• Sans fards, les Islamistes, qui ne sont pas tous des djihadistes mais plus souvent des frères musulmans1 ou des membres de mouvements régionaux souvent en conflits avec Khartoum font leur retour dans les enceintes du pouvoir. À des postes importants, par exemple comme secrétaires généraux des ministères du nouveau gouvernement soudanais, notamment au ministère des Affaires étrangères où près d’une centaine d’islamistes nommés par Omar el-Bechir, l’ancien dictateur soudanais au pouvoir entre 1989 et 2019, se sont présentés.
  • De même pour le gouverneur de la Banque centrale qui reviendra certainement sur des mesures fortes d’assainissement du marché des changes décidées par le gouvernement civil renversé.
  • Ces nominations dans la haute administration de membres de l’État parallèle que les Frères musulmans avaient établi durant les années Béchir, se font dans le contexte plus général de libération d’un certain nombre de personnalités islamistes radicales. À l’instar d’Abdelbassit Hamza, bras droit de Ben Laden lors de ses années au Soudan, de Mohamed Ali Jazul, soutien fort de Daech à une certaine époque, et Ibrahim Ghandour, ministre des Affaires étrangères de l’ancien dictateur.
  • Cela peut surprendre alors que l’Égypte et les Émirats Arabes Unis semblent soutenir le coup d’État et qu’ils avaient apprécié la chute du régime d’Omar el-Béchir en 2019, qui était proche de la Turquie, du Qatar et des Frères musulmans.  
  • Mais ce ne serait qu’une manœuvre de plus de la dyarchie militaire et religieuse qui se réinstalle au pouvoir. En effet, en 1989, Omar el-Béchir, à la suite de son coup d’État, avait trahi l’Égypte, alors soutien de sa prise de pouvoir, en faisant exercer à Hassan El Tourabi, l’homme fort des Frères musulmans (qui avait fait ses études à la Sorbonne) des responsabilités de premier plan une fois le coup d’État consolidé, alors qu’ils avaient affirmé l’avoir mis en prison pour rassurer le Caire.   
  • Au-delà de cette tendance, inquiétante, d’un possible retour aux années islamistes avec l’exclusion de la haute administration de femmes2 qui avaient été nommées par le gouvernement civil, d’autres questions méritent d’être posées.
  • Le silence d’Hemeti3, personnage clé4 du régime militaire, chef de guerre, au cœur d’un empire de l’argent sale5, depuis à la tête des forces spéciales6 et en contact avec Paris, laisse songeur : il y a deux ans, il avait attendu de voir comment les choses se profilaient avant d’adopter une position tranchée, laissant entendre que la transition était souhaitable7.
  • Le Darfour revient en force à travers les évolutions des derniers jours, notamment Jibril Ibrahim, un islamiste, confirmé par Burhan comme ministre des Finances, ainsi que Minni Minawi, un opportuniste qui avait accepté un poste ministériel après les accords d’Abuja. C’est parce qu’ils se sont rangés du côté des militaires que les choses ont basculé. 
  • Ces deux personnages ont, en outre, la particularité d’être Zaghawa (et même Zaghawa Kobe pour Jibril Ibrahim) et disposent de troupes aguerries (MJE et MLS/Minni), ayant fait et faisant toujours le coup de feu en Libye (dans des camps opposés). Ils pourraient, le moment venu, vouloir jouer un rôle au Tchad. C’était, à une époque, la tentation de Khalil Ibrahim (le frère de Jibril Ibrahim tué au combat). De plus, tous les coups d’État au Tchad sont partis du Darfour. 
  • Enfin, le plus préoccupant est peut-être l’engagement des militaires soudanais et de leurs miliciens en faveur du Tigray dont les forces menacent la capitale éthiopienne. L’équilibre délicat8 que Khartoum faisait semblant d’adopter dans le conflit s’est écroulé depuis le retour d’une équipe favorable à l’Egypte dans le conflit sur les eaux du Nil.
Sources
  1. CMI, Sudan’s popular uprising and the demise of Islamism, Munzoul A. M. Assal, 2019
  2. CMI, Sudanese Women’s Demands for Freedom, Peace, and Justice in the 2019 Revolution, Samia al-Nagar et Liv Tonnessen, octobre 2021
  3. ECFR, Bad company : How dark money threatens Sudan’s transition, Jean-Baptiste Gallopin, 9 juin 2021
  4. As the commander of one of Sudan’s most prominent paramilitary forces, he leaves a trail of human rights abuse allegations from Darfur in his wake and has recently been accused of allowing those same forces to kill demonstrators in Khartoum.
  5. Qui sont cependant au cœur de la répression des mouvements de la population.
  6. « With the Sudan Uprising nearing its two-year anniversary, the country’s Rapid Support Forces (RSF) is sticking to their old formula : using force to suppress Sudanese citizens. » Source : The Africa Report, Sudan’s transition overlord Hemeti still wreaking havoc in Darfur, Eman El-Sherbiny, 6 octobre 2020
  7. Ibid.
  8. CMI, Eastern Sudan : Hosting Ethiopian refugees under tough conditions, Adam Babiker, Yassir Abubakar, Mutassim Bashir, Abdallah Onour, octobre 2021