Dans la matinée du lundi 22 mai, des combattants de deux groupes armés — le Corps des volontaires russes et la légion « Liberté de la Russie » — sont entrés sur le territoire russe et ont conduit des attaques localisées dans l’oblast de Belgorod, au nord-est de Kharkiv. 

  • Plusieurs vidéos indiquent que ces combattants pro-Ukraine — et vigoureusement opposés au régime de Poutine — disposaient de véhicules blindés américains et d’au moins un char d’assaut, ce qui en ferait l’attaque sur le territoire russe la plus importante en termes de moyens déployés depuis l’invasion de l’Ukraine en février 20221.
  • Selon le ministère de la Défense britannique, les attaques les plus intenses ont eu lieu près de la ville de Graïvoron. L’armée russe a mis en place d’importants moyens (en termes d’hommes, d’artillerie mais également aériens) pour mettre fin aux raids.
  • Mardi 23 mai, le ministère russe de la Défense a affirmé que les « saboteurs » pro-Ukraine avaient été vaincus et expulsés de l’oblast de Belgorod, ce qui est pour l’heure impossible à confirmer2.

Le territoire russe a été exposé à plusieurs reprises à des attaques depuis le début de l’invasion. En mars, le Corps des volontaires russes déclarait avoir organisé une incursion (avec moins de moyens) dans des villages situés dans la région russe de Briansk. Depuis plusieurs mois, des attaques de drones (non-revendiquées par Kiev) ciblent des dépôts de carburant, de munitions ainsi que des infrastructures de transport sur le territoire russe ainsi qu’en Crimée.

Ces attaques — bien que limitées dans le temps comme dans l’espace — témoignent de la vulnérabilité de la zone frontalière entre l’Ukraine et la Russie, accentuée par le déploiement de ressources importantes sur le territoire ukrainien.

  • Evgueni Prigogine, le chef de la milice Wagner, a accusé le gouvernement russe dont « l’inaction bureaucratique » aurait contribué à rendre ces attaques possibles3.
  • Le 27 février dernier, la ministre de la Construction de l’oblast de Belgorod, Oksana Kozlitina, déclarait que presque 10 milliards de roubles (soit environ 115 millions d’euros) avaient été investis dans l’organisation d’un « système de fortifications » au cours de l’année 20224.

Selon le ministère russe de la Défense, au moins « 70 nationalistes ukrainiens » ayant pris part aux raids auraient été tués, quatre véhicules blindés et 5 véhicules de transport auraient été détruits. S’il semble que les combattants pro-Ukraine ont bien été repoussés, les images des véhicules capturés (des Humvees de fabrication américaine) comportent plusieurs éléments ayant conduit des observateurs à affirmer qu’il s’agirait d’une mise en scène5.

L’envoi sur place du général russe Aleksandr Lapin, relevé de son commandement du district militaire central en novembre dernier après plusieurs échecs consécutifs puis nommé chef d’état-major des forces terrestres des forces armées russes en janvier, peut également être lu comme une réaction disproportionnée (et mise en scène) à un raid d’une faible envergure.

Bien que Volodymyr Zelensky ait nié que l’Ukraine soit à l’origine de ces raids, ceux-ci sont susceptibles de servir les intérêts de Kiev en amont de la contre-offensive.

  • Selon des documents des services de renseignement américains — faisant partie d’un ensemble plus vaste de rapports secret défense ayant fuité en avril —, le président ukrainien aurait suggéré lors d’une réunion en janvier dernier de « mener des frappes en Russie » et « d’occuper des villes frontalières russes » afin de « donner à Kiev un moyen de pression dans des négociations avec Moscou »6.
  • Selon l’analyste au Royal United Services Institute for Defence and Security Studies Neil Melvin, ces raids viseraient à contraindre l’armée russe à envoyer des renforts sur le territoire russe de manière à « créer des brèches » dans le dispositif russe7.
  • Plus globalement, ces attaques fragilisent la crédibilité du Kremlin dans ses capacités à conduire une invasion d’un pays frontalier tout en continuant à protéger ses frontières. Vladimir Poutine a décidé de ne pas convoquer de réunion d’urgence du Conseil de sécurité russe pour discuter des raids « probablement dans le but d’afficher sa confiance quant à la manière dont la Russie gère la situation », selon l’Institute for the Study of War.
Sources
  1. Andrew E. Kramer, Valerie Hopkins et Michael Schwirtz, « Anti-Kremlin Fighters Take War to Russian Territory for a Second Day », The New York Times, 24 mai 2023.
  2. Grace Mappes, Nicole Wolkov, Kateryna Stepanenko et Frederick W. Kagan, « Russian Offensive Campaign Assessment, May 23, 2023 », Institute for the Study of War.
  3. Message Telegram de ​​Пресс-служба Пригожина, 22 mai 2023.
  4. « Белгородская область потратила почти 10 млрд рублей на строительство защитных сооружений », Interfax, 27 février 2023.
  5. Thread Twitter de Jack’s House, 24 mai 2023.
  6. John Hudson et Isabelle Khurshudyan, « Zelensky, in private, plots bold attacks inside Russia, leak shows », The Washington Post, 13 mai 2023.
  7. Tom Balmforth et Anna Dabrowska, « Ukraine war : Belgorod incursion may stretch Russia’s defences », Reuters, 24 mai 2023.