Depuis le putsch du 26 juillet dernier, le Sahel est plongé dans un interrègne. Pour en saisir le grand contexte, nous avons essayé, tout au long de l’été, de fournir des clefs d’interprétation — à retrouver dans notre dossier « Le Niger en crise ». On peut y lire notamment le dernier grand entretien accordé par le président Mohamed Bazoum, séquestré par la junte.
Un dicton dit : « Pauvre Mexique, si loin de Dieu et si proche des États-Unis ». Les États-Unis ont annexé une bonne partie du nord du Mexique et ont longtemps pratiqué des incursions chez leur voisin au sud du Rio Grande. On pourrait transposer cette maxime à la proximité du Nigéria avec le Niger, quinze fois moins peuplé que son riche partenaire qui a en plus accès à la mer. En dépit du rapport démographique et de l’inégalité des effectifs militaires, le front de la CEDEAO en faveur d’une intervention militaire contre le nouveau régime installé au Niger se délite. L’organisation et surtout sa bureaucratie dénient la réalité de la fin du simulacre d’élections truquées. Les États membres ont pris conscience que la violence militaire contre un autre pays serait inacceptable pour leurs propres peuples. Le jusqu’auboutisme d’Ouattara lui-même paraît déjà un peu excessif. Seul demeure plausible l’usage de la force par le Nigéria et son satellite béninois restant en mesure de bloquer le pipeline pétrolier du Niger dont le terminal est à Cotonou. Il n’y a qu’à se pencher sur une carte : la partie économiquement intégrée du Niger regarde vers le Nigéria, dont l’armature urbaine est dense, animée par un réseau à la fois séculaire et modernisé de commerçants transfrontaliers.
Mais aux bienfaits du doux commerce, le Président Tinubu semble préférer une offensive guerrière dès les premiers jours de la crise. Quand la junte n’était pas accompagnée d’un gouvernement et soutenue par la foule, la fenêtre d’un coup de force nigérian couvert par la CEDEAO était ouverte. Le sang froid de l’Italie et de l’Allemagne comme le réalisme américain ont réduit les marges de soutien technique, politique, financier et logistique aux représailles de la CEDEAO. Cette dernière continue cependant d’agiter cette menace qui, sous l’angle nigérian, n’est pas impensable.
À la manœuvre pour cette option, le président nigérian récemment élu entend redorer le blason de la CEDEAO et marquer un point d’arrêt à la révolution kaki au Sahel. On le présente de plus comme un citoyen militant de la démocratie — ce qui est à son honneur — mais cette passion ne suffit pas à expliquer son acharnement contre le basculement à Niamey. Il y a donc d’autres facteurs qui déterminent l’investissement personnel de Tinubu dans le choix de la force et, au-delà, l’influence déterminante qu’a acquis le Nigéria dans les enjeux du Niger.
Son prédécesseur, Buhari, avait très vite compris l’impact de la contrebande transfrontalière et souhaitait mettre en place des patrouilles communes associant Bénin, Niger et Nigéria. La mauvaise volonté des deux voisins francophones et membres de l’UEMOA l’avait irrité au point d’avoir sporadiquement fermé la frontière vitale entre le Bénin et son pays — alors que Cotonou, à court terme, fera métropole spontanée avec Lagos. La fin de Kadhafi a dopé la montée du Nigéria comme courroie d’entraînement du Niger tout en lui faisant considérer la percée en profondeur vers le Sahara que l’espace nigérien permet. Buhari est un général stratège qui estimait que la bataille contre Boko Haram se déroulerait autour du lac Tchad. Il a donc de larges perspectives dans lesquelles se nichent les démarches plus prosaïques comme celles du président Tinubu, dit le Parrain 1, et également largement entouré de ministres dévoués 2 et d’avides cronies 3. Le seul soutien extérieur explicite à Tinubu dans ses proclamations martiales reste donc Catherine Colonna, qui l’avait d’ailleurs reçu quelques jours avant le putsch contre de Bazoum lors du Sommet sur la finance internationale organisé à Paris.
Si le président Tinubu a de bonnes raisons de vouloir rétablir Mohamed Bazoum dans ses fonctions, on comprend mal ce que gagnerait la France à entériner de jure la subordination du Niger par son très puissant voisin. Le PNDS mérite-t-il l’absorption complète de Niamey dans l’orbite d’Abuja et à terme la fin de l’UEMOA, une des dernières instances de présence française au Sahel ? Le Nigéria qu’a connu le président Macron lorsqu’il y était stagiaire sous le commandement de l’ambassadeur Jean-Marc Simon a considérablement évolué. Sans percée française en matière de coopération militaire, le rayonnement culturel de Paris est insignifiant par rapport à la prolifération des grands auteurs nigérians à Londres, et l’indigénisation du pétrole fait oublier les temps d’Elf Afrique et de sa gloire. La caution donnée à Tinubu d’envahir son voisin et client serait pire qu’une trahison, ce serait un renoncement sans gloire — comme à Fachoda. Et il ne s’agit pas seulement d’un orgueil tricolore mais aussi des questions décisives ouvertes pour l’Union qui découlent de la situation en Libye : le Niger est à présent le couloir de passage majeur vers la Méditerranée, la zone de refuge pour les Nigérians en butte à la guerre dans leur pays et le camp de rapatriement et de rétention que l’OMI 4 veut fabriquer dans cet État fragile.
Le grand frère nigérian, un allié électoral
Au moment de la campagne précédant les élections qui devaient porter Bazoum à la présidence du Niger, Africa Intelligence faisait une fort éclairante présentation de son contributeur et supporter nigérian Dahiru Mangal 5. Celui-ci, puissant homme d’affaires de Kano au Nigéria n’a pas lésiné sur l’argent distribué au Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS) 6 de Mohamed Bazoum. Ce dernier avait bien besoin de ce poids lourd économique et politique étranger car il ne sortait du premier tour qu’avec 39 % des voix. Ni Niamey, ni le Nord du pays n’avaient voté pour lui. Africa Intelligence rappelait que c’était là un gros effort pour Alhaji Dahiru Mangal, tout juste sorti de l’hôpital de sa région d’origine — l’État nigérian de Katsina où il vit le jour en 1957, d’où est également natif Muhammadu Buhari — et qui n’aime pas du tout la publicité. Buhari est une figure de l’histoire du Nigéria, ministre du pétrole très jeune, auteur d’un coup d’État en 1984 qui avait pour slogan « War Against Indiscipline ». À cette occasion, renversant le premier président élu du Nigéria, Buhari mettait fin aux affaires d’Airbus et de la Société Générale à Lagos. Buhari vient de laisser la présidence du Nigéria à un féal sudiste de son parti APC, Bola Tinubu — répétant ainsi la transmission organisée entre Issoufou et Bazoum. La continuité entretenue du legs politique rapproche les deux systèmes politiques nigérian et nigérien malgré leurs matrices originelles initiales très différentes. D’un côté, l’Indépendance réunit trois entités très hétéronomes avec chacune une histoire très spécifique et qui commence par le drame biafrais. De l’autre, selon le modèle français, le Niger est très centralisé malgré l’aventure particulière de l’uranium d’Arlit au Nord.
L’immixtion de l’économique et du sociologique dans ces trajectoires politiques similaires interrogent de surcroît. Ainsi, Alhaji Dahiru Mangal, le riche homme d’affaires, n’est pas, en dépit de son État d’origine, un proche de Buhari qui appartient à l’élite Peulh éduquée et assimilée dans les sphères nationales du pouvoir nigérian. Dahiru Mangal est davantage de l’étoffe de ceux qui jouent des complémentarités et des distorsions transfrontalières des marchés de deux pays limitrophes. Le président Issoufou lui a permis de se ravitailler en produits pétroliers issus de la raffinerie de Zinder à prix cassés. « Grâce à cette dernière, le magnat approvisionne depuis une décennie les États du nord du Nigéria via sa firme de trading Persoil » 7. Il a aussi obtenu, dès 2011, de nombreux blocs d’exploration au Niger (Mandaram, Dibella 1, Dibella 2 et Dallol) par le truchement des sociétés Labana et Advantica. Tout cela se passait avec Issoufou et son fils sans que personne, y compris parmi les chercheurs francophones les plus pointus, n’y trouve à redire en matière de gouvernance et de risques politiques potentiels.
La convergence des pétro-démocraties
Pourtant, dans une thèse importante 8, Peter Schmidt a mis au jour les habits démocratiques dont le PNDS avait su revêtir le pillage du pétrole par le pouvoir. Le refus obstiné à ce que le président Tanja ne fasse un troisième mandat n’avait pas pour seule raison le respect de la constitution. Il ne fallait surtout pas laisser le MNSD, rival du PNDS, profiter de la rente pétrolière qui commençait à changer la physionomie économique et territoriale du Niger. Ainsi, la raffinerie de Zinder a été construite par les Chinois déportant dans l’ancienne zone arachidière à l’abandon un pôle d’extractivisme. Avec Issoufou, la pétro-démocratie à la nigérienne, sachant consacrer un peu d’argent à lutter contre le terrorisme, gagnait de plus ses lettres de noblesse auprès de Paris où l’on rêve de voir le Sahel démocratique cesser de peser sur le budget de la défense nationale. De plus, s’il n’y eut pas de troisième mandat pour Issoufou, il a reçu le prix Mo Ibrahim, doté par une fondation dont la responsable est une ancienne haute fonctionnaire française très au fait du Niger 9. D’ailleurs, Ali Lamine Zeine, Premier ministre nommé par la junte au Niger, l’a connue lorsqu’elle était un personnage influent du Quai d’Orsay. Le monde franco-africain est finalement petit.
Avec la valorisation nationale du brut nigérien, des hommes comme Dahiru Mangal ont pu approvisionner en essence et en butane la partie du Nigéria que hante Boko Haram et que les raffineurs nationaux oublient. De même, ces entrepreneurs du Nord du Nigéria ne peuvent pas accéder aux champs de production de leur propre pays et servent de rabatteurs pour ceux intéressés par les gisements du Niger mais encore jugés risqués. Mangal n’est sans doute que le paravent d’intérêts financiers qui le dépassent et qui sont reliés eux-mêmes à l’Arabie saoudite. À travers lui, ils ont fait coup double, contrôlant Issoufou au Niger et Tinubu au Nigéria. Ainsi Mangal a notamment prêté plusieurs centaines de millions de dollars au fondateur de la société pétrolière de Lagos, Oando, Adewale Tinubu, en vue de racheter, en 2012, ConocoPhillips au Nigeria (1,5 milliard de dollars) 10. Adewale est le neveu de l’ancien gouverneur de Lagos Bola Tinubu, homme fort du parti de Buhari, l’All Progressives Congress (APC), depuis devenu président du Nigéria. Bola Tinubu, actuellement à la tête de la CEDEAO, est acharné à ce que Bazoum ne livre pas les dossiers qu’il détient et qui impliquent le créancier de son frère. Il s’est constitué avec Issoufou un réseau politique et d’affaires entre Abuja et Niamey qu’il est malaisé de défaire.
La collusion des rentiers
Le coup d’État est venu déstabiliser une mécanique complexe d’échanges de rentes, de partage de marchés et de facilités entre le Niger et ceux que l’on nomme au Nigéria les « Tycoons ». Même s’ils sont méprisés de l’élite politique et militaire, ils sont présents localement et souvent fort utiles pour apporter les solutions que l’État ne sait ou ne veut fournir. « Grâce à Max Air, (la compagnie aérienne de Mangal) des centaines de Nigérians coincés en Libye après la chute de Mouammar Kadhafi ont été rapatriés en 2017. » Le milliardaire nigérian a fondé en 2008 Max Air, l’une des compagnies d’aviation civile parmi les plus rentables de son pays d’au moins 200 millions d’habitants.
Le trafic aérien domestique a connu un boom à mesure que la dangerosité des routes entre les États fédérés s’accroissait ces vingt dernières années (delta du Niger, Nord-Est — berceau de Boko Haram — et Nord-Ouest via son hub de Kano, au nord du pays). De plus, s’il n’a pas le monopole des vols du Nigeria vers l’Arabie saoudite en période de hadj, le marché du Niger est très rentable étant donné que Max Air est la seule compagnie à proposer des vols directs vers la Mecque. L’émir de Kano de l’époque, Sanusi Lamido Sanusi, ancien gouverneur de la Central Bank of Nigeria, n’a guère d’autre choix que d’aider le patron d’une compagnie aérienne qui transporte les pèlerins. Il est d’ailleurs en ce moment à Paris pour convaincre le président Macron de ne pas inutilement attirer l’attention sur la connexion entre Bazoum, le locataire de la State House à Abuja, et des réseaux d’affairistes dont les fonds restent volontairement obscurs.
De plus, Bazoum, avec l’aide de Dominique Strauss-Khan, était en train de démêler l’écheveau de la dette publique du Niger où les commerçants locaux ont été remplacés par des créanciers internationaux amenés souvent par les intermédiaires transnationaux de Kano, de Lagos et de Kaduna. Si Buhari a une vision plus large de la relation entre les deux pays si proches, cette dernière coûte cependant chère en emprunts. La ligne de chemin de fer qui va relier Maradi (Niger) à Kano (Nigéria) compte pour près de 2 milliards de dollars qui sont à la charge de l’État central du Nigéria. Buhari et Issoufou ont un point commun supplémentaire, ils abandonnent le pouvoir en laissant un service de la dette insoutenable à leurs successeurs. Le montage de ces projets a permis l’enrichissement de Nigérians qui en rétrocèdent une part aux Nigériens. La justification de cette collaboration entre les deux pays serait de briser l’enclavement du Niger pour faciliter ses exportations et ses importations autrement que par le verrou de Cotonou au Bénin. Cela immergerait un peu plus l’économie du Niger dans celle de la première puissance économique du continent africain. Ainsi grâce au chemin de fer, Lagos deviendrait la première porte d’entrée et de sortie des marchandises du Niger.
La confusion des peuples
Certains Nigérians ne sont pas convaincus par ce schéma logistique et s’inquiètent plutôt de l’établissement en cours d’une aire religieuse et ethnique autour des Haoussas, principale composante de la population dans l’Est du Niger et dans le Nord du Nigéria. La collusion entre les partis est aussi dénoncée. Lors des élections nigérianes de 2019, deux gouverneurs nigériens, Zakiri Umar de Maradi et Issa Moussa de Zinder, les deux régions sont limitrophes du Nigéria, se sont présentés dans l’État de Kano portant les emblèmes du parti nigérian de Buhari et de Tinubu à présent, le All Progressives Congress (APC). L’APC n’était nullement gêné de cette intrusion extérieure, son chef de campagne, le flamboyant Nuhu Ribadu arguant que le Nigéria ne demande pas de visas à ses frères d’Afrique de l’Ouest. Bien sûr les opposants se sont demandé si les Nigériens ne seraient pas bientôt autorisés à voter dans les États du nord du Nigéria. Le train qui part de Maradi serait fort opportun pour transporter des votants qui n’ont pas toujours d’identité fixe et pour qui les frontières restent des concepts étranges.
A contrario, le Nigéria n’entend pas laisser l’Est du Niger devenir le sas des migrations qui ont un impact négatif dans les principales régions d’origine et de transit des migrants : Agadez, Tahoua et Zinder. La migration est devenu un moyen de capter les ressources des coopérations destinées à freiner les entrées en Europe. L’Union européenne, sans consulter le Nigeria ni la CEDEAO, voudrait faire du Niger un sas et un camp de rétention pour désengorger la Libye. Ainsi le projet de la GIZ « ProGEM », financièrement consolidé — FFU : 25 millions d’euros ; Ministère fédéral de la Coopération économique et du Développement de l’Allemagne : 3,5 millions d’euros —, incite les collectivités territoriales du Niger à analyser, au sein des comités d’observation (« observatoires ») nouvellement créés, avec d’autres partenaires, les effets des migrations sur leur commune pour ensuite approuver des propositions de solutions sous la forme de mesures d’infrastructures attrayantes pour ces communes, réalisées par la suite par la GIZ. À Agadez, le maire a par exemple blâmé les migrants pour le problème structurel des déchets dans la ville. Mais le Niger affaibli et complaisant a fait plus en donnant son accord au Mécanisme d’Évacuation d’Urgence et de Transit (« Emergency Transit Mechanism »), supposée solution pour les personnes sous protection, retenues en Libye, avec des moyens européens.
Cependant, le plus grand nombre des migrants transsahariens est nigérian et son retour au nord du pays préoccupe les gouverneurs des États fédérés. Le Niger est le pays qui reçoit le plus de réfugiés nigérians chassés par Boko Haram ou l’État islamique. L’Union a mis, pour le Nigeria, une pression jugée insupportable à terme sur le Niger en matière de lutte contre les migrations irrégulières. D’autant plus que l’OMI accuse la contrebande transfrontalière qui pourtant existait avant l’Indépendance d’être le facteur du départ des migrants vers l’Europe. Dans un pays qui partage depuis toujours un espace commun avec le Nigéria, une monnaie — la naira et non le FCFA —, les mariages et les marchés, l’Union se focalise sur les migrations toutes devenues irrégulières. En mars 2018, avec Issoufou, a été adoptée la « Stratégie nationale de lutte contre la migration irrégulière ». En octobre 2019 la Politique Nationale des Frontières pour 2019-2035 ainsi que son Plan d’Action ont été adoptés. Ces projets politiques s’orientent surtout sur un volet répressif et sécuritaire en matière de migrations. L’Union ne se rend pas compte que la transformation du Niger en camp de rétention des migrants et en centre d’accueil des refoulés perturbe des populations très pauvres, dont les femmes, qui partent en Mauritanie ou au Nigéria, pour se prostituer ou travailler comme domestiques. Dans le même temps Issoufou et le régime PNDS ont érigé à Niamey tours spectaculaires et palais pour la nouvelle classe somptuaire. Sans que l’Union ne mesure que ce contraste est perçu, connu et suscite un désaveu de l’État central du Niger incapable d’offrir des écoles et des centres de santé aux populations de l’Est. Les efforts allemands au Niger manifestent la prise de conscience de l’importance du choc irréversible causé par la démolition du pays. La France, en s’alignant sur Tinubu, fait l’impasse sur le rôle de contrepoids que jouait Kadhafi au Niger. Il finançait les campagnes électorales mais sans contreparties politiciennes et affairistes. Il a construit des bâtiments, créé une compagnie de distribution d’essence au Niger via Tamoil. À présent, Paris pense peut-être que c’est une bonne affaire de déléguer à Abuja la lutte contre la pauvreté, première source d’immigration.
Faire payer le Niger ?
Cette intrication de questions de géographie humaine et d’intérêts politiques et financiers affiliés à la communauté internationale donne le grand contexte de la volonté de conflit manifestée par le président Tinubu. Le peuple nigérien a bien saisi que les soldats européens et l’armée française étaient destinés au maintien en place d’élites militaires et civiles complices d’un mode extractiviste de l’économie qui appauvrit un peu plus la population, en particulier rurale. La lutte contre les groupes armés ne définit pas d’ennemis clairs derrière le qualificatif de terroriste et ne formule pas de doctrine de combat. L’armée nigérienne n’échappe pas à cette aporie. L’acharnement de la CEDEAO fait semblant d’ignorer que le PNDS laisse un pays incapable d’assumer le service de la dette considérable accumulée par Issoufou avec les Turcs, les Chinois, les Émirats, et tant d’autres.
Le régime nigérian et sa monnaie traversent également une phase difficile avec le paiement des échéances de la dette. En cinq ans de présidence Buhari le cours de change de la Naira est passé de N197 pour 1 dollar en 2015 à N381 à fin décembre 2020. La dette extérieure qui s’élevait à 7.3 milliards de dollars en 2015 pèse à fin décembre 28.5 milliards de dollars soit un accroissement de 21.2 milliards sous la forme d’emprunts extérieurs. Sur la même période, Buhari et son administration ont multiplié par deux la dette intérieure en Nairas. Et cette dette intérieure préalable était le produit de la gestion de trois présidences. Tinubu, à travers les chefs d’États-majors de la CEDEAO, tente de valider une guerre qui à court terme lui vaudrait la patience, voire l’indulgence des créanciers. À moyen terme, l’inconsistance de l’Union européenne, dont la France, menacerait en fait la sécurité du Nigéria. La frontière entre les deux pays est devenue la banlieue d’Abuja et c’est dans ce cadre que, sous le manteau de la CEDEAO, le président Tinubu entend mener une opération spéciale de police. L’histoire récente montre le désastre de telles fuites en avant.
Sources
- https://www.theafricareport.com/268682/nigeria-2023-bola-tinubu-from-taxi-driver-to-president/
- https://businessday.ng/columnist/article/tinubus-ministers-a-bunch-of-deplorable-politicians-and-servile-cronies/
- https://businessday.ng/politics/article/tinubus-cronies-get-easy-pass-as-bow-and-go-tradition-continues/
- https://publications.iom.int/system/files/pdf/iom-niger-four-year-report.pdf
- NIGER/NIGERIA : D’Issoufou à Bazoum, le magnat nigérian Dahiru Mangal reste le faiseur de roi entre Niamey et Kano – 11/01/2021 – Africa Intelligence
- Membre de l’Internationale Socialiste et ardemment soutenu par le PS français en dépit de sa profonde corruption.
- Africa Intelligence du 10/07/12
- Peter Schmidt, Petro-Democracy : Oil, Power and Politics in Niger – eDiss, Universität Göttinge, 2007.
- Nathalie Delapalme est actuellement Directeur Exécutif et membre du Board de la Fondation Mo Ibrahim à Londres. Elle était précédemment Inspecteur général des Finances en poste à Bercy, de 2007 à 2010, ou elle a notamment conduit les chantiers RGPP Action Extérieure de l’État, Aide publique au Développement, et enfin AFD. Auparavant, elle a effectué la première moitié de sa carrière au Sénat, pour l’essentiel à la Commission des Finances (suivi des budgets publics et des comptes de la nation). Elle a par ailleurs été conseillère technique puis directrice adjointe au cabinet de Jacques Godfrain, ministre de la Coopération, de 1995 à 1997, puis conseillère pour l’Afrique et le développement du Ministre des affaires étrangères (Dominique de Villepin, Michel Barnier, Philippe Douste-Blazy), de 2002 a 2007.
- NIGER/NIGERIA : D’Issoufou à Bazoum, le magnat nigérian Dahiru Africa Intelligence Mangal reste le faiseur de roi entre Niamey et Kano – 11/01/2021.