• Après une enquête le mettant en cause pour l’usage de fonds publics à des fins d’avancement personnel, le chancelier autrichien Sebastian Kurz a annoncé son retrait lors d’une conférence de presse ce samedi : « Mon pays m’importe plus que ma personne. C’est pourquoi, afin de sortir de cette impasse, je voudrais céder ma place. »1
  • Cette démission constitue une étape majeure dans une séquence politique ouverte le 6 octobre par des perquisitions à la chancellerie, au ministère des finances et au siège du parti populaire autrichien (ÖVP, PPE), visant les plus proches conseillers du chancelier. Ces dernières ont eu lieu dans le cadre d’une enquête au long cours du parquet économique anti-corruption autrichien. Les faits qui sont imputés remontent à 2016, lorsque comme ministre des affaires étrangères visant la chancellerie, M. Kurz aurait commandité sur fonds publics des sondages pour faciliter son ascension à la tête de l’ÖVP et à la tête du gouvernement et aurait conclu un pacte avec le tabloïd « Österreich » lui garantissant une couverture médiatique élogieuse en échange d’annonces publicitaires, elles aussi financées par des moyens publics2.
  • Après ces révélations, M. Kurz a été lourdement critiqué au cours de la semaine par ses partenaires Verts (Die Grünen, Verts/EFA) notamment le vice-chancelier Werner Kogler, qui, en réclamant son remplacement par une personnalité « irréprochable », l’ont acculé jusqu’à la démission de ce samedi3. Par ce geste, Sebastian Kurz échappe cependant à une motion de censure, qui avait été mise à l’ordre du jour du Conseil national (Nationalrat, la chambre basse du parlement) pour mardi prochain par le parti social-démocrate autrichien (SPÖ, S&D), actuellement dans l’opposition. L’actuel ministre des affaires étrangères Alexander Schallenberg (ÖVP), un diplomate âgé de 52 ans, succèdera à M. Kurz à la chancellerie. Cependant le chancelier démissionnaire a annoncé qu’il restera président de l’ÖVP et prendra par ailleurs le poste de « Klubobmann », c’est à dire chef du groupe parlementaire de son parti au Nationalrat.
  • Né en 1986, Sebastian Kurz a connu une carrière politique éclair, gravissant les échelons du Parti populaire autrichien à grande vitesse. D’abord ministre des affaires étrangères dans un gouvernement de grande coalition de 2013 à 2017, il devient à 31 ans le plus jeune chancelier autrichien de l’histoire, en concluant une alliance avec le parti de la liberté d’Autriche (FPÖ, ID).
  • Mais cette coalition des droites connaît une chute particulièrement spectaculaire en mai 2019, lorsque le premier gouvernement Kurz est contraint à la démission dans le cadre de l’affaire dite d’Ibiza, qui mettait en cause le vice-chancelier et président du FPÖ Heinz-Christian Strache discutant dans une vidéo volée de corruption avec une jeune femme se présentant comme une oligarque russe. C’est d’ailleurs à l’époque qu’ont probablement été saisis des documents qui sont à l’origine des perquisitions de ces derniers jours. Quoi qu’il en soit, Sebastian Kurz avait alors chassé le parti d’extrême-droite de son gouvernement, qui avait ensuite été renversé par un vote de défiance. Les élections anticipées de septembre 2019 avaient renforcé l’ÖVP et les Verts en affaiblissant le SPÖ et le FPÖ. Sebastian Kurz opère alors un renversement complet d’alliance en concluant en janvier 2020 un pacte de gouvernement avec le parti Vert autrichien. Ainsi M. Kurz en est-il à sa deuxième démission en l’espace d’un peu plus de deux ans, et devient « pour la deuxième fois le plus jeune ancien chancelier du pays »4, comme le note non sans humour le quotidien autrichien Die Presse.
  • Sur le plan européen, le chancelier Kurz représentait un modèle pour les autres partis conservateurs membres du PPE, qui cherchaient à émuler son succès dans les urnes. Par ailleurs M. Kurz entretient depuis plusieurs années une connivence ostensible avec son « voisin », l’actuel ministre-président de Bavière et chef de l’Union Chrétienne-Sociale (CSU, PPE) Markus Söder, tous deux incarnant à leur manière un conservatisme élastique et pragmatique, capable de nouer des alliances sur tout l’échiquier politique.
  • Si la démission de M. Kurz constitue une péripétie de plus dans l’histoire politique mouvementée de l’Autriche de ces dix dernières années, reste désormais à savoir si celle-ci permettra de limiter les effets de la crise démocratique ou si elle accélérera cette dernière. Selon l’agence de presse autrichienne APA, des discussions informelles ont lieu au parlement concernant la formation d’un nouveau gouvernement, y compris entre les Verts, le SPÖ et le FPÖ5.
Sources
  1. Christian Böhmer et Elisabeth Hofer, Kurz tritt als Kanzler ab und wird Klubchef – Schallenberg übernimmt, der Kurier, 9 octobre 2021.
  2. Philipp May et Clemens Verenkotte, Kurz und der Korruptionsverdacht, Deutschlandfunk, 07 octobre 2021.
  3. Kurz zum zweiten Mal jüngster Altkanzler von Österreich, Die Presse, 9 octobre 2021.
  4. Kogler begrüßt Kurz’ Rücktritt, Opposition ist er nicht genug, Wiener Zeitung, 9 octobre 2021.
  5. SPÖ strebt Arbeitsabkommen mit Grünen, Neos und FPÖ an, der Kurier, 8 octobre 2021.