Plus la guerre de Gaza se prolonge, plus la crainte qu’elle ne dégénère en quelque chose de beaucoup plus important s’accentue. Elle concerne un pays en particulier : l’Iran, surveillé de très près puisqu’il est le chef d’orchestre d’un « axe de la résistance » dont fait partie le Hamas, il pourrait donner à ses autres membres, dont le Hezbollah au Liban et les Houthis au Yémen, le feu vert pour augmenter le niveau de leurs attaques.
L’attention s’était surtout portée dernièrement sur le Hezbollah, à la frontière nord d’Israël. Les échanges de tirs de part et d’autres n’ont pas débouché sur des hostilités à grande échelle, mais l’on y a peut-être échappé de justesse. Ces affrontements ont commencé juste après les attaques du Hamas le 7 octobre, lorsque le Hezbollah a tiré des roquettes et des obus « en solidarité » avec l’organisation terroriste. Il continue à le faire et Israël détruit quant à lui des positions du Hamas au Liban. Au cours des trois derniers mois, neuf soldats israéliens et quatre civils ont été tués, tandis que 123 personnes, dont au moins 21 civils, auraient trouvé la mort au Liban1. Plus de 80 000 résidents israéliens ont été évacués des zones frontalières.
Après que Wissam Tawil, un commandant des forces d’élite Radwan du Hezbollah, a été tué par une frappe israélienne, le Hezbollah a riposté par une attaque de drone contre le quartier général de l’armée israélienne à Safed, dans le nord d’Israël, mais sans apparemment causer de dégâts ou de victimes. Le chef adjoint du Hezbollah, Naïm Qassem, a également souligné que le groupe ne souhaitait pas étendre la guerre, ajoutant que si elle était étendue par Israël, « la réponse serait inévitable, dans toute la mesure nécessaire pour dissuader Israël ». Or, le Liban ne serait pas en mesure de faire face à une confrontation majeure. C’est dans ce sens que le secrétaire d’État américain Antony Blinken a insisté auprès d’Israël pour qu’il n’ajoute pas au chaos régional actuel en s’engageant dans une guerre majeure avec le Hezbollah.
En parallèle, les troupes américaines en Irak et en Syrie, toujours présentes après la lutte contre Daech, ont été attaquées par des milices soutenues par l’Iran à plus de 130 reprises depuis le 17 octobre2. S’il n’y a pas eu de morts américains, on dénombre plusieurs blessés. Ces attaques ont suscité des ripostes de la part des États-Unis — une dizaine jusqu’à présent. La plus sérieuse a eu lieu le 4 janvier, lorsqu’un chef de milice accusé d’être à l’origine de celles-ci a été tué à Bagdad.
Mais l’escalade la plus spectaculaire — et celle qui retient aujourd’hui l’attention de la communauté internationale — concerne la confrontation avec les Houthis yéménites en mer Rouge. La menace que leurs actions font peser sur le transport maritime international a conduit les États-Unis et le Royaume-Uni à lancer des frappes tôt dans la matinée du vendredi 12 janvier. Depuis, cette opération continue et les États-Unis ont accentué leurs frappes. La guerre est-elle sur le point de s’étendre davantage ?
Qui sont les Houthis ?
Les Houthis — qui préfèrent qu’on les appelle du nom d’Ansar Allah (« Partisans de Dieu ») — ne sont pas de simples marionnettes de l’Iran. Ils prennent leurs propres décisions. Mais leurs intérêts sont très clairement alignés et leurs capacités ont été renforcées grâce au soutien substantiel de Téhéran. Bien qu’ils fassent partie de « l’axe de la résistance », ils ont leurs propres caractéristiques — et leurs propres intérêts. Les Houthis sont originaires du Yémen du Nord, qui s’est joint à l’ancienne colonie britannique du Yémen du Sud pour former un État unifié, mais qui s’est ensuite déchiré en 1990. Sur le plan religieux, ils sont chiites zaydites, c’est-à-dire relativement modérés. Au fil des années, leur politique a été souple et, bien qu’ils se soient développés à partir d’une tribu, ils bénéficient d’un soutien plus large3.
Leur identité chiite dans un État majoritairement sunnite — ils représentent environ un tiers de la population — a fait d’eux une force radicale dans la politique yéménite. Le gouvernement du Yémen a tenté à plusieurs reprises de les éliminer lors de combats qui ont duré de 2004 à 2010, les Saoudiens les ayant directement rejoints en 2010. C’est lors des printemps arabes de 2011 qu’ils se joignent à la tentative de forger un nouvel ordre politique pour le Yémen. Malheureusement, ils déchantent vite et décident, en septembre 2014, de prendre les armes contre le gouvernement. Ils s’emparent de la capitale, Sanaa, chassent le président Abdrabbo Mansour Hadi et cherchent à élargir leur audience en insistant sur la nécessité de lutter contre la corruption et l’incompétence. Alors qu’ils gagnent en puissance dans la guerre civile qui les oppose au gouvernement, Hadi — qui est toujours reconnu internationalement comme président du Yémen — cherche un soutien extérieur. Celui-ci prendra la forme d’une coalition dirigée par les Saoudiens, qui se retrouvent dans une situation beaucoup plus difficile que prévu. En lieu et place de la victoire rapide qu’ils espéraient, ils s’enlisent dans une guerre longue et douloureuse au cours de laquelle ils sont accusés d’avoir causé la mort de pas moins de 20 000 civils, le blocus des ports yéménites ayant provoqué une grave crise humanitaire.
Cette guerre a façonné les Houthis. Au cours de son déroulement, le groupe est devenu à la fois plus dur, plus répressif et plus proche de l’Iran. C’est dans le contexte de cet affrontement qu’ils développent des drones d’attaque et des missiles à longue portée — qu’ils utilisent pour lancer des attaques régulières contre des installations pétrolières en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis. Dans un premier temps, ils attaquent des cibles proches de la frontière. Puis leurs attaques deviennent plus sophistiquées et de plus longue portée. Les Houthis vont finir par développer des capacités de fabrication locales pour leurs drones aériens et navals à longue portée en important d’Iran des pièces de contrebande. En décembre 2021, le Royaume indique que les Houthis auraient envoyé 430 missiles balistiques et 851 drones armés sur l’Arabie saoudite depuis le début de la guerre en 2015, tuant 59 civils saoudiens4.
L’attitude de Joe Biden vis-à-vis de Riyad a été beaucoup moins dure que celle de Donald Trump. Une fois président, il a cherché à améliorer la situation humanitaire en supprimant la désignation des Houthis comme organisation terroriste — qui n’avait été imposée que récemment — car ce label empêche l’acheminement de l’aide au Yémen. Les Saoudiens conclurent qu’ils n’avaient pas d’autre choix que d’engager la discussion avec les Houthis pour mettre fin à la guerre, bien qu’une formule de paix n’ait pas encore été trouvée. Une trêve précaire a été conclue en avril 2022, qui a duré jusqu’à présent, soit plus que les six mois initialement prévus. Elle a laissé aux Houthis le contrôle du nord du Yémen et plus des deux tiers de la population totale de 20 millions d’habitants. Comme l’a rapporté récemment The Economist, les combats ont laissé un pays exsangue :
« Les Nations unies estiment que 223 000 personnes sont mortes de faim et du manque de soins médicaux depuis le début de la guerre. 80 % de la population vit aujourd’hui dans la pauvreté. Rien de tout cela ne dérange les Houthis, qui volent l’aide alimentaire, imposent une série de taxes pour lever des fonds et s’appuient sur l’Iran pour leur soutien militaire. Ils ont maintenu un long siège sur la ville de Ta’izz, dans le sud-ouest du pays, empêchant les civils d’apporter de la nourriture et des médicaments, exactement comme ils accusent Israël de le faire à Gaza »5.
Opération Prosperity Guardian
Le 8 octobre 2023, au lendemain des attaques du Hamas contre Israël qui ont provoqué le déclenchement de la guerre de Soukkot, Washington a déployé en Méditerranée orientale un groupe aéronaval comprenant le porte-avions USS Gerald R. Ford, un croiseur et trois destroyers. Cette manœuvre avait en grande partie pour but de mettre en garde l’Iran contre toute intervention directe. Les attaques des Houthis contre les navires commerciaux ont commencé le même jour.
Le 19 octobre, l’un des destroyers, l’USS Carney, intercepte quatre missiles de croisière et 15 drones lancés par les Houthis, manifestement dirigés contre Israël. Le 19 novembre, ayant peut-être décidé qu’ils ne pouvaient pas s’en prendre directement à Israël, ils se tournent vers la navigation commerciale en s’emparant d’un cargo, le Galaxy Leader, et en le détournant vers le port de Hodeidah. Bien qu’il appartienne à des Britanniques et soit exploité par des Japonais, ils affirment que ce navire est lié à Israël. À ce jour, cela reste leur principal succès dans cette séquence. Le 3 décembre, l’USS Carney et quelques navires commerciaux sont attaqués dans les eaux internationales par des missiles balistiques anti-navires tirés depuis le Yémen. Trois navires commerciaux sont touchés, tandis que le Carney abat trois drones.
C’est à partir de ce moment que les États-Unis intensifient leur réponse. Des sanctions à l’encontre de 13 personnes et entités soupçonnées de financer les Houthis sont annoncées le 7 décembre, puis d’autres entités sont sanctionnées à la fin du mois pour avoir acheminé de l’argent iranien vers les forces houthistes. Le 19 décembre, le secrétaire à la Défense américain Lloyd Austin annonce la formation d’une coalition de vingt pays qui enverront des navires pour s’opposer aux attaques contre la navigation en mer Rouge.
Cette coalition est difficile à mettre en place6. La plupart des États partagent les inquiétudes concernant la menace qui pèse sur la navigation, mais craignent d’être associés à quoi que ce soit qui puisse être perçu comme une aide à Israël. C’est pourquoi huit des vingt États ne souhaitent pas se déclarer partie prenante — préservant en quelque sorte leur « anonymat ». L’Italie et l’Espagne prennent quant à elles leurs distances par rapport à cette force. Compte tenu de leurs relations tendues avec les Houthis, les Saoudiens et les Émiratis ne veulent pas entendre parler de cette force conjointe — du moins publiquement — car ils souhaitent toujours s’extraire de la guerre au Yémen7. La France déclare qu’elle souhaite également protéger la liberté de navigation, mais que ses navires resteraient sous son commandement. New Delhi adopte une position similaire en envoyant des destroyers dans le golfe d’Aden après l’attaque d’un de ses navires.
Au cours des dernières semaines, l’inquiétude s’est toutefois accrue quant à l’ampleur de la menace qui pèse sur le transport maritime : la mer Rouge est le point d’entrée des navires empruntant le canal de Suez, qui assure environ 12 % du commerce mondial. En raison des attaques des Houthis, de nombreux navires se sont retrouvés déroutés autour du cap de Bonne-Espérance en Afrique, ce qui a considérablement augmenté la durée et les coûts de navigation et perturbé les chaînes d’approvisionnement.
La veille du Nouvel An, le Maersk Hangzhou, un porte-conteneurs, a signalé être la cible de tirs de la part de quatre petits navires houthis. Il signale également des tentatives d’abordage. Une équipe de sécurité à bord repousse les intrus. Le porte-avions USS Dwight D. Eisenhower et le destroyer USS Gravely répondent à l’appel de détresse. Selon le commandement central des États-Unis, les navires de guerre ont lancé des « appels verbaux » aux petites embarcations :
« Les petites embarcations ont tiré sur les hélicoptères américains avec des armes de service et des armes légères. Les hélicoptères de la marine américaine ont riposté en légitime défense, coulant trois des quatre petites embarcations et tuant leurs équipages. Le quatrième bateau a fui la zone. Le personnel et le matériel américains n’ont subi aucun dégât »8.
Le 10 janvier, les navires de la force opérationnelle américaine et le HMS Diamond de la Royal Navy abattent 18 drones, deux missiles de croisière et un missile balistique. Il s’agit de l’attaque la plus importante menée à ce jour par les Houthis.
La menace est là : elle ne peut plus être contournée. Dès le 3 janvier, le Royaume-Uni, les États-Unis, l’Australie, Bahreïn, la Belgique, le Canada, le Danemark, l’Allemagne, l’Italie, le Japon, les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande, la Corée du Sud et Singapour mettent conjointement en garde les Houthis qui « assumeront la responsabilité des conséquences s’ils continuent à menacer des vies, l’économie mondiale ou la libre circulation du commerce dans les voies navigables essentielles de la région ».
Après l’attaque du 10 janvier, la vingt-sixième sur les voies de navigation commerciale en mer Rouge depuis le 19 novembre, une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies, parrainée par les États-Unis et le Japon, est adoptée. Elle exige « que les Houthis cessent immédiatement toutes ces attaques, qui entravent le commerce mondial et portent atteinte aux droits et libertés de la navigation ainsi qu’à la paix et à la sécurité régionales »9.
Il est important de noter qu’elle permet aux États membres, conformément au droit international, « de défendre leurs navires contre les attaques, y compris celles qui portent atteinte aux droits et libertés de navigation ». Onze pays votent en sa faveur — la Russie, la Chine, le Mozambique et l’Algérie s’abstiennent.
Jeudi 11 janvier, une vingt-septième attaque a lieu lorsqu’un missile balistique antinavire est tiré à proximité d’un navire commercial — finissant dans l’eau. Après avoir averti les Houthis de ne pas poursuivre leurs attaques, les membres de ce qu’il est désormais convenu d’appeler l’opération « Prosperity Guardian » sont toujours susceptibles de réagir.
La réponse des États-Unis et du Royaume-Uni
Les frappes menées par les États-Unis et le Royaume-Uni contre les capacités des Houthis au Yémen, tôt dans la matinée du vendredi 12 janvier, n’étaient pas destinées à punir ou à « envoyer un message ». De manière beaucoup plus opérationnelle, elles visaient à rendre très difficile la poursuite par les Houthis de leur campagne de piraterie maritime. Les cibles n’étaient d’ailleurs pas du tout « symboliques » : ces attaques ont été menées contre les capteurs qui permettaient aux Houthis d’identifier et de suivre les cibles, ainsi que contre des missiles, des drones, les usines qui les fabriquent et des entrepôts. Au total, une centaine d’armes de précision ont touché 60 cibles réparties sur 16 sites. Les quatre Typhoons de la Royal Air Force ont attaqué deux sites, tous deux utilisés pour lancer des drones de reconnaissance et d’attaque, ainsi que des missiles. Les cibles semblent avoir été touchées comme prévu. L’importance de l’acquisition des capteurs explique le fait qu’il y ait eu une frappe successive le lendemain matin contre un radar qui avait vraisemblablement survécu à une première tentative de destruction le vendredi.
Les dommages collatéraux sont restés limités. La majorité des cibles n’étaient pas situées dans des agglomérations. Les Houthis ont déclaré que cinq de leurs combattants avaient été tués et six blessés lors des frappes. Malgré la rhétorique du président turc Erdoğan sur la transformation de la mer Rouge en une « mer de sang », ce n’est pas ce qui est ressorti de cette opération. Aucun dirigeant houthi ni conseiller iranien n’a par ailleurs été pris pour cible. Nous sommes assez loin d’une tentative de changement de régime.
Or, pour la suite des événements, cela n’est pas sans importance.
Des pertes civiles substantielles, surtout à la lumière de ce qui se passe à Gaza, auraient intensifié les demandes de représailles et une tentative de destitution des dirigeants pourrait déboucher sur un conflit beaucoup plus grave. Or, même si ces frappes peuvent être — et seront sans doute — lourdes de conséquences, elles étaient précises, discrètes et conservaient un objectif limité. Le leader des Houthis, Mohammed al-Bukhaiti, a déclaré que les États-Unis et le Royaume-Uni « se rendraient bientôt compte » que cette action était « la plus grande folie de leur histoire ». Mais cela s’est produit alors que les frappes étaient en cours et avant qu’ils n’aient eu la possibilité d’évaluer les dégâts. Il est toutefois difficile de savoir dans quelle mesure elles auront réellement dégradé les capacités des Houthis, car les renseignements sur l’ensemble de leurs réserves de missiles sont limités10, et les frappes ont été télégraphiées suffisamment à l’avance pour que certains systèmes aient déjà été déplacés vers un endroit plus sûr.
Une guerre des récits est déjà en cours. Les Houthis ont affirmé que leur objectif était de nuire à Israël et de faire preuve de solidarité avec la population de Gaza — une cause qui a retrouvé une certaine popularité au Moyen-Orient. Mais la plupart de leurs attaques ont été dirigées contre les navires qui se trouvaient en vue et à portée, qu’ils aient ou non des liens avec Israël. Si cette situation se prolonge, elle portera atteinte à l’économie mondiale. Certains pourraient penser que la communauté internationale a raison de ne pas faire plus pour arrêter les Israéliens, mais jusqu’à présent, les grands perdants sont les pays qui tirent leurs revenus de la route maritime, notamment l’Égypte, dont les recettes provenant du canal de Suez ont chuté d’au moins 40 %11. Quoi qu’il arrive désormais, il faudra du temps avant que les compagnies maritimes et leurs assureurs ne concluent que la route est redevenue sûre.
L’attitude de l’Iran sera déterminante. Selon un journaliste de la BBC12, le navire iranien qui avait aidé les Houthis à cibler la navigation a quitté la zone deux jours avant les frappes du 12 janvier. Cela pourrait suggérer qu’ils ne voulaient pas être pris dans les frappes américaines. S’il reste à l’écart, cela limitera également les renseignements des Houthis sur les cibles potentielles de représailles. Il n’y a aucune raison de supposer que l’Iran soit plus enclin à chercher la confrontation avec les États-Unis qu’il ne l’était il y a trois mois. On pourrait même plutôt considérer qu’il préfère attendre que son programme d’armement nucléaire produise des résultats avant de se lancer dans une véritable épreuve de force. Téhéran a probablement aussi retenu la leçon sur la manière dont le commerce maritime pourrait être étranglé lors d’une future confrontation — le détroit de Bab el-Mandeb s’ajoutant désormais au détroit d’Ormuz. Pour l’instant, il se réjouit de voir l’agitation monter dans la région.
Mais l’attitude de Téhéran influencera la réponse des Houthis. Il est probable que ces derniers chercheront à agir. Tout dépendra de s’ils souhaitent montrer qu’ils ne sont pas intimidés ou s’ils sont déterminés à poursuivre leur campagne anti-navires, voire à riposter d’une autre manière. Ces échanges ne doivent pas nécessairement conduire à une escalade massive. Souvenons-nous : lorsque le général Qasem Soleimani, commandant de la force Qods, a été assassiné sur ordre de Donald Trump en réponse aux attaques des milices soutenues par l’Iran contre les forces américaines en Irak, des représailles avaient été promises. Le 8 janvier 2020, les forces iraniennes avaient lancé des missiles balistiques sur une base aérienne en Irak où se trouvait du personnel américain. Dans un premier temps, aucune victime américaine n’avait été signalée, mais il s’était avéré par la suite que certains avaient été blessés. Du point de vue iranien, l’honneur était sauf. Et les États-Unis n’avaient pas besoin d’aller plus loin. Dans la séquence actuelle, le président Biden a lié toute nouvelle action américaine au fait que les Houthis continuent ou non d’attaquer les navires — « nous veillerons à répondre aux Houthis s’ils poursuivent ce comportement scandaleux ».
Mais il serait embarrassant pour les États-Unis que les attaques contre les navires reprennent et s’intensifient. Les frappes du 12 janvier ont été coûteuses — les missiles de défense aérienne de la marine étant beaucoup plus chers que les drones des Houthis. Néanmoins, les systèmes de ces derniers, y compris la collecte de renseignements, ont été dégradés et ils pourraient avoir du mal à se réorganiser en vue d’une frappe efficace. Une tentative a eu lieu le jour de l’opération, mais la cible s’est avérée être un navire transportant du pétrole russe. Le missile a manqué sa cible. Trois petites embarcations étaient présentes pour assurer le suivi, mais elles ont quitté les lieux. Il ne sera pas utile aux Houthis de poursuivre la campagne si elle continue à échouer. Cela est plus probable à court terme, alors que les forces américaines et britanniques seront en état d’alerte et que de nombreuses cibles potentielles se font rares en évitant la mer Rouge. Il convient également de noter que très peu de navires réellement liés à Israël sont sur place pour être attaqués.
Mais tant que les Houthis sont capables de reprendre leur campagne, un problème plus large pourrait être de persuader la navigation commerciale d’emprunter à nouveau la route de la mer Rouge. Le moyen le plus évident de réduire les risques serait d’obtenir un cessez-le-feu à Gaza. Mais si les gouvernements occidentaux cherchent des moyens de mettre un terme à la guerre — même s’il semble impossible de l’arrêter complètement —, c’est surtout parce qu’ils sont exaspérés par les politiques du gouvernement israélien et alarmés par le risque croissant de maladie et de famine à Gaza, et non en raison de problèmes de transport maritime.
La région est très instable et il existe d’autres points chauds. Nous vivons une période inquiétante. Mais les frappes du 12 janvier ne sont pas susceptibles, en soi, d’entraîner une escalade majeure. Nous ne vivons pas le début d’une nouvelle intervention occidentale d’envergure dans un pays du Moyen-Orient. Les objectifs des frappes étaient limités et visaient à faire valoir la liberté de navigation. Aucune force terrestre n’est employée et il n’y a — pour l’instant — pas d’intention de chasser les Houthis de leur position au Yémen.
Sources
- Wyre Davies, « ‘I cannot sleep in peace’ – Israelis fearful as Hezbollah tensions soar », BBC, 9 janvier 2024.
- Steven Erlanger, David E. Sanger, Farnaz Fassihi et Ronen Bergman, « The Regional War No One Wanted Is Here. How Wide Will It Get ? », The New York Times, 12 janvier 2024.
- Pour une excellente présentation des Houthis, voir : Elisabeth Kendall, « The Houthis’ forgotten war goes global », Engelsberg Ideas, 11 janvier 2024.
- « Houthis have fired 430 missiles, 851 drones at Saudi Arabia since 2015 – Saudi-led coalition », Reuters, 26 décembre 2021.
- « The Houthis have survived worse than America’s and Britain’s strikes », The Economist, 12 janvier 2024.
- Phil Stewart, David Latona et Angelo Amante, « US allies reluctant on Red Sea task force », Reuters, 28 décembre 2023.
- Alexander Cornwell et Pesha Magid, « Riyadh reluctant to derail Iran detente over U.S. Red Sea taskforce », Reuters, 20 décembre 2023.
- Publication sur X (Twitter) du U.S. Central Command, 31 décembre 2023.
- David Gritten, « US and UK hint at military action after largest Houthi attack in Red Sea », BBC, 11 janvier 2024.
- Pour un état des lieux, voir : Fabian Hinz, « Houthi anti-ship missile systems : getting better all the time », International Institute for Strategic Studies (IISS), 8 janvier 2024.
- « Egypt’s Suez Canal revenues down 40 % due to Houthi attacks », Reuters, 12 janvier 2024.
- Publication sur X (Twitter) de Mark Urban, 12 janvier 2024.