1 — L’état de la démocratie au Guatemala en 2023
Le Guatemala, comme d’autres pays d’Amérique latine, traverse un processus de fatigue du système démocratique, qui se traduit par une symptomatologie multiple allant de la cooptation de l’État par ce qui est appelé le « pacte des corrompus » à l’incapacité totale du gouvernement à atténuer la crise économique et sanitaire. Le résultat est la détérioration des institutions étatiques, dirigées par des personnes qui n’ont ni la capacité ni la formation pour exercer le pouvoir public et qui ont peu de capacité à formuler et à mettre en œuvre des politiques publiques, comme cela a pu se voir pendant la pandémie de Covid 19.
D’autres aspects qui dénotent la fatigue de la démocratie sont liés à l’opacité des dépenses publiques, ainsi qu’à la persécution des leaders politiques de l’opposition, des défenseurs des droits de l’homme, des journalistes et des opérateurs de la justice qui ont participé à la lutte contre la corruption.
De même, cette érosion du système démocratique s’est traduite par de multiples journées de protestations et d’explosions sociales contre les actions des trois derniers gouvernements (Otto Pérez Molina, Jimmy Morales et Alejandro Giammattei). La crise provoquée par la pandémie de Covid 19, l’opacité du système judiciaire, la cooptation de l’Université San Carlos de Guatemala (la seule université publique du pays), entre autres, ont été les arguments des mobilisations qui ont conduit à la criminalisation et aux poursuites pénales des dirigeants de la société civile qui ont participé aux manifestations.
Les différents indices qui mesurent la qualité de la démocratie en Amérique latine placent généralement le Guatemala dans les dernières places, dépassant seulement Cuba, le Venezuela et le Nicaragua.
2 — Caractéristiques du gouvernement Giammattei
Depuis l’arrivée au pouvoir de Jimmy Morales en 2015, un processus de démantèlement des institutions spécialisées dans la lutte contre la corruption qui avaient été mises en place avec le soutien de la communauté internationale a commencé. Cela a été le cas de la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (CICIG) et du Bureau du procureur spécialisé contre l’impunité (FECI). Le commissaire contre l’impunité du pays a été expulsé, ce qui a conduit à la persécution et à l’exil des procureurs anti-corruption, le premier à partir étant Juan Francisco Sandoval, qui était à la tête dudit bureau.
Ces actions ont été poursuivies par le gouvernement d’Alejandro Giammattei lorsqu’il a pris ses fonctions en 2019, élargissant la persécution des opérateurs de la justice. Des juges, des procureurs et des avocats ont dû s’exiler, et simultanément une persécution politique a commencé contre un grand groupe de journalistes, dont Sonny Figueroa, Marvin del Cid, Michelle Mendoza, Steff Arreaga et les sœurs Lucía et Andrea Ixchiú, et qui s’est maintenant terminée avec le cas emblématique du directeur d’El Periódico, José Rubén Zamora, qui vient d’être condamné à six ans de prison en représailles au journalisme indépendant. Cette affaire a ouvert des champs d’enquête contre d’autres journalistes et chroniqueurs du journal aujourd’hui disparu et d’autres médias indépendants.
Cette période a également été marquée par des poursuites pénales à l’encontre de dirigeants de l’opposition politique dans le contexte des élections de cette année ; c’est le cas du député Aldo Dávila, qui fait actuellement l’objet de six procédures d’instruction, raison pour laquelle le TSE a révoqué son inscription en tant que député du parti VOS, et de Juan Francisco Solórzano Foppa, qui était candidat à la mairie de Guatemala City pour la coalition Foppa por la ciudad, formée par les partis Winaq, Movimiento Semilla et URNG-Maíz – qui était également l’avocat du journaliste José Rubén Zamora et qui fait actuellement l’objet d’une procédure pénale à son encontre. Dans son cas, il est important de souligner que pendant son mandat de surintendant de l’administration fiscale, il a réussi à améliorer le recouvrement des impôts et a lancé des procédures administratives pour taxer les méga-entreprises qui fraudaient.
On peut aisément affirmer que le gouvernement d’Alejandro Giammattei se caractérise par des actions qui violent les garanties constitutionnelles et par un processus de régression dans la protection des droits de l’homme et de détérioration de l’État de droit constitutionnel.
3 — Des problèmes profondément enracinés
En décembre 2022, selon les données de la Banque mondiale, 59 % de la population vivait dans des conditions de pauvreté, avec des cas de malnutrition chronique et aiguë, et 35 % survivait grâce aux remises migratoires. Le Guatemala est, après le Mexique, le deuxième plus grand destinataire de remises migratoires en Amérique latine. En avril dernier, six décès d’enfants dus à la malnutrition aiguë ont été enregistrés, dont quatre dans le département d’Alta Verapaz, l’un des trois départements où l’incidence de la pauvreté et de l’inégalité est la plus élevée du pays.
Dans un autre domaine, la détérioration des institutions publiques est notable et se reflète, entre autres, dans l’octroi de licences de prospection et d’exploitation minières à des transnationales dédiées à l’exploitation à ciel ouvert, accordées de manière anormale (par le biais de pots-de-vin qui faisaient l’objet d’une enquête de la FECI) et au détriment de l’environnement, dans le cadre des systèmes de corruption dans le pays sous le gouvernement d’Alejandro Giammattei, qui ont conduit à l’exil du procureur Sandoval. Des cas de détournement de fonds publics ont également été enregistrés, comme en témoigne l’affaire des fonds accordés par la Banque centraméricaine d’intégration économique (BCIE) pour la construction de neuf hôpitaux régionaux.
4 — Le cas singulier du système judiciaire
Le système judiciaire guatémaltèque connaît un processus cyclique d’élection des tribunaux par le biais de commissions de postulation qui, tous les cinq ans, doivent élire les magistrats de la Cour suprême de justice (CSJ) et des cours d’appel.
La détérioration du système judiciaire est visible à partir du 13 octobre 2021, date à laquelle deux années se sont écoulées sans l’élection des tribunaux (ils auraient dû être élus en 2019), une situation qui se poursuit à ce jour ; cela fait partie d’un réseau de corruption connu et enquêté par la FECI de Juan Francisco Sandoval comme « Commissions parallèles » à travers lequel des négociations ont été faites par les réseaux de pouvoir, en dehors des processus d’élection des tribunaux pour établir des magistrats à nommer par les commissions au profit des réseaux de cooptation de l’État.
Ainsi, des magistrats et des juges qui auraient dû être relevés de leurs fonctions en 2019 restent à la CSJ et dans les Cours d’appel, plusieurs d’entre eux, non seulement avec des accusations de corruption, mais aussi avec une immunité politique levée et des procédures de poursuites pénales engagées, comme dans le cas de la magistrate du CSJ Blanca Stalling, enquêtée depuis 2015 pour des liens avec des réseaux de corruption, qui, grâce au démantèlement des institutions anti-corruption et au remplacement des procureurs en exil, a réussi à inverser ses processus de poursuites pénales et même sa réintégration à la Cour en 2022.
Selon la même procédure d’élection par le biais de comités de nomination, les magistrats de la Cour constitutionnelle et les magistrats du Tribunal suprême électoral, qui ne remplissent pas les conditions fixées par la loi pour occuper ces postes, sont élus pour une période de cinq ans respectivement, et toujours avec la possibilité d’être réélus. De même, le procureur général et le procureur général de la République sont élus pour une période de quatre ans, avec possibilité de réélection.
5 — Élections générales du 25 juin 2023
Le système électoral guatémaltèque prévoit que tous les quatre ans, des élections générales sont organisées conformément aux dispositions de la loi électorale et des partis politiques, également appelées par le biais d’un décret de convocation des élections du Tribunal suprême électoral publié au mois de janvier de l’année électorale.
Le même jour et par le biais d’un vote facultatif, les personnes suivantes sont élues : le président et le vice-président ; 32 députés au Congrès de la République par liste nationale ; 125 députés au Congrès de la République représentant 23 circonscriptions électorales (le nombre de députés par circonscription électorale est déterminé par le nombre de personnes inscrites dans chaque circonscription électorale) ; 340 corporations municipales (dans le cas des municipalités de plus de 100 000 habitants, un maire, trois administrateurs, dix conseillers titulaires, un administrateur suppléant et quatre conseillers suppléants ont été établis dans le décret 1-2023 de convocation des élections). Enfin, 20 députés sont élus au Parlement centraméricain, soit un total de 21 députés, la case 21 appartenant au président sortant pour chaque mandat, ce qui garantit son immunité. Le président est élu à la majorité absolue dans un système à deux tours, tandis que la représentation proportionnelle avec des listes fermées s’applique à l’élection du corps législatif.
Un rôle extraordinairement important dans le processus électoral est joué, entre autres, par les réseaux de pouvoir des acteurs politiques, basés sur des clans familiaux qui transcendent les partis politiques et les relient les uns aux autres dans leur quête d’une réélection ou de l’obtention d’une fonction publique pour la première fois. Ces réseaux sont également construits sur la base des chefferies locales, qui cherchent à utiliser les partis politiques comme véhicule électoral pour s’emparer des conseils municipaux et des sièges au Congrès de la République par le biais de listes de district et nationales ; nombre d’entre elles sont accusées d’être liées au crime organisé. Prensa Libre a pu détecter au moins 34 réseaux familiaux/clans qui composent ce réseau dans le processus électoral de 2023.
6 — Situation des partis politiques
Le système de partis politiques du Guatemala est profondément érodé et fragmenté, affichant l’un des niveaux d’institutionnalisation les plus bas d’Amérique latine. Dans la compétition électorale actuelle, 26 partis politiques participent, la majorité d’entre eux ayant leurs origines dans les partis du début de l’ère démocratique de la fin des années 1980, dont beaucoup ont également leurs origines dans les corps illégaux et les appareils clandestins (Cuerpos Ilegales y Aparatos Clandestinos -CIACS-), qui au fil du temps ont été configurés en réseaux politico-économiques illicites (Redes Político-Económicas Ilícitas -RPEI-), établis pour coopter l’État, comme l’a souligné le CICIG dans la présentation du rapport « Guatemala, un Estado Capturado » (« Le Guatemala, un État capturé »).
Sur les 26 partis politiques existant au début du mois de mai 2023, 23 présentaient des candidats à la présidence, les partis MLP, PODEMOS et PODER ayant été précédemment écartés.
Il est important de mentionner qu’à la fin du mois de mai, l’outsider Carlos Pineda, qui était en tête des sondages en tant que candidat présidentiel pour le Parti de la prospérité citoyenne, a également été écarté pour des raisons juridiques et procédurales.
7 — Les candidats
L’arrêt de la Cour constitutionnelle, qui empêche Carlos Pineda de participer aux élections du 25 juin, ne l’a pas seulement écarté de la course, mais aussi tous les candidats du parti Prospérité citoyenne, en raison d’anomalies détectées dans les assemblées extraordinaires de nomination des candidats.
Cela reconfigure l’ensemble du processus en termes de redistribution des votes orphelins, tant de Prosperidad Ciudadana que des partisans de Pineda, parmi les autres partis qui restent en lice.
Sur cette base, et compte tenu des résultats des derniers sondages d’opinion publiés en mai, il est nécessaire de mentionner trois têtes de liste qui font partie du pacte du parti au pouvoir et qui, par conséquent, assurent la continuité : Sandra Torres du parti UNE, Zury Ríos de l’alliance VALOR-Unionista et Edmond Mulet du parti Cabal. Toutefois, en raison de l’exclusion des candidats en question, les partis d’opposition commencent à monter dans les sondages, notamment Manuel Villacorta, du parti VOS (parti issu de la base de l’UNE), et Bernardo Arévalo, du parti Movimiento Semilla, qui est le fils de l’ancien président du gouvernement démocratique de la révolution de 1944, Juan José Arévalo Bermejo.
8 — Les programmes
Les programmes de gouvernement présentés et la rhétorique utilisée dans la campagne sont largement populistes. Zury Ríos défend une proposition de gouvernement qui s’articule autour de la mise en œuvre de ce qu’il appelle « le modèle Bukele » visant à créer et à renforcer une stratégie de sécurité nationale, ce qui l’amène à insister sur le rétablissement de la peine de mort. Sandra Torres propose la continuité des programmes sociaux mis en œuvre sous le gouvernement de l’UNE (2008-2012) de l’ancien président Álvaro Colom, dont elle était l’épouse. Le troisième des candidats mentionnés plus haut, Edmond Mulet, dont la carrière publique antérieure s’est déroulée dans des organisations internationales, propose dans le cadre de son plan de gouvernement un programme de retraite universelle par lequel tous les Guatémaltèques de plus de 65 ans recevront 500 quetzales (environ 70 USD) du gouvernement, un programme médical gratuit pour tous les Guatémaltèques, un soutien économique aux mères célibataires et des bourses d’études universitaires.
De leur côté, les deux candidats qui ont le plus progressé dans les sondages récents présentent d’autres types de propositions de nature plus programmatique. Manuel Villacorta propose, dans le cadre de son plan de gouvernement, d’améliorer la police civile nationale, d’étendre le réseau routier, d’adopter une loi sur l’eau et de mettre en place des programmes d’entretien du réseau hydrographique du pays.
Le plan de gouvernement du Movimiento Semilla, présenté par Bernardo Arévalo, comporte 10 axes de travail, dont : les politiques de développement social, la protection, l’assistance et la sécurité sociale, la lutte contre la malnutrition, l’amélioration de l’infrastructure économique, la technologie et l’innovation ; les politiques visant à garantir la sécurité démocratique, la protection de la nature et l’ouverture des frontières aux citoyens, entre autres.
9 — Incidents au cours de la campagne
Contrairement aux processus précédents, la campagne électorale de 2023 s’est déroulée de manière plus pacifique, bien que la disparité en termes de capacité économique pour la campagne se soit maintenue. Ainsi, le plafond de campagne établi par le Tribunal suprême électoral a été fixé à 4,5 millions de dollars américains pour la campagne de chaque parti politique (soit un total de 650 000 dollars américains de plus que pour le processus électoral de 2019), et conformément à la loi sur les élections et les partis politiques, chaque parti peut dépenser 0,50 dollar américain pour chaque électeur inscrit au niveau national, tandis que les comités civiques ne peuvent dépenser que 0,10 dollar américain pour le nombre total d’électeurs inscrits dans leurs municipalités respectives. Cependant, dans toute la propagande sur le terrain et la gestion des médias sociaux, la disparité en termes de moyens de campagne est évidente entre les partis traditionnels et les partis émergents et d’opposition qui disposent de peu de matériel pour promouvoir leurs candidatures (publicités payées à la radio, véhicules publicitaires, panneaux d’affichage, affiches, banderoles, etc.)
En termes de conflictualité dans le processus électoral, cinq points focaux ont été identifiés qui pourraient générer de la violence, comme dans le cas des frictions entre la mairie indigène Ixil et le gouvernement municipal de Nebaj (dans le Quiché) ; la zone de conflit entre Nahualá et Santa Catarina Ixtahuacán (Sololá) ; les frictions entre la population et le conseil municipal de la municipalité d’Antigua Guatemala ; la zone de conflit entre Tajumulco et Ixchiguán (San Marcos) et les éventuelles mesures de facto prises par les vétérans de l’armée. En outre, à Alta Verapaz, des violences ont eu lieu entre des membres du parti UNE et un partisan du parti Valor-Unionista, avec des violences verbales et physiques et des coups de feu tirés par un partisan du parti de Zury Ríos lors d’un rassemblement dans la région d’El Polochic, un territoire disputé entre des caciques et des réseaux familiaux des deux partis.
10 — Les sondages
Début mai — et avant son éviction — Carlos Pineda disposait de 23 % des intentions de vote, suivi d’une triple égalité entre Edmond Mulet, Sandra Torres et Zury Ríos (10,4 %, 10,3 % et 10 % respectivement), selon un sondage de l’agence ProDatos, publié par Prensa Libre. Le sondage de la même entreprise du jeudi 22 juin 2023, trois jours avant les élections, montre que Torres a l’intention de vote la plus élevée avec 21,3 %, suivie par Mulet avec 13,4 % et Ríos avec 9,1 % ; le sondage souligne qu’il y a une augmentation de l’intention de voter nul, alors qu’en avril 6,3 % de la population disait qu’elle voterait nul. Aujourd’hui, 13,5 % voteraient nul et 14,8 % voteraient blanc.
Tout semble indiquer que les deux candidats qui passeront au second tour le feront avec un soutien cumulé qui pourrait être inférieur à 40 % de l’électorat, ce qui s’est déjà produit lors d’élections précédentes. Le taux de participation, inférieur à deux tiers de l’électorat, sera également affecté par l’augmentation des votes nuls et blancs. Dans le même temps, un Congrès très fragmenté se maintiendra, composé de bancs à l’identité très floue et à la discipline de vote quasi inexistante. Aucune force politique n’aura de majorité.