La dispute territoriale portée dans les urnes ce dimanche remonte au XIXème siècle, lorsque le Royaume-Uni a profité de l’instabilité politique du Venezuela pour étendre sa colonie sur le plateau des Guyanes, au détriment du Venezuela, qui considère depuis que la région lui revient.

  • Caracas, en infériorité militaire face à l’Empire britannique, a fait appel aux États-Unis pour arbitrer le différend en 1897. Deux ans plus tard, le tribunal d’arbitrage rend sa décision en faveur du Royaume-Uni.
  • Le différend ne reprend qu’en 1966 avec la signature de l’accord de Genève, à l’approche de l’accession à l’indépendance du Guyana. Celui-ci rouvre les négociations sur la frontière alors que le Venezuela considérait nulle la décision de 1899. Il est toutefois accepté par Georgetown car il permettait une reconnaissance de son indépendance par son voisin hispanophone.

En 2015, de larges réserves de pétrole sont découvertes dans la zone maritime de l’Essequibo, renforçant l’intérêt de la revendication vénézuélienne. Cette découverte s’est traduite par une augmentation spectaculaire du PIB du Guyana : après 62 % en 2022, la croissance du pays pourrait atteindre 38 % en 2023.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie a réhabilité Maduro sur la scène internationale, dans une logique de substitution du pétrole russe par les pays occidentaux.

  • La Russie et la Chine restent des alliés du régime de Caracas, tandis que les relations avec le Brésil ont repris depuis le retour de Lula.
  • Certaines sanctions américaines sur le Venezuela ont été levées le 18 octobre 2023 suite à un accord qui devrait conduire à la prise de mesures concrètes en faveur d’élections plus démocratiques1.
  • Les sondages ne sont pas favorables à Maduro, qui souhaite tout faire pour empêcher la figure de l’opposition Maria Corina Machado de se présenter aux élections de 2024.

Dans ce contexte, le différend a été ravivé récemment par Caracas qui organise un référendum aujourd’hui, dimanche 3 décembre, posant les questions suivantes2  : 

  1. Acceptez-vous de rejeter, par tous les moyens, conformément à la loi, la ligne frauduleusement imposée par la sentence arbitrale de 1899, qui vise à nous déposséder de notre Guayana Esequiba ?
  2. Soutenez-vous l’accord de Genève de 1966 comme étant le seul instrument juridique valable pour parvenir à une solution pratique et satisfaisante pour le Venezuela et le Guyana dans le cadre du différend sur le territoire de la Guayana Esequiba ?
  3. Êtes-vous d’accord avec la position historique du Venezuela qui ne reconnaît pas la compétence de la Cour Internationale de Justice pour résoudre le différend territorial concernant la Guayana Esequiba ?
  4. Êtes-vous d’accord pour vous opposer, par tous les moyens, dans le respect du droit, à la prétention du Guyana de disposer unilatéralement d’une mer non délimitée, illégalement et en violation du droit international ?
  5. Êtes-vous d’accord avec la création de l’État de la Guayana Esequiba et avec l’élaboration d’un plan accéléré de prise en charge globale de la population actuelle et future de ce territoire, y compris, entre autres, l’octroi de la citoyenneté vénézuélienne et de cartes d’identité, conformément à l’accord de Genève et au droit international, incorporant ainsi cet État dans la carte du territoire vénézuélien ?

Le caractère particulièrement offensif des questions posées ainsi que les déclarations publiques et mouvements de troupes laissent peu de doutes sur les intentions de Maduro. Face à la montée des tensions, le Brésil a tenté d’apaiser les tensions en envoyant le conseiller de Lula Celso Amorim à Caracas le 23 novembre pour rencontrer Maduro, puis en recevant des délégations des deux parties à Brasilia.

  • Ces tensions ont conduit le gouvernement brésilien à renforcer militairement la frontière nord, en particulier l’État du Roraima, porte d’entrée des réfugiés vénézuéliens se rendant au Brésil.
  • Vendredi 1er décembre, la Cour Internationale de Justice a appelé le Venezuela à « s’abstenir d’entreprendre toute action qui modifierait la situation prévalant dans le territoire en litige »3.

Il est probable que le oui l’emporte au référendum, tant cette question est structurante dans la société vénézuélienne. Le Venezuela lancera-t-il donc une offensive sur le Guyana dans les prochains jours  ? Le rapport de force entre les deux pays est très largement inégal  : le Venezuela dispose d’une force d’1,7 million d’hommes (bien que 90 % de cette force soit composée de paramilitaires), de chars d’assaut, d’avions de chasse et d’hélicoptères, tandis que le Guyana dispose d’environ 3 000 personnels d’active démuni d’équipement lourds comparables.

Sources
  1. Matt Spetalnick et Marianna Parraga, « US broadly eases Venezuela oil sanctions after election deal  », Reuters, 19 octobre 2023
  2. Site de l’Assemblée Nationale du Venezuela, CNE aprueba por unanimidad cinco preguntas para referendo consultivo, 23 octobre 2023.
  3. Arbitral Award of 3 October 1899 (Guyana v. Venezuela), 1er décembre 2023.