Les peuples d’Europe centrale et orientale ayant fait l’expérience de l’impérialisme russe et des répressions soviétiques en conservent une mémoire vive, tandis que ceux d’Europe occidentale en ignorent souvent jusqu’à l’existence. Suite de notre série « Violences impériales », co-dirigée par Juliette Cadiot et Céline Marangé. Pour recevoir les nouveaux épisodes de la série, abonnez-vous.
La guerre de la Russie contre l’Ukraine a commencé en 2014. Le monde qui se considère comme civilisé a préféré l’ignorer. En cachant son indifférence derrière des mots comme « profonde inquiétude » et « conflit interne », le monde civilisé a trahi ses propres valeurs, encouragé Poutine à lancer une guerre à grande échelle et soigneusement ignoré les Ukrainiens des régions de Donetsk et de Lougansk qui ont été les premiers à combattre l’invasion russe.
Le monde civilisé s’est ainsi obstiné à nier mon existence. L’existence de mes amis, ainsi que celle des millions d’Ukrainiens qui vivaient dans les régions de Donetsk et de Lougansk et qui sont ensuite devenus soldats, bénévoles, réfugiés qualifiés de « personnes déplacées internes », soit près de 2 millions de personnes après deux ans de guerre d’après les statistiques officielles1. En réalité, tout le monde ne s’est pas fait enregistrer. Ceux qui n’avaient pas besoin de l’assistance de l’État ont souvent préféré se débrouiller seuls pour ne pas grever le budget d’un pays en guerre.
Même à s’en tenir aux statistiques officielles, nous qui ne pouvions pas vivre sous l’occupation étions avant 2022 plus nombreux que la population estonienne. Pourtant, nous étions ignorés du monde entier. Les Ukrainiens qui, pour diverses raisons, n’ont pas réussi à quitter les territoires occupés étaient encore plus invisibles. Certains ont toutefois réussi à se faire entendre, après avoir subi des tortures dans les camps de concentration russes à Donetsk, comme le camp Izolyatsia. Torturés, puis libérés à la faveur d’un échange de prisonniers, le journaliste Stanislav Aseyev2 et le théologien Ihor Kozlovsky3 ont chacun relaté la vie des Ukrainiens sous l’occupation. La cécité et la surdité n’en ont pas moins perduré pendant des années et se poursuivent jusqu’à aujourd’hui.
Le mythe du Donbass
Le mythe du Donbass explique en partie cet aveuglement. Ce mythe est le produit de la propagande soviétique dont l’objectif était de faire de Donbass une « vitrine prolétarienne de l’Ukraine », appelée à servir de modèle aux autres régions. En regroupant les régions de Donetsk et de Lougansk sous ce terme de Donbass, aussi artificiel que trompeur (car géologique et géographique), la propagande soviétique a « assigné » à ces terres le statut de territoire du prolétariat et de la révolution ouvrière ; elle en a fait le symbole de l’industrie lourde, les a associées au labeur pénible et masculin et érigées en région-symbole de l’internationalisme prolétarien russophone.
Le mythe du Donbass a effacé des pans entiers de la réalité de ces régions — le village et ses habitants, les femmes, l’intelligentsia artistique, les scientifiques. Il a dilué dans la catégorie de « Russes » non seulement les Ukrainiens, mais aussi toutes les autres nationalités qui étaient présentes sur ces territoires et qui ont été réprimés parce qu’elles n’étaient pas « russes » : des Grecs, des Bulgares, des Allemands, des Polonais, des Coréens, etc.
Le mythe omet aussi de mentionner que des étrangers ont initié le développement industriel des régions de Donetsk et de Lougansk : des Britanniques, des Français, des Belges, des Allemands et des Américains. Les plus grandes villes du Donbass ont été bâties grâce à des investissements occidentaux. La ville moderne de Donetsk a été créée par un entrepreneur du Pays de Galle, un certain John Hughes4, tandis que Lougansk a été édifiée par l’industriel écossais Charles Gascoigne.
Le mythe du Donbass occulte également la participation des habitants de Donetsk et de Lougansk à la création d’une République populaire ukrainienne indépendante au lendemain de la révolution ; il efface la mémoire de la lutte armée des partisans de l’Ukraine unie contre les Bolcheviks en 1919-19215. Ce mythe dissimule les souffrances endurées lors de la famine de Lougansk artificiellement provoquée en 1921 par les Bolcheviks afin de soumettre les Ukrainiens.
À l’inverse, le mythe du Donbass s’est construit autour d’un certain nombre de poncifs : la loyauté supposée des habitants envers le régime soviétique et l’absence prétendue de toute manifestation de résistance, de toute mémoire historique de l’Ukraine et d’une histoire locale propre. Ce mythe du Donbass est très vivace, y compris à l’étranger. Aujourd’hui, nous entendons encore des déclarations fausses et mensongères : « Le Donbass n’a jamais été ukrainophone » ; « L’Est de l’Ukraine s’est toujours incliné devant le pouvoir soviétique » ; « Les régions de Lougansk et de Donetsk vivent selon l’idéologie russe »…
Nationalisme ordinaire et extraordinaire
« L’ukrainien » n’a pourtant jamais disparu, ni à Donetsk, ni à Lougansk. C’est « l’ukrainien » et non « le russe » qui a constitué le noyau de la formation d’une nation politique, à laquelle ont participé les Grecs, les Allemands, les Polonais, les Juifs, les Arméniens, etc. Nous utilisons ici des guillemets pour souligner que, dans la langue ukrainienne, cette expression ne désigne pas seulement la langue, mais bien une origine, un substrat, une identité sur laquelle se construit une nation. Dans son livre Banal Nationalism, Michael Billig notait avec justesse que le sentiment d’appartenance à une nation « est toujours vécu » à travers des routines quotidiennes, qu’il fonctionne avec des mots et des actions prosaïques et familières qui agit comme des rappels persistants, et parfois inconscients, de la patrie, « rendant ‘notre’ identité nationale inoubliable »6.
Même pendant la période soviétique, la vie quotidienne a toujours et partout été imprégnée « d’ukrainien » : qu’il s’agisse des chants, de la cuisine, des plats et des festins, des blagues sur les Moscovites, des proverbes et les dictons ou des contes de fées ; qu’il s’agisse des légendes familiales sur le pouvoir des Cosaques ou des souvenirs réprimés de la grande famine de 1932, le Holodomor, qui a provoqué la mort de 4 millions personnes en Ukraine ; qu’il s’agisse encore des traditions chéries de Noël et de Pâques, des chants de Noël et de la préparation des gâteaux de Pâques. Dans la région de Donetsk, les femmes n’ont jamais arboré de kokochnik, la coiffe russe, mais, dans presque toutes les familles, elles portaient des chemises brodées, suivant la tradition ukrainienne.
Il y a toujours des lieux et des dates de solidarité dans le nationalisme du quotidien. Il ne s’agit pas de solidarité relevant d’une action politique active, mais d’un partage de savoir : le borsch est un plat ukrainien que les Russes essaient de s’approprier ; le 9 mars, date de naissance du grand poète Taras Chevtchenko (1814-1861), est un jour férié au cours duquel nous devrions nous souvenir, « à voix basse et tendrement »7, que l’histoire de l’Ukraine est plus ancienne que l’histoire de la Moscovie et que le philosophe ukrainien Hryhorii Skovoroda (1722-1794) inscrivait sa pensée dans la tradition européenne.
Parfois, ce « nationalisme ordinaire » a revêtu des formes nettement plus créatives et politiques. « Aimez l’Ukraine comme vous aimez le soleil… », cet hymne à l’Ukraine a été écrit par le poète Volodymyr Sossioura (1898-1965), né à Debaltseve dans la région de Donetsk. Après la Seconde Guerre mondiale, cette œuvre a valu à Sossioura d’être qualifié de « nationaliste » et de « banderiste corrompu », en référence à Stepan Bandera (1909-1959), l’un des dirigeants du mouvement nationaliste ukrainien au sein de l’OUN-UPA.
Le poète et écrivain Mykola Rudenko (1920-2004) qui a signé le poème « L’immortalité de la nation est dans le mot » était pour sa part originaire de la région de Lougansk. Il a combattu le nazisme hitlérien, puis plus tard cofondé le groupe Helsinki de défense des droits de l’homme en Ukraine. Il a refusé de calomnier des innocents et d’incriminer des écrivains juifs dans un contexte d’antisémitisme d’État en Union soviétique. Par deux fois, il a été arrêté en raison de son engagement en faveur du respect des droits humains et des principes édictés dans l’Acte final de la conférence d’Helsinki.
Le critique littéraire Ivan Dziuba (1931-2022), auteur du célèbre pamphlet Internationalisme ou russification ? paru 1965, est né dans le village de Mykolaivka, dans le district de Volnovakha de la région de Donetsk. Le linguiste et écrivain Oleksa (Oleksiy) Tykhyi (1927-1984) était aussi originaire de Druzhkivka, dans la région de Donetsk. En 1957, un tribunal l’a reconnu coupable « d’activités antisoviétiques » et condamné à sept ans de prison et cinq ans de privation des droits civiques. Quel acte répréhensible avait-il commis pour mériter une telle sentence ? Il avait envoyé au Soviet suprême de la République soviétique d’Ukraine une lettre accompagnée d’un article soumis à un journal. Il y condamnait l’invasion de la Hongrie par les troupes soviétiques de novembre 1956.
Oleksa Tykhyi a beaucoup écrit sur la russification de la région de Donetsk, sur la nécessité de restaurer la culture ukrainienne et sur le besoin de revenir à la langue ukrainienne dans les universités et les écoles. On lui doit cette citation : « Comment caractériser une personne qui vit dans la région de Donetsk en Ukraine mais dont la patrie est la Russie ? Est-ce un émigrant ou un occupant ? Comment considérer un Indien ou un Canadien qui prétendrait que sa patrie est l’Angleterre au motif que l’Inde et le Canada font partie du Commonwealth ? »8.
On ne s’élève pas seul
L’ukrainien était la langue de communication dans la famille du poète Ivan Svitlychnyi (1929-1992) et de sa sœur la militante des droits de l’homme Nadiya Svitlytchna (1936-2006), nés dans le village de Polovynkyno de la région de Lougansk. Toute leur vie, ces dissidents ont défendu cette langue et la liberté. Parmi les artistes ukrainiens nés dans les régions de Donetsk et de Lougansk on compte encore les poètes Anatoliy Lupynis (1937-2000) et Vasyl Holoborodko (1945- ), les écrivains Emma Andievska (1931- ), Serhiy Zhadan (1974- ) et Oleksiy Chupa (1986- ), ainsi que le réalisateur Leonid Bykov (1928-1979)…
Les gens ne grandissent pas seuls. Chacun des combattants pour l’Ukraine a bénéficié d’un environnement propice au sein duquel ils partageaient les mêmes idées que d’autres personnes — souvent des étudiants. Le grand poète et penseur ukrainien Vassyl Stous (1938-1985), a rencontré ce milieu à la fin des années 1950 pendant ses études à l’université de Donetsk qui s’appelait alors l’Institut pédagogique Staline. Un professeur de littérature étrangère, Tymofii Dukhovnyi, lui a permis d’accéder à la littérature de la « Renaissance fusillée » ukrainienne et de s’approprier le legs des écrivains emportés par les répressions staliniennes des années 1930.
C’est à Donetsk que Vassyl Stous a découvert les écrits interdits du poète et traducteur Pavlo Tychyna (1891-1967) et du poète et journaliste Maksym Rylsky (1895-1964), qu’il a lu les œuvres du poète futuriste Mykhailo Semenko (1892-1937), de l’écrivain symboliste Todosiy Osmachka (1888-1962), du poète et philologue Mykola Zerov (1890-1937), du poète et critique Mykhailo Dry-Khmara (1889-1939), de l’écrivain et poète Mykola Khvyliovy (1893-1933), du dramaturge Mykola Kulish (1892-1937), de l’écrivain et traducteur du français Valerian Pidmohylny (1901-1937) ou encore de l’écrivain et homme d’État Volodymyr Vynnytchenko (1880-1951), le second président de la République populaire ukrainien qui n’a pas péri pendant la Grande terreur car, contrairement aux autres, il s’était exilé en France.
C’est à Donetsk que Vassyl Stous a commencé à écrire ses premiers poèmes et qu’il a rejoint le groupe « Jeunes voix » de la faculté qui publiait son propre almanach. Sur les conseils de son professeur Tymofii Dukhovnyi, il a envoyé un recueil de ses poèmes de jeunesse à la revue Literary Gazeta (aujourd’hui Literary Ukraine). Il comptait dans son cercle d’amis Oleg Orach, Anatoliy Lazorenko, Volodymyr Mishchenko et Vasyl Zakharchenko. Aucun d’entre eux ne s’est détourné de lui par la suite quand il est devenu un prisonnier d’opinion persécuté par le régime, ni n’a renoncé à ses convictions et à sa langue.
Ses plus grands amis ont été ses étudiants, les plus doués, tels Mykola Rayetskyi et Ivan Printsevskyi, ayant connu un destin malheureux et tragique : le premier a été exclu de l’université en quatrième année en raison de ses penchants nationalistes ; le second, devenu professeur dans le même établissement, a été poussé au suicide sous la pression du KGB9.
Pendant la période soviétique, les habitants des régions de Donetsk et de Lougansk n’ont jamais perdu le sens du « nationalisme ordinaire », ni le sentiment d’appartenance à l’Ukraine. Cette résistance quotidienne, parfois anonyme, était inattendue et incompréhensible pour le Kremlin et le KGB. Elle prenait des formes diverses, de la préservation des traditions à des déclarations politiques, tout en attestant la persistance de la mémoire historique relative à l’éphémère indépendance ukrainienne qui a suivi la révolution de 1917.
Les exemples abondent. En 1970, le 2 octobre, une inscription « Vive la Rada centrale ! », le parlement de la République populaire d’Ukraine de 1917-1918, est apparue sur la peinture murale « Révolte des travailleurs de l’usine de l’Arsenal de Kiev » dans les locaux de la filiale de l’Institut polytechnique de Donetsk à Makiivka. En 1986, des tracts appelant à « expulser les envahisseurs moscovites » ont été collés aux murs des immeubles et sur le sol dans la petite ville minière de Biletske. En 1989-1991, les grèves des mineurs issus de ces régions ont évolué, la mobilisation sur des questions purement économiques se transformant en une force qui exigeait la restauration de l’indépendance ukrainienne.
La résistance ukrainienne de 2014 à aujourd’hui
Malgré tout, l’image d’une fidélité parfaite des régions de Donetsk et de Lougansk à l’égard de la Russie a continué à prospérer au sein du « mythe du Donbass ». Lors de l’attaque de la Russie contre l’Ukraine en 2014, elle a été instrumentalisée avec succès.
Une question nous a souvent été adressée au cours de ces dix années de guerre : « Pourquoi les Ukrainiens de Donetsk et de Lougansk n’ont-ils pas résisté à l’occupation ? » Parfois, j’ai envie de crier haut et fort : « Nous avons résisté ! Les gens restés sous occupation continuent à lutter jusqu’à aujourd’hui ! Ce n’est pas parce que vous ne vouliez pas voir ou savoir quelque chose que cela n’a pas existé ou que cela n’existe pas ».
Nous avons résisté dès le premier jour.
Pratiquement personne dans la vie ordinaire ne sait ce qu’implique de devenir un clandestin, un partisan, dans une ville occupée par des forces spéciales russes avec le soutien de collaborateurs locaux. Nous avons fait ce que nous avions lu et appris dans des livres consacrés à la Seconde Guerre mondiale.
Les 4 et 5 mars 2014, deux mille habitants de Donetsk se sont rassemblés dans la rue pour défendre l’unité de l’Ukraine. Le 13 mars, Dmytro Chernyavsky a été tué lors d’un rassemblement parce qu’il voulait, comme nous tous, vivre en Ukraine10. Des actions d’envergure se sont néanmoins poursuivies les 17 et 28 avril11. Nous avons créé dans la foulée un organe clandestin de coordination et d’interaction, le Comité des forces patriotiques du Donbass. Nous avons publié le journal « Donetsk parle ».
Lorsque le gouvernement ukrainien a lancé l’opération antiterroriste (ATO) en avril 2014, nous avons bénévolement collecté et livré de l’aide à notre armée, imprimé et collé des tracts, arraché les drapeaux russes, peint des clôtures et des ponts aux couleurs du drapeau ukrainien et soutenu un service de prière pour l’Ukraine organisé par des églises de différentes confessions. Nous avons recherché des personnes kidnappées, transporté des militants et dressé des listes de patriotes emprisonnés.
Les premières victimes de la guerre de la Russie contre l’Ukraine étaient des Ukrainiens originaires des régions de Donetsk et de Lougansk. Le 17 avril 2014, Volodymyr Rybak a été enlevé à Horlivka. Avant son enlèvement, l’homme avait tenté de se rendre au comité exécutif de la ville pour retirer le drapeau de la République populaire autoproclamée de Donetsk qui flottait au-dessus du bâtiment. Le 22 avril, le corps de Vladimir Rybak, portant des traces de torture et des coups de couteau à la poitrine et à l’abdomen, a été retrouvé dans la rivière Kazenny Torets. Plus tard, l’enquête a établi que des occupants, les citoyens russes Igor Guirkine et Igor Bezler, étaient impliqués dans l’enlèvement et le meurtre du patriote ukrainien12.
En juillet 2014, Stepan Chubenko, 16 ans, habitant de Kramatorsk, a été torturé et tué pour avoir aidé l’armée de manière bénévole et porté des symboles ukrainiens13. Olena Kulish et Volodymyr Alyokhin ont quant à eux assisté l’armée ukrainienne en apportant de la nourriture, de l’eau et des médicaments aux troupes situées sur la ligne de front près de l’aéroport de Lougansk. Des représentants des forces armées russes les ont enlevés dans la cour intérieure de leur habitation, puis, après les avoir longtemps torturés, les ont tués d’une balle dans la tête14… Cette triste liste comprend des centaines d’autres noms et des milliers de vies brisées.
Dès le premier jour de l’invasion, les occupants ont identifié les « ennemis de la République de Donetsk » et les ont pourchassés, ainsi que leurs familles. Après avoir pris les pleins pouvoirs, les occupants ont commencé à détruire les écoles ukrainiennes, à « nettoyer » les bibliothèques, à saisir les livres en langue ukrainienne, à dresser des listes d’ouvrages interdits et à les détruire.
La résistance dans les territoires occupés n’a pas cessé depuis. Elle prend de nouveau la forme du « nationalisme banal » ; elle s’est aussi manifestée à travers l’assistance aux forces armées et aux patriotes ukrainiens. La musique des groupes de rock ukrainiens, la célébration des fêtes ukrainiennes, selon l’heure et le calendrier ukrainiens, la « guerre des graffitis », les tracts, le street-art de l’artiste Murzilka15, le hissage de drapeaux ukrainiens sur les terrils, le réseau de résistance informationnelle — chacune de ces actions concourt à la résistance.
La lecture de livres ukrainiens constitue aussi un acte de résistance car cela peut vous conduire dans un camp de concentration. Résister, c’est aussi étudier dans des écoles ukrainiennes en ligne. Résister, c’est apprendre la langue ukrainienne avec un tuteur. Résister, c’est communiquer des informations sur l’emplacement des troupes et des entrepôts de l’occupant. La résistance, c’est un réseau de « nos » concitoyens, solidaires et unis dans l’attente du retour de l’Ukraine. Un de mes amis qui, pour de très bonnes raisons, vit sous occupation depuis dix ans dit toujours : « Je suis ici pour que quelqu’un puisse accueillir l’armée ukrainienne avec des fleurs. Nous sommes ici. Nous sommes là pour ça ».
Après l’invasion totale de 2022, une nouvelle forme de résistance est apparue à travers l’utilisation de l’ukrainien dans la vie courante, parmi les siens à la maison, et dans les communications avec les gens de l’Ukraine libre. Dans la résistance quotidienne, la langue ukrainienne a acquis une nouvelle signification symbolique. Désormais, elle n’est plus seulement une langue d’État, mais un symbole de liberté, de vérité et de sécurité.
Je suis convaincue que les habitants des régions de Donetsk et de Lougansk accueilleront l’armée ukrainienne.
Donetsk, Lougansk et la Crimée — malgré toute la mythologie russo-soviétique — étaient, sont et seront l’Ukraine. La résistance et les répressions le prouvent.
Sources
- Le 6 juin 2016, l’Ukraine comptait officiellement 1 785 740 réfugiés internes enregistrés. https://voxukraine.org/velyke-pereselennya-skilky-naspravdi-v-ukraini-vpo-ua#_ftn5.
- Stanislav Asseïev, Donbass : un journaliste en camp témoigne, Neuilly, Atlande, 2020, traduit par Iryna Dmytrychyn ; Stanislav Aseev, In Isolation : Dispatches from Occupied Donbas, Cambridge, Harvard Library of Ukrainian Literature, 2022.
- Les Ukrainiens se rassemblent à Kyiv pour honorer la mémoire de l’éminent théologien ukrainien Ihor Kozlovskyi, mort à l’âge de 69 ans. https://english.nv.ua/nation/ukraine-honors-a-hero-farewell-to-distinguished-scholar-ihor-kozlovskyi-50352364.html
- Thomas, C., Dreaming a city, from Wales to Ukraine. The Story of Hughesovka/Stalino/Donetsk, 2009
- Les rebelles de Lougansk contre la commune, 1921, Ataman Kamenyuka 29 août 2011
- Michael Billig, Banal Nationalism, Londres, Sages, 1995, p. 93.
- « À voix basse, tendrement » est le dernier vers du poème de Taras Chevtchenko intitulé « Le testament » (1845) qui fait l’éloge de l’Ukraine.
- Alyona Kachlan, « Oleksa Tykhyi. Pourquoi un enseignant de Donetsk est-il devenu « l’ennemi numéro 1 » de l’URSS ? », Radio Svoboda, 17 janvier 2020.
- Dmitro Stus : Vasil’ Stus. Poet, homme, militant des droits humains. Centre Stus’ : Стус Центр
- Dar’ja Kurenna, « Première tâche de sang à Donetsk. Le meurtre de Dmytro Chernyavsky », Radio Svoboda, 13 mars 2017.
- Aleksandr Savitskij, « Des milliers d’habitants de Donetsk se sont rassemblés pour défendre l’unité de l’Ukraine », DW, 18 avril 2014.
- Rybak Volodymyr Ivanovych, Livre de mémoire de ceux qui sont tombés pour l’Ukraine.
- Chubenko Stepan Viktorovych, Livre de mémoire de ceux qui sont tombés pour l’Ukraine.
- Olena Kulish et Volodymyr Alyokhin, Héros du peuple ukrainien.
- Sergei Zakharov dit Murzilka, « Je suis plus cool que Banksy », interview du 12 janvier 2015.