Le 21 novembre, le ministre hongrois de la Défense Kristóf Szalay-Bobrovniczky annonçait le déploiement d’un contingent militaire de 200 hommes au Tchad à partir du printemps 2024, à l’occasion d’une rencontre avec son homologue tchadien à Budapest.

  • Cette opération — répondant officiellement à l’appel du président tchadien — aura trois objectifs : freiner les flux migratoires, aider le Tchad à lutter contre le terrorisme et assister économiquement le pays par le biais du programme « Hungary Helps ».
  • L’objectif de lutte contre l’immigration illégale apparaît prioritaire. Dans un communiqué datant du 18 octobre, le ministère de la Défense considère que « la politique pro-immigration de Bruxelles a causé de graves problèmes à l’Europe, la masse de migrants menaçant l’Europe de risques sécuritaires et de terrorisme »1.
  • En plus des militaires, des médecins, des conseillers économiques et des agronomes seront envoyés à N’Djamena.

Le déploiement intervient dans un contexte de montée en puissance de l’armée hongroise, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de ses frontières. Budapest cherche également à apparaître crédible aux yeux de ses partenaires occidentaux et à développer sa stratégie à destination de l’Afrique subsaharienne.

  • Le 7 novembre, Budapest a réalisé un exercice militaire de grande ampleur en partenariat avec l’OTAN : « Adaptive Hussars 2023 ». Présenté par les autorités comme inédit depuis trente ans, celui-ci visait à tester l’interopérabilité de l’administration du pays et des forces de défense hongroises. L’opération a été précédée par une vague d’annonces de la part du ministère de la Défense allant dans le sens d’une montée en puissance des forces armées : achat de matériel militaire, relocalisation des industries de défense, revalorisation de la solde des militaires, etc.
  • Entre 2021 et 2022, la Hongrie a assumé le commandement de la Force pour le Kosovo (KFOR) et occupait jusqu’en novembre le poste de commandant adjoint de la force. À partir de janvier 2024, la Hongrie prendra par ailleurs le commandement de l’opération de l’Union européenne en Bosnie-Herzégovine, la mission EUFOR ALTHEA, pour une durée d’un an.

L’annonce de l’envoi d’un contingent hongrois au Sahel survient dans une période marquée par la multiplication récente des coups d’État dans la région.

  • Le 26 octobre, le ministre de la Défense hongrois estimait que le Tchad était l’un des derniers pays stables du Sahel aux côtés de la Mauritanie. N’Djamena aurait ainsi « un rôle clef à jouer pour freiner les migrations en provenance d’Afrique. Si le Tchad devient instable, la barrière migratoire vers l’Europe pourrait être complètement brisée »2.
  • L’envoi de troupes en Afrique n’est pas une première pour Budapest. La Hongrie a précédemment participé à l’opération française Barkhane et des militaires hongrois participent à la mission de formation de l’Union au Mali depuis 2013.
  • En 2006, l’armée hongroise a été déployée dans le cadre de l’équipe de reconstruction provinciale (PRT) dans la province de Baghlan, au nord de l’Afghanistan. Ce déploiement répondait alors à une volonté d’apparaître aux yeux de l’Otan et des Américains comme un membre crédible de l’organisation, Budapest étant régulièrement critiquée en raison de ses faibles dépenses en matière de défense.

La nécessité d’agir directement sur le terrain semble être une conviction partagée par les dirigeants politiques et militaires hongrois, persuadés que les problèmes de sécurité doivent être traités dans les pays d’origine, en mettant l’accent sur la prévention.

  • Kristóf Szalay-Bobrovniczky a déclaré être favorable à un traitement des flux migratoires dans les pays d’origine et de transit, plutôt qu’à leur gestion en Europe : « la Hongrie a toujours été favorable à la résolution des problèmes là où ils surviennent, plutôt qu’à leur transfert en Europe, en Hongrie »3.
  • La position politique supposément avantageuse dans laquelle se trouve la Hongrie — notamment vis-à-vis de la France et son histoire coloniale — lui offrirait ainsi la possibilité d’élaborer une stratégie globale à destination du Sahel, où Budapest serait amenée à jouer un rôle de premier plan.

Les premiers éléments hongrois devraient arriver au plus tard le 31 décembre, pour un mandat courant jusqu’à fin 20254. L’organisation gouvernementale Hungary Helps, déjà présente dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, ouvrira quant à elle un bureau permanent à N’Djamena pour coordonner l’action gouvernementale dans le domaine de l’assistance aux populations et du développement.

L’annonce a déclenché des réactions contrastées chez les partis d’opposition en Hongrie.

  • Le parti conservateur Jobbik a soutenu la décision. Outre la lutte contre l’immigration et le terrorisme, le parti souligne l’opportunité de contrer « la montée politique et économique de la Russie dans divers pays d’Afrique, qui devient de plus en plus significative grâce aux anciennes formations comme Wagner et à d’autres organisations militaires russes ». Selon Jobbik, la présence russe en Afrique est susceptible d’accentuer la pression migratoire.
  • Tamás Harangozó, chef adjoint du parti du parti socialiste hongrois (MSZP), a déclaré : « L’implication de soldats hongrois au Tchad soulève de sérieuses questions. L’autorisation demandée est complètement différente des initiatives des trente dernières années, puisque cette fois les soldats hongrois ne s’engageraient pas dans une opération militaire dans le cadre d’une coalition internationale, […] on ne sait pas exactement quels objectifs l’opération servirait dans la région du Sahel ».
  • Le LMP — le parti vert hongrois — considère quant à lui que « la mission militaire est une condition nécessaire mais non suffisante pour que les activités humanitaires de développement soient plus efficaces ». Cette position n’est pas partagée par le Parti du dialogue pour la Hongrie, un parti écologiste de centre-gauche issu d’une scission avec le LMP.
  • Előd Novák, vice-président du parti d’extrême-droite « Mouvement Notre patrie », a exprimé un avis mitigé sur la décision, regrettant le soutien au « dictateur tchadien soutenu par Israël [qui] interdit les élections et tire sur les manifestants », ainsi que le manque de transparence sur le coût de l’opération.

De manière générale, l’opération hongroise — en tant que déploiement bilatéral engageant des moyens militaires au sol et dont la lutte contre l’immigration est explicitement fixée comme une priorité — apparaît relativement unique, bien que la mobilisation de l’armée à des fins de gestion de l’immigration ne soit pas une nouveauté à l’échelle européenne.

  • En mars 2020, le Conseil a lancé l’opération militaire IRINI en remplacement de l’opération Sophia (2015-2020). En plus de faire respecter l’embargo sur les armes institué par la résolution 1970 (2011) du Conseil de sécurité, l’objectif est le démantèlement du modèle économique des réseaux de trafic de migrants et de traite des êtres humains par l’organisation de patrouilles aériennes et navales en Méditerranée.
  • Le Conseil a annoncé en mars dernier la prorogation du mandat de l’opération IRINI jusqu’en 20255.