• La composition du gouvernement allemand issu de la coalition entre le SPD, les Verts et les libéraux, dont nous avons traduit les principaux extraits de l’accord, a été dévoilée le 6 décembre. Cinq des seize ministres de ce gouvernement paritaire ont une importance particulière1. Deux membres des Verts d’abord : Robert Habeck, vice-chancelier aux commandes d’un ministère élargi, le ministère de l’Économie, de l’Énergie et, fonction nouvelle, de la Protection du climat et Annalena Baerbock, nouvelle ministre des Affaires étrangères. Il s’agit d’un défi pour cette dernière, les Verts ayant un passé difficile avec ce poste du fait de l’expérience de Joschka Fischer, ministre de 1998 à 2005, dont le soutien aux opérations militaires du gouvernement d’alors, notamment l’intervention lors de la guerre au Kosovo, lui avait valu de vives critiques2.
  • Face à Robert Habeck à l’Économie, les Finances reviennent sans surprise à Christian Lindner, un libéral endurci qui prône la rigueur budgétaire et notamment le respect des règles du pacte de stabilité. Il pourrait donner la véritable direction au gouvernement3. Président du FDP depuis 2013 et du groupe du parti au Bundestag depuis 2017, il est l’un des maîtres d’œuvre du retour du FDP sur la scène politique, qui n’avait pas atteint les 5 % aux élections fédérales de 2013. Le FDP, traditionnellement antifiscal, s’est contenté d’un engagement à ne pas augmenter les impôts dans l’accord de coalition, et a su se présenter comme un parti progressiste, favorable à l’innovation et la modernisation, tout en restant farouchement libéral. Avec 11,5 % des voix et près de 23 % des premiers électeurs, le FDP semble avoir réussi son pari4.
  • Alors que l’Allemagne fait face à une quatrième vague et que la vaccination obligatoire sera soumise au Bundestag d’ici la fin décembre pour une mise en place projetée à partir de janvier5, c’est Karl Lauterbach, médecin, économiste de la santé et spécialiste des politiques sanitaires, dont la popularité est montée en flèche durant la pandémie à la suite de ses interventions sur les plateaux de télévision et les réseaux sociaux, qui a été nommé au ministère de la Santé. Favorable à des mesures sanitaires très strictes6, le nouveau ministre issu du SPD, qui cumule 700 000 abonnés sur Twitter, bien qu’honni par les antivax allemands, bénéficie d’un large soutien dans la population7.
  • L’ancienne ministre de la Justice sociale-démocrate Christine Lambert occupe désormais le ministère de la Défense. Le gouvernement est finalement composé de sept ministres sociaux-démocrates, cinq Verts et quatre libéraux. Les finances, la justice, les transports et l’éducation sont confiés aux libéraux. Les affaires étrangères, l’économie, l’environnement, l’agriculture et la famille reviennent aux Verts. Enfin, les sociaux-démocrates sont en charge, en plus de la direction du gouvernement, de l’Intérieur – avec la première femme à ce poste -, du travail, de la défense, de la santé, de la coopération économique, des travaux publics et de la direction de la chancellerie fédérale.
  • Le gouvernement, pro-européen8, a notamment repris le thème de « souveraineté stratégique » dans son accord, témoignant de sa volonté de rapprochement avec Paris, où le nouveau chancelier devrait se rendre dès vendredi. L’accord de coalition accordait une large place à l’Union européenne, affirmant notamment qu’une « UE démocratiquement consolidée, capable d’agir et stratégiquement souveraine est le fondement de notre paix et de notre prospérité. […] Nous formerons un gouvernement qui définira les intérêts allemands à la lumière des intérêts européens ».
  • Aux prises avec la Russie sur la question du gazoduc Nord Stream 2, le nouveau gouvernement devra également définir ses relations avec la Chine et les États-Unis. Angela Merkel a en effet approfondi les relations de l’Allemagne avec la Chine, qui est devenue, après douze visites de la chancelière, le premier partenaire commercial du pays. L’ancienne chancelière n’avait par ailleurs pas réellement réagi à l’autoritarisme croissant de Xi Jinping et aux violations des droits humains dans le Xinjiang9. Si l’opposition des Verts à Nord Stream 2 n’est pas partagée au sein du gouvernement, leur atlantisme l’est plus ou moins. La nouvelle ministre des Affaires étrangères prônait ainsi le « dialogue » mais également la « fermeté » face à la Chine et à la Russie10.
Sources
  1. Les Echos, Allemagne : quatre ministres sous les feux de la rampe, Ninon Renaud, 6 décembre 2021
  2. Le Monde Diplomatique, Diplomatie « des valeurs » à la sauce verte, Annette Lensing, décembre 2021
  3. Mediapart, Allemagne : les libéraux tiennent les cordons de la bourse, Romaric Godin, 30 novembre 2021
  4. Mediapart, Ibid.
  5. France 24, Covid-19 : la tentation de la vaccination obligatoire en Europe, 5 décembre 2021
  6. Courrier International, Provoc et quasiment paritaire, le nouveau gouvernement d’Olaf Scholz dévoilé, 7 décembre 2021
  7. France 24, Allemagne : Karl Lauterbach, le nouveau ministre superstar de la Santé, 7 décembre 2021
  8. Les Echos, L’Allemagne se dote d’un gouvernement résolument proeuropéen, Ninon Renaud, 6 décembre 2021
  9. Foreign Affairs, Can Berlin Get Tough on Beijing ?, Ian Johnson, 11 octobre 2021
  10. Le Monde Diplomatique, Ibid.