Convaincre, décrire, amuser : le pari tenu de la saison 2 de Parlement
Aujourd'hui sort la deuxième saison de la série à succès Parlement. En croisant la dimension pédagogique, l'humour et une intrigue serrée qui assume de montrer de la conflictualité au sein des institutions européennes, cette deuxième saison tient le pari de la première. Le point de vue d'Olivier Costa.
France Télévision diffuse, depuis le 9 mai 2022, jour de la fête de l’Europe, la deuxième saison de la série « Parlement ». Cette coproduction franco-germano-belge, créée par Noé Debré, coécrite avec Doran Johnson, Pierre Dorac et Maxime Calligaro, et coréalisée par Émilie Noblet et Jérémie Sein, narre les aventures de Sami, un assistant parlementaire novice (Xavier Lacaille), entré au service d’un député européen flemmard et incompétent (Philippe Duquesne). La première saison relatait la manière dont ils avaient réussi, tant bien que mal, à faire adopter par le Parlement européen un amendement destiné à interdire le « finning », pratique de pêche barbare consistant à prélever les ailerons de requins avant de les remettre à l’eau vivants. Sami, entré au service d’une autre députée, découvre que le vote de l’amendement n’était que la première étape ; il convient désormais de convaincre le Conseil de l’Union, où siègent les ministres représentant les 27 États membres.
Le désintérêt historique de la fiction pour l’Union européenne
Cette série tranche avec le désintérêt des scénaristes de télévision et de cinéma pour les institutions européennes. Il est d’autant plus flagrant et énigmatique que, de l’autre côté de l’Atlantique, de multiples films et séries dépeignent depuis longtemps les rouages de la vie politique américaine. Ils le font à divers niveaux et sur divers tons, de la comédie au drame en passant par la romance et la satire la plus caustique. Il en va de même, dans une moindre mesure, à l’échelle nationale : la politique reste, après le crime et la médecine, la principale source d’inspiration des scénaristes.
Mais personne ne semble prêter attention à ce qui se trame derrière les façades de verre des institutions européennes. On peut mettre ce manque d’intérêt sur le compte de la méconnaissance générale de ce monde, dont qu’il convient d’être familier pour qu’il inspire. Deux des scénaristes de la série « Parlement », Pierre Dorac et Maxime Calligaro, travaillent ainsi au sein des institutions européennes, et ont une parfaite connaissance de leurs rouages. L’absence de série consacrée au microcosme européen résulte sans doute aussi du manque d’intérêt supposé des citoyens, et donc des spectateurs, pour les questions européennes. L’argument est connu, et vaut aussi bien pour les médias, qui font peu de cas des activités de l’Union, que pour les éditeurs, qui sont allergiques aux livres parlant d’Europe. Il faut également compter avec la complexité objective de ce système politique, où règnent le polycentrisme, le discours expert et la recherche du compromis, et qui laisse peu de place aux figures héroïques. Il y a aussi les contraintes liées au multilinguisme ; comment, en effet, filmer un monde où chacun est en droit de s’exprimer dans sa langue maternelle, et où la plupart des protagonistes parlent 3 ou 4 langues ? Enfin, il faut noter qu’il y a, a priori, peu d’enthousiasme du côté des institutions de l’Union à accueillir des tournages. Dans leur rapport avec les artistes comme dans celui avec les journalistes et les citoyens, les responsables européens veulent avant tout maîtriser leur communication et redoutent le pamphlet. La stratégie semble contreproductive. Car, à refuser que les médias, au sens large du terme, s’emparent de l’existence des institutions européennes, la communication à leur endroit ne s’opère pas, et elles offrent en définitive l’image de boîtes noires au fonctionnement bien peu démocratique.
Un univers pourtant propice à la fiction
Pourtant, tout se prête à la narration et à l’intrigue dans les institutions de l’Union, et plus particulièrement au Parlement européen. Les lieux, d’abord. Pour cette deuxième saison, les réalisateurs ont pu filmer dans les locaux de l’assemblée à Strasbourg, durant le mois d’août – période de congés pour l’institution. Ils n’ont pu tirer profit de l’agitation si particulière qui caractérise les semaines de session, mais ont compensé cela avec des figurants et des prises de vue étudiées. Les installations du Parlement à Strasbourg sont en effet incroyablement graphiques et offrent des perspectives spectaculaires, qui rendent bien compte du désarroi de certains acteurs face à la complexité de l’Union, aux subtilités de sa prise de décision et aux jeux de pouvoir qui l’animent. On se souviendra du député-cancre, Michel Specklin, perdu dans le labyrinthe que forment les coursives et passerelles du bâtiment, puis enfermé dans un ascenseur transparent qui le conduit, contre son gré, à l’étage de la Présidence…
Il y a les personnages, ensuite. Au-delà d’une apparente uniformité, le Parlement européen est peuplé de toutes sortes de gens. Des parlementaires, qui sont d’une extrême variété par leur nationalité, leurs convictions, leurs centres d’intérêts et leur expérience de l’institution. Mais aussi des fonctionnaires européens, des assistants parlementaires, des lobbyistes, des représentants de la société civile, des stagiaires, des émissaires des autres institutions, des journalistes et des fonctionnaires nationaux. Les scénaristes ont enrichi la galerie de portraits de la première saison avec une série d’élus et de fonctionnaires aussi dégourdis que machiavéliques. Leur arrivée accroît le réalisme de l’intrigue – la première saison ayant un peu trop insisté sur l’incompétence ou la bêtise de certains personnages centraux. La série progresse aussi beaucoup quant à la subtilité et à la richesse des relations – professionnelles, politiques, amicales et amoureuses – entre les protagonistes, et donne plus de grain à moudre aux acteurs.
Des intrigues à niveaux multiples
Le Parlement européen est aussi un lieu propice aux intrigues. Il y a les péripéties professionnelles de gens qui essaient de trouver leur place, de la conserver ou qui convoitent celle d’autrui. Il y a ensuite les menées politiques, qui sont d’une grande complexité à l’échelle européenne, puisqu’elles mêlent des logiques partisanes, nationales et institutionnelles, et le souci de toujours préserver le consensus. Il y a enfin les aventures amoureuses, parmi des gens qui passent le plus clair de leur temps sur leur lieu de travail, et dont les relations sont compliquées par les malentendus culturels.
Le Parlement européen est également un espace opportun au comique de situation. S’il était un peu appuyé lors de la première saison, il se fait plus léger, et joue notamment avec malice des hiatus nationaux. À ce compte, les Allemands – représentés comme des gens froids et rationnels, décidés à toujours imposer leurs vues et leurs intérêts, et agacés par les fantaisies des autres ressortissants – ne sont pas épargnés. La narration joue aussi des divers degrés d’expertise et de compétence des protagonistes, entre Valentine, la députée novice qui apprend vite, Michel, le député chevronné toujours aussi largué, Eamon, le fonctionnaire qui sait tout des institutions et des procédures, Rose, la lobbyiste incapable de remplir sa mission, et Sami qui apprend peu à peu le métier. La série nous dépeint avec justesse un microcosme où se côtoient des parlementaires qui n’entendront jamais rien à ce qui se trame, des fonctionnaires et députés qui en ont une vue partielle, et quelques stratèges qui tirent les ficelles.
La pédagogie par la fiction ?
« Parlement » est une série qui permet aux citoyens de se familiariser avec l’univers des institutions européennes et la logique des négociations qui y prennent place. Ils n’en comprendront peut-être pas tous les détails, mais peu importe ; il n’est pas nécessaire de saisir toutes les subtilités techniques des séries médicales, judiciaires ou policières pour y trouver un intérêt. Les arcanes de l’intégration européenne sembleront néanmoins plus familières aux spectateurs, et sans doute plus légitimes. Car on ne rejette réellement que ce que l’on ne comprend ou ne connaît pas.
Une série comme « Parlement » est de nature à changer le regard que l’on porte sur l’Union européenne en tant que système politique, car elle l’assume en tant que tel : comme un régime politique comparable à d’autres, qui implique des acteurs animés par des idées, des ambitions et des projets, qui essaient de tirer leur épingle du jeu en jouant avec les règles, en créant des rapports de forces, en négociant des compromis et en trahissant au besoin leur parole.
Assumer enfin la conflictualité dans l’Union
Dans les institutions européennes, on a longtemps fait primer l’idéal de concorde sur celui de démocratie. Au nom du refus du conflit entre les peuples, on a imposé une unanimité de façade, dont chacun se doutait qu’elle était le résultat de l’ajustement de positions nationales, au détriment de toute vision d’ensemble et de la prise en compte des aspirations des citoyens. Désormais, au Parlement européen du moins, on assume la conflictualité, car la démocratie, ce n’est pas l’unanimité, mais la controverse. C’est sans doute la raison pour laquelle l’assemblée a accueilli l’équipe de tournage pour cette deuxième saison. L’étape suivante serait de lui permettre de se mêler à ses activités réelles, pour saisir avec plus de véracité encore l’agitation de cette véritable fourmilière humaine.
« Parlement » est une série qui a mûri et trouvé son ton. Elle mêle désormais parfaitement la comédie et l’intrigue, et, l’air de rien, la pédagogie. Dans cette deuxième saison, les scénaristes ont choisi de faire droit à la complexité des procédures, des dossiers et des négociations, et des jeux de pouvoir qui se déploient au sein des institutions et entre elles. La série montre qu’il n’est pas facile, en matière de « finning » comme en bien d’autres, de définir ce qu’est l’intérêt général européen et de le faire prévaloir. Il reste le problème de la langue, qui dissuadera une partie du public, rétif aux fictions sous-titrées. En Espagne, la première saison a été diffusée par la télévision publique dans une version doublée. On imagine qu’elle y perd une partie de son intérêt et beaucoup de son réalisme, tels ces films de guerre américain où tous les protagonistes parlent anglais, avec un mauvais accent allemand, russe ou japonais.