1 — La violence endémique au Honduras
Sur 9 450 711 habitants, l’Observatoire National de la Violence de l’Université Autonome du Honduras comptabilise que, entre janvier et décembre 2021, l’homicide reste « la principale cause de mort violente avec 3942 victimes, avec une augmentation de 8,7 % » par rapport aux chiffres de 2020 1. L’Observatoire enregistre 83 363 homicides entre 2004 et 2021 dans le pays centraméricain, avec une moyenne mensuelle de 329 victimes, soit près de onze assassinats par jour. Dans 73,7 % des cas il s’agit d’une mort provoquée par l’usage d’une arme à feu 2. La plupart des honduriens vivent dans une terreur permanente. De nombreux de ces assassinats sont le résultat des mesures d’extorsion employées par les membres des gangs et du crime organisé, qui affectent gravement le secteur des transports et les entreprises de petite et de moyenne taille, de centaines de milliers d’honduriens étant frappés par ces mesures coercitives. Le gouvernement a récemment mis en place une série d’« états d’exception » semblables à ceux instaurés par le du chef d’État salvadorien Nayib Bukele, avec des résultats mitigés.
Pour ce qui est des féminicides, 16 ont été enregistrés entre le 1er et le 15 janvier 2022 3, un chiffre qui a été égalé en 2023 selon les estimations du Centre d’Étude des Femmes du Honduras 4. Après cette première année du gouvernement de Castro le pays se maintient dans cette violence profonde : 252 morts violentes de femmes ont été enregistrées entre janvier et octobre 2022 5. La communauté LGTBI est, au Honduras, une victime récurrente d’homicides violents. Selon les estimations des militants, environ 405 membres de la communauté LGBTI ont été tués entre 2009 et mi-2022. D’après Donny Reyes, cofondateur de l’association LGTBI Arcoíris, au moins 46 personnes ont été assassinés en 2022. Certains plaident pour la mise en œuvre d’une « loi sur l’identité de genre » et pour le mariage des personnes du même sexe. Le 15 septembre 2022, à l’occasion de la Fête Nationale, pour la première fois, des mouvements LGTB ont participé aux défilés, dans un pays profondément conservateur.
2 — Un paysage religieux en profonde mutation
Au Honduras, la grande majorité de la population s’identifie comme chrétienne. L’église catholique et les églises évangéliques dominent le champ religieux hondurien et leur influence sur le monde politique est loin d’être dérisoire. Selon une récente publication de l’institut de sondage CID Gallup, 44 % des honduriens se situent dans la branche évangélique, ce qui place le pays en première position en termes de croissance du protestantisme en Amérique latine. Il existe au moins 17 000 églises évangéliques dans le pays. L’Église catholique conserve néanmoins une marge d’influence importante dans la vie politique nationale, et les tensions avec les églises évangéliques sont mineures, en apparence. Les principaux représentants des plus importantes organisations évangéliques et de l’Église catholique font constamment des déclarations dans les médias sur des questions politiques variées. Leurs interventions, publiques ou privées, en tant que médiateurs entre des clans politiques concurrents, ne sont pas sans répercussions. Avec les Forces Armées, les églises chrétiennes ont été classées parmi les institutions les plus légitimes d’après les enquêtes de sondage du Barómetro de las Américas de l’Université Vanderbilt aux États-Unis. Les secteurs religieux et en particulier les pasteurs évangéliques ne sont pas exempts de violence, la dernière tentative d’assassinat contre un pasteur évangélique eu lieu le 12 janvier.
Le pasteur évangélique Alberto Solórzano de l’Église Centre Chrétien International (CCI), est peut-être le plus célèbre parmi ses pairs. Il se fait connaître du public en tant que membre de la commission spéciale d’enquête dans le cadre du projet de l’ancien gouvernement de réforme de la police (2016-2022). Autour de 5 775 agents de la police ont été démis de leurs fonctions, parmi lesquels nombreux sont ceux à se manifester pour une réintégration dans le système. Depuis la passation de pouvoirs de l’exécutif, le pasteur Solórzano a quitté le pays en demandant l’asile politique aux États-Unis, arguant qu’il a été l’objet de menaces contre sa vie. Solórzano a été, à différents moments, le chef de l’Association des Pasteurs de Tegucigalpa (APT) et de la Confraternité Évangélique du Honduras (CEH) (entre 2010 et 2018 pour cette dernière). Quant à l’Église catholique, le cardinal Óscar Andrés Rodríguez, archevêque de Tegucigalpa, donne fréquemment son avis sur des questions d’importance nationale lors de ses homélies dominicales. Pour citer le fond de sa pensée, il s’exprime sur la « refondation » proposée par le gouvernement de Castro, affirmant que celle-ci ne peut se faire sans Jésus.
Les principales organisations politiques des églises évangélistes sont l’APT et la CEH, perçues périodiquement comme des alliés historiques au Parti National (PN). D’autre part, la Conférence épiscopale du Honduras demeure l’un des organismes catholiques qui a la plus grande influence politique. Son porte-parole, le père Juan Ángel López, a l’habitude de lire des communiqués exprimant un message politique qui condamne l’exercice corrompu et autoritaire du pouvoir, affirmant que ce n’est pas avec des idéologies que l’on peut affronter les problèmes du pays, mais avec la doctrine de l’Église. Au cours de la campagne électorale de 2021, la CEH a signé un accord contre l’avortement et contre le mariage des personnes du même sexe avec le candidat présidentiel du PN Nasry Asfura. L’approbation des pilules contraceptives d’urgence et de l’avortement sont des questions majeures pour les églises chrétiennes locales. Le cardinal Rodriguez a aussi déclaré à plusieurs reprises qu’il était question d’un « attentat à la vie ». Compte tenu des discordes avec quelques-uns des secteurs du gouvernement actuel, la relation entre les églises et le pouvoir politique prend une tournure nouvelle bien différente de celle entretenue durant douze ans avec le Parti National (PN).
3 — Le Honduras : une économie informelle et fragile ad vitam aeternam ?
Si les schémas économiques du passé se maintiennent, certaines décisions prennent un chemin différent. À la suite à la récession économique de 9 % en 2020 par rapport à 2019 pour cause de Covid-19, le taux de croissance du PIB repart à la hausse en 2021 à 10,8 % selon la Banque Mondiale. Il est encore trop tôt pour la publication de rapports sur la performance économique du Honduras en 2022, mais la Banque Centrale du Honduras soutient qu’en 2022 la croissance atteint déjà 4.4 % fin novembre. Parmi les variables les plus critiques, il y a celle du prix moyen du panier alimentaire de base. Celui-ci est passé de 10 200 lempiras (380€) en janvier 2022 à 12 400 fin décembre, soit une hausse de 22 % sur le prix du panier de base, réparti sur près de 150 denrées.
Dans le secteur de l’agroalimentaire, l’huile de palme africaine a connu une hausse de prix en 2022, mais aussi des difficultés sur le marché du travail qui était en dessous des capacités demandées par le secteur. La violence endémique entraîne également un processus prolongé de migration de millions de Honduriens vers les États-Unis et l’Europe, phénomène qui s’est amplifié au cours de la dernière décennie. Selon les estimations des économistes du Foro Social de la Deuda Externa, l’envoi de fonds des migrants honduriens vers leurs familles qui sont restées sur le territoire (remesas), s’élèvent autour du 20 % du PIB en 2022. La gestion des projets agricoles, miniers, ou textiles continue à exclure les communautés qui en sont impactées, les campagnes du Honduras restent des lieux où l’inégalité économique saute aux yeux. La plupart des honduriens se débrouillent au jour le jour au milieu d’une économie informelle extrêmement fugace.
4 — Un système politique aux traits autoritaires, façonné par les accords au sommet
La politique et les élections semblent n’être que le devant de la scène pour le public qui ne voit pas les accords passés en coulisse par des forces qui ne deviennent suffisamment influentes que lorsqu’elles sont reconnues par les familles dirigeantes déjà en place. Les acteurs de l’élite résolvent leurs différends via des accords secrets ou entachés d’opacité, afin de se maintenir dans les sphères de pouvoir, une pratique à l’ordre du jour et caractéristique du système politique hondurien.
Le 13 octobre 2021, une réunion à huis clos a eu lieu entre les candidats Salvador Nasralla et Xiomara Castro ayant pour but une nouvelle alliance électorale. Cet accord partait du postulat qu’une éventuelle victoire de la fin-novembre permettrait au parti Salvador de Honduras (PSH) de choisir un de ses membres à la tête du Congrès. En échange, Nasralla retira sa candidature présidentielle pour soutenir celle de Castro, accompagnant la formule de celle-ci en tant que vice-président. Malgré leur victoire, l’union entre ces deux partis dura peu, jusqu’à leur rupture définitive à la mi-octobre 2022. En ce début 2023, les tensions entre le PSH et le parti Libertad y Refundación (LIBRE) de Castro ne font que s’aggraver. Maribel Espinoza, député emblématique du PSH, accuse de manière récurrente LIBRE d’adopter des politiques corrompues. Luis Redondo a été le candidat phare de Castro et de Nasralla pour assumer le contrôle du Congrès, issu de cette négociation au sommet. Il a suffi de 6 mois au pouvoir pour que Redondo ne soit plus rattaché à son parti PSH. Nasralla véhicule sa déception de voir que ce dernier répond activement aux visions de LIBRE et de l’exécutif plutôt que celle de son propre parti. « Luis Redondo tient fondamentalement compte des instructions de l’ex-président et dirigeant de LIBRE Manuel Zelaya », a-t-il déclaré le 24 janvier.
Le budget de l’État 2023 a été approuvé sans la majorité absolue du Congrès (74/128), notamment grâce à un accord entre LIBRE et le parti Libéral (PL). Les critiques sont lourdes pour cette séance du budget qui a eu lieu tard dans la nuit, mais aussi parce que LIBRE n’a pas pris en compte les amendements vus au préalable avec les autres partis. L’exécutif s’est déjà vu confronté à des grèves massives et importantes des employés des secteurs de la santé et de l’éducation qui réclament les conditions salariales promises par le gouvernement précédent et par les promesses d’élection. Une autre revendication parmi les militants de LIBRE est celle sur la création d’emplois, Castro en a par ailleurs promis 100 000. Leurs demandes n’ont pas abouti, les postes sont pourvus auprès des proches de Castro : en découle des blocus des grands axes routiers du pays.
Le parti National (PN) qui est le parti d’opposition principal à LIBRE, a vu son image détériorée par l’extradition de l’ex-président Hernandez aux États Unis, fin avril 2022. Le PN et ses figures les plus proéminentes ont tout de même défendu leur ancien président et clament son innocence ou s’opposent à son incarcération. Il est accusé par un tribunal de New York de contribuer au trafic de cocaïne dans leur pays couplé à des charges de possession d’armes et d’utilisations de celles-ci pour le narcotrafic.
5 — Des tensions irrésolues pour le contrôle du Conseil Législatif (2022-2026)
Malgré une victoire écrasante pour les élections présidentielles et législatives, un conflit de grande envergure éclate au cœur du Congrès National (CN), et notamment au sein de Libertad y Refundación (LIBRE) en janvier 2022. À la suite des élections de novembre 2021, les 128 députés élus pour le mandat 2022-2026 sont répartis comme suit : 50 pour LIBRE, 44 pour le Parti National (PN), 22 pour le Parti Libéral (PL), 10 du Parti Salvador de Honduras (PSH), un député pour le Parti Anticorruption (PAC) et un autre pour la Démocratie Chrétienne (DC).
La Loi organique du Pouvoir Législatif stipule que le 21 janvier, les 128 membres du Congrès doivent voter pour une Junte Directive (JD) provisoire qui doit ensuite être validée par une majorité à deux tiers de tout l’hémicycle le 23 janvier. Le 21 janvier 2022, Beatriz Valle et Jorge Calix, les deux députés qui ont recueilli le plus de votes lors des élections de novembre 2021 au sein de LIBRE, mettent en avant une proposition stipulant que Calix et d’autres membres de LIBRE composerait la JD provisoire. Ce qui provoque scandale et indignation chez plus de la moitié des représentants de LIBRE. Il faut rappeler que LIBRE et le PSH ont passé un accord au sommet (voir notre point 4), et qu’en conséquence c’était l’ingénieur Redondo celui qui devait présider le CN.
Avec 84 votes, Calix et ses alliés deviennent dans la précipitation les membres de la JD provisoire. Cette victoire est rapidement contestée par une majorité des membres de LIBRE et du PSH, qui clament un irrespect de la procédure et, par conséquent, octroient à Luis Redondo et sa liste d’associés la victoire 6. Aucun de ces deux cabinets n’est totalement dans la légalité. Le pays fait alors face à une crise constitutionnelle et institutionnelle sévère provoquée par l’existence de deux Juntes qui prétendent toutes deux présider le Congrès. À la suite de ces évènements, la présidente Castro fait appel aux adhérents de son parti à se manifester devant le CN et faire pression sur les « traîtres » de LIBRE, en visant la personne de Calix. LIBRE expulser 18 des 20 de ces « traîtres » en justifiant qu’ils n’ont pas respecté la ligne politique du parti. Vers la fin janvier, 17 membres du cabinet de Calix annoncent vouloir s’exiler par crainte pour leur vie.
Le 23 janvier, les deux CN se réunissent dans des lieux différents pour nommer leurs présidents et juntes respectifs. Or il y a 47 votes en trop par rapport au 128 membres officiels, cela s’explique par la comptabilisation de votes de personnes non-élues, comme ceux des suppléants ou voir même de simples militants. Par conséquent chaque camp considère l’autre illégitime et les irrégularités légales des deux côtés sèment le doute sur lequel est constitutionnellement le plus légal ; même si, la candidature du député Redondo (PSH), est la plus populaire des deux et cela grâce à la mobilisation de Castro et de LIBRE pour le soutenir.
Il y a donc deux Congrès simultanés dans le pays le 27 janvier 2022 quand la présidente commence son mandat. Ce jour-là, c’est la juge fédérale Karla Romero 7 qui l’investit, et non pas le président du CN, comme le veut la règle. Aucun des deux côtés ne se mobilise pour faire appel à la Cour Suprême de Justice (CSJ) et celle-ci n’est pas dans l’urgence de résoudre ce conflit constitutionnel. L’avocat et député Calix propose qu’un nouveau vote soit refait à l’hémicycle pour déterminer une fois pour toute quel président et sa suite d’associés va diriger le Congrès. Le 7 février , l’ex-président Manuel Zelaya, époux de la présidente Castro, dans un bras de fer avec Calix, réussit à négocier avec ce dernier de mettre de côté ses aspirations politiques pour laisser la présidence du CN au député Redondo. Tous les membres de LIBRE, sauf un, qui ont été expulsés, sont réintégrés dans le parti. Un an après, le 20 janvier 2023, Redondo publie un compte rendu de la crise législative qui s’intitule « La vérité », document avec lequel il cherche à prouver que sa junte est parfaitement légale malgré les dénonciations.
6 — Négociations et démonstration de force pour l’élection des magistrats du pouvoir Judiciaire (2023-2030)
La tâche la plus importante qui incombait au gouvernement en cette première année s’avère être la constitution d’une nouvelle Cour Suprême de Justice (CSJ), organe suprême du pouvoir judiciaire. Selon la loi, le CN doit élire une Junte Nominatrice (JN) composée de divers secteurs de la société, qui devra sélectionner 45 candidats à proposer ensuite aux députés du CN. Parmi les 45 de liste, seuls 15 seront retenus par les députés pour composer la CSJ 8.
L’une des promesses que Castro fait au cours de sa campagne est celle de l’indépendance des trois pouvoirs de l’État. Pourtant, Carlos Zelaya, beau-frère de la présidente, affirme que LIBRE tentera de prendre le contrôle de la CSJ et d’avoir le plus de sièges possibles au sein de cet organe de pouvoir. Lors du vote pour les magistrats qui composeront la CSJ le 25 janvier 2023, il faut une majorité de deux tiers pour qu’un candidat soit élu, soit au moins 86 sur les 128 députés du CN. Même en s’alliant au PAC, à la DC et au PSH, LIBRE n’obtient que 62 députés, ce qui force le parti à négocier.
Le pays a un passif de corruption parmi ses sphères politiques qui abusent de leur pouvoir pour, entre autres, faire du clientélisme. Cela situe donc les principes de méritocratie à un plan secondaire dans la sélection des magistrats. De fait, les décisions reviennent au CN pour déterminer l’emplacement des candidats à divers postes de pouvoir juridique. Le 18 juillet, les députés de LIBRE votent pour à déroger certains articles et sous-sections d’articles de la « Loi spéciale d’organisation et de fonctionnement de la Junte Nominatrice pour la proposition de candidats ou magistrats à la CSJ ». L’article 15 de cette loi a pour but d’interdire la candidature de personnes ayant des liens de parenté ou des liaisons personnelles avec les membres de la Junte de Nomination, des députés du CN, ou des membres haut placés de l’État 9. Une composante supprimée de cet article est l’interdiction à un candidat de postuler si celui-ci fait partie d’un parti politique. Le texte de Loi spéciale de la JN a néanmoins renforcé le processus de sélection des magistrats en ajoutant davantage de critères de sélection tel que l’impossibilité de se présenter si le candidat est en cours de procès avec la justice, ou encore en allongeant les critères d’expérience professionnelle requis.
Le 25 janvier 2023, ce processus d’élection des magistrats a reçu des avis mitigés quant à sa fiabilité. L’affaire de la sélection de la Junte et la sélection finale des 15 magistrates et magistrats à la CSJ bénéficient d’une ample couverture médiatique. Le lundi 23 janvier 2023, la JN a remis au Congrès la liste de 45 candidats. La séance de vote du 25 janvier sera retransmise à la télévision. En ce mois de janvier 2023 les craintes de corruption ou de politisation du processus sont davantage tournées vers les 128 députés. Le Congrès pourrait enfreindre la loi et choisir parmi des candidats qui ne font pas partie de la liste des 45. Par ailleurs, la junte n’a pas choisi les 6 des 15 magistrats actuels qui voulaient se représenter, ce qui exalta ceux qui voyaient en leur réélection une atteinte à une justice indépendante et fiable.
7 — Un gouvernement à caractère dynastique (2022-2026)
Si l’érosion manifeste du bipartisme est indéniable depuis 2009, les clans en concurrence pour le pouvoir persistent à alimenter une culture de loyautés personnelles. Aujourd’hui, cette structure, de deux à quatre partis dominants s’établit comme nouvelle référence électorale nationale. Pourtant cette pratique culturelle bipartite est historique, tel que l’affirme le sociologue Carlos Figueroa Ibarra dans le volume VI de l’Histoire générale de l’Amérique centrale éditée par Edelberto Torres-Rivas, lorsqu’il soutient que le bipartisme centenaire hondurien est basé « sur le caudillisme rural, des loyautés politiques qui reproduisent un paternalisme rétrograde et ce pendant des générations » 10.
Au moment de son inscription en 2012, Xiomara Castro est devenue la principale figure du parti Liberté et Refondation (LIBRE), gagnant la sympathie de plus de la moitié de ses adhérents au parti Libéral (PL), le parti dont est issu le couple présidentiel actuel. LIBRE est également composé d’un ensemble de structures syndicales, de segments des « nouveaux mouvements sociaux », de personnel technique d’ONG et de militants de la gauche hondurienne, qui constituaient le révolu Front National de Résistance Populaire, fondé pendant les marches s’opposant au coup d’État de 2009 11. Les voix critiques signalent que LIBRE est un instrument pyramidal au service de la figure caudilliste de Manuel Zelaya 12. L’ancien président joue un rôle de premier plan dans l’actuel gouvernement, qui aux yeux de ses détracteurs, est celui du marionnettiste tirant les ficelles dans l’ombre de son épouse, la présidente Castro.
Les habitus du domaine familial se reproduisent également au niveau de l’État, tel que le rappelle l’historien hondurien Mario R. Argueta : « Le népotisme est l’une des pratiques caractéristiques du système politique hondurien. Cela se répète dans le régime actuel : deux des fils de Xiomara Castro lui servent de conseillers, dont l’un d’eux de secrétaire particulier. Son neveu est le ministre de la Défense, son mari est son principal conseiller, son beau-frère est secrétaire du Congrès et une fille du couple présidentiel est députée au Congrès » 13. Les faveurs en question auprès de sa famille politique, Castro les a dévoilées assez rapidement. Le 2 février 2022, Luis Redondo a approuvé une motion pour un pacte d’amnistie politique pour tous les membres du gouvernement Zelaya (2006-09) et toutes les personnes persécutées au cours des dernières 13 années pour cause de leur soutien au président déchu. Ce pacte annule toutes les peines, amendes, accusations ou procès dans lesquelles ils sont impliquées, ainsi que des délits pénaux. Le gouvernement est en train de répliquer le processus de leurs opposants nationalistes, user de leur position de pouvoir pour blanchir ou freiner la justice pour les crimes commis par leurs coreligionnaires.
8 — Succès mitigés pour la première année de Xiomara Castro
Face à l’exploitation au travail, la violence domestique et le crime en général, la situation des femmes est précaire. Après 70 jours de gouvernement, l’exécutif se charge de créer le Secrétariat pour les Affaires des Femmes (SEMUJER), organisme pour promouvoir les mères honduriennes et leur permettre de générer des revenus et de renforcer leur pouvoir d’achat personnel et familial. Une continuité de projets similaire au temps de leurs opposants du Parti National (PN). Le 12 janvier 2023, le budget 2023 est voté et les allocations pour le secteur de la santé sont accrues de 9 % par rapport au budget 2022.
Selon le gouvernement, les efforts de lutte commencé selon les trois précédents gouvernements PN contre le trafic de drogue progressent : chaque mois, les forces armées détruisent des pistes d’atterrissages de narcotrafiquants à l’est du pays (15 au total en 2022). Il en va de même pour les plantations de cannabis et des camps de cocaïne. Il s’avère en effet que le Honduras devient producteur et non plus seulement pays de transit.
Une autre promesse phare de la campagne de LIBRE se centrait sur la dérogation des lois sur les Zones Économique de Développement et Emplois (ZEDE), connues aussi comme des zones franches, qui sont des zones à caractère économique et juridique spécial. Ces parcelles du territoire sont cédées par l’État pour créer un cluster économique, où les droits de douanes et autres modalités financières sont assouplies ou supprimées pour y attirer du capital et des entreprises. Malgré les arguments de revitaliser les Investissements Directs Étrangers, le Congrès a voté le 21 avril 2022 la dérogation de la loi spéciale sur les ZEDEs. La question du développement peu médiatisé des zones franches déjà implantées laisse craindre que ces villes modèles ne sont pas encore prêtes à disparaître.
En parallèle, le gouvernement a également tenté de mettre en place une Commission Internationale contre la Corruption et l’Impunité au Honduras (CICIH), avec l’objectif d’enquêter auprès des diverses institutions sur toute trace de corruption et d’impunité qui sévit dans le système gouvernemental. Dans un souci de transparence, tant l’ONU que de nombreux secteurs de la société ont demandé à Castro de donner libre cours à la CICIH et d’accepter tous les résultats et les conséquences qu’il adviendra du rapport, même si cela implique de révéler des cas de corruption dans son camp politique. Fin 2022, le ministre des affaires étrangères Enrique Reina, a annoncé que la CICIH verrait effectivement le jour fin 2023, à la suite d’un accord signé avec l’ONU.
9 — Une série de promesses non tenues
Dans un contexte de pauvreté, de crise climatique et de violence à outrance, LIBRE se retrouve confronté à des défis systémiques. Les revendications pour les terres, en guise de sécurité alimentaire, et d’une plus grande autonomie financière, se révèlent très compliquées à apaiser. Sous la houlette de plus d’une vingtaine d’associations paysannes, agricoles, rurales, ethniques et environnementalistes, les réclamations sont pressantes. La présidente entend créer un programme de reforestation massif et de protection des principales sources d’eau 14. En février 2022, un décret a été signé indiquant l’interdiction de nouvelles exploitations minières à ciel ouvert, sans pour autant mettre une fin aux exploitations qui ont obtenu leur permis avec le gouvernement précédent. En prolongement des lois, l’armée a son rôle à jouer dans le plan environnemental puisque Castro a créé trois nouveaux bataillons militaires pour combattre la déforestation et l’industrie illégale du bois 15.
En 2022, les plantations de palme africaine ont augmenté de 49 % par rapport à l’an dernier. L’essentiel de cette occupation des terres est réalisé par des associations paysannes qui se disputent la possession de ces terrains, affirmant qu’elles leur ont été volées via des réformes et extorquées par des groupes criminels ou des pressions légales. Fin 2022, le pays compte 11 700 hectares de terres occupées de cette façon. Le 7 janvier 2023, deux défenseurs de la zone de Guapinol, dans le département de Colon, ont été abattus par des tueurs à gage. Aly Dominguez et Jairo Bonilla manifestaient leur opposition face à une mine d’extraction de minerai de fer qui détruit un parc naturel, Montaña de Botaderos. Les auteurs et les commanditaires de ces crimes demeurent dans l’impunité 16. Le 18 janvier, Omar Cruz Tomé est tué par 12 coups de balles à son domicile de Tocoa. Les compagnons de lutte de Cruz accusent l’entreprise hondurienne Dinant d’être les instigateurs de ces meurtres de paysans et de défenseurs de l’environnement. Cette entreprise a déjà été impliquée dans des accusations d’assassinats de paysans s’opposant à un projet de barrage, contre lequel l’activiste Berta Caceres luttait. Selon la Commission Nationale des Droits de l’Homme, 95 % des meurtres n’aboutissent à aucune résolution en justice, ce qui n’augure pas d’espoir pour les familles des victimes.
Enfin, l’une des luttes que le gouvernement s’est engagé à mener concerne la situation des groupes ethniques, tels que les garifunas de la côte nord, qui réclament plus de justice. En 2015, la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme a déclaré l’État du Honduras coupable de violations des droits des garifunas.
10 — Vers un renouveau des relations diplomatiques ?
Bien que l’administration Castro cherche à étendre sa politique étrangère, le Honduras demeure résolument enfermé dans la sphère d’influence des États-Unis. De nombreuses visites diplomatiques en provenance de ce pays ont eu lieu cette année, à commencer par la visite de la vice-présidente Kamala Harris lors de la passation des pouvoirs du 27 janvier 2022, il y a exactement un an. Celle-ci a engagé une action pour que son gouvernement fasse un don de 1,3 million de dollars à destination des investissements publics. Pourtant, en juillet 2022, le Département d’État des États-Unis a publié la liste Engel, une liste officielle qui mentionne les personnes de la sphère publique impliquées par des soupçons ou des faits de corruption ou d’entrave aux processus démocratiques. Dans cette dernière, 15 figures politiques honduriennes sont citées. Certains de l’ancien gouvernement, mais également du nouveau avec entre autres le député Rasel Tomé et Edgardo Casaña, tous les deux de LIBRE et siégeant à la JD permanente du Congrès.
Laura J. Richardson, cheffe de la US Southern Command, s’est également rendue au Honduras le 23 février et le 29 juin pour échanger avec la présidente sur la modernisation des forces armées et de la lutte contre le trafic de drogue. Le secrétaire américain de la sécurité intérieure, Alejandro Mayorkas, a quant à lui rencontré la présidente le 26 juillet pour discuter de sécurité et de migration, en compagnie du ministre hondurien de la sécurité. L’ancien ambassadeur Hugo Llorens (2008-2011), a également été reçu par Castro. Le gouvernement a annoncé que Llorens serait engagé en tant que conseiller en politique étrangère et lobbyiste auprès des États-Unis. Le ministre de la Défense et le secrétaire de la présidente ont rencontré le secrétaire adjoint à la Défense états-unien au Pentagone le 7 septembre. Depuis plusieurs années, le Honduras n’avait pas d’ambassadeur de carrière à Washington, seulement une chargée d’affaires. Cette situation a pris fin le 12 avril 2022 avec la nomination de l’ambassadrice Laura Dogu, qui a depuis des contacts récurrents avec les différents membres de l’administration Biden.
En juin 2022, le Honduras n’envoit pas de délégués au Sommet des Amériques de Los Angeles, faisant valoir un argument de solidarité avec les pays qui n’ont pas été invités. Cuba, qui était parmi ces pays, s’est à nouveau engagé à envoyer des médecins et enseignants 17. Cette même année 2022, les relations diplomatiques du Honduras avec le Venezuela ont repris. Quant au président mexicain, il s’est rendu au Honduras, de même que le président espagnol Sánchez. Le 1er décembre, l’Union européenne a signé deux accords de coopération avec le Honduras, pour un montant de 19,5 millions de dollars.
La Présidente Castro s’est rendue en Italie pour rencontrer le président Sergio Mattarella et le pape François en octobre. Ses dernières visites ont eu lieu à l’occasion de l’investiture de Lula et enfin et lors du VII Sommet de la CELAC à Buenos Aires le 24 janvier dernier. Le Honduras maintient ses relations avec le gouvernement de Taiwan qui, au mois de mai dernier, a fait un don de 10 millions de Lempiras pour l’éducation. Dans le même temps, le ministre des affaires étrangères hondurien et le vice-chancelier de la République Populaire de Chine, Xie Feng, ont eu le 1er janvier des conversations pour la construction d’un mégaprojet hydroélectrique, le barrage de Patuca II.Les ex-présidents du Paraguay (Lugo) et de l’Équateur (Rafael Correa) se sont rendus à Tegucigalpa lors de la commémoration de la 13e année du coup d’État contre Zelaya. Correa s’était déjà rendu au pays fin mars 2022, où le gouvernement avait annoncé qu’il était nommé consultant en matière économique. Des personnalités reconnues de la gauche internationale ont également rencontré la présidente, tels que l’homme politique espagnol Juan Carlos Monedero, nommé comme un conseiller du gouvernement. Le leader de la France Insoumise Jean-Luc Mélenchon s’est également entretenu avec Castro lors de sa visite à Tegucigalpa en 2022.
Sources
- Les auteurs remercient M. Antonio Manca pour la relecture de ce texte.
- Observatorio de la Violencia, « Boletín Enero-Diciembre 2021 », Edición No. 64, septiembre 2022, p. 1-16.
- Observatorio de la Violencia, « Informe Infográfico No. 10 », Datos preliminares Enero-Diciembre 2021, p. 1-2.
- Noticiero Hoy Mismo Estelar, Tegucigalpa, 16 de enero de 2023.
- Observatorio de la Violencia, « Boletín Infográfico No. 12 », Datos preliminares de 2022, 25 de noviembre 2022, p. 1-2.
- Hector Ayala, qui gère la session ce jour-là, accepte la motion de la député Valle , proposant le député Calix et sa junte comme président du CN. Or un capharnaüm est provoqué par les déclarations de la député de LIBRE. Profitant de la confusion générale, Hector Ayala l’approuve sans vote, se justifiant par la liste de 84 signatures apportée par Valle, Calix et ses alliés comme nouveaux dirigeants du CN, et, cela sans laisser l’opportunité aux autres députés de proposer des listes alternatives pour la JD ou de débattre ce qui venait d’arriver.
- Redondo, actuel président du CN, est accusé par la juge Karla Lizeth Romero, juge qui a proclamé Castro présidente le 27 janvier 2022, de menaces sur sa personne.
- La Junte doit proposer une liste de 23 femmes et 22 hommes potentiels au CN pour le 23/01/2023 au plus tard.
- Cette motion de réforme à l’article est apportée par le le chef de file des députés de LIBRE, Rafael Sarmiento, qui a un lien de parenté avec la présidente.
- « Centroamérica entre la crisis y la esperanza (1978-1990) », Madrid, Sociedad Estatal Quinto Centenario/Facultad Latinoamericana de Ciencias Sociales, 1993, p. 35-88.
- Posas, Mario, « Movimientos sociales en Honduras », en Ramón Romero (ed.), Antología del pensamiento crítico hondureño contemporáneo, Buenos Aires, CLACSO, 2019, p. 259–292.
- Aguilar, Leonardo, Ávila, Jennifer, « Honduras : entre la democratización y el poder familiar », Revista Nueva Sociedad, No. 300, 2022, p. 113-126.
- Revista Nueva Sociedad, « Entrevista a Mario R. Argueta », Janvier 2023. Traduction des auteurs.
- Avec le ministère des ressources naturelles et de l’environnement (MiAmbiente) et le soutien de l’armée.
- Ou encore celle créée par les routes des trafiquants de drogue à l’est du pays.
- La police a communiqué trois jours plus tard qu’il s’agissait d’un vol qui a dérapé en meurtre et non pas d’assassinats ciblés.
- Le programme éducatif « Yo Si Puedo » a été mis en place en janvier 2023.