Ce matin, les dirigeants des Verts puis du Parti démocratique libre (FDP, RE) ont annoncé vouloir ouvrir dès jeudi des pourparlers à trois (Dreiergespräch) avec le Parti social-démocrate d’Allemagne (SPD, S&D) en vue de la préparation d’une négociation formelle d’un accord de coalition1. Cette configuration est communément désignée sous le nom de « feu tricolore » (Ampelkoalition), en référence aux couleurs respectives des partis (vert, jaune et rouge). Selon plusieurs sondages, cette coalition est le souhait de la majorité des électeurs2. Le candidat du SPD à la chancellerie Olaf Scholz a confirmé en début d’après midi l’ouverture des pourparlers. « Nous commençons dès demain (…) c’est la volonté des citoyens ».

Ce moment ouvre une nouvelle phase dans le processus de constitution de la future coalition allemande. Après une semaine de rencontres très informelles et sans engagement entre les chefs de partis, commence désormais la phase des discussions exploratoires (Sondierungsgespräche) entre les partis. Si ces dernières aboutissent s’ouvrira alors une négociation officielle qui aboutira à un accord de coalition, document programmatique détaillé qui constituera la feuille de route gouvernementale pour les quatre années à venir.

Après avoir mis en scène un rapprochement bilatéral par un selfie remarqué et rapidement transformé en « meme »3 à succès, les Verts et les Libéraux, qui se considèrent comme les partis opposés au statu-quo, ont rencontré séparément les dirigeants des deux grands partis (Volksparteien), SPD et CDU/CSU, tout de même arrivés en tête lors du scrutin du 26 septembre dernier.

La séquence politique qui s’ouvre aujourd’hui est résolument nouvelle : jamais trois partis n’ont gouverné ensemble au niveau fédéral. Cependant le SPD a gouverné de 1969 à 1982 avec le FDP sous les chanceliers Willy Brandt et Helmut Schmidt, puis de 1998 à 2005 avec les Verts pendant le mandat de Gerhard Schröder. En outre, ce sont pour la première fois les deux partenaires minoritaires (Verts et Libéraux) qui ont ravi l’initiative aux grands partis et qui occupent le devant de la scène médiatique, conscients de leur pouvoir de négociation. En quelque sorte, les faiseurs de rois se sont ligués avant la négociation pour défendre leurs intérêts respectifs.

Le FDP et les Verts ne mèneront pas dans un premier temps de discussions avec la CDU/CSU, mais aucun des partis n’a pour le moment exclu la possibilité d’ouvrir ensuite des discussions préliminaires avec les chrétiens-démocrates4, toujours dirigés à l’heure actuelle par Armin Laschet. Après les élections de septembre 2017, La CDU/CSU, le FDP et les Verts avaient déjà tenté de conclure un accord de coalition « jamaïcaine » (noir, vert et jaune) sous la direction de la chancelière Angela Merkel, mais le président du FDP Christian Lindner avait quitté les pourparlers5  en novembre 2017 en prononçant une phrase restée célèbre « il vaut mieux ne pas gouverner que mal gouverner » (es ist besser, nicht zu regieren, als falsch zu regieren).

Si la proximité des Verts et du SPD était apparente pendant toute la campagne, le FDP a de son côté affiché sa proximité avec la CDU/CSU. Mais la relation avec le « partenaire naturel » au centre droit s’est distendue après des discussions ce week-end dont le contenu a été communiqué à la presse, dont plusieurs cadres du FDP ont accusé la CDU/CSU d’être à l’origine6.

Aujourd’hui, libéraux comme verts semblent avoir trouvé dans leur volonté de retourner enfin aux affaires à Berlin un aiguillon assez puissant pour passer outre les divergences réelles qui existent entre leurs programmes et leurs visions d’avenir pour l’Allemagne. Les Verts veulent une politique interventionniste en matière de climat et un assouplissement des contraintes pour investir tandis que le FDP veut laisser le marché agir pour la transition énergétique et revendique la rigueur budgétaire. Les deux partis se retrouvent cependant assez proches au sujet du développement de l’infrastructure numérique, des énergies renouvelables ou encore des relations internationales, chacun étant notamment partisan d’une ligne plus ferme face aux régimes autoritaires. Verts et Libéraux offrent ainsi à Olaf Scholz (SPD) un chemin encore semé d’embuches vers la chancellerie, tandis qu’Armin Laschet, déjà très affaibli au sein de la CDU/CSU, ne peut désormais espérer pour sauver sa candidature qu’un échec des pourparlers, qui permettrait à son parti de jouer un rôle7.

Cependant, le président de la CSU Markus Söder a de son côté acté en fin de matinée l’ouverture des discussions préliminaires entre le SPD, le FDP et les Verts8 : « [ils] ont fait le choix d’une coalition en feu tricolore. Ils doivent maintenant assumer ce choix. » Le chef du parti bavarois a également fermé la porte à des négociations parallèles, en indiquant que son parti restait prêt à discuter, mais pas à n’importe quelles conditions, fragilisant ainsi encore plus la position du président de la CDU qui sait que sa survie politique est liée à la conclusion d’un accord de gouvernement avec le FDP et les Verts. Par ailleurs, selon la Süddeutsche Zeitung, Armin Laschet devrait bientôt céder son poste de ministre-président de Rhénanie du Nord-Westphalie à l’actuel ministre des transports du Land Hendrik Wüst, 46 ans, qui passe pour un libéral-conservateur plus à droite que l’actuel chef du gouvernement régional9.