’est produite en France. Et je ne suis pas d’accord pour dire que Macron était autrefois un politicien brillant. Macron a toujours été quelqu’un de terne, qui s’est élevé parce que tous les brillants ont été soit retirés de la scène politique en raison de leur âge, soit écartés par des scandales avant d’atteindre le pouvoir.

Les Britanniques cherchaient à comprendre à l’époque d’Hitler pourquoi dans certains pays, le système politique produisait des politiciens normaux, tandis que ce n’était pas le cas dans d’autres. Parce que dans ces pays, du moins au niveau de l’Union, tout est fait pour empêcher les personnes publiques d’entrer en politique.

Oksana Bouriak

Les élites européennes, commenceront-elles un jour à se reformer, ou continuerons-nous à avoir affaire à des personnalités aussi ternes, menant leur pays dans une direction peu claire ?

Vladimir Chveitser 

Les élites se forment dans des circonstances politiques, économiques et sociales spécifiques. Ce ne sont pas des extraterrestres qui viennent d’en haut, s’installent et commencent à gouverner. Or le début du XXIe siècle a créé une situation absolument imprévisible, rendant impossible de se rétablir et de travailler avec le pays et les masses selon un plan préétabli. Il n’y a pas de plan. Angela Merkel est une femme sage, elle est partie à temps. Elle a réalisé que la situation, grâce à laquelle elle est devenue la première personne en Europe, et peut-être l’une des premières au monde, n’était plus là. Personne n’était préparé à ce qui s’est passé.

Les élites ne naissent pas comme cela, elles se forment : toutes les élites qui se sont formées en Europe après 1945 ont émergé de la victoire sur le fascisme, de la restauration de l’économie, du développement de la communication, du renforcement de la coopération et du développement des formes démocratiques. Ce qui s’est passé au XXIe siècle ruine pratiquement tout. Si l’on prend l’exemple du conflit entre la Pologne, la Hongrie et l’Union, on constate que les principes sont violés. C’est pourquoi l’Union européenne interpelle : « Orbán, qu’as-tu fait des journalistes ? ». Cette confusion engendre l’émergence de personnalités très peu articulées. Par exemple, Macron est un financier et un gestionnaire, mais il n’était pas prêt pour ce rôle de leader, et il a été poussé vers la surface.

Le résultat actuel — même s’il est absolument désastreux — était prévisible. Cependant, personne n’aurait pu prévoir que Macron dissoudrait le parlement. Même les analystes France de notre institut ne l’avaient pas anticipé. Oui, Le Pen serait renforcée, mais il était peu probable que Le Pen et son parti dépasseraient le parti de Macron ; ils seraient au même niveau, ce qui serait déjà beaucoup, car lors des dernières élections, il y avait un écart énorme entre le parti nouvellement créé de Macron et ceux qui ont soutenu Le Pen.

Le Pen a fait un grand pas en se libérant des illusions et des ambitions euro-parlementaires, en se remplaçant par une autre personne. Jordan Bardella s’est révélé être une figure importante. Qui sait d’où vient Jordan Bardella ? C’est un bel homme — passez-moi l’expression — qui a réussi à capter la moitié des votes des femmes. Voilà le genre de figure politique qu’il est.

Qui sait d’où vient Jordan Bardella ? C’est un bel homme — passez-moi l’expression — qui a réussi à capter la moitié des votes des femmes. Voilà le genre de figure politique qu’il est.

Vladimir Chveitser

Oksana Bouriak

Avec une orientation sexuelle traditionnelle ?

Vladimir Chveitser 

Oui, en général, le genre est très important. Par exemple, lorsqu’ils ont nommé une gente dame (Прекрасная дама) de Malte à la présidence du Parlement européen, alors qu’elle ne disposait que de six voix au parlement, c’était surprenant. Bon, c’est une jolie femme.

Maintenant, il y a cette confusion sur les critères de nomination des personnes : le genre, l’orientation professionnelle, les critères liés au pays. Je peux vous dire honnêtement que je ne connais pas encore les résultats pour la Pologne ou l’Espagne. Je serais très intéressé de les connaître, car il y avait des forces différentes en jeu dans ces pays. Le premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, était considéré comme le social-démocrate le plus fort d’Europe, avec Scholz, bien sûr. Néanmoins, a-t-il obtenu la majorité dont il avait besoin ? Je ne connais pas ces chiffres.

Hier, j’ai regardé les informations sur Euronews et, je dois l’avouer, je me suis endormi devant tant de confusion. C’est très intéressant pour ceux qui travaillent dans les médias de voir comment les forces européennes poussent certaines personnes à l’écran, devant le micro. Il est crucial dans le travail d’information de trouver le bon interlocuteur, d’avancer un certain concept et de confirmer ou réfuter un autre concept. Cela a bien sûr un effet. Je pense que le succès de Le Pen est à bien des égards un coup tactique et une politique d’information correctement et compétemment construite.

Ce n’était pas le cas en Allemagne. Il était impossible de former une coalition cohérente en combinant des Libéraux-démocrates, des Verts et des Sociaux-démocrates avec des orientations économiques aussi différentes. Les sociaux-démocrates et les Verts peuvent s’entendre, mais les libéraux ? Ou encore, les libéraux peuvent trouver un terrain d’entente avec les sociaux-démocrates, mais les Verts restent en dehors du jeu. Ces incohérences dans les coalitions ont conduit aux résultats que nous voyons.

Le résultat principal de cette élection n’est pas ce qui se passera au Parlement européen. Le Parlement européen est consultatif et n’est même pas un organe secondaire mais tertiaire.

Comme le prévoient les traités, le Parlement est co-législateur et non un organe de consultation.

Les élites n’arrivent pas à trouver le dénominateur commun dont elles ont besoin. Non pas parce qu’elles sont mauvaises ou faibles, mais parce qu’elles ne savent pas comment se comporter.

La question principale était : comment combiner une ligne commune concernant ces événements en Ukraine avec les besoins domestiques économiques et en énergie ? Comment mettre en œuvre des sanctions qui, à bien des égards, ont eu des effets négatifs sur ces pays ? Bien sûr, elles ont aussi eu un impact sur nous, et nous le savons très bien. Mais en voulant nous couper un doigt, ils se sont coupé une jambe. Ils ont beaucoup perdu en ne prenant pas en compte cette situation nouvelle. 

Oksana Bouriak

Parce qu’il s’agit avant tout d’émotions. Encore une question pour vous : le Parti populaire européen, que vous avez qualifié de parti de la guerre, a remporté les élections au Parlement européen. Von der Leyen est-elle assurée de prolonger son mandat, selon vous ? Restera-t-elle à la tête de la Commission européenne ?

Vladimir Chveitser 

Il est plus difficile de trouver une nouvelle personne que de perdre une ancienne.

Oksana Bouriak

Il y avait quand même des rumeurs sur Charles Michel…

Vladimir Chveitser 

Avant les élections, Charles Michel, un Belge d’origine wallonne, a tenté de démissionner de l’Union européenne. Il a déclaré qu’il ne voulait plus être à la tête du système. Mais on l’a convaincu de rester : « Regardez, il n’y a personne d’autre ». En voyant cela et en lisant la presse, j’ai soudain pris conscience qu’ils ont une très mauvaise situation en matière de ressources humaines : leurs équipes ne sont pas du tout préparées.

Ce qui était commode dans notre XXe siècle, c’était une certaine clarté : il y avait une équipe de sociaux-démocrates, il y avait Willy Brandt, il y en avait d’autres. Dans le cas des Français, le dernier était Sarkozy ; après lui, ce fut une série d’échecs. Il y a là une combinaison de situations personnelles et de problèmes qui ne peuvent pas être résolus immédiatement. Je ne leur donnerais pas seulement une note négative pour cela, je dirais que les conditions ne sont pas créées pour que l’Union européenne fonctionne comme ils le souhaiteraient.

Oksana Bouriak

Ekaterina Entina, partagez-vous ce constat ?

Ekaterina Entina

J’ajouterais une remarque à la question précédente. Lorsqu’on parle des élites de l’Union européenne, c’est-à-dire des élites supranationales, il est important de comprendre que leur formation est un processus long. Le fait que les centristes parviennent à rester au pouvoir et disposent aujourd’hui d’une majorité stable montre que c’est le seul terrain d’entente permettant de développer des élites supranationales.

Quant aux politiciens brillants ou ternes, les élites supranationales doivent en partie être « grises », sans quoi l’Union serait déchirée par ses profondes contradictions nationales. Prenez Ursula von der Leyen : il y a cinq ans, elle était une technocrate discrète. Mais la guerre, les sanctions et la pandémie l’ont transformée en une figure politique centrale. Aujourd’hui, elle est une personnalité influente dans la politique européenne et mondiale, alors qu’elle n’avait ni cette expérience, ni ce potentiel il y a cinq ans. Lorsque l’on examine les élites européennes, il faut toujours garder à l’esprit que leur formation est un processus évolutif et à long terme.

Les élites supranationales doivent en partie être « grises », sans quoi l’Union serait déchirée par ses profondes contradictions nationales.

Ekaterina Entina

Quant à l’avenir d’Ursula von der Leyen, il est difficile à prédire aujourd’hui, car de nombreux candidats se disputent les principaux postes des institutions de l’Union européenne. Rappelons-nous qu’elle est arrivée à son poste il y a cinq ans, en quelque sorte par accident, suite à l’annulation d’accords au sein du Parti populaire européen. Nous pouvons donc dire avec certitude que les futurs dirigeants des principales institutions européennes seront ceux qui auront su émerger de ce processus complexe d’accords entre groupes de pression, cercles d’affaires et partenaires de coalition.

Le calendrier ayant été bousculé par les législatives anticipées en France, les noms des futurs top jobs ont presque déjà fait l’objet d’un accord au 17 juin 2024. Lire notre analyse.

Oksana Bouriak

Madame Entina, nous avons déjà discuté des sièges restés vacants au Parlement européen après la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne. Alexei Vladimirovich a également suggéré que certains pays des Balkans occidentaux pourraient être admis dans l’Union au cours de la période électorale actuelle. De votre point de vue, de quels pays peut-on vraiment parler d’ici 2029 ? 

Ekaterina Entina

Si l’on spécule un tant soit peu sur ce sujet, je dirais que le Monténégro a des chances réalistes d’adhérer à l’Union. Cela est dû à la politique menée par Podgorica et au fait que, si les Européens veulent montrer une dynamique d’élargissement, le Monténégro est le seul pays qui peut être accepté. Bien entendu, cela se ferait pour des raisons politiques plutôt que sur la base de critères standards. Les Monténégrins ont fait tout ce qui est possible et même impossible — y compris se définir en tant que nation — pour obtenir leur adhésion à l’Union.

La situation avec les autres pays est beaucoup plus compliquée. Tant que la procédure d’acceptation des nouveaux membres de l’Union européenne par vote consensuel ne sera pas modifiée, Belgrade, malgré son niveau de développement élevé, n’aura aucune chance d’adhésion. De plus, chaque mois, de plus en plus de questions se posent parmi les Serbes eux-mêmes — et, j’en suis certaine, aussi parmi leurs élites politiques — sur la nécessité de l’adhésion à l’Union européenne sous la forme d’une adhésion complète.

Oksana Bouriak

Je vous remercie. Y a-t-il quelque chose que vous voudriez ajouter Vladimir ?

Vladimir Chveitser

Oui, je voudrais ajouter que l’une des crises actuelles de l’Union européenne est la crise de son élargissement qui, à mon avis, ne peut pas se produire.

Tout ce qui se passe actuellement ne fait qu’aggraver la situation, car ces pays ne sont tout simplement pas prêts pour l’adhésion à  l’Union.

L’histoire de la Pologne, et celle bien connue de la Hongrie d’Orbán montrent que même les pays les plus avancés ne sont pas toujours compatibles avec les normes de l’Union. Comparer les pays d’Europe occidentale et les pays des Balkans est possible formellement, mais en pratique, les partis qui se forment et se désagrègent là-bas rendent cette comparaison difficile. Ils sont très souvent de circonstance, et non basés sur des principes — dans le cas de la Bulgarie par exemple, c’est frappant.

Et si l’Ukraine entre également en considération, il faudrait alors examiner un groupe entier de candidats. Cela ne mène nulle part. Mais une chose que je peux dire, c’est qu’il y aura des forces qui travailleront pour l’élargissement. En théorie donc, l’élargissement est possible. En pratique, il est irréaliste dans un avenir proche.

Alexeï Kouznetsov

Je voudrais prolonger la réflexion et m’inscrire en faux sur plusieurs points.

Premièrement, sur le rôle du Parlement européen et sur l’élargissement potentiel de l’Union européenne : selon le système actuel, l’Union ne peut tout simplement accepter personne, à l’exception du Monténégro et de la Macédoine du Nord. Elle devrait réformer tout son système, car institutionnellement, le nombre de commissaires européens et le nombre de sièges au Parlement européen posent des problèmes bureaucratiques qui empêchent l’admission de nouveaux membres — comme l’Ukraine — sans réforme préalable. Cependant, la réforme des institutions européennes est aussi à l’ordre du jour. Le Parlement européen et ceux qui soutiennent cette institution sont favorables à l’accroissement de son rôle. C’est pourquoi les élections au Parlement européen prennent chaque fois plus d’importance pour la vie de l’Union. Le Parlement européen de 1979, celui de 1999 et le Parlement actuel sont des entités très différentes.

Quant à l’idée que ce serait le nouveau contexte qui empêcherait les hommes politiques de réagir adéquatement, ici, je ne serais pas d’accord avec Vladimir Chveitser. Il y a toujours des situations nouvelles. Les politiciens échouent parce qu’ils sont ternes, sans talent. C’est le système qui les a portés au pouvoir. Je rappellerai qu’Helmut Kohl a été confronté à une situation beaucoup plus inattendue lorsqu’il a eu l’occasion d’unifier l’Allemagne dans les années 1990. Et il l’a fait sans argumenter que la nouvelle situation nécessitait davantage de discussions. Pourtant, maintenant, certains disent qu’il aurait fallu discuter davantage et qu’un État allemand unifié n’aurait sans doute pas vu le jour. Il y avait un politicien brillant — avec beaucoup de défauts, certes, mais brillant — et il a fait un geste historique. Aujourd’hui, à sa place, de grandes coalitions auraient organisé de nombreuses conférences, et auraient finalement conclu que personne n’était prêt pour cette situation inattendue, et donc aucun résultat n’aurait été obtenu.

Deuxièmement, concernant les médias en Europe — y compris les publications en ligne : sans parler de censure, il est évident qu’ils couvrent de nombreux processus de manière unilatérale. Le degré de blocage informationnel à propos de notre pays, n’est même pas comparable à celui de l’époque soviétique.

Ce blocage s’applique même aux travaux scientifiques neutres. Dans l’Union européenne, il est interdit de relire scientifiquement des ouvrages en anglais d’auteurs russes. Pour cela, vous pouvez tout simplement perdre votre emploi. Ce n’est donc pas seulement que vous pouvez seulement critiquer les Russes, vous devez aussi prétendre qu’il ne se passe rien du tout en Russie sur le plan intellectuel. Il y a beaucoup d’exemples de ce genre.

Oksana Bouriak

Et vous, Ekaterina Entina, avez-vous quelque chose à ajouter ?

Ekaterina Entina

Je pense que nous pouvons passer à la discussion sur le changement de cap interne. Il est clair que la politique étrangère restera inchangée, je suis entièrement d’accord avec mes collègues. En ce qui concerne les questions internes, les demandes avancées par la droite, l’extrême droite et même certains représentants du PPE, concernant un plus grand protectionnisme, la protection des intérêts des entrepreneurs et la réduction du fardeau social de la population, semblent indiquer que la politique économique de l’Union européenne sera considérablement ajustée. Cependant, je ne le prévois pas de manière drastique.

Je pense que le protectionnisme et la réduction des coûts sociaux se manifesteront de trois façons. La première direction est le transfert [des coûts] vers des pays tiers. La deuxième se voit déjà dans les décisions prises par l’Union européenne en matière de politique migratoire. Il a été décidé que les questions d’immigration seraient externalisées. Des accords seront conclus avec des pays comme la Turquie, le Maroc et d’autres, pour que les citoyens souhaitant entrer dans l’Union européenne pour des raisons non touristiques soient préalablement filtrés dans des centres qui décideront de leur admissibilité. Cela représente une stratégie claire pour l’une des questions sociales les plus sensibles pour l’Union européenne.

Tout semble indiquer que la politique économique de l’Union européenne sera considérablement ajustée. Cependant, je ne le prévois pas de manière drastique.

Ekaterina Entina

Le troisième point est ce que les milieux d’affaires de l’Union ont déjà obtenu. Si nous nous souvenons, lorsque des sanctions systématiques nous ont été imposées, aucune communauté d’affaires, à l’exception de celles de l’industrie des métaux non ferreux, n’a écrit aux autorités de l’Union pour demander la levée ou l’assouplissement des sanctions. Il s’agissait plutôt de savoir qui soutiendrait qui et qui recevrait plus de ressources financières pour remplacer les partenariats ou les chaînes de production. Aujourd’hui, les milieux d’affaires font pression pour un ajustement réglementaire. Ils souhaitent une plus grande liberté de manœuvre pour interpréter les décrets et règlements de l’Union européenne au niveau national et industriel, permettant aux industries elles-mêmes de décider comment atteindre les objectifs fixés par Bruxelles.

Il me semble que c’est une orientation très importante pour le développement de l’Union pour les cinq prochaines années, tant pour le développement potentiel des relations avec notre pays que pour celles avec tous les pays tiers, y compris la Chine, ainsi que les pays d’Afrique du Nord et subsaharienne.

Oksana Bouriak

Chers collègues de la salle vous avez la parole pour des questions.

Alexander Lennik (journal d’affaires International Business Guide)

Monsieur Kouznetsov, comme toujours, vous fournissez des informations approfondies et clarifiez parfaitement la situation à venir sur le terrain de l’information. Cependant, les résultats des élections au Parlement européen seront connus dès ce soir. Quel impact négatif pourrait avoir cette nouvelle composition sur la Russie, notamment sur les questions économiques, d’innovation, et bien sûr, dans le domaine des technologies de l’information ? Vous avez déjà abordé l’analyse de la recherche scientifique et technologique mais ils envisagent probablement un ensemble de mesures plus large. Je vous remercie.

Alexeï Kouznetsov

Il faut d’abord rappeler qu’en matière économique, le Parlement européen n’a ni une grande force, ni une influence significative. Les décisions seront principalement prises en dehors de cette institution.

Deuxième point, le populisme : je considère de nombreux partis au sein du Parti populaire européen (PPE) comme populistes. Il est important de noter que le PPE n’est pas un parti unique, mais une alliance de partis provenant de différents pays, chacun avec ses propres caractéristiques. Ils remportent souvent les élections au Parlement européen grâce à ce mélange hétérogène, en partie populiste.

Par exemple, le Parti populaire européen se réclame de l’économie sociale de marché. C’est un concept né en Allemagne et poussé par la CDU et la CSU, qui sont les partis les plus influents et qui ont connu un certain succès lors des dernières élections en Allemagne. Cependant, il est important de rappeler que l’économie sociale de marché repose sur les principes de l’ordolibéralisme. En Allemagne, les ordolibéraux eux-mêmes estiment que cette économie sociale de marché est devenue une étiquette déconnectée des principes originaux, notamment en ce qui concerne la politique de cohésion de l’Union européenne. Le soutien de nouveaux États membres, souvent en retard, est devenu un instrument des politiques économiques supranationales avec des éléments d’éducation politique.

La situation de la Hongrie et de la Pologne est fréquemment discutée. Même dans le Parlement européen actuel, des réformes exotiques ont été proposées, visant à punir les pays qui ne suivent pas l’idéologie commune de l’Union européenne en les privant de financements. J’ai posé la question lors d’une conférence : que se passerait-il si un pays donateur était en opposition ? Ils refuseraient d’accepter ses contributions au budget commun de l’Union européenne ? Cela montre que la rhétorique populiste où les partis promettent des mesures irréalistes est très forte.

Concernant la rhétorique anti-russe des vainqueurs des élections européennes, elle pourrait également être vue comme populiste, car il est courant de blâmer la Russie pour divers problèmes. Cependant, il est important de noter que la Russie est maintenant le quatrième pays au monde en termes de parité de pouvoir d’achat. L’élite est clairement définie :  les États-Unis, la Chine, l’Inde et la Russie. Pourquoi cela s’est-il produit ? À cause du nouveau calcul de la méthodologie des organisations internationales sur les parités. Et d’où viennent ces nouveaux calculs ? Tout le monde oublie qu’en raison de la hausse des prix de l’énergie en Europe, ils doivent maintenant payer beaucoup plus cher pour les mêmes produits. 

L’Union européenne nous a donc fait passer de la sixième à la quatrième place au monde. Mais, au lieu de se reposer sur ces lauriers accidentels, il est crucial de continuer à travailler assidûment, notamment dans le domaine de l’innovation et en surmontant les sanctions secondaires de l’Union européenne et des États-Unis, ce qui peut être fait avec plus ou moins de succès.

L’Union européenne nous a fait passer de la sixième à la quatrième place au monde. Mais, au lieu de se reposer sur ces lauriers accidentels, il est crucial de continuer à travailler assidûment.

Alexeï Kouznetsov

En conclusion, je ne me focaliserai pas trop sur la composition du nouveau Parlement européen. Il est peu probable qu’il y ait des surprises — qu’elles soient positives ou négatives — concernant la Russie. Beaucoup dépendra de nos propres capacités à réaliser nos objectifs et à surmonter les défis posés par notre propre système décisionnel, qui est loin d’être parfait.

Oksana Bouriak

Je vous remercie. Une question nous est parvenue via le site Internet du centre de presse Argumenty i Fakty, par Dmitry Sokolov : comment l’escalade constante des actions et des déclarations de Macron va-t-elle se terminer pour lui-même ? Y a-t-il une chance qu’il soit renversé ou contraint de démissionner avant 2027 ?

Ekaterina Entina

La position de Macron est actuellement très claire. Une élection anticipée est prévue pour le 30 juin. Pourquoi a-t-il choisi cette mesure ? Pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le taux de participation aux élections européennes est généralement faible en France, souvent inférieur à 50 %. Par conséquent, les résultats obtenus par le parti de Marine Le Pen pourraient être divisés par deux.

Ensuite, les autorités officielles à Paris partagent l’opinion que les élections européennes sont perçues comme moins importantes que les élections nationales par les citoyens français. Cela permet aux électeurs d’exprimer leur mécontentement lors des élections européennes, tout en votant de manière plus réfléchie lors des élections nationales.

Selon les sondages de sortie des urnes, le parti de Marine Le Pen a remporté plus de 80 % des villes françaises. Ce succès s’étend désormais à des couches sociales diverses, y compris des personnes très instruites qui, traditionnellement, ne soutenaient pas l’extrême droite. Ce changement s’explique par le déplacement rhétorique de l’extrême droite française vers le centre, abandonnant les slogans qui effrayaient les électeurs mécontents des gouvernements successifs mais réticents à voter pour l’extrême droite.

Le parti de Marine Le Pen bénéficie également du fait qu’il n’a pas été au pouvoir au cours des dernières décennies, contrairement aux autres partis français. Cela crée un potentiel considérable pour les prochaines élections, prévues dans deux semaines, et pourrait entraîner un résultat significatif pour Marine Le Pen et ses partisans.

Il est donc possible que les macronistes soient battus, bien qu’ils espèrent que leurs électeurs traditionnels, craignant une radicalisation de la situation, choisissent de ne pas voter pour l’extrême droite, malgré les résultats des élections européennes en France.

Le parti de Marine Le Pen bénéficie également du fait qu’il n’a pas été au pouvoir au cours des dernières décennies, contrairement aux autres partis français.

Ekaterina Entina

Alexeï Kouznetsov

Je voudrais ajouter que pour Macron, ne pas organiser d’élections anticipées aurait effectivement été un aveu de défaite écrasante. Toutes les spéculations sur le taux de participation, sur l’attitude des citoyens envers le Parlement européen, etc., semblent être du bavardage. En Allemagne voisine,  où les sociaux-démocrates ont subi des pertes, la situation de la coalition demeure ambiguë. Tout le monde comprend que les vainqueurs de l’AfD dans les Länder de l’Est ne peuvent pas entrer dans le gouvernement fédéral. Il n’y a donc pas de défiance claire envers la coalition au pouvoir, même si le leader des sociaux-démocrates a perdu. Pour Macron, ne pas organiser de nouvelles élections équivaut à reconnaître une défaite certaine. Macron, quant à lui, fait un coup de poker. S’il n’organise pas d’élections, il perdra définitivement. Ensuite, la vie ne s’arrête pas là, les vainqueurs des élections actuelles en France viseront déjà la présidence, c’est évident.

Je ne suis pas sûr que Macron puisse répéter les stratagèmes utilisés lors des dernières élections. Car non seulement ceux qui étaient considérés comme d’extrême droite se sont déplacés vers le centre, mais les forces dirigeantes en France ne se sont pas déplacées là où les Français les attendaient.

Soyons réalistes. Malgré l’opposition de l’Union à la Russie, cette opposition varie d’un pays à l’autre. En Allemagne, les descendants des nazis se sont activés. En regardant des biographies, on voit que les parents, les grands-parents, les membres du parti d’Hitler étaient en prison sous Staline, d’où la haine. Certains pays condamnent la Russie, en disant : « ils ont violé le droit international, c’est le XXIe siècle, nous devons vivre en paix ». Il existe donc des rhétoriques différentes. En France, sur des questions symboliques comme les célébrations du débarquement en Normandie, le dirigeant actuel se montre aligné avec des néo-nazis. Nous leur rappelons combien de collaborateurs il y a eu en France pendant la Seconde Guerre mondiale. Cependant, la majorité des Français se sont opposés à Hitler et ont combattu les nazis, bien que pas aussi activement que nous l’aurions souhaité en Union soviétique.

Les Français, sont-ils heureux d’être représentés par de telles forces ? Par le passé, on leur a toujours dit que voter pour Marine Le Pen, ou pour son père auparavant, porterait atteinte aux valeurs fondamentales de la République française. Il apparaît maintenant que les forces dirigeantes ne partagent pas vraiment ces valeurs et sont prêtes à les sacrifier pour des considérations opportunistes liées à l’Union ou à l’OTAN. C’est aussi, je pense, un problème de Macron en ce moment.

Oksana Bouriak

Voulez-vous ajouter quelque chose à cette question ?

Vladimir Chveitser

Je pense que la tragédie politique de Macron réside dans le fait qu’il a excessivement personnalisé la politique française. Il a réduit à sa propre personne la solution des problèmes domestiques, européens et internationaux. Il a tenté de s’élever au niveau des dirigeants de la Russie, des États-Unis et de la Chine, mais il n’a pas le même profil. Nous avons vu qu’il a commis de nombreuses erreurs. Honnêtement, lorsque je le vois lors de ses conférences de presse et de ses réunions avec les dirigeants, notamment avec Zelensky, tout cela semble très étrange. On a l’impression qu’il joue un rôle, qu’il se met en scène, et ce de manière très infructueuse.

Je me répète : la formation des élites prend du temps. Prenons Merkel comme exemple : c’est ce qui lui a permis de rester longtemps au pouvoir sans commettre de grosses erreurs. En revanche, toutes les erreurs de Macron résultent du fait qu’il a brusquement émergé alors que les partis traditionnels en France, comme les socialistes et les républicains, ont perdu leur force. Personne ne les considère sérieusement aujourd’hui, et une nouvelle force a émergé avec laquelle Macron est tout simplement incompatible. Il n’a pas réussi à se renouveler, et cela se voit dans sa gestion de la situation en Ukraine. 

D’un côté, il veut apparaître comme un artisan de la paix, mais lorsqu’il dit que les Français risquent de se retrouver comme soldats de l’Occident en Ukraine, il se tire une balle dans le pied et franchit une ligne rouge. Cela rebute beaucoup de gens. Dire que la France est prête à se battre pour les intérêts de l’Ukraine a été sa plus grande erreur, car les gens ne comprennent pas bien quels sont ces intérêts et cela l’a affaibli. Les prochaines élections en France vont probablement montrer les conséquences de ces erreurs.

La tragédie politique de Macron réside dans le fait qu’il a excessivement personnalisé la politique française. Il a réduit à sa propre personne la solution des problèmes domestiques, européens et internationaux.

Vladimir Chveitser

Contrairement à l’Allemagne, où l’ère Merkel a posé les bases d’une coalition, même faible, qui tient encore, la France ne bénéficie pas de cette stabilité. La CDU-CSU en Allemagne a une chance de revenir au pouvoir grâce aux fondations posées par Merkel.

En tant qu’historien et politologue, je dirais qu’il faut examiner la situation en perspective et rétrospectivement pour comprendre le succès ou l’échec de certaines actions. Ce n’est pas un seul événement ou une seule déclaration qui compte, mais une chaîne d’événements qu’il faut analyser attentivement dans le contexte d’un ensemble d’actions politiques.

Je vous remercie.

Oksana Bouriak

Angela Merkel a tout de même commis une erreur — les accords de Minsk.

Alexeï Kouznetsov

Les accords de Minsk ? Oui, bien sûr. Mais cet accord était conforme aux réalités de l’époque, il s’inscrivait dans un contexte de conditions réelles qui se formaient alors. Est-il possible de parvenir à un accord aujourd’hui, dans ce contexte d’hostilités ? Je ne pense pas.

Oksana Bouriak

Je voulais dire que Merkel elle-même a admis que c’était une décision tactique et qu’ils ne voulaient pas vraiment les respecter.

Alexeï Kouznetsov

Bien sûr, je suis d’accord avec vous. Ils ne voulaient pas jouer le jeu de la Russie, cela est compréhensible. Mais ils ont pris conscience que lorsque nos forces armées se sont positionnées dans des zones stratégiques pour l’Ukraine, ils ont tout reconfiguré en jouant la carte de la paix. Cela n’a pas fonctionné, car toute cette stratégie de restauration de la paix en Ukraine n’était pas élaborée — ni théoriquement, ni même au niveau de propagande, ni scientifiquement. Tout cela reposait sur des fondements très fragiles, des ficelles très faibles qui ont fini par céder. Les accords de Minsk étaient une tentative ratée.

Oksana Bouriak

La tromperie a commencé en 2014. Qui a donné des garanties de sécurité à Ianoukovitch ? L’Allemagne, notamment Merkel, et la France. Donc la tromperie dure depuis longtemps, et il est clair que ce sont de gros faux pas de la part de Merkel.

Vladimir Chveitser

Je voudrais ajouter un autre point, que nous n’avons pas encore vraiment abordé aujourd’hui : les facteurs externes sont devenus beaucoup plus importants pour l’Europe qu’ils ne l’étaient auparavant. Les États-Unis, avec Trump, c’est clairement un facteur externe. Le facteur externe de renforcement du pouvoir en Russie est également clair. Et la Chine, qui a tiré des avantages économiques de cette situation. Malgré les interruptions logistiques, la résilience économique de la Chine s’est avérée beaucoup plus forte que prévu.

Ces éléments influencent fortement la situation en Europe. L’Europe n’est pas prête à devenir la deuxième, ni même la troisième puissance mondiale. Elle aspirait à être le leader du monde moderne. Cependant, ces ambitions sont désormais remises en question par des forces externes plus puissantes.

Les facteurs externes sont devenus beaucoup plus importants pour l’Europe qu’ils ne l’étaient auparavant.

Vladimir Chveitser

Oksana Bouriak

Une question de l’édition Ukraina.ru par Anna Cherkasova. Nous avons déjà partiellement répondu à cette question :« Si les prédictions se réalisent et les leaders d’extrême droite arrivent au Parlement européen, son unité sur la question du soutien à l’Ukraine sera-t-elle ébranlée ? » Je pense que tous les intervenants ont répondu de manière unanime à cette question, à savoir que le soutien à l’Ukraine se poursuivra. Voulez-vous ajouter quelque chose ?

Vladimir Chveitser

Le soutien à l’Ukraine, en quoi précisément ? Le soutien moral, la solidarité, les discours prononcés en ces occasions, tout cela continuera, bien sûr. Cependant, en pratique, nous voyons que les pays sont prêts à aider l’Ukraine, mais sans se nuire eux-mêmes. Est-ce possible ? C’est une grande question. Malheureusement, pour ceux qui souhaitent mener de front ces deux objectifs, c’est difficile. On ne peut pas prôner la paix et les négociations tout en soutenant l’un des belligérants. C’est impossible. Cela n’a jamais été le cas dans l’histoire. Rappelons-nous de la Seconde Guerre mondiale, c’est une situation similaire aux Conférences de Yalta et de Potsdam.

Oksana Bouriak

Et une deuxième question d’un collègue :« En Europe, une scission est apparue sur la question de savoir s’il faut ou non armer l’Ukraine avec des armes occidentales contre la Russie. À quoi cette division est-elle due ? »

Alexeï Kouznetsov

Probablement, nous l’avons déjà partiellement mentionné. Il existe des forces très différentes au sein des pays de l’Union européenne, et l’histoire des relations de ces pays avec notre État varie considérablement. Pour certains pays, il s’agit en quelque sorte d’une revanche contre la défaite du nazisme par les soldats soviétiques. Oui, cela inclut cet aspect. 

Pour d’autres, c’est une tentative de changer l’équilibre des puissances dans le monde, sans utiliser leurs propres mains. Ils ne soutiennent pas les idéologies nazies ou néo-nazies et affirment sincèrement que ce n’est pas le cas, car ils n’y croient vraiment pas. Ce sont souvent des descendants de colonisateurs très respectables, qui ont des traditions particulières. Par exemple, au Congo belge, il était permis de couper les mains des enfants pour ne pas avoir respecté les normes de travail — mais en Europe, il était impensable d’utiliser des termes offensants envers ses opposants, car ce serait impoli. Ces traditions restent fortes en Europe, au sein de l’Union, et nous les voyons aussi.

Ce qui est effrayant, c’est que tout cela remonte à la surface, alors qu’on essayait de le cacher dans les années 1970, 80, 90. C’était alors indécent d’exprimer de telles opinions. Mais sous le prétexte du conflit en Ukraine, tout cela a ressurgi, apparemment selon le principe que la guerre justifie tout.

Cependant, je ne me concentrerais pas uniquement sur la question russo-ukrainienne. Par exemple, le problème migratoire ne sera pas résolu en transférant tous les malheurs en Albanie et au Maroc. Nous avons déjà vu cela avec la Turquie. Je ne sais pas pour l’Albanie, mais pour le Maroc, je peux vous dire que cela ne fonctionnera certainement pas là-bas. Cela pourrait même avoir des conséquences très négatives, notamment dans la politique migratoire de l’Union européenne.

Oksana Bouriak

D’après ce que j’ai compris, c’est une question de prix. L’Albanie est prête à résoudre le conflit migratoire pour beaucoup d’argent. Est-ce que c’est faisable, Ekaterina Entina ?

Ekaterina Entina

Je ne qualifierais pas de facteur de division la discussion qui existe au sein des élites politiques de l’Union européenne sur l’utilisation d’armes en profondeur sur le territoire de notre pays. Compte tenu du consensus général de soutien au régime de Kiev, les dirigeants et représentants principaux de l’Union européenne déclarent la nécessité de nous infliger une sorte de défaite — sinon sur le terrain militaire du moins sur le plan politique.

La question de l’utilisation des armes n’est donc pas une véritable scission, mais plutôt une discussion nécessaire pour compenser les différences d’opinion parmi la population et les élites politiques, sans pour autant faire escalader la confrontation avec la Russie. Nous entendons des déclarations assez ouvertes selon lesquelles, dans les prochaines années, Bruxelles — que ce soit sous la forme de l’Union européenne ou de l’OTAN — ne serait pas prête à lancer une action militaire de grande envergure contre notre pays.

Cela montre, d’une part, qu’ils reconnaissent leur incapacité actuelle, et d’autre part, qu’ils se préparent néanmoins à de telles actions. Si nous retirons maintenant de la discussion ce qui nous semble être une scission et des positions de principe de certaines capitales des 27 pays membres, la situation pourrait s’engager sur la voie de l’escalade beaucoup plus rapidement que ce que l’Union européenne et le mécanisme de l’Atlantique Nord peuvent accepter.

Alexeï Kouznetsov

J’ajouterais seulement qu’il ne faut pas oublier que l’Union européenne reste fondée sur des principes démocratiques. Il est donc essentiel de consulter la population. Par exemple, une enquête en Pologne, partagée par l’un de mes collègues polonais, révèle que plus de deux tiers des Polonais quitteraient le pays si la Pologne entrait en guerre avec la Russie. De plus, un nombre similaire de Polonais souhaitent que la Pologne garde ses frontières ouvertes en cas de conflit armé avec la Russie. Cela dit, je doute que les députés européens et les fonctionnaires du parti soient les premiers à courir au front.

Oksana Bouriak

Je remercie nos invités pour leurs analyses intéressantes de la composition actuelle du Parlement européen, qui siégera jusqu’en 2029. Je pense que nous aurons de nombreuses raisons de nous retrouver à nouveau sur notre plateforme. Au revoir et à bientôt. Je vous remercie pour votre participation.

Sources
  1. Directeur de l’Institut d’information scientifique en sciences sociales de l’Académie russe des sciences (ИНИОН РАН), membre correspondant de l’Académie des sciences de Russie, membre du Conseil russe des affaires internationales (РСМД).
  2. Chef du département des études sociales et politiques, Institut de l’Europe, Académie des sciences de Russie.
  3. Cheffe du département des études sur la mer Noire et la Méditerranée, Institut de l’Europe, Académie des sciences de Russie, directrice du Centre d’études méditerranéennes, Université nationale de recherche « École des hautes études en sciences économiques ».
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