Alors que la COP 26 bat son plein, les efforts internationaux visant à passer des ambitions aux actions climatiques ont été plus intenses, plus larges et plus urgents qu’ils ne l’étaient à Madrid en novembre 2019, la dernière fois que la communauté mondiale s’est réunie pour discuter de ces questions.

Depuis le début de la pandémie de Covid-19, les engagements climatiques nationaux sont nettement plus ambitieux. Cela est dû à des facteurs comme le renouvellement, par l’administration Biden, des efforts américains pour lutter contre le changement climatique après l’absentéisme des années Trump, les engagements en faveur d’émissions nettes nulles1 pris par de grands pays comme la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l’Indonésie et le Canada, et l’annonce par l’Union européenne du Green Deal européen. Ces développements ont montré au reste de la communauté internationale qu’un nombre croissant d’acteurs économiques et politiques mondiaux traitent le climat comme une de leurs priorités, tant en termes de politique intérieure qu’extérieure. Plus de 130 pays2 ont désormais fixé, ou envisagent officiellement, des objectifs de réduction nette de leurs émissions.

Ce qui fera la différence à la COP 26 et dans le futur, c’est un « faiseur » – c’est-à-dire une puissance prête à diriger l’effort mondial pour rééquilibrer le pouvoir climatique. L’Union a la possibilité d’assumer ce rôle lors de l’évaluation par la communauté internationale, entre 2021 et 2023, des progrès accomplis dans le respect de ses engagements en matière de climat, et lors de l’élaboration3 du prochain cycle de contributions déterminées au niveau national, en 2025. L’Union a le profil, le sérieux et l’expérience nécessaires pour assumer ce rôle. Plus avancée que beaucoup d’autres dans la transition écologique, elle peut, dans une certaine mesure, montrer l’exemple, partager et commercialiser ses expériences.

L’Union est une économie avancée et un marché d’exportation puissant, un donateur majeur, une superpuissance réglementaire et une source essentielle d’expertise en matière de propriété intellectuelle et d’infrastructures, qui peut aider d’autres puissances à mettre en œuvre une transition verte. Il est important de noter que l’Union dispose également des relations diplomatiques nécessaires pour relever d’autres défis mondiaux, tels que le redressement après les effets sanitaires et économiques de la pandémie. Cela donne au bloc une vision plus large du cadre d’une grande négociation verte, ainsi que la capacité d’influencer ces domaines de coopération. En tant que telle, l’Union peut être – en coopération avec d’autres – un lieu d’activité plus efficace pour la mise en œuvre de ce marché que ne l’a été le processus cloisonné de la COP.

Pourquoi l’Union devrait-elle assumer ce rôle ? Le leadership vert, qui comportait autrefois des risques et des incertitudes considérables, est une option de plus en plus attrayante d’un point de vue économique, social et géopolitique. Avec l’annonce du « Green Deal » européen en 2019 et d’un paquet politique ultérieur en 2021, « Fit for 55 », l’Union est devenue le premier acteur mondial à présenter des plans concrets pour réduire ses émissions nettes de gaz à effet de serre d’au moins 55 % par rapport aux niveaux de 1990 d’ici à 2030. L’Union européenne se positionne donc de manière à pouvoir bénéficier de la transition carbone par le biais du commerce mondial.

Ce qui fera la différence à la COP 26 et dans le futur, c’est un «  faiseur » – c’est-à-dire une puissance prête à diriger l’effort mondial pour rééquilibrer le pouvoir climatique.

Alex Clark, Susi Dennison et Mats Engström

Pour devenir une présence mondiale plus forte et plus crédible dans le domaine du climat, l’Union devra redoubler d’efforts pour éliminer progressivement l’utilisation du charbon dans certains de ses États membres, renforcer sa sécurité énergétique grâce à des sources propres et à une plus grande efficacité et, ce qui est peut-être le plus important, élaborer et faciliter des politiques de « transition juste » viables. À l’heure actuelle, les autres puissances ont des raisons légitimes de se demander si l’Union est sérieuse ou honnête quant à ses ambitions en matière de leadership climatique. Les citoyens européens et les États membres de l’Union s’inquiètent de la répartition sociale des coûts et des bénéfices de la transition carbone ; les entreprises européennes sont engagées dans un lobbying intensif pour s’assurer qu’elles restent compétitives dans les industries propres ; et il y a un manque de clarté sur la façon dont l’Europe s’approvisionnera en importations d’énergie propre à grande échelle qui seront probablement essentielles à la décarbonation.

Le poids du réengagement des États-Unis dans l’agenda climatique sous la direction du président Joe Biden a été crucial pour persuader les autres acteurs mondiaux d’apporter une contribution constructive à la COP26. Il y a peut-être eu une évolution, au niveau mondial, dans la reconnaissance de la nécessité de mettre fin à la dépendance des pays à l’égard des combustibles fossiles, mais cela ne suffira pas à créer un accord lors de la conférence sur la manière de passer à des sources d’énergie alternatives. Un tel accord devra découler des réalités des relations interétatiques dans un monde qui a entamé la transition vers l’abandon du carbone.

C’est là que l’Union européenne devrait jouer son rôle, en tant qu’accoucheuse d’une grande négociation verte. Elle n’est pas encore une force géopolitique égale aux États-Unis, capable de menacer de manière crédible d’utiliser tous les aspects de sa puissance économique pour renforcer sa position de négociation à la COP26. Les divisions et le manque de cohésion au sein de l’Union sont bien connus non seulement des dirigeants de ses institutions, mais aussi des gouvernements des pays tiers.

La puissance européenne en matière de climat devra provenir d’une capacité à mettre en œuvre des changements à un niveau plus pratique, par le biais des interactions de l’Union avec des pays de toutes sortes.

L’Union doit utiliser ses outils commerciaux et la puissance de son marché pour pousser ses partenaires à abandonner les productions à forte intensité de carbone. Elle devrait investir davantage dans le développement des technologies vertes, afin que la Chine ne soit pas la seule à façonner cet aspect de la révolution verte mondiale. La création d’un fonds de co-innovation et de diffusion des technologies vertes pourrait être un moyen de réaliser cela. L’Union devrait également fournir des financements verts et exercer un effet de levier sur les investissements du secteur privé pour permettre aux pays en développement de bénéficier de cette révolution. Des critères clairs sont nécessaires pour le volet climatique du nouveau programme européen Global Europe, et les pays voisins de l’Union qui s’engagent dans des transitions vertes devraient bénéficier d’un soutien accru. L’Union devrait stimuler le développement du secteur des énergies renouvelables en recadrant le concept de sécurité énergétique pour le centrer sur les énergies propres et sur l’efficacité, et en analysant les réformes du marché de l’énergie qui soutiendraient cet effort.

L’Union doit utiliser ses outils commerciaux et la puissance de son marché pour pousser ses partenaires à abandonner les productions à forte intensité de carbone.

Alex Clark, Susi Dennison et Mats Engström

Dans un monde où la transition vers une économie sans carbone est presque inévitable, l’action climatique est une question de souveraineté européenne. Une action climatique efficace est dans l’intérêt des Européens autant que dans celui des habitants de toute autre région. L’Union devra gérer les nouvelles dépendances qu’elle développera lorsqu’elle tentera de protéger sa sécurité énergétique grâce à des sources d’énergie propres et essaiera de développer les technologies vertes dont elle a besoin pour transformer son économie. Elle doit par ailleurs reconnaître que l’action en faveur du climat ne consiste pas seulement à faire ce qu’il faut, mais aussi à protéger les intérêts européens. Cela pourrait aider à l’acquisition du soutien des États membres de l’Union qui s’inquiètent de la vitesse et de l’intensité de la transition verte.

L’Union doit développer un argumentaire expliquant pourquoi l’absence d’action climatique présente des risques bien plus importants que la mise en œuvre de politiques favorables au climat. Et, dans les discussions avec les pays tiers sur la manière de construire de nouveaux partenariats pour gérer la transition verte, l’Union devrait être honnête sur ses motivations pour l’action climatique. Il s’agirait d’un changement de ton utile par rapport aux efforts qu’elle semble déployer pour faire la leçon aux pays du Sud sur la nécessité de prendre des mesures difficiles.

L’Union doit également s’inspirer des leçons tirées d’autres aspects de la souveraineté européenne, en développant une capacité à résister à la coercition des opposants à l’action climatique. Malgré la réaction internationale contre le mécanisme d’ajustement aux frontières pour le carbone (CBAM), l’Union doit rester ferme sur cette mesure, qui est déjà moins ambitieuse que ne l’espéraient de nombreux défenseurs du climat. L’Union devrait également s’efforcer d’établir des mécanismes équitables de tarification du carbone en coordination avec les pays les plus vulnérables aux effets du CBAM. En créant une conditionnalité carbone dans le commerce, l’Union peut orienter le débat mondial sur la tarification du carbone.

Enfin, la stratégie de leadership climatique de l’Union devrait accorder une attention particulière à ses relations avec les pays du Sud. Le développement vert offre de réelles possibilités aux pays à faible revenu, mais il n’est pas certain qu’ils recevront le soutien dont ils ont besoin pour en tirer parti. Par conséquent, l’Union devrait aider ces États à faire face aux effets combinés de l’ajustement carbone aux frontières, du développement vert mondial et du changement climatique en augmentant ses investissements et son dialogue avec les plus vulnérables d’entre eux. L’Union européenne devrait élaborer une stratégie sectorielle en matière de climat et de développement pour l’Afrique, axée sur l’adoption rapide des technologies numériques et la création d’infrastructures essentielles aux marchés intérieurs et d’exportation des pays africains. La proposition d’Ursula von der Leyen concernant le programme Global Gateway a besoin d’un financement pour être crédible, notamment en augmentant le capital de la BEI et en utilisant les droits de tirage spéciaux (DTS) à cette fin.

L’Europe ne deviendra un véritable leader en matière climatique que si elle contribue à la réalisation d’une grande négociation verte qui mettra pleinement en jeu son pouvoir économique, multilatéral et son soft power.