L’Iran et l’Arabie saoudite ont annoncé ce vendredi 10 mars la signature d’un accord diplomatique conclu avec l’entremise de la Chine ; l’accord engage en particulier les parties prenantes à rouvrir leurs ambassades dans un intervalle de deux mois. 

  • Les relations diplomatiques avaient été coupées le 3 janvier 2016, après l’exécution par l’Arabie Saoudite du cheikh chiite Nimr Baqr al-Nimr et l’attaque de l’ambassade saoudienne à Téhéran par des manifestants iraniens en représailles. La rupture diplomatique avait entraîné celle des relations entre l’Iran et le Bahreïn, le Soudan et le Koweït.
  • Les relations entre les deux puissances sont depuis restées tendues ; le 14 septembre 2019, un assaut revendiqué par des combattants yéménites soutenus par l’Iran contre les installations saoudiennes d’Abqaiq avait temporairement mis hors service la moitié de la capacité de production de pétrole du pays et provoqué une brève flambée des prix du brent au niveau mondial1.

La déclaration est l’aboutissement d’un rapprochement progressif entamé en avril 2021.

  • Le processus de reprise des discussions avait associé d’autres acteurs régionaux ; l’Irak a ainsi accueilli six rencontres bilatérales entre les représentants des deux pays en 2021 et 2022.
  • Les négociations pour la reprise des relations diplomatiques avaient commencé en avril 2022, pour s’interrompre en décembre dernier, après que Téhéran eut accusé Riyad d’utiliser des chaînes de télévision par satellite pour soutenir les manifestations qui éclataient sur son territoire2

La participation à la conférence de presse de Wang Yi, membre du bureau politique du Parti communiste chinois et directeur du bureau central des affaires étrangères, révèle le rôle croissant de la diplomatie chinoise dans la région et laisse préfigurer un réalignement des États au Moyen-Orient.

  • Un rapprochement militaire entre l’Arabie saoudite et la Chine, au détriment des États-Unis, aurait des conséquences pour l’État d’Israël. Riyadh demande en effet à Washington des garanties militaires en échange de sa reconnaissance des accords d’Abraham3
  • Le rétablissement des relations avec l’Arabie saoudite renforce l’hypothèse d’un tournant pragmatique de la diplomatie iranienne, une semaine après la visite du directeur de l’AIEA Rafael Grossi à Téhéran, dans un contexte où les relations avec les pays occidentaux sont au plus bas et où des traces d’uranium enrichi à 84 % ont été trouvées sur le sol iranien.
  • Le tournant pourrait être motivé par les difficultés internes du gouvernement iranien : malgré la répression d’une grande violence, Téhéran n’a pas réussi à mettre fin   au mouvement révolutionnaire qui le conteste depuis septembre dernier.
  • L’établissement de relations officielles avec l’Iran pourrait aider l’Arabie saoudite à mettre fin à la guerre qu’elle mène contre le Yémen depuis 2015, qui expose de fait ses installations pétrolières à des attaques de drones et de missiles.
  • En déplacement à Moscou ce jeudi 9 mars, le ministre saoudien des Affaires étrangères Faisal Bin Farhan a déclaré que « trouver un moyen d’obtenir un cessez-le-feu permanent au Yémen » était la priorité absolue de Riyad. 

Par le rapprochement d’avec l’Iran et la Chine, la monarchie saoudienne prolonge son effort de diversification diplomatique malgré l’intensification de la nouvelle guerre froide sino-américaine ; la reprise des liens diplomatiques pourrait ainsi amorcer le renforcement d’un « triple axe »4 d’opposition aux pays occidentaux. 

Sources
  1. « Saudi recovery from oil attack isn’t all it seems », Bloomberg, 27 septembre 2019
  2. Qassim Abdul-Zahra, « Saudi-Iran talks said to have stalled over protests in Iran », AP News, 19 décembre 2022.
  3. Dion Nissenbaum, Dov Lieber, Stephen Kahlin, « Saudi Arabia Seeks U.S. Security Pledges, Nuclear Help for Peace With Israel », the Wall Street Journal, 9 mars 2023.
  4. Ariane Tabatabai et Dina Esfandiary, Triple Axis, IB Tauris, 2018.