Krzysztof Siwczyk, Sygnał w zenicie (Signal au zénith), Cracovie-Budapest-Syracuse, Austeria

Grâce à la mémoire de son lieu de naissance (une ville industrielle inesthétique de la Silésie), l’auteur est capable de voir que la beauté d’aujourd’hui abolit un monde qui n’est pas beau, transforme l’ordinaire en laideur et la médiocrité en échec. Annule ce qui semble être important.

Que reste-t-il après une telle leçon de méfiance ?

«  C’est la langue qui constitue l’outil de la résistance : une langue construite par l’auteur à l’aide du mélange de styles, de déformations de citations célèbres, de coupures de mots. C’est une langue qui se situe quelque part à la lisière entre la poésie et la prose, une langue qui décrit le monde et en même temps persécute sans pitié ces mots qui ont tendance à voiler le monde.  »

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Marie Maher, Klaus Klaus, Alma Éditeur

« Voilà la véritable énigme du livre : non pas pourquoi Klaus est comme il est, mais ce que c’est que d’être Klaus, ce que c’est que d’être cette personne qui, en dépit de ses désirs frustrés et de ses rêves torturés (dont un nous sera raconté, vers la fin), a une manière de maîtriser sa vie qui, se dit-on parfois, lui évite d’être malheureux.  »

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Heike Geißler, Die Woche, Suhrkamp Verlag

Dans Die Woche (La semaine), Heike Geißler, née en 1977 en Allemagne de l’Est, décrit une époque où tout part en vrille. Où les mardis ne suivent plus les lundis. Tel un sismographe, elle détecte les problèmes de nos sociétés, à la recherche d’une possible révolte. Un roman qui soulève de nombreuses questions sans y apporter les réponses.

«  Dans leur tête, ça tourne. Sans relâche. Une véritable tempête. Ne plus dissimuler les problèmes, ouvrir les yeux, sentir, nommer, changer les choses… renverser la table. Un flux de conscience de la première à la dernière page. Ce roman, composé de courtes phrases, de brefs dialogues, de monologues intérieurs, de nombreuses références littéraires, psychologiques et sociologiques, est un commentaire ultra-lucide sur notre époque, dont émane une force rare.  »

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Marica Bodrožić, Die Arbeit der Vögel, Luchterhand

«  Pyrénées, septembre 1940 : Walter Benjamin emprunte un ancien sentier de contrebandiers entre la France et l’Espagne dans l’espoir de fuir le vieux continent. Quatre-vingts ans plus tard, l’écrivaine Marica Bodrožić décide de suivre ses pas de Banyuls-sur-Mer à Portbou et de consigner, chemin faisant, des « sténogrammes de l’âme ».

Plus que le récit d’une marche, Le Travail des oiseaux fait l’expérience d’un chemin. Tout au long de ce texte à la fois narratif, essayistique et poétique, apparaît une figure de Wanderer d’un genre tout à fait nouveau.  »

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Eva Baltasar, Mamut, Literatura Random House

Quand l’actualité européenne et mondiale semble imposer de nouvelles explorations esthétiques hors des sentiers battus de l’autofiction, des romans comme celui de Baltasar proposent un retour à une riche tradition tout en ayant une grande contemporanéité : la fiction rurale. Un mouvement qui ne cherche plus les terres promises ou les paradis perdus, mais qui met l’accent sur le désenchantement et la solitude. 

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Isabel Bono, Los Secundarios, Tusquets Editores

Los Secundarios, le dernier roman d’Isabel Bono, publié aux éditions Tusquets, nous plonge dans la complexité de la vie moderne, la solitude et le ressentiment à travers l’histoire de deux personnages seuls qui se retrouvent à l’âge de la maturité.

«  Bien qu’il soit inévitable de penser à la tristesse qui déborde de l’œuvre, nous ne sommes pas face à un roman pessimiste, bien au contraire. Bono rend hommage à tous ceux qui vivent en espérant quelque chose de mieux, à ceux qui sont en marge de la société, à la limite de la médiocrité et qui ont pourtant beaucoup à dire.  »

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Ondřej Hübl, Le rideau (Opona), Druhé město

Le Rideau est une dystopie existentielle proche du thriller et qui ne cache pas son goût pour le mystère. Le héros, propriétaire prospère d’une société d’intelligence artificielle, commande pour sa famille un voyage à l’époque du stalinisme le plus sombre pour «  guérir » sa fille de son orientation politique de gauche. L’agence qui l’organise promet de leur faire revivre les années 1950 en Tchécoslovaquie : les procès politiques, la collectivisation de l’agriculture, les travaux forcés dans les mines et les pièces de théâtre censées participer à «  l’édification  » du régime… Cet îlot de dictature est situé dans une petite ville, quelque part à l’Est, peuplée uniquement d’acteurs et de figurants. Mais le jeu historique grandeur nature devient de plus en plus réel et la ville finit par devenir un piège. Le récit, plein d’absurdité, de sarcasmes et de rebondissements, aborde les questions suivantes : jusqu’où l’individu est-il prêt à céder au totalitarisme ? Qu’est-il capable de sacrifier pour sa propre survie ? Dans quelle mesure aspire-t-il vraiment à la liberté ? Le Rideau combine une récit puissant à un thème sérieux, le tout traité avec un humour subtilement dosé.

Le Rideau est le deuxième livre d’Ondřej Hübl. Son premier ouvrage, un recueil de nouvelles intitulé Le Festin des cygnes morts (2018), rassemble des histoires originales racontées sur le ton de humour noir.

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Bogdan-Alexandru Stănescu, Abraxas, Iași, Polirom

Abraxas : le nom mystique du dieu contradictoire qui nous ouvre les portes du palais des miroirs qui déforment la réalité trompeuse où vit Miki Lucescu.

Isolé des hommes et de la vie dans une mansarde louée dans le grenier d’une maison ancienne, il se laisse emporter par le flux de la mémoire jusqu’au hall d’un immeuble de son enfance. Les paliers sombres aux carrelage vert, tels une piscine d’intérieur, font surgir progressivement l’image d’une étrange maison aux lions, où il avait jadis vécu avec la Princesse Ralu, sa mère théâtrale et écrasante comme une force de la nature.

De cette maison vivante, gardée par deux lions en pierre et collée au cimetière juif, on voit le Bucarest terne de la dernière décennie du communisme et celui criard d’après la Révolution de 1989. Pendant ses errements dans l’immeuble de ses souvenirs, Miki ouvre l’une après l’autre les portes des 11 appartements et pénètre dans quelque ancien cinéma bucarestois, devenant à la fois le spectateur et le protagoniste d’un film sur l’échec, la destruction et l’autodestruction.

Les épisodes de ce film, où il joue son propre rôle ou il porte les masques des autres, se déroulent en des points différents de l’espace et du temps, de l’âge obscur de la croisade de Frédéric Barberousse jusqu’à un avenir postapocalyptique englouti par les eaux, passant par la Vienne de Jacob Levy Moreno, le Paris d’Ilarie Voronca et le New York de Delmore Schwartz.

Mais tous ces reflets, les uns clairs, les autres troubles, composent l’âme du personnage, de l’Homme. Car Abraxas est à la fois lumière et ténèbres – la vie et la mort, l’amour et sa destruction. C’est le monde entier.

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Luīze Pastore, Laimes bērni (Les Enfants de Laime), Liels un Mazs

Laimes bērni – « les enfants de Laime » peut aussi se lire, par un effet de double sens en letton impossible à rendre tel quel en français « les enfants du bonheur » ou « les enfants de la chance  ». Avec son dernier roman, la jeune autrice lettone Luīze Pastore (1986) vient de recevoir en mars dernier le prestigieux prix « New Horizons » du « Bologna Ragazzi Award », à l’occasion de la Foire du livre de jeunesse de Bologne, le plus important salon international pour le livre de jeunesse. C’est une belle reconnaissance pour son travail d’autrice, mais aussi pour celui de son éditrice, Alīse Nīgale, dont la maison « Liels un Mazs » (Petit et Grand) créée en 2004 s’est vue aussi remettre le prix de l’éditeur jeunesse 2022. Un tel succès international pour le livre letton est suffisamment exceptionnel pour être relevé et salué.

Exclusivement dédiée aux enfants, l’œuvre de Luīze Pastore connaît depuis plus de dix ans un succès constant en Lettonie, notamment sa série « Mākslas detektīvi » (Les Détectives de l’Art) en collaboration avec l’illustratrice Elīna Brasliņa, qui associe une enquête de type policier et une toile emblématique des musées lettons, ou encore son « bestseller » Maskačkas stāsts (récit de Maskatchka, Neputns, 2013), adapté au cinéma par Edmunds Jansons, sous le titre Jacob et les chiens qui parlent et qui a été plutôt bien reçu en France.

Le point de départ de ce singulier roman d’aventures, c’est la biographie d’un bourlingueur letton, Aleksandrs Laime (1911-1994), aussi connu sous les noms d’Alejandro Laime ou d’Alexander Laime, et dont la vie est liée au parc national de la Canaima au Venezuela. Topographe, aventurier, homme d’affaires, entrepreneur touristique, Aleksandrs Laime, fut notamment, en 1955, le premier occidental à remonter la source qui alimente le Salto Ángel ou Kerepakupai Vená, la chute d’eau la plus haute du monde (979 mètres) qui se jette du haut de l’Auyan Tepuy (la Montagne du diable). Célébrité de son vivant, Aleksandrs Laime connut son heure de gloire dans les médias locaux et internationaux, parla beaucoup, mais le déroulement de son existence demeure entouré d’un certain mystère, brouillé par sa relation assez libre à  l’objectivité des faits.

Laimes bērni n’est pas une biographie, mais un « récit inventé à partir de faits authentiques » selon les mots de l’autrice, une plongée poétique dans l’imaginaire tropical, les mythes des civilisations autochtones, les histoires légendaires associées à l’aventurier : une affabulation.

Lise est une journaliste suédoise envoyée en mission par son magazine à l’Isla Orquídea pour tirer au clair les activités de ce singulier letton des antipodes à qui la rumeur publique attribue de surcroît des dons de chercheur de diamants et d’or. Lorsqu’elle arrive sur place, le Letton est parti en expédition sur la Montagne du diable, et c’est accompagnée des propres enfants de Laime, la formidable « Krītiņš » (pastel) et son petit frère, ainsi que d’une escorte de guides indiens qu’elle part le rejoindre à travers la jungle. Ciblant un lectorat pré-adolescent, ce solide roman réussit le tour de force d’hybrider la trame simple et efficace du récit d’aventures avec un univers onirique foisonnant, adossé à une langue riche, savoureuse, mobilisant avec jubilation des lexiques savants ou exotiques. Luīze Pastore croit à la magie des mots et à la curiosité des enfants. Les illustrations d’Evija Pintāne prennent à rebours les codes du genre et semblent fonctionner comme un ouvroir à imagination et non comme une redondance du texte. Ses virtuoses dessins au crayon déploient une subtile palette allant du noir profond au gris pâle, et, reprenant le style du carnet d’esquisses des explorateurs — fragments de végétaux, schémas, paysages, plans, artefacts archéologiques —, ils jouent à plein avec l’illusion de l’archive et l’effet d’authenticité. Aucun visage, aucun portrait  d’aucun personnage, aucune figure humaine. Pas de compromis. À vous de jouer les enfants, tout reste à inventer !

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Valtteri Mörttinen, Mutta suurin niistä on raha, (Mais l’argent est le plus grand), Docendo

Helsinki, ville du crime et du péché ? Plusieurs auteurs finlandais ont présenté leur capitale comme une nouvelle Babylone ou une nouvelle Gotham, mais nul sans doute n’est allé aussi loin que Valtteri Mörttinen qui, dans son premier roman après une carrière de journaliste, reprend aussi bien les clichés du roman noir étatsunien que ceux du polar nordique, notamment le cliché de l’enquêtrice bourrue et en marge de la société, pour les outrer, les transformer et les pousser dans leurs retranchements. Il obtient ainsi une sorte de polar chimiquement pur qui se prête aussi bien à une lecture au premier degré qu’à une lecture plus ironique sur la vogue du polar, tant en littérature qu’en série.

Dans Mais l’argent est le plus grand, Mörttinen évoque un chauffeur de taxi malmené par la vie et par le Covid qui décide de changer de branche et de devenir le baron finlandais de l’héroïne. Mais sa route et celle de son improbable acolyte sont bientôt jonchées de cadavres, ce qui précipite à leurs trousses Ailon Rajakari, policière aux méthodes contestées.Ce roman s’inscrit dans la très populaire veine du nordic noir, mais essaie de la dépasser par un côté jusqu’au-boutiste qui le singularise. La qualité de son style et de ses dialogues a été saluée par la presse finlandaise.

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Crédits
Cette sélection, coordonnée par Mathieu Roger-Lacan, a été composée grâce à Andrea Apostu, Nicolas Auzanneau, Jordi Brahamcha-Marin, Martin Carayol, Przemysław Czapliński, Benoît Meunier, Katja Petrovic, Kinga Siatkowska-Callebat, Emmanuelle Terrones, Félix Terrones, Lucia Tolosa, Marlena Wilczak.