Securonomics : l’État du Labour. La doctrine économique du prochain gouvernement britannique
Cette année, au Royaume-Uni, le Labour de Keir Starmer devrait largement remporter les élections. Son shadow cabinet est déjà prêt — il peaufine son programme. En matière économique, la prochaine Chancelière de l'Échiquier, Rachel Reeves, a un plan : inspirée des Bidenomics, elle souhaite redonner un rôle central à l'État. Mais sa doctrine pourrait rencontrer des limites objectives. Pour la première fois, nous traduisons et commentons intégralement son discours programmatique.
- Auteur
- Louis de Catheu
Invitée à prononcer la « leçon Mais » (Mais lecture) de l’école de commerce de la City University de Londres, Rachel Reeves, Chancelière de l’échiquier dans le cabinet fantôme (shadow cabinet), a exposé ce que serait la politique économique et financière d’un gouvernement Labour. Placée sous le signe des securonomics, version britannique de « l’économie moderne de l’offre », elle s’inspire de l’expérience de l’administration Biden. Elle annonce un État plus actif pour assurer la transformation verte de l’économie, via des investissements dans les batteries ou la décarbonisation des industries ou encore la création d’une société nationale d’électricité, Great British Energy.
Mais la stabilité et le sérieux budgétaire sont également au cœur de son message. Elle propose de nouvelles règles budgétaires, souhaite réduire la dette et le déficit et refuse d’augmenter les impôts en dehors de quelques niches fiscales à supprimer. En face, les besoins sont immenses : le NHS est en crise, les délais se rallongent et les britanniques perdent confiance, les autorités locales vivent une crise budgétaire : en octobre dernier, la seconde ville du pays, Birmingham, s’est déclarée incapable de couvrir ses dépenses, le format des forces armées n’est pas adapté à un monde devenu plus dangereux, le pouvoir d’achat est en forte baisse. Le Labour a promis de prendre à bras le corps certains de ces problèmes, en premier lieu le NHS et la défense. Pour financer ces besoins, Rachel Reeves compte sur le redémarrage de la croissance.
Aujourd’hui, le Labour est peut-être le seul parti socialiste d’Europe placé dans une telle position de force, s’apprêtant à gouverner avec une majorité qui s’annonce très large. Ses succès et ses échecs une fois au pouvoir auront certainement des conséquences politiques à l’échelle continentale. Or, on peut légitimement se demander si le Labour n’est pas en train, en cherchant à rassurer les marchés et les électeurs venus de chez les Tories, de créer les conditions d’une forte et rapide déception après l’élection ? Face aux besoins immenses des services publics, de la transformation verte de l’économie et de la résilience dans un monde incertain, le refus de l’emprunt et des hausses d’impôts constitue une quadrature du cercle. Peut-on reconstruire un pays on the cheap ?
Je vous remercie. C’est un privilège d’être ici à la Bayes Business School ce soir.
Revenir sur les leçons passées, ce n’est pas seulement sonder les pensées des figures clés de la politique économique britannique pendant quatre décennies et demie. C’est aussi tracer les contours changeants de la pensée économique conventionnelle. De comprendre comment les crises ont forcé sa réévaluation. D’apprécier comment les défis auxquels sont confrontés les décideurs politiques ont évolué au fil du temps — et comment, à certains égards importants, ils sont restés les mêmes.
Lorsque le gouverneur de la Banque d’Angleterre, Gordon Richardson, a prononcé la toute première leçon Mais en février 1978, décrivant un « moment historique où les méthodes conventionnelles de politique économique sont mises à l’épreuve », il s’est exprimé dans le contexte d’une Grande-Bretagne affligée par une inflation élevée, par un chômage croissant, par des relations industrielles dysfonctionnelles et par des crises récurrentes de balance des paiements. Une Grande-Bretagne en proie à un sentiment de crise perpétuelle et de déclin.
Ce que je voudrais dire aujourd’hui, c’est que, comme dans les années 1970, nous nous trouvons dans une période de mutation, où les anciennes certitudes en matière de gestion économique ont été mises à mal, où le courant économique dominant s’adapte, mais où un nouveau consensus politique doit encore se dégager. Une fois de plus, nous vivons dans un monde de turbulences politiques et de crises récurrentes dont le fardeau retombe sur les épaules des travailleurs — avec, à la base, l’échec de la réforme de l’offre nécessaire pour permettre à la Grande-Bretagne d’être compétitive dans un monde en mutation rapide.
Je pense que la réponse aujourd’hui est une approche économique qui reconnaît la façon dont notre monde a changé. Construire la croissance sur des bases solides et sûres, avec un gouvernement actif guidé par trois impératifs :
Premièrement, garantir la stabilité.
Deuxièmement, stimuler l’investissement grâce à un partenariat avec les entreprises.
Et troisièmement, réformer pour libérer la contribution des travailleurs et le potentiel inexploité de l’ensemble de notre économie.
Les défis auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui sont peut-être encore plus aigus que ceux décrits par Richardson il y a un demi-siècle. Le principal défi concerne nos performances en matière de croissance. Le mois dernier, l’Office des statistiques nationales a confirmé que le Royaume-Uni était entré en récession à la fin de l’année dernière.
Mais ce n’est que le dernier chapitre d’une longue histoire de déclin économique. Depuis 2010, la performance du PIB britannique se situe dans le dernier tiers des 38 pays de l’OCDE. Pour mettre les choses en perspective, si l’économie britannique avait connu une croissance équivalente à la moyenne de l’OCDE au cours de la dernière décennie, elle serait aujourd’hui supérieure de 140 milliards de livres sterling, ce qui équivaut à 5 000 livres sterling par ménage, soit 50 milliards de livres sterling de recettes fiscales supplémentaires.
Nous sommes aujourd’hui confrontés à un déclin d’une nature matériellement différente de celui qui a préoccupé les décideurs politiques britanniques dans le passé. Dans les années 1960 et 1970, les gouvernements faisaient face à des questions de productivité, d’investissement et de financement de la Grande-Bretagne dans le monde, dans un contexte de convergence économique où le déclin britannique était relatif — résultat non pas de l’échec britannique, mais du rattrapage des autres économies d’Europe de l’Ouest. Aujourd’hui, comme le suggère l’historien Adam Tooze, nous sommes dans une phase de déconvergence, de plus en plus derrière nos homologues.
Cela a eu de graves conséquences sur le niveau de vie, le revenu disponible réel des ménages devant être inférieur à la fin de cette législature à ce qu’il était au début de celle-ci. Aujourd’hui, la famille britannique moyenne est 10 % moins bien lotie que la famille française et 20 % moins bien que la famille allemande.
À la base, la productivité reste le principal déterminant à moyen terme des salaires. C’est l’effondrement de la croissance de notre productivité qui explique notre stagnation salariale.
Ce qu’il faut, c’est un changement de cap fondamental. Les enjeux ont rarement été aussi importants. Non seulement pour le niveau de vie des travailleurs, non seulement pour la compétitivité de la Grande-Bretagne dans un monde en évolution rapide — bien que ces deux aspects soient en jeu — mais aussi pour la santé de notre démocratie.
Comme Joan Robinson l’a compris lorsqu’elle a écrit il y a soixante ans, l’économie n’est pas seulement une question de modèles quantitatifs et de théories abstraites — elle est une question de valeurs, enracinée dans des questions politiques, philosophiques et morales, sur la nature humaine et la bonne société. La pensée de Robinson trouve de puissants échos aujourd’hui, dans l’avertissement de Mark Carney selon lequel l’élaboration des politiques économiques s’est détachée des valeurs plus larges que celles de la concurrence et de l’efficacité — alors même que la compétitivité et l’efficacité se détériorent, et dans l’appel du trésorier australien Jim Chalmers en faveur d’un capitalisme fondé sur les valeurs.
L’économiste politique Karl Polanyi, qui a quitté l’Autriche pour s’installer en Grande-Bretagne au moment de la montée du fascisme dans les années 1930, a décrit la tendance des économies de marché qui se détachent de leur société à saper les conditions de la croissance et à provoquer de puissants contre-mouvements politiques, de gauche comme de droite. Les idées de Polanyi sont toujours d’actualité.
En effet, lorsque le courant politique dominant n’est pas en mesure d’apporter des réponses à notre situation difficile, lorsque de vastes pans de la population britannique sont exclus de notre histoire nationale, lorsque l’espoir en l’avenir s’étiole et que le déclin devient une prophétie qui se réalise d’elle-même, nous connaissons le résultat. Nous le voyons partout dans le monde : la montée des populistes qui n’offrent pas de réponses mais des récriminations.
Mon argument aujourd’hui est le suivant : un nouveau modèle de gestion économique est nécessaire. En effet, un modèle fondé sur la poursuite d’une croissance étroite et étroitement partagée — avec des rendements de plus en plus faibles — ne peut pas produire des rendements adéquats en termes de croissance et de niveau de vie, et ne peut pas non plus obtenir le consentement des démocraties.
Je souhaite présenter cet argument en trois parties :
Premièrement, placer nos défis économiques dans leur contexte.
Deuxièmement, esquisser les contours d’une approche alternative — une approche qui construit la croissance sur des fondations solides et sûres. La seule stratégie viable pour la croissance dans le monde d’aujourd’hui.
Et troisièmement, de définir les piliers de cette approche — il n’y a pas de cause unique à notre situation actuelle.
Jonathan Haskel a démontré que le ralentissement de notre productivité dans les années 2010 était dû à un ralentissement de la productivité totale des facteurs. Et lorsque nous nous comparons à nos concurrents qui connaissent une croissance plus rapide, il est clair que nous avons sous-performé sur tous les facteurs de croissance.
La faiblesse des investissements, la Grande-Bretagne étant le seul pays du G7 à avoir des niveaux d’investissement inférieurs à 20 % du PIB. De faibles niveaux de compétences de base, des lacunes dans l’enseignement technique et professionnel et une capacité de gestion relativement faible. De grandes disparités régionales, toutes les grandes villes d’Angleterre en dehors de Londres ayant des niveaux de productivité inférieurs à la moyenne nationale. Et, en particulier depuis la pandémie, une faiblesse significative de l’offre de main-d’œuvre, avec 700 000 personnes supplémentaires économiquement inactives.
Entre 2010 et 2021, la productivité horaire n’a augmenté que de 0,5 % par an au Royaume-Uni, soit deux fois moins que la moyenne du G7. La richesse relative du Royaume-Uni se réduit donc par rapport à celle des grands pays industrialisés.
Cela se traduit dans la stagnation du pouvoir d’achat et, à système fiscal constant, des ressources disponibles pour faire fonctionner les services publics. La pandémie et la crise énergétique ont encore dégradé cette situation. Le Congrès des Syndicats (TUC) a ainsi calculé que, entre le dernier trimestre de 2019 et le second trimestre de 2023, le revenu disponible par ménage a baissé de 1,2 % au Royaume-Uni. C’est le seul pays du G7 à connaître une baisse (en moyenne, le revenu disponible des ménages a augmenté de 3,5 %) 1.
Nous sommes confrontés à une accumulation de problèmes.
Tout d’abord, il y a des faiblesses de longue date, que des générations de politiciens se sont efforcées de résoudre. Il ne suffit pas de pointer du doigt ces échecs. Nous devons nous attaquer à leurs causes institutionnelles, culturelles et politiques sous-jacentes.
Deuxièmement, il y a les produits des choix politiques faits au cours des quatorze dernières années et de l’instabilité qui les a accompagnés. Comme le cycle stop-go des investissements en capital — la nouvelle « maladie britannique » — dans lequel l’instabilité à court terme inhibe l’investissement et fait grimper les coûts d’infrastructure, ce qui se traduit par des nouveaux projets d’investissement moins nombreux, et plus petits. La Resolution Foundation estime que les nouvelles barrières commerciales sont équivalentes à une augmentation de 13 et 21 % des droits de douane pour nos secteurs manufacturiers et des services respectivement, et le bureau de la responsabilité budgétaire (Office for Budget Responsibility, ou OBR) estime que le PIB à long terme devrait être inférieur de 4 % à la suite de l’accord de Brexit conclu par le gouvernement.
Troisièmement, ces vulnérabilités structurelles et cette instabilité politique ont été exposées et exacerbées par notre passage de la grande modération à une ère d’insécurité, marquée d’abord par une croissance en panne, des niveaux de vie stagnants et des turbulences politiques, puis, de plus en plus, par des chocs mondiaux, une escalade des tensions géopolitiques et les défis du changement climatique et de la transition vers une économie nette zéro.
La protection face à l’insécurité économique est placée au cœur de la nouvelle doctrine économique du Labour, les « securonomics ». À la fois l’insécurité qui découle des bouleversements géopolitiques et climatiques. Le Labour défend ainsi une accélération de la transition verte pour ne plus que les marchés de l’énergie « dépendent de Poutine » 2 et la constitution de chaînes de valeur plus résilientes. Il s’agit aussi, et l’on s’éloigne ici du domaine de la sécurité économique entendu au sens strict, d’assurer une plus grande sécurité matérielle aux citoyens britanniques en renforçant les services publics et les droits des travailleurs.
Ces objectifs sont pourtant en concurrence, en raison des pressions qu’ils exercent sur les ressources. La sécurisation des chaînes de valeur appelle à la réindustrialisation du Royaume-Uni et donc à l’augmentation de l’investissement et de l’épargne au détriment de la consommation et des dépenses sur les services publics courants. Les finances publiques peuvent également être sollicitées pour fournir des subventions, comme ce qui se fait aujourd’hui aux Etats-Unis avec le Chips and Science Act et l’Inflation Reduction Act. Concernant la défense, les besoins sont immenses et Johannes Marzian et Christoph Trebesch du Kiel Institute ont montré que, suite à un choc géopolitique, on observait une transformation des dépenses publiques, au détriment des dépenses sociales 3.
Permettez-moi de remettre les choses en perspective. En 1984, la leçon de Nigel Lawson offrait l’un des exposés les plus clairs de la pensée économique qui sous-tendait ce qu’il appelait « l’expérience britannique ». Son principal argument était que les rôles appropriés des politiques macro et microéconomiques étaient à l’exact opposé des idées reçues de l’après-guerre. Le rôle principal de la politique macroéconomique n’était pas, comme par le passé, de maintenir le plein emploi, mais de contrôler l’inflation. La responsabilité de la croissance et de l’emploi relevait alors, selon la formule de Lawson, de la politique microéconomique.
En réalité, Lawson n’a pas suivi la logique de sa propre analyse, alimentant un boom inflationniste à la fin de la décennie, suivi d’une profonde récession au début des années 1990.
Mais aujourd’hui, il est évident que Lawson s’est trompé non seulement dans l’application, mais aussi dans la théorie. Tout d’abord, parce que ses réformes microéconomiques étaient liées à une vision inadéquate des leviers politiques appropriés, partant du principe que l’État n’avait qu’un rôle limité à jouer dans le façonnement d’une économie de marché et que les personnes et les lieux qui comptent pour la réussite d’un pays sont peu nombreux.
Il en est résulté un accroissement sans précédent des inégalités entre les lieux et les personnes, qui perdure encore aujourd’hui. Le déclin ou la disparition d’industries entières, entraînant des coûts sociaux et économiques durables et vidant notre force industrielle de sa substance. Et — point crucial — des rendements en baisse pour la croissance et la productivité.
Mais aujourd’hui, nous pouvons également constater les lacunes de l’analyse de Lawson de l’autre côté de l’équation. En effet, dans un monde qui a été secoué à plusieurs reprises par des chocs du côté de l’offre, il est inadéquat de considérer la lutte contre l’inflation comme une question relevant uniquement de la politique macroéconomique. Notre résilience face aux chocs place la politique microéconomique — en matière de sécurité énergétique, de capacité de production intérieure et de solidité de nos chaînes d’approvisionnement — au premier plan dans la lutte contre l’inflation.
Pendant une décennie, le dernier gouvernement travailliste a offert une politique stable en même temps qu’un environnement économique stable. Dans l’analyse du New Labour, la croissance nécessitait d’une part une stabilité macroéconomique, et d’autre part des politiques d’offre visant à renforcer le capital humain et à stimuler l’innovation. Il s’en est suivi une décennie de croissance économique soutenue, de stabilité et d’augmentation des revenus des ménages. Le revenu disponible moyen des ménages a augmenté de 40 %. Deux millions d’enfants et trois millions de retraités sont sortis de la pauvreté. Les services publics ont été revitalisés.
Mais l’analyse sur laquelle elle reposait était trop étroite. La stabilité était une condition nécessaire, mais non suffisante, pour générer des investissements dans le secteur privé. Un secteur financier non réglementé pouvait générer d’immenses richesses, mais présentait également de profonds risques structurels. Enfin, la mondialisation et les nouvelles technologies pouvaient aussi bien creuser que réduire les inégalités, priver les gens de leur pouvoir que les libérer, déplacer les emplois qu’en créer des nouveaux de qualité.
Avec Nigel Lawson, chancelier de l’échiquier de 1983 à 1989, c’est le thatchérisme qui est ici clairement rejeté. Il est intéressant de constater le fort parallèle entre ce discours et la rhétorique de l’administration Biden. Rejet clair et massif du néolibéralisme — incarné par Thatcher dans un cas, Reagan dans un autre — et dépassement de la synthèse sociale-libérale qui l’a suivi — les Nouveaux démocrates (Clinton) et le New Labour (Blair) — auxquels on reconnaît des erreurs et des limites. Les influences sont fortes entre les deux grands pays anglo-saxons.
La sécurité économique a été étendue grâce à un nouveau salaire minimum et à des crédits d’impôt, mais notre marché du travail est resté caractérisé par une trop grande insécurité. Malgré des efforts soutenus pour remédier à nos principales faiblesses en matière de productivité et d’inégalités régionales, celles-ci ont persisté, tout comme le fossé qui s’est creusé entre de grandes parties du pays et la politique de Westminster. Surtout, la « grande modération » ne pouvait pas durer. Ces faiblesses ont été mises en évidence par la crise financière mondiale.
Depuis 2010, la politique économique se caractérise par deux échecs majeurs. L’austérité d’abord, l’instabilité ensuite. L’austérité : la décision de resserrer fortement la politique budgétaire dans le contexte de taux d’intérêt historiquement bas et d’une économie atone. Non seulement cette décision a gravement endommagé notre tissu social et nos services publics, mais à une époque où les pouvoirs publics pouvaient emprunter et investir à des conditions plus avantageuses que jamais, le fait de ne pas l’avoir fait a constitué un acte de négligence historique. Il ne s’agit pas seulement d’une erreur à court terme, au sens macroéconomique, mais aussi d’une incapacité à saisir une occasion unique d’entreprendre des investissements indispensables dans notre capacité de production. L’investissement a été étouffé. Nos faiblesses du côté de l’offre — en ce qui concerne le capital humain et physique — ont été exacerbées.
Le soi-disant « mini-budget » — avec son programme de réductions d’impôts non financées, dans le cadre d’une tentative concertée de saper nos institutions économiques indépendantes — a radicalement changé les circonstances fiscales dans lesquelles nous devons opérer. En octobre 2021, le taux de base de la Banque d’Angleterre était de 0,1 %. En un peu plus de deux ans, il est passé à 5,25 %. En octobre 2021, l’OBR prévoyait que les intérêts de la dette nette coûteraient 29 milliards de livres cette année. Il s’attend maintenant à ce que ce coût soit de 82 milliards de livres.
Le lien direct fait entre le mini-budget de Liz Truss et la hausse des taux d’intérêt passe sous silence le caractère global de la hausse des taux. Il est vrai que les annonces du chancelier de l’échiquier de l’époque, Kwasi Kwarteng, ont produit de fortes turbulences sur les marchés des changes et une augmentation des taux d’intérêt sur les gilts. Mais la hausse des taux avait démarré bien avant le 23 septembre 2022. Aujourd’hui, les taux d’intérêt sur la dette britannique à 10 ans (4,1 %) sont inférieurs à ceux des bons du trésors américains bien que significativement plus élevés que les OAT à 10 ans (2,9 %) ou que les obligations du gouvernement fédéral à 10 ans (2,4 %).
Ces nouvelles circonstances expliquent la décision que Keir Starmer, le cabinet fantôme et moi-même avons récemment pris concernant l’ampleur des dépenses publiques liées au plan de prospérité verte du parti travailliste, afin de trouver l’équilibre nécessaire entre les impératifs de la transition énergétique et les contraintes économiques réelles auxquelles nous sommes confrontés.
Le Green Prosperity Plan, annoncé par Keir Starmer lors de la conférence du parti travailliste en 2022, est la mesure phare du Labour pour accélérer la croissance économique et réaliser la transition verte du Royaume-Uni. Il s’agissait à l’origine de dépenser 28 milliards de Livres Sterling par an pour créer une société publique de production d’énergie (Great British Energy) ainsi qu’un fond souverain pour prendre des parts dans les projets de gifa-usines de batteries, les projets éoliens, la décarbonisation des industries, et également financer la rénovation thermique des logements.
Ce plan a fait l’objet de nombreuses attaques de la part des Tories et de la presse conservatrice en raison de son coût et les dirigeants du Labour ont décidé, en février 2024, après une valse hésitation, de réduire drastiquement le montant prévu pour ce plan. De 28 milliards de Livres Sterling par an, le montant alloué est passé à 4,7 milliards par an. Cette évolution est justifiée par la dégradation de la situation financière du pays et de la priorité donnée au sérieux budgétaire. La crise Covid a provoqué une augmentation rapide de la dette publique britannique, qui est passée de 84,8 % du PIB en 2019 à 98,7 % en 2020. Elle est encore égale à 98,4 % du PIB en 2023. Le déficit public est égal à 131 milliards de Livres Sterling en 2023, soit 5,1 % du PIB.
Honnêtement, je ne veux pas en faire un discours partisan, pas plus que vous ne le souhaitez, mais il ne serait ni juste ni honnête de minimiser l’impact des bouleversements de ces dernières années. Cinq Premiers ministres. Sept chanceliers. Douze plans de croissance. Des institutions sapées. Des décisions esquivées et reportées. Cette instabilité politique a alimenté l’instabilité économique et découragé les investissements.
Cela nous amène à notre propre tournant historique : en plus d’une décennie de faible croissance et de stagnation du niveau de vie, la coexistence de la stagnation et de l’inflation ; une pression significative sur les emprunts du gouvernement ; causée par, et exacerbant le besoin urgent d’une réforme de l’offre en retard. Une économie qui manque de résilience face aux chocs, avec des services publics à bout de souffle et une famille sur trois en âge de travailler qui dispose de moins de 1 000 livres sterling d’économies sur lesquelles s’appuyer.
Cependant, ce ne sont pas seulement les échecs du passé, mais aussi les incertitudes de l’avenir qui nécessitent une nouvelle approche. Permettez-moi de m’expliquer.
En 2000, j’ai obtenu mon diplôme universitaire et j’ai commencé ma carrière à la Banque d’Angleterre. La guerre froide avait pris fin dix ans plus tôt. La « grande modération » était en cours. Nous semblions entrer dans une période d’expansion économique et de stabilité géopolitique sans précédent, soutenue par la promesse d’une intégration économique mondiale toujours plus étroite.
Aujourd’hui, le monde semble bien différent. Gordon Brown a qualifié la crise financière de 2008 de « première crise de la mondialisation ». Nous constatons aujourd’hui que cette crise financière a marqué un changement plus fondamental : le début d’une nouvelle ère d’insécurité.
Les causes et les symptômes de cette ère d’insécurité sont innombrables, mais permettez-moi d’en souligner trois en particulier.
Premièrement, l’évolution de la dynamique géopolitique, alors que nous passons d’un monde unipolaire de l’après-guerre froide à un monde multipolaire déséquilibré, où la Chine occupe une place importante sur la scène mondiale et où la Russie s’affirme plus qu’elle ne l’a fait au cours des trois dernières décennies. La guerre en Ukraine et au Moyen-Orient menace de déborder les frontières. L’impact des attaques de missiles des Houthis dans la mer Rouge montre à quel point les questions de défense et de sécurité sont inévitablement liées aux questions économiques.
Deuxièmement, l’évolution rapide des technologies. L’IA générative a le potentiel d’apporter des améliorations révolutionnaires à notre mode de vie, mais elle risque aussi de perturber profondément les marchés du travail et la répartition des revenus, des richesses et des opportunités entre les personnes et les pays.
Troisièmement, la crise climatique. La transition énergétique offre de grandes possibilités — amélioration de la résilience, baisse des coûts de l’énergie, emplois et croissance grâce aux nouvelles technologies — à ceux qui sont prompts à les saisir. Mais même dans le meilleur des scénarios, nous savons que le monde sera confronté à une intensification spectaculaire de la concurrence pour la nourriture, l’énergie et l’eau, ce qui affectera les schémas commerciaux et provoquera des déplacements de population. Nous avons déjà constaté des pénuries dans les rayons de nos supermarchés à la suite de sécheresses, de tempêtes et d’une hausse des températures. D’autres suivront. Nous savons également — comme l’a affirmé le bureau de la responsabilité budgétaire — que les coûts futurs de l’absence de réponse à la crise climatique dépasseront de loin le coût de l’action menée aujourd’hui.
Alors que les perturbations se multiplient et que les gouvernements du monde entier prennent des mesures pour renforcer leur propre autosuffisance, il est devenu évident que la mondialisation, telle que nous l’avons connue, est morte. Cela ne veut pas dire que nous vivons dans un monde moins interconnecté, car chaque crise provoque des secousses le long des chaînes d’approvisionnement qui s’étendent sur plusieurs continents. Il ne s’agit pas non plus de prétendre que les lois de l’économie se sont inversées, ni de nier le rôle du libre-échange qui a permis à des milliards de personnes de sortir de la misère. Mais il s’agit de dire que, dans un monde plus dangereux, nous devons être lucides sur les compromis existants et stratégiques sur les directions dans lesquelles nous choisissons d’approfondir nos relations économiques.
Nous ne pouvons plus nous reposer sur nos lauriers. Un modèle de croissance dépendant de la stabilité géopolitique est un modèle de croissance reposant sur des fondations de plus en plus superficielles.
Il s’agit donc de construire une croissance sur des bases solides — large, inclusive, résiliente et ancrée dans les réalités d’un monde en mutation rapide.
Permettez-moi d’être claire : il n’y a pas de stratégie de croissance viable aujourd’hui qui ne repose pas sur la résilience de notre économie nationale et la sécurité des travailleurs. Il n’y a pas de compromis entre une Grande-Bretagne plus sûre et plus résistante et une Grande-Bretagne plus dynamique.
L’avènement de cette ère d’insécurité a remis au premier plan des questions généralement ignorées dans un monde de taux de change flottants, mais qui auraient été très familières aux hommes politiques des générations. Il s’agit des questions suivantes : comment la Grande-Bretagne peut-elle tracer sa voie dans le monde ; de notre capacité de production ; comment stimuler l’innovation et la diffusion dans l’ensemble de notre économie ; de la répartition régionale du travail et des opportunités ; comment mobiliser les investissements, développer les compétences et s’attaquer aux inefficacités afin de moderniser une économie sclérosée ; et la sécurité énergétique.
En effet, ces dernières années, nous avons payé le prix de la négligence de notre sécurité énergétique, les ménages et les entreprises étant particulièrement exposés à un choc des termes de l’échange et à ses conséquences inflationnistes.
Dans un monde en pleine mutation, la Grande-Bretagne a pris du retard.
Nous avons vu ce qu’il en coûte de négliger l’équilibre délicat entre flexibilité et sécurité, entre l’attrait de la production en flux tendu et la demande de résilience, et de fermer les yeux sur l’endroit où les choses sont fabriquées et sur leurs propriétaires.
Le philosophe Bernard Williams a parlé de la « première question politique » : « assurer l’ordre, la protection, la sécurité, la confiance et les conditions de la coopération ». La « première » question politique, « parce que sa résolution est la condition pour résoudre, voire poser, toutes les autres ». Cette question ne concerne pas seulement la taille de notre armée ou la solidité de nos frontières, mais aussi l’économie.
Vous pourriez vous demander si la « sécurité économique » n’implique pas un refus du « risque », le moteur de l’innovation et de l’esprit d’entreprise ? Permettez-moi donc de répondre à cette question. Sans la promesse de stabilité, comment les entreprises peuvent-elles investir en toute confiance ? Sans sécurité, comment demander à un entrepreneur de se lancer dans la création d’une nouvelle entreprise ? Sans filet de sécurité, comment pouvons-nous attendre d’une personne ordinaire qu’elle se reconvertisse, qu’elle prenne un nouvel emploi ou qu’elle change de carrière ?
Lorsque le changement apparaît de plus en plus comme une perturbation et que l’avenir est de plus en plus incertain, il est naturel de reculer devant le changement et de chercher à s’abriter de l’avenir. Les securonomics ont pour but de fournir une plate-forme permettant de prendre des risques, non pas pour reculer devant un avenir incertain, mais pour embrasser le changement et les opportunités qu’il apporte, avec un objectif clair et une direction stable. Il s’agit de savoir que les gens peuvent s’élever et s’abaisser en fonction de leurs propres mérites, et non pas en fonction d’événements qui échappent à leur contrôle.
La notion de capitalisme politique qui donne son nom à notre série de publications veut justement désigner cette insertion de l’impératif de sécurité au cœur du raisonnement et de la décision économique. Mais il n’est pas très clair de voir quelles conséquences pratiques sont tirées par le Labour. L’Union européenne ou les États-Unis ont débloqué des centaines de milliards pour accélérer les développements dans le domaine des semiconducteurs, des technologies vertes, dans une moindre mesure de l’informatique quantique ou de l’intelligence artificielle. Ils utilisent leur poids respectifs pour établir des rapports de force (contrôles export américains sur les semiconducteurs, enquête de la Commission sur les voitures électriques chinoises). Ils renforcent leur sécurité économique. Mais que fait le Royaume-Uni ? Que prévoit de faire le Labour au-delà d’un Green Prosperity Plan fortement retaillé ?
Le Labour a peut-être raison de faire passer la politique socialiste avant le capitalisme politique et de mettre l’accent sur la sécurité matérielle des citoyens britanniques. Mais, sans succomber aux illusions de puissance, le Royaume-Uni devra trouver sa place dans l’ordre de sécurité européen.
Mais que signifie traduire cette idée en réalité politique et économique ?
Cela signifie qu’il faut adopter les idées d’un consensus économique émergent. Dani Rodrik, économiste politique de Harvard, parle d’un nouveau « paradigme productiviste ». Janet Yellen, secrétaire au Trésor américain, a qualifié le programme de l’administration Biden d’« économie moderne de l’offre ». Dans le monde entier, des idées apparentées apparaissent sous différentes bannières. J’utilise le terme « securonomics ».
Les gouvernements et les décideurs politiques reconnaissent qu’il n’est plus suffisant, si tant est qu’il l’ait jamais été, que l’État se contente de s’effacer, de laisser les marchés agir à leur guise et de corriger les externalités négatives occasionnelles. Ils reconnaissent que la sécurité et la prospérité des travailleurs font partie intégrante de la force, du dynamisme et de la légitimité d’une économie de marché. Et reconnaissant également les dangers de ce que Rodrik concerne l’« hyperglobalisation » — parce que la poursuite d’une intégration économique mondiale toujours plus étroite comme une fin en soi, et non comme un moyen de prospérité nationale, est économiquement naïve et politiquement imprudente.
L’influence des démocrates américains est assumée. La doctrine du parti britannique est donc empruntée aux Bidenomics.
Je sais qu’il y aura des personnes — peut-être même certaines d’entre elles sont présentes dans cette salle — qui s’inquiètent du fait que cet argument revienne à adopter le protectionnisme et à se retirer du monde. Permettez-moi donc d’être précise. La vérité est que, ces dernières années, nous sommes devenus à la fois trop ouverts — trop exposés aux perturbations mondiales — mais aussi trop fermés au commerce international. Les files d’attente dans nos ports, les étagères vides, la flambée des prix et la bureaucratie freinent nos exportateurs.
Le commerce accroît la concurrence, favorise la diffusion des technologies et permet de tirer profit de la spécialisation et de l’avantage comparatif. Cette réalité fondamentale n’a pas changé. Il ne s’agit pas de se retrancher dans la forteresse britannique — en effet, le succès reposera sur la formation de nouveaux partenariats bilatéraux et multilatéraux et sur l’établissement de relations plus étroites avec nos voisins de l’Union européenne. Nous voulons faciliter les exportations et les importations. Mais nous devons trouver un juste équilibre entre l’ouverture au commerce mondial et la résistance intérieure, en reconnaissant le rôle central du commerce pour notre prospérité, notre compétitivité et notre approvisionnement en biens de consommation, mais en sachant qu’il doit y avoir des lignes rouges — des choses pour lesquelles nous ne devons pas compter sur des États dont les intérêts sont en conflit avec les nôtres.
Le parti travailliste, malgré sa position très majoritairement opposée au Brexit à l’occasion du vote de 2016, se prononce aujourd’hui contre un second référendum et un retour au sein de l’Union. Keir Starmer propose de renégocier l’accord entre l’Union européenne et le Royaume-Uni pour faciliter les échanges commerciaux. Il souhaiterait également établir un accord de défense et de sécurité entre les deux 4.
Mais cette position pourra-t-elle être maintenue alors que les sondages montrent qu’une majorité relative des britanniques souhaite rejoindre l’Union européenne, et que cette proposition est très largement majoritaire au sein de l’électorat travailliste ? Surtout, compte tenu de l’importance capitale d’une reprise de la croissance économique pour le succès du parti travailliste : combiner réduction des déficits, stabilité fiscale et amélioration des services publics, il pourrait devenir difficile pour un gouvernement Labour de résister à un relai de croissance tel que le marché unique.
Il ne s’agit pas seulement de développer notre capacité de production nationale, mais aussi de créer des chaînes d’approvisionnement plus solides et plus diversifiées pour les technologies essentielles. À l’heure où d’autres pays développent leurs propres industries et forgent de nouveaux partenariats stratégiques, tergiverser, s’accrocher à de vieux dogmes, c’est prendre du retard.
Il y a aussi une réalité politique à cela. Alors que les populistes et les protectionnistes du monde entier proposent de fausses solutions à des problèmes vastes et complexes, la seule défense d’une société ouverte et d’une économie commerciale est une approche qui s’attaque à la racine des griefs sur lesquels ils s’appuient.
Un nouveau consensus se dessine à Washington. Je pense qu’il est dans notre intérêt d’adhérer à ce consensus. Mais aujourd’hui, la Grande-Bretagne n’est guère plus qu’un spectateur.
Notre capacité à adhérer à ce consensus dépendra d’un État actif. Certains avertissent que l’adoption d’un tel État actif équivaut à un retour au grand État, c’est-à-dire au gouvernement de haut en bas et de Whitehall qui sait ce qu’il y a de mieux. Encore une fois, permettez-moi d’ajouter des précisions.
La réalité est que nous trébuchons déjà, les yeux bandés, dans une ère d’un État plus fort, corollaire inévitable de la politique du sparadrap. C’est la réponse inévitable lorsque des perturbations frappent une économie dont la résilience est affaiblie, qui est mal préparée aux chocs, dont les services publics sont surchargés et dont le gouvernement n’est pas préparé. Les securonomics font progresser non pas le grand État, mais l’État intelligent et stratégique.
Et à ceux qui pensent que la stratégie industrielle se résume à ce que l’État choisisse les gagnants et soutienne les industries non compétitives, permettez-moi de vous expliquer. C’est mal comprendre ce qu’est une stratégie industrielle moderne. Il ne s’agit pas du modèle brut de l’État dirigeant le développement industriel et corrigeant les externalités telles qu’elles sont perçues au centre, mais plutôt d’une approche qui reconnaît les contraintes d’information et de capacité du gouvernement, en travaillant en véritable partenariat avec les entreprises pour identifier les obstacles et les opportunités auxquels elles sont confrontées. Travailler ensemble pour évaluer les industries qui seront déterminantes pour notre avenir — à travers nos forces en matière de services et nos spécialisations en matière de production, et être stratégique quant à nos choix réels et nos limites. Accepter qu’un pays de la taille de la Grande-Bretagne ne peut pas exceller dans tous les domaines. Reconnaître les secteurs dans lesquels nous bénéficions — ou avons le potentiel de bénéficier — d’un avantage comparatif et pouvons être compétitifs sur un marché mondial ; les secteurs dans lesquels des préoccupations stratégiques peuvent façonner notre approche ; et les secteurs dans lesquels nous devons compter sur d’autres.
Il n’y a pas de réponses faciles, pas de solutions rapides, pas de raccourcis. Ce qu’il faut, c’est une décennie de renouveau national, pour façonner l’architecture institutionnelle de l’économie britannique dans le sens d’un gouvernement guidé par sa mission. Et la mission la plus centrale de toutes : restaurer la croissance économique essentielle à la réalisation de toutes les ambitions des travaillistes au sein du gouvernement.
Lorsque j’entends la question de savoir si une croissance soutenue du type de celle qui a caractérisé l’histoire du vingtième siècle est réalisable, ou même si elle est souhaitable — lorsque les gens demandent pourquoi nous concentrons-nous sur la croissance économique ? C’est parce que je suis convaincu de deux choses.
Premièrement, c’est grâce à la croissance, et uniquement grâce à elle, que nous pouvons durablement financer des services publics solides, élever le niveau de vie et être compétitifs sur le plan international. En fin de compte, c’est la croissance qui permet d’améliorer le niveau de vie des ménages, d’augmenter les revenus, de sortir les gens de la pauvreté et de leur donner plus de choix pour mener une bonne vie. Deuxièmement, l’idée d’un compromis entre une économie forte et une bonne société est un mirage qui appartient aux années 1980.
Je vois le potentiel de la Grande-Bretagne partout où je vais, dans nos fantastiques industries créatives, nos services professionnels et financiers de premier plan, et dans le travail de pionnier dans l’IA à usage général et d’autres technologies numériques, dans les sciences de la vie et les énergies renouvelables — qui se produisent ici même au Royaume-Uni. Il n’existe pas d’approche unique — les besoins et les obstacles varient d’un secteur à l’autre. Mais si nous parvenons à mettre en place une politique adéquate, les bénéfices seront immenses.
Cela doit commencer par la mise en place d’un cadre institutionnel adéquat et l’inscription de cette mission de croissance fondamentale dans notre architecture économique.
En 1997, le dernier gouvernement travailliste a créé l’unité du Trésor chargée des entreprises et de la croissance, dont l’objectif est de stimuler la croissance économique. Cette unité a été à l’origine d’idées politiques importantes, notamment la réforme du droit de la concurrence et la création d’un cadre de financement des sciences à plus long terme. Toutefois, comme l’a noté le Institute for Government le mois dernier, cette unité n’a pas assez de pouvoir et son influence a diminué par rapport à il y a vingt ans. Et surtout, elle n’est pas impliquée dans la gestion des événements fiscaux.
Nous nous appuierons donc sur ce succès, en intégrant la croissance dans les processus de révision du budget et des dépenses, avec une unité d’entreprise et de croissance réformée et renforcée, intégrée dans le processus d’événements fiscaux existant.
Je voudrais utiliser le reste de cette leçon pour présenter les trois piliers d’une stratégie de croissance généralisée et résiliente. Une croissance que nous pouvons atteindre. La croissance que nous devons atteindre.
Premièrement, la stabilité — la condition la plus fondamentale pour la sécurité économique et la crédibilité internationale.
Deuxièmement, l’investissement — favorisé par un partenariat entre des entreprises dynamiques et un gouvernement stratégique.
Et troisièmement, la réforme — pour mobiliser toutes les ressources de la Grande-Bretagne dans la poursuite d’une prospérité partagée.
Donc, d’abord, la stabilité. Si nous voulons que les entreprises investissent, si nous voulons que la croissance économique repose sur des bases solides, elle devra reposer sur la stabilité.
Dans un monde d’une complexité et d’une incertitude inégalées, ce sont les institutions qui peuvent apporter la stabilité de la direction, de la coordination et des incitations appropriées pour un succès économique durable. Pendant une grande partie de notre histoire, la force de nos institutions nous a conféré une crédibilité sur les marchés internationaux et a été à la base de notre réussite économique. Les hommes politiques qui sapent ces forces jouent à un jeu dangereux.
Permettez-moi de commencer par la Banque d’Angleterre. Le comité de politique monétaire de la Banque doit continuer à jouir d’une indépendance totale dans la poursuite de son objectif principal, à savoir la stabilité des prix. Et, pour qu’il n’y ait aucun doute à ce sujet : un gouvernement travailliste maintiendra l’objectif d’inflation de 2 %, tandis que le comité de politique financière poursuivra son objectif principal de stabilité financière.
Mais la politique monétaire et la réglementation financière ne peuvent rester immobiles face aux nouveaux risques, notamment ceux posés par le changement climatique. Isabel Schnabel, de la Banque centrale européenne, a exposé les implications du changement climatique pour la politique monétaire : les pertes qui pourraient se répercuter sur les bilans des institutions financières et réduire le flux de crédit ; les impacts sur la productivité du travail et l’inactivité liée à la santé, qui pourraient faire baisser le taux d’intérêt réel d’équilibre et limiter la marge de manœuvre de la politique monétaire conventionnelle ; et l’impact des chocs sur les prix du côté de l’offre. Compte tenu de la nécessité de mobiliser les investissements pour réaliser notre transition énergétique, ces défis sont particulièrement aigus.
La politique macroéconomique a un rôle important à jouer dans notre transition climatique. Le parti travailliste a déjà présenté des projets visant à obliger les institutions financières et les entreprises du FTSE 100 à publier leur empreinte carbone et à adopter des plans crédibles de réduction à zéro émission nette de 1,5 degré, ainsi qu’à faire avancer la taxonomie verte du Royaume-Uni.
Ce soir, je peux dire davantage. Je ne suis pas d’accord avec la décision de l’actuel chancelier de réduire l’importance accordée au changement climatique dans les attributions des deux comités de la Banque. Le prochain gouvernement travailliste annulera donc ces changements à la première occasion. Parce qu’il ne peut y avoir de plan durable pour la stabilité économique ni de plan durable pour la croissance économique qui ne soit pas aussi un plan sérieux pour le zéro émission nette.
L’indépendance de la Banque d’Angleterre reflète la compréhension du fait que la politique présentera toujours la puissante tentation de poursuivre des politiques macroéconomiques qui peuvent ne pas être dans l’intérêt économique national à moyen et long terme — et que sans la capacité de pré-engager de manière crédible les choix politiques futurs, cela crée un biais inflationniste — comme l’a montré le modèle de Barro-Gordon. Une logique similaire s’applique au concept de biais de déficit. Les hommes politiques peuvent être tentés de remettre à plus tard les décisions budgétaires nécessaires ou d’ignorer les conséquences à long terme des choix politiques.
Il n’en reste pas moins vrai, comme l’a compris Gordon Brown, que dans une économie moderne, « la discrétion nécessaire à une politique économique efficace n’est possible que dans un cadre qui garantit la crédibilité des marchés et de la confiance du public ». C’est particulièrement vrai si le gouvernement doit pouvoir prendre des mesures urgentes et discrétionnaires en cas de crise.
Nous renforcerons donc l’Office de la responsabilité budgétaire (OBR), avec un nouveau verrou fiscal, en garantissant par la loi que tout gouvernement apportant des changements importants et permanents en matière de fiscalité et de dépenses sera soumis à des prévisions indépendantes de l’OBR. Et nous ne dérogerons pas à des règles budgétaires strictes.
La loi sur la responsabilité budgétaire et l’audit national de 2011 inscrit dans la loi l’existence du bureau de la responsabilité budgétaire, créée l’année précédente par le gouvernement de coalition conservateur-Libdems, et oblige le Département du Trésor à exposer sa stratégie dans une charte de responsabilité budgétaire. Au sein de cette charte, le Gouvernement doit exposer son mandat budgétaire, c’est-à-dire les règles qu’il se fixe pour assurer la stabilité budgétaire. Dans la dernière charte révisée de l’automne 2022, les règles suivantes sont inscrites 5
— avoir une dette nette du secteur public (à l’exclusion de la Banque d’Angleterre) en pourcentage du PIB en baisse d’ici la cinquième année de la période glissante de prévision ;
— un objectif visant à garantir que l’emprunt net du secteur public ne dépasse pas 3 % du PIB d’ici la cinquième année de la période glissante de prévision ;
— un objectif visant à garantir que les dépenses sociales soient contenues dans un plafond et une marge prédéterminés fixés par le Trésor.
Ces charte n’a pas le caractère strict des règles européennes ou du schartz-null allemand. Il ne s’agit pas d’une disposition constitutionnelle. Cette charte peut être modifiée par le Département du Trésor, sous condition que la nouvelle charte soit approuvée par une résolution de la Chambre des Communes. Cette opportunité a été souvent saisie. Et les contraintes ne concernent qu’un horizon lointain (la dernière année d’une législature).
Permettez-moi donc d’énoncer clairement les règles qui contraindront le prochain gouvernement travailliste. Le budget actuel doit être équilibré, de sorte que les coûts quotidiens soient couverts par les recettes. La part de la dette dans l’économie doit diminuer d’ici à la cinquième année des prévisions, ce qui permettra de faire face aux crises futures.
Je demanderai également à l’OBR de rendre compte de l’impact à long terme des décisions en matière de dépenses d’investissement. Et en tant que chancelière, je ferai rapport sur des mesures plus larges de l’actif et du passif du secteur public lors des événements budgétaires, en montrant comment la santé du bilan public est renforcée par de bonnes décisions en matière d’investissement.
Le Royaume-Uni a modifié ses règles budgétaires plus fréquemment que toute autre économie de l’OCDE, avec une durée de vie moyenne de moins de quatre ans. Cela a contribué à l’instabilité et à l’incertitude. Je mettrai donc fin à la pratique selon laquelle le chancelier peut supprimer les règles à tout moment, en prévoyant une clause dérogatoire qui ne suspendrait les règles que si l’OBR déclarait que le Royaume-Uni traversait une crise économique.
Permettez-moi d’être franc. Nous ne pouvons pas continuer à adopter une approche court-termiste qui ne tient pas compte de l’importance de l’investissement public. Mais nous ne pouvons pas non plus ignorer le besoin pressant de reconstruire les finances publiques du Royaume-Uni, afin d’accroître notre marge de manœuvre pour répondre aux chocs futurs. C’est pourquoi nos règles fiscales diffèrent de celles du gouvernement. Leur règle d’emprunt, qui vise le déficit global plutôt que le déficit courant, crée une incitation claire à réduire les investissements qui auront des bénéfices à long terme pour des gains à court terme. Je rejette cette approche et c’est pourquoi notre règle d’emprunt cible les dépenses courantes. Nous donnerons la priorité aux investissements dans un cadre qui permettra de réduire la dette en pourcentage du PIB à moyen terme.
Dans sa défense d’un cadre budgétaire plus strict, avec une charte budgétaire valable pour 5 ans, sans révision en cours de mandature, Rachel Reeves introduit une évolution d’importance : l’exclusion des dépenses d’investissements. En cela, le Labour est cohérent avec son analyse qui fait de l’austérité poursuivie par les Conservateurs au début des années 2010 le responsable de la faible croissance — il est vrai que le secteur public britannique se distingue au sein de ses homologues du G7 par la faiblesse de ses dépenses d’investissement — et de l’état de certains services publics.
Les entreprises ont également besoin de stabilité dans le système fiscal. Depuis trop longtemps, notre politique s’y oppose. C’est pourquoi le prochain gouvernement travailliste s’engage à présenter chaque année un budget d’automne unique, à publier dans les six premiers mois une feuille de route pour la fiscalité des entreprises couvrant la durée de la législature et à plafonner l’impôt sur les sociétés à son taux actuel de 25 % — le plus bas du G7 — pendant toute la durée de la prochaine législature, afin que les entreprises puissent planifier leurs projets d’investissement dès aujourd’hui, tout en sachant comment leurs bénéfices seront imposés pendant le reste de la décennie.
Premièrement, la stabilité ; deuxièmement, l’investissement. L’investissement, par le biais du partenariat.
Il n’est pas du ressort du seul gouvernement de revigorer nos niveaux d’investissement chancelants. L’investissement des entreprises est l’élément vital de la croissance. Néanmoins, un État stratège a un rôle crucial à jouer.
Le partenariat pour l’investissement sera incarné par un nouveau Conseil britannique de l’infrastructure, que j’ai créé avec des représentants de certains des plus grands fonds d’investissement britanniques et mondiaux, et par un Conseil de la stratégie industrielle revitalisé et renforcé, doté d’un statut légal.
Une politique industrielle moderne doit être stratégique et sélective. Sélective, parce que nous ne pouvons pas tout faire et que nous ne devons pas prétendre le contraire. L’objectif est plutôt de travailler avec les entreprises pour identifier les domaines dans lesquels la Grande-Bretagne bénéficie ou a le potentiel de développer un avantage comparatif, mais où il existe des défaillances du marché ou d’autres barrières qui freinent l’investissement. Il existe déjà un grand nombre d’excellents travaux d’identification de l’avantage comparatif potentiel de la Grande-Bretagne dans des secteurs cruciaux, tels que l’éolien offshore flottant et le captage et le stockage du carbone, comme celui d’Anna Valero et de ses collègues de la LSE.
Stratégique parce qu’elle doit être fondée sur une évaluation des ramifications plus larges de la hiérarchisation des priorités et sur une vision claire des opportunités qui se présenteront dans l’économie mondiale de demain.
L’investissement public est un levier important à la disposition des gouvernements parce qu’il a le potentiel d’attirer l’investissement privé. Mais ce n’est qu’un levier et il doit être utilisé judicieusement. Contrairement aux sirènes de la gauche et de la droite, l’engagement en faveur de la croissance ne se mesure pas à l’aune du déficit que l’on est prêt à creuser.
L’investissement public sera assuré par le plan de prospérité verte du parti travailliste, sous l’impulsion de nouvelles institutions : un National Wealth Fund et Great British Energy. Mais pour débloquer l’investissement privé, il faudra aussi une réforme institutionnelle.
Comme mentionné ci-dessus, les moyens accordés au Green Prosperity Plan ont été revus à la baisse, mais il s’agit toujours d’un élément clé du programme travailliste.
— Great British Energy : le Labour propose de créer une nouvelle société de production d’énergies renouvelables et nucléaire, qui serait en concurrence avec les acteurs privés déjà présents sur le marché britannique. Elle pourrait investir dans la production en partenariat avec des investisseurs ou industriels privés. Elle aurait également un rôle de soutien aux acteurs locaux pour développer la production décentralisée d’énergies renouvelables, par exemple l’installation de panneaux solaires par les organismes de logement social.
— Le fond souverain : le Labour prévoit d’investir dans des projets industriels dans les technologies vertes et la décarbonisation, en échange de prise de participation. L’influence de Marianna Mazzucato se fait sentir, puisque cette dernière a fait du partage des bénéfices des investissements entre acteurs privés et puissance publique, l’un des éléments clé de l’État entrepreneur qu’elle appelle de ses voeux : 1,8 milliard dans la modernisation des ports, en particulier pour l’éolien en mer ; 1,5 milliard pour les giga-usines de batteries ; 1,5 milliard pour la décarbonation de fonderies d’acier ; 1 milliard pour la décarbonation de clusters industriels ; 500 millions pour la production d’hydrogène.
Prenons l’exemple de nos fonds de pension. Bien que les fonds de pension à prestations définies aient nécessairement des portefeuilles de plus en plus orientés vers des investissements moins risqués, les fonds à cotisations définies devraient atteindre plus de 1 trillion de livres sterling d’ici la fin de la décennie. Mais, en partie à cause de la fragmentation de nos fonds à cotisations définies, ces fonds sont moins investis dans des actifs productifs que dans de nombreux autres pays. Cela se traduit par des rendements plus faibles pour les épargnants britanniques, qui ne bénéficient pas de la diversification sur les marchés privés, et par moins de capital patient disponible pour la croissance des entreprises britanniques et de nos infrastructures. Le parti travailliste fera activement avancer la consolidation des fonds à cotisations définies (DC fund) et lancera, au sein du gouvernement, une révision du système de retraite afin de s’assurer qu’il sert bien les épargnants britanniques et les entreprises britanniques (UK PLC).
L’investissement n’est pas seulement important pour ce qu’il peut physiquement construire, mais aussi pour les idées qu’il peut nourrir. L’innovation est au cœur de notre histoire. Aujourd’hui encore, nous nous classons régulièrement parmi les cinq premiers pays du monde selon l’indice mondial de l’innovation, en grande partie grâce à nos universités qui, malgré les immenses défis auxquels le secteur est confronté, comptent parmi les meilleures du monde. Et nous sommes à la pointe de l’innovation mondiale dans des secteurs allant des sciences de la vie à l’IA et à la technologie, en passant par les technologies net-zéro.
Mais l’innovation doit être nourrie, avec des sources de financement fiables, et les innovateurs doivent être soutenus pour transformer des idées brillantes en réalité commerciale. Le parti travailliste mettra donc fin à la pratique des cycles de financement d’un à trois ans pour les principales institutions de R&D, en leur accordant plutôt des budgets de dix ans pour permettre des partenariats significatifs avec l’industrie afin de maintenir le Royaume-Uni à la pointe de l’innovation mondiale, et nous travaillerons avec nos universités pour nous assurer que les scissions puissent attirer des capitaux privés lorsqu’ils cherchent à se développer.
Bien entendu, si nous voulons stimuler notre productivité nationale — et les salaires qui vont avec — nous devons nous concentrer non seulement sur ces entreprises pionnières, mais aussi sur les gains progressifs résultant de la diffusion des nouvelles technologies et des meilleures pratiques dans la longue traîne des entreprises qui se situent derrière la frontière de la productivité. En effet, une économie forte ne peut pas reposer uniquement sur la contribution des quelques entreprises à la pointe de la technologie.
Ce qui m’amène à mon troisième et dernier pilier de la croissance : la réforme.
La réforme de notre système de planification, de nos services publics, de notre marché du travail et de notre système de gouvernement est guidée par la conviction que la croissance et la compétitivité dans les années 2020 et au-delà reposeront sur la contribution : la mobilisation de toutes nos ressources — le potentiel humain présent dans chaque ville — pour sortir d’un cercle vicieux dans lequel les inégalités se creusent tandis que la croissance s’essouffle, pour aller vers un cercle vertueux dans lequel les travailleurs jouent leur rôle dans la construction de la prospérité et en ressentent les effets bénéfiques.
Permettez-moi de commencer par notre système de planification, qui constitue le principal obstacle à notre réussite économique. Notre système de planification est un obstacle aux opportunités, à la croissance et à l’accès à la propriété. Les dysfonctionnements de l’urbanisme entraînent une utilisation coûteuse et inefficace des terrains, ce qui rend le coût de construction des infrastructures au Royaume-Uni nettement plus élevé que dans la plupart des économies développées, ce qui se traduit par des prix de l’énergie plus élevés, des transports plus médiocres et une connectivité numérique inadéquate. Cette situation empêche également la construction de logements là où ils sont le plus nécessaires, ce qui contribue à l’augmentation constante des prix et à la baisse du taux d’accession à la propriété, et freine la croissance de nos régions les plus productives.
Nous abordons cette question sans illusion. La réforme de la planification est devenue le symbole de la timidité politique face aux intérêts particuliers et le cimetière de l’ambition économique. Il est temps de mettre fin aux tergiversations et au court-termisme politique sur cette question. Il n’y a pas d’autre choix. Ce parti travailliste placera la réforme de la planification au centre même de notre argumentation économique et politique.
En ce qui concerne les infrastructures, le prochain gouvernement travailliste procédera à une révision unique en son genre du régime des infrastructures d’importance nationale, en mettant à jour toutes les déclarations de politique nationale dans les six mois suivant son entrée en fonction, en modernisant le régime pour qu’il reflète les types d’infrastructures essentiels dans notre économie en mutation, et en réduisant les formalités administratives en intégrant les principes de proportionnalité et de normalisation.
En ce qui concerne le logement, le parti travailliste réintroduira des objectifs locaux obligatoires, recrutera des centaines de nouveaux urbanistes pour résorber les retards, et mettra en place la prochaine génération de villes nouvelles.
La réforme des procédures d’autorisation est au cœur de l’agenda dans tous les pays qui cherchent à accélérer la transition énergétique et le déploiement des énergies renouvelables. Il s’agit des autorisations pour les éoliennes et les panneaux solaires, mais également pour les infrastructures de réseau, qui sont tout aussi critiques pour réussir la transition. En Europe, le Net Zero Industry Act comprend ainsi principalement des mesures qui portent sur ce point. C’est également le cas de la loi industrie verte en France.
Au-delà des seules infrastructures énergétiques, la question des autorisations de construction se pose également dans le domaine du logement, du transport et des grands projets industriels. Il pourrait s’agir d’un clivage politique émergent entre ceux qui s’opposent à plus de construction (les NYMBYs / not in my backward) et ceux qui y sont favorables (YIMBYs). La position du Labour est cohérente avec son électorat — au sein des grands pays développé, le Royaume-Uni se distingue par l’ampleur de la fracture générationnelle dans les comportements électoraux — jeune et qui n’arrive pas à accéder à la propriété.
Il s’agit d’une révision qui n’arrive qu’une fois par génération, afin de mettre en place les infrastructures et les logements indispensables à la réalisation de nos ambitions en matière d’accession à la propriété, de décarbonisation et de croissance.
Et pour développer notre économie, nous ne pouvons pas compter sur quelques poches du pays pour stimuler la croissance et la productivité. Premièrement, parce que nous avons vu les conséquences politiques — et la colère justifiée — lorsque l’on laisse de profondes inégalités régionales se creuser, que l’on laisse les opportunités se flétrir dans des pans entiers du pays, tandis que la politique de Westminster détourne le regard. Ensuite, parce que nous savons que notre problème de productivité est un problème régional.
Comme le montrent Raj Chetty, John Van Reenen et leurs collègues, les inégalités régionales nous privent d’inventeurs et d’innovateurs potentiels. Le potentiel gaspillé de tous nos Einstein et Marie Curie perdus nous rend tous plus pauvres.
Il y a cent cinquante ans, l’économiste Mary Paley Marshall a observé que la clé du succès de la Grande-Bretagne à l’ère industrielle résidait dans les grappes d’entreprises, réunissant les compétences, l’infrastructure et la géographie naturelle de la Grande-Bretagne pour construire des industries fortes, basées sur la région. Des économistes comme Ed Glaeser ont montré que ces économies d’agglomération, en particulier celles qui sont présentes dans les zones urbaines, présentent également des avantages considérables pour les entreprises de services.
À mesure que notre économie évolue, nous devons faire beaucoup plus pour libérer les avantages de l’agglomération dans toute la Grande-Bretagne. Cela implique non seulement des investissements, non seulement la stabilité, mais aussi une réforme fondamentale de la manière dont nous sommes gouvernés.
La Grande-Bretagne possède aujourd’hui l’un des systèmes politiques les plus centralisés au monde, ainsi que l’un des niveaux d’inégalité géographique les plus élevés. Ce n’est pas une coïncidence. Les recherches de l’OCDE ont toujours montré que la décentralisation est étroitement liée à de meilleurs résultats en matière d’éducation, à des investissements plus importants et à une croissance plus forte. À l’instar d’une approche moderne de la stratégie industrielle qui reconnaît les limites informationnelles d’un gouvernement agissant seul, nous savons que les collectivités locales et régionales disposent souvent de meilleures informations sur leurs économies locales et d’une capacité plus développée à travailler avec les entreprises et les institutions locales. Le prochain gouvernement travailliste confiera donc des pouvoirs économiques clés aux dirigeants régionaux et locaux qui connaissent le mieux leurs besoins et leurs atouts.
Permettez-moi de vous donner un exemple : les compétences, l’un de nos échecs politiques les plus persistants. Le prochain gouvernement travailliste remplacera la taxe sur les apprentis par une nouvelle taxe sur la croissance et les compétences, combinera et décentralisera les budgets de l’éducation des adultes, et nos efforts en matière de compétences seront supervisés par une nouvelle institution nationale, Skills England.
Mais aujourd’hui, combler l’écart de compétences est une condition nécessaire, et non suffisante, de la réussite économique. Il existe aujourd’hui de nombreuses preuves qu’une plus grande sécurité au travail, une meilleure rémunération et une plus grande autonomie sur le lieu de travail ont des effets bénéfiques considérables sur l’économie. Les recherches du FMI ont montré comment le fait de permettre aux travailleurs de mieux concilier vie familiale et vie professionnelle peut élargir la participation au marché du travail. Enfin, il existe des liens statistiques étroits entre la satisfaction au travail et les performances sur le lieu de travail.
C’est ce que je veux dire lorsque j’affirme qu’il s’agit d’un programme économique qui est à la fois favorable aux travailleurs et aux entreprises ; considérer cette relation comme une somme nulle, c’est laisser les deux parties dans la pauvreté. C’est cette compréhension qui sous-tend l’engagement du parti travailliste en faveur d’un véritable salaire de subsistance et d’une nouvelle donne pour les travailleurs.
Le marché du travail britannique est l’un des plus flexibles parmi les économies avancées, avec des embauches et des licenciements relativement faciles et un faible niveau de droits statutaires de base. Cela peut servir à réduire le risque d’embaucher de nouveaux employés, le risque de mauvaises correspondances, et permettre aux entreprises de réagir plus facilement aux cycles économiques. Mais la flexibilité se manifeste trop souvent par l’insécurité, qui nuit à la santé physique et mentale des individus, à leur capacité de planification et au temps qu’ils peuvent consacrer à leurs proches.
En réalité, la flexibilité unilatérale que nous connaissons aujourd’hui ne suffit pas à elle seule à garantir que les marchés du travail aient le dynamisme nécessaire pour alimenter la croissance. Il est essentiel qu’au fil du temps, les travailleurs se tournent vers des entreprises et des secteurs plus productifs — c’est ainsi que les travailleurs obtiennent des salaires plus élevés et que l’économie devient plus productive. Les travailleurs qui changent d’emploi voient généralement leur salaire augmenter de 4 points de pourcentage de plus que ceux qui ne changent pas d’emploi. À l’heure actuelle, ce phénomène n’est pas assez répandu : la proportion de travailleurs qui changent d’emploi chaque trimestre a chuté de 25 % entre 2000 et 2019.
Le statu quo ne sert ni les travailleurs ni les entreprises. Comme le souligne la Resolution Foundation, « l’ingrédient manquant, ce sont des travailleurs responsabilisés, désireux et capables de prendre des risques ». Les changements proposés par le parti travailliste répondront à ce besoin, avec une flexibilité qui fonctionne dans les deux sens — en donnant aux travailleurs la sécurité nécessaire pour changer d’emploi.
Je tiens à être clair sur les projets du parti travailliste, car je sais que de nombreuses entreprises auront des questions à poser.
Nous garantirons les droits fondamentaux dès le premier jour — protection contre les licenciements abusifs, indemnités de maladie et congé parental. Mais cela n’empêchera pas les licenciements équitables, et nous veillerons à ce que les entreprises puissent continuer à appliquer des périodes d’essai et des procédures de licenciement pour les nouveaux employés.
Nous interdirons les contrats « zéro heure », qui constituent une forme d’exploitation, en donnant à tous les travailleurs le droit à un contrat qui reflète le nombre d’heures qu’ils travaillent régulièrement, sur la base d’une période de référence de douze semaines. Mais ces changements n’empêcheront pas les employeurs d’offrir des heures supplémentaires ou de répondre à la demande à court terme, par exemple à l’approche de Noël ou pour les travaux saisonniers dans l’agriculture ou l’hôtellerie.
En ce qui concerne la législation syndicale, nous reviendrons sur les changements intervenus depuis 2010, qui n’ont pas permis d’éviter la pire période de perturbations depuis les années 1980, mais ont au contraire contribué à une approche conflictuelle, fondée sur le principe de la terre brûlée, qui a fait obstacle à des négociations productives. Ces politiques n’existaient pas sous Blair et Brown, lorsque les grèves et les perturbations étaient moins nombreuses. Nous collaborerons avec les entreprises lors de l’élaboration et de la mise en œuvre de ces politiques.
Depuis le printemps 2022, les salariés et fonctionnaires britanniques ont renoué avec l’action syndicale revendicatrice. Tout en restant incomparable avec les grandes grèves des années 70 et 80, le nombre de jours de travail perdus pour cause de grève a dépassé les 2,5 millions en 2022 et 2023 alors que, depuis 1991, il n’avait jamais dépassé 1,3 millions et qu’il était le plus souvent contenu entre 200 000 et 500 000.
Les grèves, motivées par la réduction du pouvoir d’achat consécutive à l’envolée de l’inflation, ont principalement concerné les salariés des transports, de l’éducation et du NHS.
Dans ce contexte plus revendicatif, le Labour aura fort à faire pour répondre aux attentes des syndicats et des salariés. Le président de l’union nationale de l’enseignement a ainsi déclaré tout récemment qu’un Gouvernement travailliste pourrait être confronté à des grèves si il ne répondait pas aux attentes en termes de salaires et de financement de l’éducation 6.
Et une économie fondée sur la contribution des plus nombreux signifie qu’il faut reconnaître que nous n’avons pas seulement besoin de croissance pour financer des services publics solides. Nous avons besoin de services publics forts pour soutenir la croissance économique, notamment d’un plan sérieux pour remettre au travail les malades de longue durée, laissés pour compte par l’allongement des listes d’attente du NHS, l’absence de soutien à la santé mentale, la rigidité de l’État-providence et l’insuffisance de l’aide à l’emploi. Nous mettrons rapidement en œuvre les plans que nous avons déjà définis pour injecter d’urgence des ressources dans nos services publics : réduire les listes d’attente du NHS, s’attaquer à la crise de la dentisterie, transformer les services de santé mentale, recruter et retenir les enseignants, et mettre en place des clubs de petit-déjeuner dans toutes les écoles.
Et si nous voulons construire une économie fondée sur la contribution, nous devons également réfléchir de manière plus large au travail que nous valorisons : reconnaître que même les industries les plus dynamiques doivent reposer sur des fondations fournies non seulement par les entreprises à la frontière, mais aussi par ce que j’appelle « l’économie de tous les jours » — le commerce de détail, les soins, le transport, la livraison, les services publics, et bien plus encore. Des secteurs à fort taux d’emploi, mais trop souvent caractérisés par l’insécurité et les bas salaires. Cela signifie, une fois encore, que les préoccupations de la politique industrielle, en quête de résilience et de croissance généralisée, ne doivent pas s’arrêter à la frontière de la haute productivité.
Nous savons également que ce sont les femmes qui travaillent de manière disproportionnée dans notre économie quotidienne, et que ce sont elles qui ont supporté le plus gros des perturbations économiques et sociales de ces dernières années. Je veux défendre les femmes dans notre économie, non seulement parce que c’est la bonne chose à faire. Mais aussi parce que si nous n’offrons pas aux femmes les mêmes opportunités qu’aux hommes, nous ne mettons pas à profit leurs talents.
De nombreux économistes, dont Peter Klenow et Oriana Bandiera, ont montré que la mauvaise répartition des talents qui se produit lorsque les femmes sont absentes du marché du travail, sous-représentées dans certaines professions ou à certains niveaux, ou victimes de discrimination, peut avoir des conséquences importantes sur la croissance. Claudia Goldin, première femme à recevoir le prix Nobel d’économie individuellement , a montré que la manière dont le marché du travail pénalise les mères reste un facteur crucial d’inégalité des résultats. Et l’étude Rose sur l’entrepreneuriat féminin a montré que si le Royaume-Uni parvenait à atteindre les mêmes taux d’entrepreneuriat féminin et de propriété d’entreprise que nos pairs « premiers de la classe », cela pourrait ajouter 200 milliards de livres sterling à notre PIB.
Un programme visant à exploiter le potentiel économique des femmes doit donc comprendre un programme pour un travail de qualité dans notre économie quotidienne, des efforts renouvelés pour mettre fin une fois pour toutes à l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes, pour garantir que les femmes puissent accéder au financement nécessaire pour créer une entreprise et pour prendre des mesures cruciales en faveur d’un système moderne de garde d’enfants.
Nous devons être lucides quant à l’héritage auquel le prochain gouvernement — quel qu’il soit — sera confronté. Une dette qui n’a jamais été aussi élevée depuis 60 ans, avec des paiements d’intérêts sur la dette nette de plus de 80 milliards de livres sterling rien que cette année. Les listes d’attente du NHS s’élèvent à sept millions et demi de personnes. Des écoles et des hôpitaux en ruine. La première législature de l’histoire au cours de laquelle le niveau de vie a baissé.
Aucune élection ne pourra effacer cet héritage. Nous devons faire face au monde tel qu’il est et non tel que nous voudrions qu’il soit. Je ne me fais pas d’illusions sur l’ampleur du défi, ni sur les enjeux ; les conséquences, si nous ne parvenons pas à tirer les leçons de notre passé récent, sont graves : pour notre place dans le monde, notre niveau de vie, nos engagements en matière de climat et notre foi dans la politique démocratique.
Mais je reste optimiste quant à notre capacité à relever les défis auxquels nous sommes confrontés, si nous parvenons à rassembler les secteurs public et privé autour d’une mission nationale visant à rétablir une croissance économique forte dans toute la Grande-Bretagne. Lorsque nous parlons d’une décennie de renouveau national, c’est ce que nous voulons dire.
Comme à la fin des années 1970, nous nous trouvons à un point d’inflexion. Et comme dans les décennies précédentes, la solution réside dans une vaste réforme de l’offre, afin de stimuler l’investissement, d’éliminer les obstacles qui limitent notre capacité de production et de façonner un nouvel accord économique, en s’inspirant des évolutions de la pensée économique — un nouveau chapitre de l’histoire économique de la Grande-Bretagne. Contrairement aux années 1980, la croissance des années à venir doit être généralisée, inclusive et résiliente.
Une croissance obtenue grâce à la stabilité, fondée sur la force de nos institutions. L’investissement, grâce à un partenariat entre un gouvernement stratégique et des entreprises entreprenantes. Et la réforme de notre système de planification, de nos services publics, de notre marché du travail et de notre démocratie.
Face à un monde plus instable, la tâche consiste non seulement à reconnaître les risques aigus, mais aussi à identifier les immenses opportunités. Nous devons rejeter le déclin géré, renouveler notre objectif commun et reconstruire la croissance sur des bases solides et sûres.
Je vous remercie.
Sources
- « UK families suffering “worst decline” in living standards in the G7 », TUC, 8 janvier 2024.
- Site officiel du Labour.
- Marzian et Trebesch, « Guns vs. Butter », 1870-2022, 2024.
- Anand Menon, « The EU and UK need a new security deal fit for a more dangerous world », Financial TImes, 11 mars 2024.
- « Charter for Budget Responsibility. Autumn 2022 update », HM Treasury, janvier 2023.
- Sally Weale, « A Labour government could face teachers’ strikes, union warns », 6 avril 2024.