• Le 14 avril dernier, Kigali et Londres ont signé un accord inédit et controversé consistant à envoyer au Rwanda des demandeurs d’asile arrivés illégalement au Royaume-Uni, pendant 5 ans. Ils doivent être hébergés au Rwanda le temps de l’instruction de leur demande, en vue d’une potentielle régularisation (au Rwanda, pas au Royaume-Uni), ou alors ils seront renvoyés dans leur pays d’origine. En échange, le Rwanda recevra 120 millions de livres sterling pour organiser l’accueil, mais aussi plus généralement dans le cadre de l’aide au développement du pays.
  • En ce qui concerne la politique offensive des Tories, l’accord est mis sur un piédestal par le gouvernement de Boris Johnson. Le Premier ministre britannique a déclaré que le Rwanda était « l’un des pays les plus sûrs de la planète » et la ministre de l’Intérieur, Priti Patel estimait sur Twitter que « Le Royaume-Uni et le Rwanda s’unissaient pour promouvoir un nouveau système d’asile mondial, plus juste et plus efficace ». Tandis que l’ONG américaine Freedom House accorde des notes très hétérogènes : 21/100 au Rwanda en matière de « statut de la liberté » dans le pays, contre par exemple 89/100 en France et 93/100 au Royaume-Uni. 
  • L’accord est d’abord critiqué par l’opposition rwandaise (de plus en plus muselée par Kigali) qui considère qu’il s’agit soit d’un refus de responsabilité du Royaume-Uni, soit d’un risque de concurrence accrue pour l’accès de tous aux ressources au Rwanda. Ailleurs en Afrique, le directeur Afrique centrale pour Human Rights Watch a déclaré « le Rwanda a maintes fois démontré combien il estime la protection qui doit être accordée aux réfugiés selon les lois internationales »1. Il est également fortement condamné par le Haut Commissariat aux Réfugiés de l’ONU. Au Royaume-Uni, plusieurs ONG ont déposé un recours en justice mercredi dernier. Initialement, 130 personnes devaient faire partie du premier avion à destination de Kigali, mais la Cour de justice britannique, bien qu’elle ait refusé de retoquer le principe même de l’accord entre Londres et Kigali, a revu au cas par cas le dossier des 130 demandeurs d’asile, ce qui a conduit la Cour à annuler l’expulsion d’une grande majorité d’entre eux. Seulement 7 à 10 personnes seraient désormais concernées par la nouvelle procédure d’externalisation des demandeurs d’asile.
  • En ce qui concerne le Rwanda, ce n’est pas la première fois que le gouvernement rwandais envisage un tel accord, ni que ce type d’externalisation se produit. Par exemple, il a instruit depuis 2019 le dossier de migrants (en grande partie érythréens et somaliens) faits prisonniers en Libye, une pratique cette fois-ci garantie par l’OUA et le HCR car elle préserve les personnes des traitements indignes subis en Libye et est considérée comme une aide humanitaire temporaire.
  • L’accord a une durée de 5 ans et Boris Johnson considère qu’il pourrait envoyer au Rwanda des dizaines de milliers de migrants. Le Danemark est également intéressé par la démarche et négocie avec Kigali. La loi autorisant l’externalisation des demandes d’asile a déjà été votée par le parlement danois en juin 2021. En avril, un porte-parole de la Commission européenne a déclaré : « Cela n’est pas possible en vertu des règles européennes existantes, ni en vertu des propositions du nouveau pacte sur l’immigration et l’asile ».
  • La porte-parole du HCR, Céline Schmitt, déclarait l’an dernier dans nos colonnes : « Dernièrement, nous avons aussi réaffirmé que le HCR est fermement opposé aux efforts qui visent à externaliser ou délocaliser les obligations en matière d’asile et de protection internationale vers d’autres pays. Cette délocalisation va à l’encontre même de l’esprit de la convention de Genève, et du Pacte mondial pour les réfugiés, qui vise à un partage et pas à un transfert des responsabilités vers les pays qui accueillent déjà la majorité des réfugiés dans le monde. 86 % des réfugiés sont en effet accueillis par les pays en développement ». Selon le HCR, les personnes fuyant la guerre et les conflits ne devraient pas être « échangées comme des marchandises et transférées de force à l’étranger »2.
Sources
  1. Human Rights Watch, « Public Letter to UK Home Secretary on Expulsions to Rwanda », 11 juin 2022.
  2. Haut Commissariat aux Réfugiés, « Le HCR s’oppose au projet britannique visant à transférer des demandeurs d’asile au Rwanda », 20 avril 2022.