Key Points
  • Le caractère cyclique de la pandémie s’explique par une conjonction de facteurs climatiques, d’évolutions virales et de l’immunisation, des actions entreprises pour endiguer l’épidémie et de causes mathématiques.
  • La nouvelle vague est donc liée à l’ensemble de ces facteurs et au relâchement des mesures une fois la précédente vague passée.
  • L’efficacité du vaccin est importante mais jamais absolue. Le vaccin protège plus des formes graves que de la transmission du virus, et ce pour des raisons qui pourraient être liées au système immunitaire lui-même.
  • Par un effet quantitatif, une importante contagiosité d’un virus moins virulent provoque tout de même un engorgement des hôpitaux et un taux de décès important.
  • La non-vaccination entraîne l’établissement d’un foyer de réplication du virus et l’engorgement des hôpitaux.
  • Les chiffres ne prennent pas en compte l’effet du Covid-19 sur les autres pathologies. Le Covid et les mesures prises pour endiguer la pandémie ont eu des effets psychologiques sur les populations et pourraient maintenant, du fait de la vaccination, entraîner une fracture de la société.
  • L’idée d’une « fin du Covid » est tout à fait impossible à prévoir mais également trompeuse : un scénario « zéro cas » ne peut pas arriver, même si les traitements permettraient de réduire le risque de la maladie.

1 – Comment expliquer le caractère cyclique de la pandémie ? Pourquoi y a-t-il des vagues ?

Avant de questionner la pertinence de la dénomination de « vagues », il convient de s’interroger sur les causes de la nature pseudo cyclique des épidémies de Covid-19 qui frappent la plupart des pays du globe. Car bien qu’elles convergent en une pandémie, il semble plus adéquat d’analyser ces « vagues » à l’échelle pertinente : celle d’épidémies locales interconnectées. Dès lors, on peut considérer que la survenue de ces « vagues » est due à toute une série de causes que l’on peut classer, en simplifiant beaucoup, en quatre catégories.

Les causes climatiques

La météorologie joue un rôle plus ou moins important selon les infections. Dans le cas de certaines infections comme le rhume ou la grippe, la présence d’un climat froid est essentielle. Dans le cas de nombreux virus responsables du rhume, lorsqu’ils infectent des cellules humaines, ils sont normalement pris en charge par une « vigie » du système immunitaire présente dans presque toutes les cellules. Cette vigie emploie alors toute une série de voies de signalisation qui permet d’activer un certain nombre de « mesures » neutralisant le virus et activant le système immunitaire. Or cette vigie passe par une protéine nommée « MAVS » qui, en conditions « froides » voit sa structure moléculaire altérée ; elle devient de moins en moins efficace. En conditions tempérées ou chaudes, souvent au printemps et en été, MAVS fonctionne normalement et le virus est neutralisé avant de pouvoir causer une infection. C’est donc en conditions froides, souvent en automne et surtout en hiver, que MAVS fonctionne moins bien et donc que l’on risque de développer une infection. Il ne s’agit là que d’un exemple, mais qui illustre les mécanismes moléculaires parfois sous-jacents au caractère « saisonnier » de certaines infections. Dans le cas du Covid-19, on pense actuellement que des conditions froides favorisent l’infection, mais que des conditions chaudes ne l’empêchent pas pour autant de survenir, en témoigne les épidémies brutales frappant des pays à climat chaud, ou encore des États nord-américains aux conditions chaudes voir tropicales comme le Texas et la Floride.

Le froid ne jouerait donc pas un si grand rôle que cela dans la propagation du Covid ? C’est plus compliqué. D’une part et de façon significative le froid pourrait favoriser la propagation parce que le virus ne se répand que très peu à l’extérieur et beaucoup au sein d’espaces confinés. Or plus il fait froid, moins on passe de temps à l’extérieur, plus on en passe dans des espaces confinés, et moins on aura tendance à aérer. Ventiler une pièce au printemps est plus vécu comme un rafraîchissement que comme un geste barrière, mais ouvrir les fenêtres en hiver donne parfois l’impression de faire plus de mal que de bien tant cela donne froid. D’autre part et de façon tout aussi significative, par l’intermédiaire des autres infections comme les rhumes, bronchiolites, pneumonies ou encore la grippe que le froid favorise de façon bien plus directe. Ces infections « aggravent » l’épidémie de Covid à deux niveaux. D’abord parce qu’en cas de co-infection, un système immunitaire qui doit lutter sur deux fronts et un organisme qui subit deux attaques est plus vulnérable et voit sa tâche compliquée. Ensuite parce que ces infections contribuent à l’effet d’engorgement des hôpitaux, les lits occupés par des malades de ces pathologies n’étant plus disponibles pour des malades du Covid-19.

Les causes dues à l’évolution du virus et de l’immunité collective

Avec le froid, cette cause est l’une des principales à l’origine de la survenue de « vagues » de grippes saisonnières. Dans le cas des grippes saisonnières, il s’agit essentiellement d’une « modification » des souches du virus qui réduit l’efficacité de la réponse immunitaire montée contre les souches de l’année précédente, en général sans affecter de façon significative la virulence ni la mortalité des souches. Combinée à une baisse naturelle avec le temps de l’immunité qui réduit encore l’efficacité de la réponse immunitaire contre cette souche dans la population – même quand elle est confrontée à des versions très proches de celles contre qui elle a été immunisée – cela conduit à une plus grande vulnérabilité de la population et donc au développement d’épidémies. Dans le cas du Covid-19, l’évolution du virus ne se fait pas de façon « neutre », la quantité astronomique de réplications du virus depuis le début de la pandémie a fait émerger et sélectionné des mutations le rendant toujours plus transmissible, virulent, mortel, et résistant aux réponses immunitaires et aux vaccins. C’est d’ailleurs là que réside probablement l’une des clefs essentielles de l’évolution de l’épidémie et l’un des écueils de la stratégie « vivre avec le virus ». Quand bien même on aurait une couverture vaccinale quasi parfaite, à un certain niveau de réplication très élevé, même s’il provoque peu voir pas d’hospitalisations et de décès, le virus mute, et face à une pression immunitaire très forte due à la vaccination, vont être sélectionnées et émerger des mutations rendant le virus de plus en plus résistant à la réponse immunitaire, de plus en plus transmissible, et potentiellement de plus en plus mortel.

Dans le cas du Covid-19, l’évolution du virus ne se fait pas de façon « neutre », la quantité astronomique de réplications du virus depuis le début de la pandémie a fait émerger et sélectionné des mutations le rendant toujours plus transmissible, virulent, mortel, et résistant aux réponses immunitaires et aux vaccins.

Xavier Olessa-Daragon

En plus de cela, l’immunité collectivement acquise, par la guérison de l’infection ou par la vaccination, baisse. Et plus vite que prévu. On estime qu’environ six mois après la deuxième dose, l’efficacité de la réponse immunitaire acquise baisse de façon non négligeable, notamment en ce qui concerne la protection contre l’infection qui baisse à environ 50 % d’efficacité. La protection contre les formes graves semble persister plus longtemps, mais on peut légitimement craindre qu’elle aussi ne finisse par diminuer de façon significative. La durée de l’immunité acquise suite à une infection ou une vaccination tient à beaucoup de facteurs, mais on peut tout de même en citer deux qui jouent un rôle important. 

Le premier tient au virus lui-même : par ses éléments constituants et la manière dont ils seront perçus et reconnus par le système immunitaire, il va interagir avec ce dernier, parfois en le bloquant, parfois au contraire en le stimulant. Le second tient à la composition du vaccin, et notamment aux fameux adjuvants. Cristallisant bon nombre de critiques et d’angoisses de la part de personnes et souvent à l’origine du « syndrome grippal » parfois ressenti après une injection et conduisant beaucoup à aborder la troisième dose avec réticence, ainsi que de  mauvaises réactions, notamment allergiques, le rôle de ces adjuvants est précisément de fournir des « signaux de danger » au système immunitaire qui vont avoir un impact considérable sur la nature de la réponse immunitaire qui sera mise en place. 

C’est là un point de tension crucial, essentiel pour comprendre la raison pour laquelle l’immunité du vaccin chute plus vite. Si vous faites un exercice d’incendie et cherchez à faire réagir les gens de la façon la plus naturelle et « efficace » possible, en condition, il serait idéal de pouvoir allumer un feu, ou de leur faire sentir l’odeur de la fumée, ou tout autre « signal de danger » afin qu’ils agissent sous le coup d’un vrai sentiment d’urgence. Mais si vous envoyez des signaux de danger trop forts, vous prenez le risque que des gens soient brûlés ou blessés par vos signaux, ou que le stress ne cause des mouvements de panique eux-mêmes susceptibles d’être générateurs de blessures, voire de morts. Le dosage des adjuvants est donc critique. Et dans un contexte de défiance massive des vaccins, sans connaître la formulation précise de ces vaccins et en se contentant de conjecturer, il semble raisonnable d’estimer que dans un soucis absolu de sûreté la balance a, tout en produisant toujours une réponse très robuste et satisfaisante, plutôt penché en faveur de la prudence pour ne pas surdoser les adjuvants. La conséquence est un vaccin très sûr, mais dont l’immunité chute plus vite. On ne peut savoir s’il eût été possible de développer un vaccin tout aussi sûr et provoquant une immunité plus durable, mais on peut dire que le vaccin actuel, très sûr, provoque une immunité qui chute plus vite que prévu, sans que l’on puisse à ce stade précisément dire si cela est dû à la nature du virus, à la formulation du vaccin, ou à un mélange des deux.

Les causes dues aux « interventions non pharmaceutiques » et aux comportements humains

C’est probablement cette cause et le levier qu’elle représente qui justifie, comme précédemment mentionné, de questionner l’utilisation du terme de « vagues ». 

Imaginons que l’on doive se défendre contre des « vagues » d’ennemis venant envahir le pays. Lorsque l’on est « dans » la « vague » il faut chercher les ennemis encore présents sur le territoire, les neutraliser, et faire preuve d’une vigilance de chaque instant. Mais lorsque la « vague » est terminée, cela signifie qu’il n’y a plus d’ennemis dans le pays et donc que l’on peut cesser sa chasse aux ennemis présents sur le territoire et sa vigilance de chaque instant pour se concentrer sur une surveillance des côtes pour être en mesure de détecter le plus vite possible la prochaine vague. C’est exactement l’approche choisie par l’ensemble des autorités et très largement suivie par les populations des pays européens ainsi que des États-Unis dans la gestion de la pandémie. Lorsqu’une « vague » arrive, on met graduellement en place toute une série de mesures « d’interventions non pharmaceutiques » – manière élégante d’éviter de parler de « restrictions » – en proportion de l’augmentation du nombre de cas. Les ennemis sont là, il faut remonter les ponts-levis. Mais dès que les cas commencent à baisser pendant trois jours de suite, la première chose qui vient sur toutes les lèvres, très souvent d’abord de l’opinion publique puis des dirigeants bien obligés de suivre par crainte de dévaloriser leur parole et précisément leur pouvoir de décréter à l’avenir de nouvelles interventions non pharmaceutiques qui seront suivies, est le calendrier de levée des mesures. Sauf que le nombre de cas n’est qu’en baisse : il n’est ni égal à zéro, ni tellement faible que négligeable. On abaisse les ponts-levis, mais les ennemis sont toujours là. Le fait de parler en termes de « vagues » donne la fausse impression, dès lors qu’une vague est terminée, que la seule chose à faire est de lever les restrictions tout en scrutant l’évolution du nombre de cas pour détecter le plus précocement possible une énième nouvelle vague comme on guetterait l’arrivée d’ennemis aux côtes. Parler en termes de vagues crée donc les conditions de l’apparition de la suivante : comment accepter le maintien de restrictions si l’on admet que la précédente vague est finie ?

Les causes mathématiques

Depuis le début de la crise, nombreux sont ceux qui sont devenus très familiers de la représentation graphique d’une fonction exponentielle. Elle augmente d’abord lentement, puis prend une inflexion brutale et commence à augmenter de façon très rapide. En avertissant avec force sur le caractère très approximatif d’une telle explication, on peut considérer que la cinétique avec laquelle les cas augmentent lors des vagues est due à la constitution dans un premier temps d’une « masse critique » de personnes contaminées, et qu’une fois cette masse atteinte, on bascule dans la partie plus pentue de la courbe exponentielle où les cas augmentent très vite.

Parler en termes de vagues crée les conditions de l’apparition de la suivante : comment accepter le maintien de restrictions si l’on admet que la précédente vague est finie ?

Xavier Olessa-Daragon

Pour résumer on peut, dans le cadre de la gestion de la pandémie actuelle évoquer la théorie dite de la «  Reine rouge ». Dans De l’autre côté du miroir, la Reine rouge explique qu’il faut « courir pour rester à la même place ». Lors des périodes « intervagues » il faudrait de la même manière presque courir pour rester « sur place », c’est-à-dire redoubler d’efforts pour rester dans une situation épidémique constante de cas faibles. Le problème est que la Reine rouge n’avait pas besoin de convaincre Alice de courir pour rester sur place, quand les dirigeants européens eux, ne peuvent rien faire sans l’adhésion d’une population de plus en plus lasse, de moins en moins réceptive, et très peu enthousiasmée par la perspective de devoir courir – et donc continuer à se priver – pour rester sur place.

2 – Pourquoi y a-t-il une cinquième, et bientôt une sixième vague ?

On peut donc considérer que cette nouvelle « vague » est due à une combinaison des facteurs précédemment évoqués.

Un facteur climatique : l’arrivée de l’hiver, du froid, et potentiellement déjà d’infections saisonnières hivernales affaiblissant potentiellement le système immunitaire et poussant les gens à passer moins de temps à l’extérieur, et plus de temps dans des espaces confinés peu ventilés. 

L’évolution de l’immunité et du virus : l’immunité acquise grâce à la guérison de l’infection et surtout à la vaccination commence à chuter, en commençant par celle qui prévient l’infection. 

Enfin – plus important que lors des précédentes vagues – le relâchement des interventions non pharmaceutiques : dans beaucoup de pays d’Europe, un citoyen disposant d’un pass sanitaire à jour pouvait, jusqu’à la mise en place des mesures de restrictions réagissant à la cinquième vague, à peu de choses près, vivre comme il le faisait avant le début de la pandémie. Soit dans le même environnement que celui ayant permis l’émergence de la première vague – à ce jour presque partout la « pire » de toutes. En tout cas jusqu’à récemment. Car la cinquième vague due au variant Delta est déjà rattrapée par une « sixième » due au variant Omicron, et celle-ci semble dépasser les pics de contaminations précédents, l’inconnue portant sur l’évolution des hospitalisations et sur la manière dont la «  digue vaccinale » tiendra ou non. 

3 – Pourquoi l’efficacité du vaccin n’est-elle pas absolue ? Pourquoi faut-il une troisième dose ? Comment agit-elle ?

Une efficacité importante, mais pas absolue

Comme souvent en médecine, le vaccin n’a pas vocation à avoir une efficacité totale et parfaite, mais plutôt à influencer les probabilités de façon significative. On peut considérer que cela est dû à deux facteurs. Le premier, et le plus intuitif, est dû à la variabilité interindividuelle : bien qu’appartenant tous à la même espèce, nous sommes tous des « variants » comportant toute une gamme de différences génétiques, épigénétiques et environnementales, desquelles découlent des différences phénotypiques. Nos systèmes immunitaires réagissent différemment à presque tout, et les vaccins ne font pas exception. On n’est pas étonné d’apprendre qu’il existe des gens « naturellement résistants » à certaines infections, qui ne développent pas la maladie même exposés au virus quand d’autres développent des formes très graves, on ne devrait pas plus être étonné d’apprendre que certains organismes vont « très bien réagir » au vaccin et développer une réponse très robuste quand d’autres vont bien moins y réagir, notamment les personnes plus âgées et les personnes immuno déficientes ou déprimées. Nos organismes comportent une certaine variation interindividuelle qui entraîne des variations de réponses à beaucoup de choses, et les vaccins ne font pas exception.

La deuxième est due à l’évolution du virus. En classifiant le virus selon des « variants », on simplifie beaucoup : il est en réalité en mutation et en évolution constante depuis le début de la pandémie. La plupart de ces mutations sont « neutres » et donc sans effet sur la transmissibilité et la virulence, et elles se produisent à un rythme relativement lent comparé aux virus les plus mutagènes comme le VIH. Mais elles se produisent. Les virus actuellement en circulation commencent donc, même sans être porteurs de mutations, à être de plus en plus différents des virus utilisés pour développer les vaccins, offrant une capacité très significative à complètement échapper au système immunitaire. Cela va mécaniquement, en synergie avec la baisse de l’immunité induite par les vaccins avec le temps, faire baisser l’efficacité de l’immunité acquise contre un virus de plus en plus différent de celui initialement rencontré. On note cependant que même si cette protection est elle aussi en baisse, la protection contre les formes graves de la maladie, promesse d’une baisse de la mortalité et d’un désengorgement des hôpitaux, reste très robuste. 

Le vaccin n’a pas vocation à avoir une efficacité totale et parfaite, mais plutôt à influencer les probabilités de façon significative.

Xavier Olessa-Daragon

Les biais cognitifs font que l’attention se porte sur les cas de personnes vaccinées et infectées, sans forcément regarder jusqu’au bout et s’intéresser à la proportion de ces personnes développant des formes graves en la comparant à celle de personnes non vaccinées. Si on a fini par prendre le vaccin pour acquis, le considérer comme absolu et s’insurger de ses moindres défaillances, cela est probablement dû en partie à l’angle des campagnes vaccinales présentant les deux doses de vaccin comme la garantie absolue de la fin de la pandémie et surtout de toute mesure de restriction.

La nécessité des doses supplémentaires

Comme son nom en anglais l’indique, le but de la troisième dose est de « booster » la réponse immunitaire induite par les deux précédentes. Le besoin de plusieurs doses de vaccin est, pour simplifier excessivement, dû à deux facteurs.

Le premier est lié aux signaux moléculaires portés par le virus. On pourrait comparer le système immunitaire aux services de renseignement d’un pays. Lorsqu’il est confronté à certains types de menaces, il lui suffit de déjouer une seule attaque pour passer en état d’alerte maximale et mobiliser des ressources considérables pour surveiller ce type de menaces et les attaques venant de cet ennemi. Mais lorsqu’il est confronté à d’autres types de menaces, il lui faudra déjouer deux, parfois trois attaques pour faire passer la menace au sommet de sa liste de priorités et se mettre en état d’alerte maximale et durable contre ce type de menaces et cet ennemi. 

Le système immunitaire fonctionne – en notant bien les limites de la comparaison – de la même manière. La signalisation immunitaire est probablement l’un des phénomènes naturels les plus complexes. On pourrait illustrer cela en évoquant le prix Nobel de médecine 2018 attribué pour la découverte très récente qu’en bloquant certaines molécules clefs au sein de cette signalisation immunitaire on permet au système immunitaire de détruire de façon significative un certain nombre de types de cellules cancéreuses avec un arsenal naturellement existant mais inhibé par les cellules cancéreuses. On connaît ainsi relativement beaucoup de choses sur cette signalisation, mais plus on en apprend, plus on prend conscience de toute l’ampleur de sa complexité, de tout ce que l’on ignore encore et de toute la puissance des leviers qui s’y trouvent potentiellement. Nous pourrions cependant dire, pour simplifier encore une fois, que certains virus portent des signaux moléculaires qui, reconnus par le système immunitaire vont « l’alerter beaucoup et le convaincre de mettre en place une réponse durable », quand d’autres vont « l’alerter moins et ne pas le convaincre de mettre en place une réponse durable ». Il faut ajouter à cela la nature de la réponse immunitaire, et l’on pourrait ici faire une comparaison très évidente avec les forces armées défendant un pays. 

En évitant tout finalisme, l’une des « fonctions » de cette signalisation immunitaire si complexe est de permettre de « choisir » la réponse la plus appropriée au sein de tout un arsenal d’armes. Tout comme pour contrer certains types d’invasions, il sera plus pertinent de déployer des sous-marins d’attaque, pour d’autres des chasseurs alpins et des chevaucheurs de loups, pour d’autres des bombardiers furtifs, et, encore pour d’autres, des batteries de missiles balistiques sur ses côtes, différents types de pathogènes nécessitent différents types de réponses. Et les signaux moléculaires portés par les pathogènes vont non seulement conditionner la durée de la réponse mise en place, mais aussi sa nature. On appelle cela « la polarisation de la réponse », vers plus d’anticorps, le déploiement de plus de « cellules tueuses de cellules », plus de phagocytes, etc… Cela ne s’arrête pas là puisqu’il existe toute une panoplie de phagocytes, de cellules tueuses… et d’anticorps. Tout n’est pas toujours aligné, et certains pathogènes vont ainsi susciter dès la première rencontre avec le système immunitaire une réponse longue et « optimale » quand d’autres vont susciter une réponse plus lente et de nature pas toujours parfaitement adaptée, et nécessiter plusieurs rencontres pour que soit enfin déployée une réponse longue et parfois plus optimale.

Le deuxième facteur concerne le vaccin. Son rôle est de rencontrer le système immunitaire et de le « convaincre moléculairement » de mettre en place une réponse longue, robuste, et adaptée au pathogène. Cela s’opère notamment via son mécanisme d’action, et via la présence d’adjuvants. Un vaccin « vivant atténué », c’est-à-dire une version du virus concerné très peu adaptée à l’homme et donc incapable d’y provoquer une infection, produira souvent la réponse la plus efficace, mais sera aussi le type de vaccin le plus risqué, nécessitant une longue phase de développement et d’essais. Des vaccins dits « sous-unitaires », comme ceux utilisés actuellement contre le SARS-Cov-2 et qui ne portent en eux qu’une ou plusieurs protéines du virus quand le vaccin vivant contient tout le virus, peuvent également induire des réponses fortes, mais cela dépend des adjuvants.

Les biais cognitifs font que l’attention se porte sur les cas de personnes vaccinées et infectées, sans forcément regarder jusqu’au bout et s’intéresser à la proportion de ces personnes développant des formes graves en la comparant à celle de personnes non vaccinées.

Xavier Olessa-Daragon

Les adjuvants vont précisément jouer le rôle de signaux moléculaires chargés de « polariser » la réponse et de « convaincre moléculairement » le système immunitaire de monter une réponse longue et d’ampleur. Mais comme évoqué précédemment, une grande partie de l’art subtil du développement de vaccin consiste précisément à trouver un équilibre entre signaux induisant une réponse forte et vaccin bien toléré sans trop d’effets secondaires. Si l’on allume un petit feu ou si l’on met de la fumée dans un exercice d’incendie, on augmente les chances d’induire la réponse la plus naturelle et la plus « sérieuse » possible… avec le risque de causer des dégâts. Comme évoqué précédemment, dans le cas des vaccins contre le Covid-19, étant donné le délai extrêmement court et l’extrême défiance envers les vaccins, le curseur a probablement été placé de manière à garantir la meilleure tolérance et la meilleure sûreté possible… 

Une quatrième dose après la troisième

De véritables interrogations portent sur la nécessité, la portée et la nature d’une quatrième dose. Elle est déjà proposée en Israël aux plus fragiles. Cette dose proposée en Israël est un « super booster » visant à poursuivre le travail de « conviction » auprès du système immunitaire pour déployer une réponse plus conséquente. Il est à ce stade trop tôt pour évaluer sa pertinence ou son besoin, mais on peut considérer que d’ici à ce qu’elle soit considérée dans la plupart des pays en Europe, il est probable que la quatrième dose « mise à jour variants » sera disponible et lui soit préférée. 

Cette dose « mise à jour variants » viserait ainsi non plus à « convaincre » le système immunitaire de déployer une réponse immunitaire d’ampleur mais à mettre à jour ses informations quant à sa cible et à l’adapter à la nouvelle apparence du virus. À un certain stade, on ne peut pas non plus exclure que certains laboratoires décident de développer des vaccins entièrement nouveaux, en partant de zéro ou en modifiant ceux déjà existant de façon significative, afin de donner des réponses plus durables dans le temps en mettant en avant le fait que ces nouveaux vaccins nécessiteront moins de doses. Ces nouveaux «  super vaccins » pourraient ainsi être développés avec l’idée d’induire une réponse plus durable et d’être mieux adaptés aux nouveaux variants… Avec toujours les mêmes écueils, et notamment la problématique qui semble presque insoluble au cœur du développement des vaccins contre le Covid-19 : comment, dans un temps réduit, évaluer l’efficacité à moyen terme d’un vaccin ? Comment, en moins de deux ans, évaluer l’évolution de la réponse induite à un an et demie ou à deux ans ?  L’autre inconnue majeure sur cette quatrième dose ou sur ces nouveaux vaccins est la capacité qu’auront les États à réellement la déployer. Pourrait-on imaginer un pass vaccinal obligatoire pour presque toute activité ou transport conditionné à quatre doses ? Les populations ont globalement suivi pour les deux premières doses, et semblent le faire pour la troisième, mais la quatrième dose obligatoire pourrait peut-être être celle de trop dans l’opinion publique.

4 – À ce stade, de quoi protège vraiment le vaccin ?

Les pourcentages d’efficacité varient, mais contre le variant Delta comme contre le variant Omicron, le vaccin protège d’abord et avant tout contre les formes graves, et donc contre le risque de graves séquelles voire de mourir du Covid-19 – ce qui n’est tout de même pas négligeable. Là où l’efficacité baisse plus vite et met en cause, aux yeux de certains, la pertinence du vaccin, c’est contre l’infection, et donc la possibilité de transmettre le virus. L’efficacité baisse, mais elle reste loin d’être nulle. Cela entraîne un fameux « découplage » entre la courbe des contaminations et celle des hospitalisations. Jusqu’ici, même avec l’envolée inédite de contaminations dues au variant Omicron, la courbe des hospitalisations ne suit pas de façon aussi forte et stable qu’auparavant. 

Les pourcentages d’efficacité varient, mais contre le variant Delta comme contre le variant Omicron, le vaccin protège d’abord et avant tout contre les formes graves, et donc contre le risque de graves séquelles voire de mourir du Covid-19.

Xavier Olessa-Daragon

Les hospitalisations augmentent beaucoup moins, et le lien entre les deux courbes est ainsi bien moins direct et fort. Ce découplage est essentiel dans l’évolution de la situation car l’indicateur clef dans les politiques sanitaires est celui des hospitalisations, jusqu’ici anticipées avec une relative précision à partir de celles des contaminations. Ce découplage dû au vaccin explique ainsi, aux côtés d’autres facteurs comme la lassitude des populations, la mise en place bien plus progressive de mesures d’interventions non pharmaceutiques par les États malgré des courbes de contaminations qui explosent avec le variant omicron, car nous  attendons maintenant de voir comment va évoluer la courbe des hospitalisations. Le vaccin réduit donc toujours de façon considérable le risque de mourir à ce stade.

Mais comment expliquer cette baisse de l’efficacité plus forte contre la transmission que contre les formes graves ?

Il faut rester très prudent sur ce que l’on sait, mais cela pourrait être dû aux différentes « armes » déployées par le système immunitaire. Comme précédemment évoqué, la réponse immunitaire ne se limite pas aux anticorps. En prenant beaucoup de recul, il semblerait que la protection contre l’infection et la transmission soit due de façon plus importante à la réponse anticorps qui baisserait plus vite dans le temps et serait plus affectée par les mutations du virus portée par les nouveaux variants tels que Delta et Omicron. À l’inverse, la protection contre les formes graves serait due de façon plus importante à la réponse dite cytotoxique, où des cellules immunitaires tels que Lymphocytes T CD8 ou les cellules dites « Natural Killer », patrouillent et tuent les cellules infectées pour les empêcher de continuer à produire du virus. On peut d’ailleurs noter que ces éléments tendent à relativiser fortement la valeur du « dosage d’anticorps » parfois pratiqué pour estimer son niveau de protection et que l’on ne sait à ce stade pas réellement interpréter.

5. Si le vaccin protège des formes graves et du risque de mourir, pourquoi tant de crainte concernant la vague Omicron ?

Comme évoqué, la protection n’est pas absolue et un faible pourcentage d’un très grand nombre donne un nombre conséquent. Une protection à 80 % contre les formes graves prévient d’un engorgement des hôpitaux avec 20 000 ou 30 000 cas par jour. Mais lorsqu’on atteint 100 000 cas par jour, même un très faible pourcentage de ce nombre donne un nombre conséquent. Pour tenir face à une vague aussi vertigineuse que celle qu’annonce le variant Omicron, il faudrait une efficacité presque impossible à exiger d’un vaccin. Encore plus impossible à exiger d’un vaccin développé en moins de deux ans. 

Vient un stade où la seule solution pour éviter un engorgement de l’hôpital est de réduire significativement les contaminations face à un virus de plus en plus contagieux, et face auquel la plupart des solutions pour arriver à cela sont des mesures de restrictions de moins en moins acceptées, notamment en raison de l’angle des campagnes vaccinales promettant précisément que cela n’arriverait plus. On peut noter que cela met en lumière la différence de perspective de plus en plus mise en avant dans la gestion de la pandémie : l’échelle individuelle contre l’échelle de la communauté. Pour le dire autrement : « Ce qu’on me demande de faire va-t-il me protéger moi ou la communauté, et si c’est pour la communauté peut-on éthiquement me l’imposer ? » S’il faut rester prudent, il semble que la protection contre les formes graves du variant Omicron après trois doses reste très élevée, autour de 80 % – reste à savoir comment cela évolue dans le temps et si cette protection se maintient bien dans la durée ou retombe en quelques mois. Pour l’instant, le trou dans la raquette est considérablement réduit… à l’échelle individuelle. Mais à l’échelle de la communauté, le filet pourrait très vite être submergé par un véritable torrent.

6. Quels sont les principaux effets sanitaires directs de la non-vaccination sur la gestion de la pandémie ?

On peut considérer qu’ils sont au nombre de trois.

Le premier est l’établissement d’un foyer de réplication du virus. L’enjeu majeur à moyen et long terme de la lutte contre la pandémie est de s’attaquer à tous les foyers de réplication du virus car c’est là qu’il peut y acquérir des mutations qui le rendraient encore plus dangereux et susceptible d’échapper aux vaccins actuels. Les personnes non vaccinées sont bien plus susceptibles d’être infectées, et donc d’héberger dans leurs cellules une réplication plus forte du virus. Comme énoncé précédemment, on pourrait considérer chaque réplication du virus comme le lancer d’un dé à plusieurs milliards de faces. Sur ce dé, il existe quelques faces sur lesquelles se trouvent des mutations qui rendraient le virus bien plus virulent, transmissible, ou échappant aux vaccins. Plus le virus se réplique, plus on lance ce dé, et plus on augmente la probabilité de tomber sur l’une de ces faces. 

Or à ce stade de la gestion de la pandémie, comme on a pu le voir avec l’émergence du variant Delta et son impact sur les quatrième et cinquième vagues et comme on l’observe avec le variant Omicron à la fin 2021 annonçant une sixième vague avec des records de contamination, l’émergence de l’une ou plusieurs de ces mutations peut rebattre absolument toutes les cartes, bouleverser toutes les mesures en place, et potentiellement diminuer de façon drastique l’efficacité de la réponse immunitaire. Or chaque nouveau cas, même s’il donne une forme modérée ou asymptomatique, correspond à plusieurs lancers de ce dé. C’est d’ailleurs l’un des enjeux de la future bataille à venir pour la vaccination des enfants, aux côtés de ceux sur l’échelle individuelle ou collective où se situeront les bénéfices. Le second est bien sûr l’engorgement de l’hôpital avec des personnes confrontées à des formes graves. La proportion diminue très lentement mais depuis maintenant plusieurs mois la grande majorité des personnes hospitalisées pour des formes graves de Covid-19 sont des non-vaccinées. L’engorgement de l’hôpital et l’éventuelle saturation du système de soins étant l’un des enjeux clefs de la gestion de la crise, le fait qu’une part aussi faible de la population mobilise de façon aussi massive le système de soin de façon plus ou moins délibérée est bien sûr un sujet de crispation.

7. Peut-on parler de « vagues sous-marines » concernant l’impact sur les autres pathologies des déprogrammations et des plans blancs ?

L’un des autres écueils du raisonnement en termes de « vagues » et de la focalisation sur les chiffres liés uniquement au Covid-19 est qu’il invisibilise un effet sanitaire pourtant majeur de la pandémie actuelle : son impact sur les autres pathologies. 

Si tous les lits de réanimation sont occupés par des patients Covid et qu’un patient atteint d’un AVC ou d’un accident grave de la route meurt faute de soins en réanimation dégradés, cela n’est pas pris en compte dans les chiffres que tout le monde regarde et n’est donc pas considéré par l’opinion et les médias dans le débat public. Si des patients atteints de pathologies chroniques ayant besoin de consultations, d’examens et de traitements ou ayant besoin d’opérations s’en voient privés à cause des plans blancs et des déprogrammations, cela n’est pas non plus pris en compte dans le débat public. 

Il s’agit pourtant de « vagues » faisant également des victimes et impactant parfois de façon considérable des vies, mais ces vagues sont « sous-marines » car invisibilisées dans un espace médiatique saturé par la pandémie de Covid-19.

8. Quels sont les principaux effets indirects de la non-vaccination sur la gestion de la pandémie ?

Lors des deux premières vagues et des deux premiers confinements, le principal « impact indirect » de la pandémie concernait la santé mentale. On pourrait considérer que dorénavant, à l’aube de la cinquième vague, le principal « impact indirect » de la pandémie est la fracturation de la société et la tension de plus en plus forte entre vaccinés et non vaccinés. 

L’existence d’un nombre significatif de non-vaccinés, qui plus est mis en avant et montrés du doigt, rend extrêmement peu acceptable toute mesure de restriction non conditionnée au pass sanitaire et bientôt au pass vaccinal. L’acceptabilité sociale des mesures d’intervention non pharmaceutiques avait chuté drastiquement à cause de son impact sur la santé mentale, elle chute encore plus désormais à cause de l’hostilité croissante envers les non vaccinés. Dans beaucoup de pays mais surtout en France, un contrat social avait été passé : en échange du vaccin, un retour à une vie plus ou moins normale était possible. Comment ceux qui ont signé ce contrat pourraient-ils alors accepter qu’il soit déchiré, précisément à cause de ceux qui ne l’ont pas signé ? Sans chute significative du nombre de non vaccinés, si de nouvelles mesures d’interventions non pharmaceutiques non conditionnées au pass sanitaire et bientôt vaccinal devaient être prises, on pourrait craindre de voir apparaître des violences entre vaccinés et non vaccinés jugés responsables de ces mesures, voire des phénomènes de « sécession » ou de petits groupes de non vaccinés, considérant qu’il est devenu impossible pour eux de vivre au sein du reste de la communauté, décident de s’organiser en microsociétés autonomes pour fuir à la fois restrictions et pressions de la part de l’État, et hostilité de la part du reste de la société. Mais cela ne s’arrête pas là. On voit également apparaître des tensions entre personnel soignant et patients non vaccinés confrontés à des formes graves. Tout comme l’impact sur la santé mentale des confinements a laissé beaucoup de traces encore présentes aujourd’hui, on peut craindre qu’une partie de cette fracturation de la société ne perdure au-delà de la pandémie.

9. Assistera-t-on à la fin du Covid-19 ? Y aura-t-il un nouveau confinement ?

La pandémie infinie

Il convient tout d’abord de rappeler qu’il existe un tel nombre d’éléments, tellement variables pour certains et imprévisibles pour d’autres, conditionnant non seulement l’évolution de la pandémie, mais la suite de l’histoire naturelle du virus, que l’on ne saurait répondre autrement qu’en soulignant la part, significative, de l’ensemble des éléments, faits et données nécessaires pour appréhender cette évolution auxquels nous n’avons pas accès. Ceci étant bien rappelé, on peut tout de même réfléchir sur cette évolution. 

La « fin » ou non du Covid-19 dépendra des interactions entre deux grands ensembles d’éléments, parmi eux un nombre considérable de ceux auxquels on n’a précisément pas accès. D’un côté se trouve un ensemble de « faits scientifiques », de l’autre la posture qu’adopteront acteurs publics, acteurs privés du secteur pharmaceutique, et dans une certaine mesure également la position des marchés financiers.

Qu’appelle-t-on « fin » du Covid ? On peut considérer que la « fin » du Covid constituerait, dans un délai allant de quelques années à quelques dizaines d’années, une baisse du « fardeau du Covid-19 pour le système de santé » au niveau mondial à des niveaux tellement faibles que le virus ne constituerait plus une cause majeure de mortalité ni d’engorgement du système de santé, et ne nécessiterait de fait plus de surmobilisation et de sur focalisation des acteurs publics et du système de santé, ce sur une période ininterrompue d’au moins un an voire deux ans sans nouvelle « vague ». Il convient de noter que, comme pour presque toute pathologie, on atteint très rarement « zéro cas » au niveau mondial sur une période d’un an, et que même lors de l’éradication on trouve souvent des cas « résiduels ». Il ne faut ainsi pas compter, même s’il n’est pas impossible, sur un scénario à « zéro cas ». À titre d’exemple, il existe des épidémies de grippe chaque année, des campagnes de prévention et de vaccination destinées à les contenir, mais elles ont un impact sans commune mesure avec le Covid-19 sur le système de santé. En dehors de l’épisode de 2009 où l’on a précisément craint une pandémie, la question de la gestion de ces épidémies de grippe n’apparaît presque jamais dans le débat public.

À l’aube de la cinquième vague, le principal « impact indirect » de la pandémie est la fracturation de la société et la tension de plus en plus forte entre vaccinés et non vaccinés. 

Xavier Olessa-Daragon

L’autre exemple particulièrement intéressant qui pose la question de ce que l’on appelle « fin » d’une pandémie et qui met en jeu certaines des dynamiques que l’on retrouve dans l’entreprise d’éradication du Covid, est celui du VIH. 

Dans les années 1980 lors de la prise de conscience de la nature infectieuse et virale de l’épidémie d’immunodéficience qui frappait la planète, le SIDA était une pathologie terrifiante, à la mortalité très élevée, et presque sans traitements. Aujourd’hui, il existe à la fois des traitements d’urgence à prendre dans les 48 heures suivant une suspicion d’infection capable de prévenir de façon très efficace le développement de l’infection, mais aussi des traitements très efficaces en cas d’infection, permettant de maintenir le virus à des niveaux extrêmement bas et de contenir un très grand nombre de symptômes. Le VIH n’a pas été « éradiqué », mais il est passé du statut de maladie mortelle terrifiante à celui que l’on pourrait qualifier, en prenant beaucoup de précautions, de « maladie chronique traitable » en rappelant bien la nature hautement inégalitaire de l’accès à ces traitements. Selon la définition posée précédemment, on pourrait considérer – en prenant bien soin de préciser que cette comparaison est à des fins de démonstration – que l’on est parvenu à une « fin du VIH tel qu’il était perçu au début de la pandémie dans les années 1980 » même s’il existe encore de très nombreux cas au niveau mondial. 

S’il existe de très nombreuses différences entre le VIH et le SARS-Cov-2, deux d’entre elles nous intéressent. La transmission du VIH est bien plus « contrôlable » que celle du SARS-Cov-2, avec des politiques de prévention, de dépistage et d’accès ultra-facilité aux préservatifs, politiques d’autant plus efficaces avec une part de plus en plus importante de générations entières n’ayant jamais vécu dans un monde sans VIH. Celle du SARS-Cov-2, dans un premier temps relativement gérable avec la première souche, est devenue particulièrement complexe à gérer avec le variant anglais, encore plus avec le variant Delta, et semble complètement hors de contrôle avec le variant Omicron. La transmission du VIH peut se limiter fortement avec une politique de prévention efficace concentrée sur « quelques gestes » qu’il a été possible de maintenir pendant plusieurs décennies, quand celle des variants très transmissibles du SARS-Cov-2 nécessite une modification significative du mode de vie avec une mise en place de gestes barrières forts à presque tous les étages qui n’est pas tenable sur le long terme et semble à peine l’être sur le moyen terme. 

La seconde raison est que le VIH est infiniment plus variable et mutagène que le SARS-Cov-2. C’est la raison pour laquelle on n’a jamais pu développer de vaccin efficace contre le VIH.

Les possibilités de réduire le risque

Comment pourrait-on aboutir à une éradication par abaissement du nombre de cas de Covid à des niveaux extrêmement bas et proches de zéro ? Comment développer des outils à même d’en faire chuter l’impact sur le système de santé à des niveaux très significativement plus bas que les niveaux actuels et ce – c’est très important – de façon durable dans le temps et sans rebond ?

C’est là qu’interviennent deux grands ensembles d’éléments précédemment cités. Le premier ensemble concerne la « possibilité » de développer des traitements. 

Il s’agit de traitements par molécules antivirales permettant de neutraliser de façon très efficace la réplication du virus, et ce en étant très bien tolérés par presque toute la population c’est-à-dire en suscitant très peu voire pas d’effets secondaires, à un coût modéré. Il s’agit également de vaccins, et c’est peut-être déjà le cas de ceux existants, induisant une réponse bloquant la réplication du virus et donc l’infection, ainsi que les formes graves, réponse durant au moins 2 à 3 ans sans plus de trois doses. Tout cela sans que n’émerge un nouveau variant capable d’échapper à ces traitements. On peut à ce titre noter que les anticorps monoclonaux utilisés en traitement d’urgence des cas graves avec un relatif succès jusqu’ici semblent bien moins efficaces contre le variant Omicron. Pour une « éradication » du virus, il est probable que soient requis à la fois des traitements antiviraux et des vaccins agissant en synergie avec par exemple une couverture vaccinale large complémentée par le déploiement massif de traitements antiviraux prescrits dès le test de dépistage positif voire, si une politique très agressive était mise en place, dès que le sujet est identifié comme cas contact. À titre de comparaison avec le VIH, les traitements d’urgence antiviraux visant à prévenir le développement de l’infection au VIH sont ainsi donnés dès qu’il y a suspicion d’infection et dès qu’il y a exposition, sans attendre de test positif. 

La « possibilité » précédemment mentionnée de développer un traitement antiviral très efficace tient à un ensemble infiniment complexe d’éléments tenant à la structure moléculaire autant du virus que de tout l’organisme humain, de leurs interactions, et notamment déterminant s’il existe une ou plusieurs molécules possédant l’ensemble des propriétés précédemment citées à savoir une capacité à pénétrer dans l’organisme, puis à bloquer fortement la réplication du virus, et ce à une dose qui ne cause pas de dommages à l’organisme. On atteint là un niveau de complexité tel qu’il est pour le moment impossible à modéliser dans son ensemble bien que l’on commence, en tâtonnant énormément, à pouvoir en modéliser des fragments. Cela se fait notamment via le « drug screening » à savoir le criblage de banques de molécules pour obtenir des « candidats » molécules susceptibles d’interagir avec le virus. Ces innovations passeront de plus en plus par un recours massif à l’intelligence artificielle pour obtenir des pistes. On notera à ce titre et sans relancer de débats, que l’hydroxychloroquine, prometteuse lors d’essais in vitro sur des cultures cellulaires, s’est montrée inefficace lors du passage à l’échelle humaine. La molécule mise au contact du virus dans des cellules semblait bien bloquer sa réplication, mais administrée dans un organisme humain complet bien plus complexe, constitué de milliards de cellules et de centaines de milliards d’interactions, de réactions et de processus, s’est avérée incapable de le faire pour des raisons que l’on ne comprend encore pas bien. Les lois déterminant l’efficacité ou non de molécules antivirales relèvent d’une grande complexité : l’absence de résultats prometteurs malgré la surmobilisation qui a eu lieu, laisse à penser qu’il n’existe pas de «  solution simple » au cas du SARS-Cov-2.

Le second ensemble tient, lui, à l’attitude qu’auront pouvoirs publics, industrie pharmaceutique et marchés, et donc à « l’ardeur » avec laquelle on cherchera à savoir si les traitements précédemment cités existent. 

La « possibilité » de développer un traitement antiviral très efficace tient à un ensemble infiniment complexe d’éléments tenant à la structure moléculaire autant du virus que de tout l’organisme humain et de leurs interactions.

Xavier Olessa-Daragon

Cela peut paraître choquant et apparaît parfois comme une illustration très cruelle des « méfaits » du libéralisme, mais il existe un certain nombre de maladies pour lesquelles l’industrie pharmaceutique ne cherche pas de traitement, tout simplement parce qu’en raison du « faible » nombre de malades et du coût du développement du traitement, celui-ci n’a aucune chance d’être rentabilisé, les dirigeants de ces entreprises devant rendre des comptes à leurs investisseurs sur les dépenses, considérables, engagées en R&D. À l’inverse, on a vu dans le cas du développement des vaccins contre le Covid-19 ce que d’aucuns pourraient considérer comme les « bienfaits » du libéralisme à savoir que l’appât du gain a permis de faire émerger en un temps absolument record des vaccins qui, malgré leurs limites, restent très bons. 

Tout en restant prudent, on peut considérer que les choses peuvent évoluer selon trois types de scénarios. Un premier où la troisième dose de vaccin se montre suffisamment efficace pour susciter une réponse forte, durable, et efficace même contre les nouveaux variants du virus et permet donc d’aller vers l’éradication du virus. Un second où la troisième dose et les nouveaux traitements antiviraux récemment approuvés se montrent insuffisants, potentiellement avec l’émergence de nouveaux variants permettant de leur échapper, et où le fardeau humain et économique, combiné à la défiance des marchés, devient tel que les pouvoirs publics « commandent » de nouveaux vaccins et traitements antiviraux encore plus efficaces pour éradiquer le virus en indiquant encore une fois qu’ils les paieront à plus ou moins n’importe quel prix. Et enfin un troisième scénario où les vaccins et traitements actuels ne permettent pas l’éradication du virus, mais réduisent suffisamment le fardeau pour qu’il ne soit pas non plus « rentable » de se lancer dans le développement très onéreux de nouveaux traitements et vaccins permettant son éradication car les pouvoirs publics ne les paieraient pas à n’importe quel prix. Ce troisième scénario serait notamment renforcé par l’émergence de variants devenant dominants et très transmissibles mais avec un découplage fort entre contaminations et hospitalisations qui semble ressembler au profil du variant Omicron. Le « coût humain » ne justifierait alors pas une éradication du virus, mais le coût économique et politique peut changer la donne.

Un nouveau confinement ? 

Il ne faut jamais dire jamais. D’autant moins quand l’Autriche et les Pays Bas en ont décrété au cœur des fêtes de fin d’année. Mais en France, et dans une certaine mesure au Royaume Uni, on peut considérer que ce scénario semble peu probable, et ce pour deux raisons. Tout d’abord parce que les pouvoirs publics de ces deux pays se sont montrés lors des vagues précédentes extrêmement réticents à y avoir recours, et qu’il semble peu probable d’aboutir à une situation assez cataclysmique pour les y contraindre absolument, notamment avec des images de personnes mourant à même le sol dans les couloirs d’hôpitaux débordés. Ce n’est pas impossible, mais c’est peu probable. Ensuite parce que, quand bien même ces autorités décréteraient un confinement, il semble également peu probable qu’il soit respecté de façon significative. Tout « confinement » décrété aurait un impact psychologique non négligeable et changerait beaucoup de comportements. Mais assez pour que l’on puisse réellement parler de « confinement strict » ? Cela semble improbable étant donné le « traumatisme » des séquelles psychologiques du premier confinement, auquel se combinent maintenant le très fort ressentiment et le refus de « payer pour les non-vaccinés ». 

Cela signifie-t-il que l’on peut exclure tout retour des « interventions non pharmaceutiques » ? Non. Il semble à l’aune du nombre vertigineux de contaminations dues au variant Omicron relativement envisageable de voir un retour à terme de la fermeture d’un certain nombre de commerces, voire de couvre-feu. On peut aussi envisager, notamment en France, une forme de « confinement performatif » où le gouvernement parle de confinement mais en mettant en place dans les faits des mesures d’un niveau de contraintes bien plus faible, parfois moins fort qu’un couvre-feu, avec le but de marquer les esprits et d’inciter à la responsabilité individuelle. Cette option avait été déployée avec un certain succès lors du « troisième confinement ».

10. Le fait que la vaccination procède si lentement en Afrique subsaharienne présente-t-il un risque pour l’Europe ? 

Le retard dans la vaccination sur le continent africain est bien un risque pour l’Europe. Dans une certaine mesure parce qu’en cas de chute drastique du nombre de cas, ce retard pourrait faire office de réservoir à l’origine de nouvelles vagues en Europe, mais ce n’est pas forcément le risque principal. Le risque principal à moyen ou long terme est celui de servir d’incubateur à mutations. Et ce n’est donc pas tellement dû au lien entre Afrique subsaharienne et Europe et vaut pour n’importe quelle zone où le virus circule. Pour reprendre l’image précédemment utilisée du lancer de dés, le risque majeur à l’heure actuelle est celui de « trop lancer le dé » et de tomber sur les faces contenant des mutations aux conséquences dévastatrices ou plutôt « encore plus dévastatrices ». 

Cela pose néanmoins la question de l’utilisation des doses de vaccin existantes. Les campagnes de troisièmes doses maintiennent des dizaines de millions de doses en Europe là où on peut se demander si une couverture vaccinale à une ou deux doses plus massive ne serait pas préférable à une couverture à trois doses très élevée en Europe mais à une ou deux doses relativement faible en Afrique. Préférable à quelle échelle ? C’est là encore toute la question. Les gouvernements européens visent avant tout à limiter le nombre d’hospitalisations et de décès sur leur sol : c’est là leur priorité absolue avant toute réflexion à une échelle supérieure d’espace ou de temps.