• Vendredi dernier, le plus important paquet législatif voté sous le gouvernement socialiste espagnol a été approuvé par une très faible majorité. La très attendue réforme du code du travail, élaborée par Yolanda Díaz (ancienne membre du parti communiste de Galice et actuelle ministre du Travail), experte spécialisée dans le conflit social au sein de la coalition progressiste, a été ratifié à une voix près, ce qui a permis à la coalition de rester en place. En effet, le vote de la loi ne s’est pas fait sans tensions ni polémiques à l’intérieur du gouvernement. Ces derniers mois, des désaccords majeurs se sont faits jour entre le ministre de l’Économie Nadia Calviño (PSOE) et Yolanda Díaz, sur la réforme de lois votées en 2012 sous le gouvernement de Mariano Rajoy (PP), emblèmes des politiques néolibérales d’austérité pour le bloc progressiste.  Bien que l’actuelle refonte du code du travail n’efface pas totalement les lois de 2012, les nouvelles lois en modifient d’importantes parties sur les contrats temporaires de sous-traitance et sur le pouvoir de négociation des syndicats et des corporations. Cette réforme touchera profondément les travailleurs les plus précaires dans le secteur des services, notamment dans les télécommunications et le nettoyage1. Elle pourrait devenir le plus grand marqueur symbolique du bloc progressiste pour le prochain cycle électoral. 
  • Cette nouvelle réforme peut être interprétée comme succès politique mené sous l’autorité de Yolanda Díaz, dont la popularité, à l’approche des prochaines élections, ne cesse d’augmenter depuis quelques années2. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la large interprétation de la réforme du code du travail dans le débat public espagnol. Ainsi, vendredi dernier, dans une tribune pour le quotidien Eldiario, Yolanda Díaz défendait l’idée que la réforme ne visait pas seulement à mettre fin au travail précaire, mais qu’elle instaurait aussi un nouveau contrat social dans les faits et dans la durée3
  • Autrement dit, plus qu’une simple réforme, la nouvelle loi se présente comme le début d’une nouvelle ère qui favorisera les droits des travailleurs et le développement de la protection sociale. Le même message a été transmis au 12ème Congrès des Comisiones Obreras (CCOO) – le plus ancien syndicat espagnol créé lors de la dernière décennie de la dictature franquiste – où Yolanda Díaza a prononcé un fervent discours, dans lequel elle annonce vouloir à long terme revenir sur la totalité des lois sociales votées par le Parti Populaire (PP), tout en augmentant le salaire minimum interprofessionnel d’environ 60 % de son niveau actuel (956€ par mois)4. Formée comme avocate et ayant lancé sa carrière politique au niveau régional à La Corogne, Yolanda Díaz est perçue comme articulée et professionnelle ; elle met en pratique une tactique politique initialement promue par l’actuel leader du Parti des Verts espagnols (Más País) Íñigo Errejón, essayant de chercher des électeurs au-delà de sa propre base électorale. De plus, contrairement à Pablo Iglesias – l’ancien leader de Podemos, qui a démissionné après les mauvais résultats de son parti aux élections de mai 2021 – Díaz n’est pas une idéologue, ce qui signifie qu’elle est capable de négocier avec d’autres groupes politiques, tout en restant une grande porte-parole de la coalition progressiste. 
  • La popularité croissante de Yolanda Díaz et l’augmentation du nombre de bonnes opinions dans les sondages montrent que le PSOE pourrait rester au pouvoir sans bouleverser la stabilité gouvernementale. Comme Lola Garcia l’a récemment rappelé, le fait que Díaz soit un personnalité politique indépendante lui donne une aura qui la place facilement au-dessus du reste de la classe politique5
  • Le fait que Díaz n’ait pas été capable de convaincre les partis régionaux de l’alliance progressiste – de la gauche républicaine catalane au parti basque, Euskal Herria Bildu – pourrait bien être le signal de sa force plutôt qu’un symptôme de faiblesse, en ce qu’elle peut faire passer le succès du vote de cette loi pour un succès personnel. En attendant, le Premier ministre Pedro Sánchez est entre deux eaux, coincé entre la popularité croissante de Díaz d’une part et la baisse simultanée du PSOE dans les sondages d’autre part. Si Sánchez est toujours le porteur de l’audace politique qui unifie le front progressiste, comme l’a expliqué son ancien conseiller et stratège Iván Redondo cette semaine, cela pourrait  signifier qu’une fois la réforme du code du travail actée, les sujets politiques complexes (qui incluent, sans être exhaustif, le gazoduc Maroc-Algérie qui alimentait l’Espagne, la prochaine négociation avec la Catalogne et la mise en œuvre du plan de relance Next Generation UE) seront réglés par les décisions de Sánchez, avec d’importantes conséquences géopolitiques6. Le duel politique entre une Yolanda Díaz émergente et un Pedro Sánchez installé au pouvoir se mesurera par un élément central : qui restera comme le grand réformateur d’un nouveau parti des travailleurs espagnol ? 
  • Même si pour l’instant la réforme du code du travail de Díaz l’a emporté face aux plans de Nadia Calviño qui voulait conserver l’équilibre budgétaire à l’intérieur de l’ancienne loi Travail, il faut dire que la nouvelle législation ne remplace pas l’ancienne, mais qu’elle met plutôt en place, selon l’expression de Clara Ramas San Miguel, un filet de sécurité et des aides d’urgences face à la dureté des contingences du travail précaire7
  • En d’autres termes, la loi actuelle n’entraîne pas de changements significatifs dans la structure du travail précaire ou sur le temps de travail, mais elle fonde « un nouvel équilibre dans la négociation collective, qui suppose que nous prenons des mesures contre la précarité et les contrats courts pour s’attaquer aux inégalités sociales de notre pays »8. Cet équilibre est interne, mais aussi externe puisqu’il cherche à respecter les critères établis par l’Union européenne, comme l’a mentionné Yolanda Díaz dans sa tribune : « Ce nouveau décret royal rapproche l’Espagne de l’Europe » écrit-elle.
  • Sans doute la dimension géopolitique de la nouvelle réforme du marché du travail n’a-t-elle pas été suffisamment analysée dans le débat politique espagnol. L’Espagne est l’un des pays avec la croissance économique la plus faible de l’Europe du Sud, avec un niveau de richesse inférieur de 6,6 % par rapport à son niveau de richesse pré-pandémie en 2019. Dans un contexte de stagnation économique, les contraintes géopolitiques et les demandes pour débourser les fonds européens pourraient s’avérer être, sinon une charge, du moins un obstacle sur lequel Pedro Sánchez sera le seul à avoir le dernier mot et qu’il est prêt à utiliser ce pouvoir pour se fabriquer une image de grand réformateur du parti des travailleurs9. C’est la position qu’il poursuivra dans les prochains mois comme garant de la distribution des fonds européens du plan de relance.  Alors que Yolanda Díaz émerge au centre de la vie politique nationale, il ne faut pas oublier que la droite se mobilise aussi pour trouver des alliances stratégiques qui cherchent clairement à déstabiliser les équilibres de l’Union. La semaine dernière avec le leader de Vox, Santiago Abascal a rencontré Viktor Orban à Madrid dans l’objectif de renforcer son agenda néo-nationaliste10.
Sources
  1. Laura Olías. “Diez mejoras clave para los trabajadores en la reforma laboral : desde restringir el trabajo temporal a la subida de salarios », eldario.es : https://www.eldiario.es/economia/diez-mejoras-clave-trabajadores-reforma-laboral-restringir-trabajo-temporal-subida-salarios_1_8711894.html.
  2. Alejandro Solís Rodríguez. « Yolanda Díaz y la brecha en el electorado del PSOE », Público : https://blogs.publico.es/otrasmiradas/53442/yolanda-diaz-y-la-brecha-en-el-electorado-del-psoe/.
  3. Yolanda Díaz. “Reformar el trabajo para fortalecer la democracia”, eldiario.es :  https://www.eldiario.es/opinion/tribuna-abierta/reformar-trabajo-fortalecer-democracia_129_8721272.html.
  4. “Yolanda Díaz : « Vamos a derogar la reforma laboral pese a todas las resistencias”, 12 Congreso Confederal de Comisiones Obreras (CCOO) : https://comisionesobreras.congresos.ccoo.es/noticia:604968–Yolanda_Diaz_“Vamos_a_derogar_la_reforma_laboral_a_pesar_de_todas_las_resistencias”&opc_id=1734550ab331032dcafb52e6b251d729.
  5. Lola García. « Pedro Sánchez y Yolanda Díaz, frente a frente », La Vanguardia : https://www.lavanguardia.com/politica/20211024/7812145/pedro-sanchez-yolanda-diaz-frente-frente.html.
  6. Iván Redondo. “Yo, minoría absoluta”, La Vanguardia : https://www.lavanguardia.com/politica/20220207/8038727/minoria-absoluta.html.
  7. Clara Ramas San Miguel. “¿Qué es una reforma”, infolibre : https://www.infolibre.es/opinion/ideas-propias/reforma_129_1218491.html.
  8. Yago Álvarez Barba. « Nacho Álvarez : “Si queremos reducir la desigualdad tenemos que empezar por el mercado laboral.”, El Salto : https://www.elsaltodiario.com/unidas-podemos/nacho-alvarez-queremos-reducir-desigualdad-tenemos-empezar-mercado-laboral.
  9. Daniel Dombey & Ben Hall. “EU recovery fund : can Spain transform its economy ?”, Financial Times : https://www.ft.com/content/6c435d50-aa1b-43a5-9b96-7e70903787ea?shareType=nongift.
  10. Abascal recibe a Viktor Orbán en Madrid y pide construir una UE fuerte de naciones soberanas », Libertad Digital : https://www.libertaddigital.com/espana/2022-01-28/abascal-recibe-a-viktor-orban-en-madrid-y-pide-construir-una-ue-fuerte-de-naciones-soberanas-6859757/.