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Key Points
- Les forces aériennes russes (VKS) sont sous-utilisées, mais représentent la principale et plus rapide réserve de forces disponible, en volume et en qualité tactique.
- La question de l’engagement de l’armée biélorusse est toujours en suspens, les réticences internes sont toujours importantes, comme en témoigne la démission du chef d’état-major général biélorusse.
- Pour l’instant, l’apport de supplétifs étrangers est trop faible en volume et en qualité pour avoir une réelle influence sur les évènements.
La version d’hier est disponible ici. L’archive des analyses quotidiennes de Michel Goya est disponible à ce lien.
Situation générale
Elle est toujours inchangée. Les forces russes n’ont plus lancé d’attaques de grande ampleur depuis le 4 mars. On a l’impression que l’armée russe s’est obstinée à poursuivre un mauvais plan jusqu’à se retrouver imbriquée, dispersée et bloquée devant des localités. Il est difficile désormais pour elle de relancer une offensive cohérente alors que les renforcements sont limités.
Il existe deux points de déblocage possibles à court terme. Le premier est à Marioupol et le second se trouve dans le Donbass face à l’armée ukrainienne. Dans les deux cas, la capacité de résistance ukrainienne est largement dépendante de leurs stocks et de leurs flux logistiques, dont le volume est inconnu.
Situations particulières
Dans les airs
Les forces aériennes russes (VKS) sont sous-utilisées, mais représentent la principale et plus rapide réserve de forces disponible, en volume et en qualité tactique pour peu qu’elles aient une meilleure coordination avec le sol, plus de souplesse et une capacité technico-industrielle à fournir plus de munitions de précision. Il est probable qu’elles soient plus utilisées à l’avenir, d’autant plus que le stock de missiles de précision, très utilisés, décline de 2 % par jour.
Mais la défense anti-aérienne ukrainienne est toujours bien organisée, avec notamment une défense basse couche de plus en plus dense. L’accroissement du nombre de sorties s’accompagnera d’un accroissement des pertes russes.
Zone Ouest
La question de l’engagement de l’armée biélorusse est toujours en suspens, les réticences internes sont toujours importantes, comme en témoigne la démission du chef d’état-major général biélorusse.
Zone Kiev et Nord
Il n’y a pas d’opérations au-delà du niveau de la compagnie et du bataillon dans la périphérie Ouest de Kiev entre Dymer et Irpin. Un bouclage complet de Kiev est impossible avant plusieurs semaines, ce qui retarde les possibilités d’attaque de la ville par l’armée russe.
Zone Est et Donbass
On remarque un regain d’activité russe sur l’arc entre Yisium et Zaporijia, qui s’étend autour des frontières des républiques séparatistes de Donetsk et Lougansk. La pression sur l’armée ukrainienne du Donbass s’accentue. Les moyens russes sont limités, mais ils pourraient s’accroître rapidement si Marioupol tombe. Or la ville ne tombera que lorsque ses défenseurs n’auront plus de vivres et munitions.
Zone Sud-Ouest
Les forces russes sont insuffisantes pour s’emparer de Mykolayev et poursuivre vers Odessa. Des mouvements de la flotte de la mer Noire ont été repérés près d’Odessa. Nous sommes peut-être au début d’une campagne de frappes sur la ville, mais une opération amphibie paraît difficilement concevable sans la coordination avec une offensive terrestre.
Perspectives
On assiste aussi à un effort massif de recrutement de volontaires russes ou étrangers. Plusieurs camps de formation ont été créés en Russie et en Biélorussie.
Faut-il voir dans cet appel à des mercenaires étrangers l’appel des asabiyya – communautés avec une culture guerrière – chères à Gabriel Martinez-Gros ? Ces mercenaires servent à pallier les difficultés démographiques de la société russe – vieillissement, familles à enfant unique. L’objectif est de ne pas perdre de soldats au combat, phénomène pouvant être amplifié par le combat urbain rapproché difficile.
D’un autre côté, la société ukrainienne est assez proche de celle de la Russie, mais elle n’hésite pas à donner l’exemple d’une « nation en armes », attitude qu’on n’attendait justement plus de la part d’une nation européenne. Pour résumer, on a donc d’une part une nation en guerre pour sa survie en tant que nation et d’autre part « une opération spéciale » périphérique et non vitale.
Pour l’instant, l’apport de supplétifs étrangers est trop faible en volume et en qualité pour avoir une réelle influence sur les évènements.
Théorie : peut-on concevoir une guerre souterraine entre l’OTAN et la Russie ?
En théorie, la réponse est oui. La première règle est que les puissances nucléaires ne s’affrontent pas militairement directement de peur d’escalader très vite vers le moment où les échanges thermonucléaires deviennent possibles, ce que personne ne veut. Certes, comme toutes les règles, celle-ci peut ne plus être respectée, mais depuis plus de soixante-dix ans ans, celle-ci l’est alors qu’il y a eu durant cette période de grands moments de tensions.
La deuxième règle est que tout ce qui est sous le seuil de l’affrontement militaire direct est permis. C’est ce qui se passe actuellement avec les sanctions économiques, les cyberattaques, les campagnes d’informations et de désinformations. On peut utiliser l’instrument militaire dans ce cadre, à des fins démonstratives. Cela peut aller de l’envoi d’un bataillon militaire français en Roumanie jusqu’à l’annonce de la mise en alerte accrue des forces nucléaires en Russie.
Cependant, il peut arriver que l’on se sente obligé de franchir légèrement le seuil du combat et donc de franchir le « nouveau rideau de fer » pour rechercher plus d’effets. Cela se fait généralement discrètement lorsque cela a peu d’ampleur. On peut par exemple envoyer quelques soldats fantômes de l’autre côté de la frontière pour effectuer des sabotages chez l’ennemi ou au contraire venir aider nos amis à organiser une guérilla. Les « services secrets » sont faits pour cela.
On peut même s’affronter à bas bruit le long de la frontière. Le Royaume-Uni et l’Indonésie, bien que celle-ci ne soit pas une puissance nucléaire, se sont combattus dans la jungle de Bornéo de 1963 à 1966. Près de 900 hommes sont morts au combat sans que personne n’en parle. Durant une bonne partie de l’année 1969, l’URSS et la Chine se sont affrontés le long du fleuve Oussouri avec là encore plusieurs centaines de morts.
On peut concevoir aussi des choses plus visibles, comme un avion abattu après avoir franchi par erreur un autre espace aérien comme l’avion russe abattu par la Turquie en novembre 2015. Ou encore un tir de missiles ou de roquettes sur une base arrière ukrainienne en Pologne. Cela suscitera à chaque fois une grande émotion, on se parlera et on calmera le jeu.
Enfin, il y a l’absence de contrôle, comme lorsque les mercenaires Wagner se fracassent sur l’armée américaine en Syrie près de Deir Ezzor en février 2018. En effet, selon la troisième règle, si on ne peut pas s’affronter directement, au-delà de quelques accrochages, on peut s’affronter violemment par le biais d’intermédiaires, surtout si c’est loin de l’Europe.