La « fermeture » imminente du gouvernement fédéral américain, ou shutdown, résulte d’une opposition entre la majorité modérée du Parti républicain de la Chambre des représentants, menée par le speaker Kevin McCarthy, et l’aile droite du GOP. Ce petit groupe, fort de seulement 10 élus, est le principal responsable de l’impasse dans laquelle se trouve le Congrès1.

Malgré le vote par la Chambre de trois lois de dépense jeudi 28 dans la soirée, amenant le total à 4 — sur un total de 12 que le Congrès doit passer chaque année —, il n’y a virtuellement aucune chance que les États-Unis évitent le shutdown à minuit samedi2.

  • Les textes prévoient un niveau de financement largement inférieur à ce que le Sénat, à majorité démocrate, et la Maison-Blanche seraient prêts à accepter, ainsi que plusieurs amendements relatifs aux culture wars chers aux conservateurs républicains.
  • Le projet de loi de financement bipartisan provisoire en élaboration par le chef de la majorité démocrate du Sénat, Chuck Schumer, n’a quant à lui aucune chance d’être approuvé à la Chambre car il comprend 6,15 milliards de dollars d’assistance à l’Ukraine (soit bien moins que les 24 milliards demandés par Biden)3.
  • Si un accord bipartisan à la Chambre entre McCarthy et le camp démocrate lui offrirait une majorité suffisante, le speaker républicain risquerait d’être démis de son poste durement acquis — une manœuvre déjà en discussion4.

Lors d’un shutdown, les agences fédérales appliquent un « plan d’urgence » visant à mettre en pause les activités considérées non-essentielles. Cela signifie que des millions d’employés fédéraux pourraient être mis en congé forcé (furloughed) et ne pas recevoir de salaires (payés sur une base bimensuelle) tandis que certains, notamment les militaires en service actif, continueront à travailler sans paye.

  • Selon les estimations de l’Office of Management and Budget de la Maison-Blanche, les États-Unis comptent 4,34 millions d’employés fédéraux, toutes branches confondues5.
  • L’armée concentre la part la plus importante de ces employés fédéraux (uniformed services) avec 1,277 million de militaires au 31 juillet. S’ils continueront de travailler, les personnels civils non-essentiels du département de la Défense seront quant à eux temporairement congédiés6.
  • Selon le porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la Maison-Blanche John Kirby, un shutdown prolongé nuirait à la sécurité des États-Unis et retarderait la gestion des contrats du Pentagone7.

Les shutdowns d’une durée supérieure à deux semaines ont un impact majeur sur la vie des employés fédéraux. Bien que leur salaire annuel soit largement supérieur au salaire médian américain, le dernier sondage réalisé par PYMNTS Intelligence indique que 44,7 % des consommateurs dont le salaire est supérieur à 100 000 $ — soit le salaire moyen perçu par un employé fédéral — vivent « paycheck to paycheck », dépendant de leur paye pour assurer leurs besoins et payer leurs factures8.

D’importants programmes et agences fédérales seront, eux aussi, directement impactés par un shutdown.

  • L’Agence de protection de l’environnement américaine (EPA) ne sera plus en mesure d’inspecter les usines chimiques ou de lutter contre la pollution illégale.
  • Des programmes alimentaire comme le WIC (Women, Infants, and Children), qui vient en aide à 7 millions de femmes enceintes, de mères et d’enfants, ou le SNAP (Supplemental Nutrition Assistance Program), qui bénéficie à 40 millions d’Américains, seraient impactés par un shutdown prolongé9.
  • En détériorant les conditions de travail des employés de l’Internal Revenue Service (IRS) et du Département de l’Énergie, l’agenda climatique de l’administration Biden sera lui aussi impacté par une fermeture du gouvernement fédéral, ce qui aurait des conséquences directes sur les objectifs américains en matière de transition énergétique10.

Tous les shutdowns des 30 dernières années ont eu lieu lorsque la Chambre était contrôlée par le Parti républicain. Depuis « l’invention » juridique des shutdowns au début des années 1980 — auparavant les agences gouvernementales continuaient de fonctionner malgré un déficit de financement —, seulement un a eu lieu lorsque le Parti démocrate contrôlait le Congrès, tandis que quatre fermetures du gouvernement ont eu lieu lorsque le GOP disposait d’une majorité dans les deux chambres.

Lors des deux shutdowns consécutifs de novembre 1995 à janvier 1996, le speaker républicain Newt Gingrich avait cherché à faire plier Bill Clinton sur des questions de dépenses, tandis que le GOP avait repris le contrôle de la Chambre pour la première fois depuis 40 ans.

  • Après presque 4 semaines, c’est finalement Gingrich qui avait cédé. En 2013, un scénario similaire s’était produit après 16 jours de déficit de financement.
  • Si la configuration est différente aujourd’hui — alors que certains parlent d’un « premier shutdown pour rien » —, il est très probable que le Parti républicain soit désigné comme principal responsable : d’une part car ce sont effectivement des élus du GOP qui en sont à l’origine, mais également car Biden a fait le choix de ne pas intervenir publiquement.
  • Les sondages de l’époque indiquaient que les électeurs républicains considéraient leurs élus comme étant les principaux responsables. Après le shutdown appelé par Trump en 2018, 47 % des Américains lui attribuaient la fermeture du gouvernement (ce qu’il reconnaissait lui-même), pour aucun gain politique.
  • Le shutdown qui se profile dimanche sera certainement perçu d’une manière similaire par les électeurs américains. Dans ce cas de figure, c’est McCarthy et le Parti républicain qui en paieront le prix.
Sources
  1. Robert Jimison et Catie Edmondson, « The Republicans Driving Congress Toward a Shutdown », The New York Times, 27 septembre 2023.
  2. Katy Stech Ferek, Siobhan Hughes, Lindsay Wise et Kristina Peterson, « Kevin McCarthy Wins Three, Loses One in Late-Night Spending Votes », The Wall Street Journal, 29 septembre 2023.
  3. David Lerman, « Bipartisan stopgap funds bill unveiled in Senate », Roll Call, 26 septembre 2023.
  4. Leigh Ann Caldwell et Marianna Sotomayor, « Hard-liners plot to replace McCarthy with a deputy as shutdown looms », The Washington Post, 28 septembre 2023.
  5. Analytical Perspectives, Budget of the U.S. government, fiscal year 2023, Office of management and budget, 28 mars 2022.
  6. Contingency Plan GuidanceFor Continuation Of Essential Operations In The Absence Of Available Appropriations, August 2023, U.S. Department of Defense.
  7. Rachel Treisman, « What a government shutdown would mean for the U.S. military — and national security », NPR, 27 septembre 2023.
  8. New Reality Check : The Paycheck-to-paycheck Report, PYMNTS Intelligence / LendingClub, septembre 2023.
  9. Laura Reiley, « In a government shutdown, here are the nutrition programs affected », The Washington Post, 27 septembre 2023.
  10. Emily Pontecorvo et Matthew Zeitlin, « Where a Government Shutdown Could Really Hurt Biden’s Climate Agenda », Heatmap News, 27 septembre 2023.