Nous avons posé la même série de questions à Sandrine Rousseau et Éric Piolle, candidats également à la primaire de l’écologie 2021 dont le premier tour débutera le 16 septembre.
Union européenne
EELV se présente souvent comme un parti favorable à la construction européenne. L’êtes-vous ?
Si la France est notre maison, l’Europe est notre village ! Alors oui je suis profondément favorable à la construction européenne. Dans le monde tel qu’il est aujourd’hui, avec des géants comme les États-Unis, la Chine, la Russie ou encore l’Inde, dont certains engagés dans une confrontation avec la démocratie, l’Europe doit être unie pour peser et conserver la maîtrise de son propre destin. Elle doit aussi être unie, « dans la diversité » !, pour défendre pour elle-même et pour le reste les valeurs de démocratie, d’État de droit, de paix et de libertés fondamentales qui la fondent. Unie enfin pour engager l’indispensable transformation écologique et offrir à nos enfants un avenir bienveillant qui ne soit pas percuté par la brutalité des chocs climatiques. Aucun pays européen, quel qu’ait été son poids dans le monde dans le passé, n’a plus et n’aura plus dans le futur cette capacité seul. De plus, même s’il y a quelques exceptions à combattre, les pays européens partagent les mêmes idéaux démocratiques, les mêmes valeurs humanistes et sont dotés de systèmes sociaux étendus qui en font le continent le plus social et le moins inégalitaire du monde. Si nous voulons pouvoir défendre, renforcer et partager ces acquis dans un monde de plus en plus illibéral et inégalitaire, nous avons un urgent besoin de nous regrouper.
Pour autant, être favorable à l’intégration européenne ne signifie pas approuver l’Union européenne telle qu’elle fonctionne aujourd’hui. La volonté de construire l’Europe trop souvent autour du marché depuis 64 ans, a suscité beaucoup d’effets pervers en accentuant le dumping social et fiscal en son sein. La domination des idées néolibérales au sein des institutions européennes a aggravé les méfaits d’une mondialisation dérégulée pour les populations du continent et nourri les oppositions au projet européen.
Quel bilan tirez-vous de la politique européenne d’Emmanuel Macron ? En quoi la politique européenne que vous souhaiteriez mener se distinguerait-elle ?
En 2017, Emmanuel Macron avait placé la barre très haut en matière de politique européenne : on allait voir ce qu’on allait voir… Et quatre ans et demi plus tard, le bilan est bien maigre. Son bonapartisme jupitérien a suscité beaucoup de réactions négatives en France mais encore plus chez nos voisins qui ont gardé de très mauvais souvenirs des dégâts causés par Napoléon en Europe et soupçonnent toujours les dirigeants français de vouloir construire une Europe qui soit une France en grand. Les humiliations qu’il a fait subir aux dirigeants italiens, en particulier sur la Libye ou les réfugiés, ont empêché toute coordination européenne efficace en Méditerranée, notamment vis-à-vis des ambitions de la Turquie d’Erdogan. Sa diplomatie de mise en scène avec Poutine et d’autres a souvent été contre-productive. Pour avancer en Europe, il faut être capable d’écouter et de comprendre ce qui se passe dans les autres pays, de construire patiemment des coalitions sans vouloir toujours tirer la couverture à soi trop ostensiblement, pour entraîner dans les indispensables transformations. C’est ce que ne sait pas faire Emmanuel Macron.
On a beaucoup parlé ces dernières années du concept « d’autonomie stratégique », de « souveraineté européenne » ou de « Commission géopolitique ». Quelle est votre analyse de ces notions ? Quels projets vous paraissent à même de conduire à des avancées ?
À Bruxelles, on aime beaucoup discuter à l’infini sur des concepts mais la politique, en tout cas celle qu’attendent nos concitoyens et concitoyennes, ce n’est pas de se mettre d’accord sur la sémantique en négociant pendant des mois sur chaque virgule et chaque adjectif, c’est de changer leur vie, de faire en sorte que nous soyons enfin capables de produire en Europe des masques, des respirateurs et des vaccins, que nous ne dépendions pas du bon vouloir des dirigeants chinois et des multinationales américaines pour gérer les données personnelles, les échanges de messages et la diffusion d’informations entre Européen.ne.s, que nous soyons en mesure d’évacuer les Européens et les réfugiés de Kaboul ou d’ailleurs sans avoir à demander l’aumône aux Américains… Que nous disposions en Europe d’une alimentation de qualité grâce à une agriculture paysanne ancrée dans la transformation écologique. Sur tous ces sujets, il faut arrêter de discuter et agir, au besoin avec seulement dans un premier temps les pays qui sont prêts à le faire.
Quelle relation souhaitez-vous entretenir avec les autres partis écologiques européens, notamment avec le parti vert allemand ?
Les Écologistes sont la force politique qui se coordonne le plus étroitement à l’échelle européenne. Les Grünen sont évidemment depuis longtemps un des interlocuteurs majeurs pour les Verts Français. Si, comme il est probable, les Verts allemands sont déterminants de la coalition qui sera au pouvoir en Allemagne après les prochaines élections à la fin du mois, ils seront évidemment un partenaire et un allié privilégié d’un président écologiste français. Nous sommes à un moment potentiel de basculement politique pour la transformation écologique pour nos pays et l’Europe avec ces échéances dans nos pays.
Malgré les efforts de l’Union pour harmoniser et coordonner la sortie des énergies carbone, des divisions subsistent entre les pays qui se dirigent vers des ENR, ceux qui continuent de financer de nouvelles centrales charbon ou qui défendent le nucléaire. L’Union doit-elle se prononcer sur une harmonisation du mix énergétique des États membres ?
Sous notre pression et celle du mouvement climat, l’Union a renforcé ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030, passant de 40 à 53 %. Elle doit maintenant se doter des moyens de les atteindre effectivement, et c’est loin d’être gagné. Cela ne passe cependant pas seulement par la modification du mix énergétique, la partie la plus essentielle porte d’abord sur l’efficacité et la sobriété énergétique. L’Union doit cependant aussi soutenir plus activement qu’aujourd’hui, le développement des énergies renouvelables. Ce n’est pas seulement un enjeu climatique mais aussi un enjeu industriel et donc d’emploi. Dans les années 2000, la Commission européenne avait ainsi laissé le secteur du photovoltaïque s’écrouler en Europe sous les coups de boutoir du dumping chinois. C’était une grave faute. Quant à la question du nucléaire, elle est déjà en voie de règlement : cette technologie, outre qu’elle est et reste très dangereuse, est désormais aussi trop chère par rapport aux énergies renouvelables.
Quel devrait être le prix du carbone aux frontières de l’UE en 2030, 2040, 2050 ?
L’ajustement carbone aux frontières vise à éviter ce qu’on appelle les « fuites de carbone », la délocalisation d’activités hors de l’Union européenne dans des pays où les normes écologiques sont moins élevées. Une délocalisation qui ferait perdre des emplois en Europe sans pour autant réduire les émissions de gaz à effet de serre. Autrement dit : nous aurions tout faux. Cette initiative fait donc pleinement sens et je me suis beaucoup investi en sa faveur au Parlement Européen en tant que rapporteur. Quel prix ? Le même doit s’exercer pour nos entreprises et celles qui exportent sur notre marché. L’enjeu des prochains mois est de purger le marché carbone des quotas gratuits dont ont bénéficié les secteurs de la sidérurgie, du ciment ou de la chimie. C’est contreproductif tant du point de vue climatique que du point de vue de l’innovation et de la réindustrialisation nécessaire de notre continent.
La France dans le monde
Quel est pour vous l’avenir de la dissuasion nucléaire française ?
Après le départ du Royaume-Uni, la France reste donc le seul pays à disposer à la fois d’un siège permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU et d’une capacité de dissuasion nucléaire au sein de l’Union. La France et l’Europe doivent d’abord être des promoteurs à l’échelle mondiale de la non-prolifération et la dénucléarisation. Il y a urgence à relancer ce combat. Et la France devra prendre une initiative forte en ce sens.
Quel montant la France devrait-elle consacrer à sa défense ?
La France est de longue date pénalisée en Europe par le niveau relativement élevé de ses dépenses militaires. Pour un écologiste, dépenser de l’argent dans du matériel militaire c’est toujours un crève-cœur puisque cela se fait forcément aux dépens d’autres budgets, comme la lutte contre le changement climatique et la perte de biodiversité ou comme de celle contre les inégalités et la pauvreté. Malheureusement, dans le monde tel qu’il est aujourd’hui avec des pouvoirs autoritaires qui montent en puissance tout autour de nos frontières et affirment de plus en plus ouvertement leur volonté impériale, il n’y a pas d’autre choix que de prendre les moyens nécessaires pour défendre nos valeurs démocratiques. Cela étant dit, il faut surtout s’assurer en Europe que les autres pays apportent enfin une contribution à un niveau adapté à notre défense commune. Commençons par avoir de véritables capacités européennes de forces de paix. Par ailleurs, la rationalisation des équipements militaires sur le vieux continent comporte des potentiels de gains très importants pour le coût de notre défense commune même si cela pose aussi des questions difficiles en termes de politique industrielle dans le secteur de la défense. Enfin, la France doit respecter le droit international et ses engagements européens en cessant les ventes d’armes à des dictatures en guerre.
Après Kaboul, est-ce que la France devrait rester membre du commandement intégré de l’OTAN ?
Les événements de Kaboul posent plus généralement la question du sens, de l’organisation et de la gouvernance de l’OTAN et surtout de l’autonomie européenne de défense. Face aux Poutine, Xi Jinping, Erdogan, Modi et autres, nous devons renforcer notre politique extérieure commune et l’asseoir sur notre puissance économique et une politique européenne de défense. C’est le préalable indispensable à la gestion des conflits mondiaux et aux frontières de l’Union. Comme c’est le préalable pour rediscuter des bases de coopération évidente avec les États-Unis. Il ne peut plus s’agir d’un cavalier seul français mais bien d’une démarche commune européenne à construire, à laquelle il faudra d’ailleurs chercher à associer également nos amis britanniques. Les temps sont mûrs pour cela : le traumatisme afghan a été beaucoup plus puissant encore à Londres et à Berlin qu’à Paris.
Quel bilan tirez-vous de la crise afghane ? Que feriez-vous si vous étiez au pouvoir ?
Chacun en convient, la mission que s’étaient assignés les Occidentaux après la défaite des Talibans – faire de l’Afghanistan un état démocratique moderne à coup de milliards d’aide extérieure – était démesurée et hors de portée en l’absence d’une volonté politique suffisamment largement partagée au sein de la société afghane elle-même. Pour ce qui la concerne, la France en avait d’ailleurs déjà tiré, à juste titre, les conséquences depuis 2014 en renonçant à toute présence militaire.
La question qui n’est pas résolue aujourd’hui concerne surtout les suites de ce fiasco occidental. Pour ma part je déplore l’attitude d’Emmanuel Macron le 16 août dernier, comme j’ai eu honte de l’attitude des ministres de l’intérieur de l’Union européenne : notre incapacité à accueillir les dizaines de milliers d’Afghans et surtout d’Afghanes qui avaient fait confiance aux occidentaux et se retrouvent aujourd’hui à risquer leur vie à cause de l’échec total de leur politique.
Y voyez-vous un lien avec l’intervention militaire de la France au Sahel ? Que souhaiteriez-vous faire si vous étiez au pouvoir ?
Le fiasco afghan risque bien entendu de donner des ailes aux djihadistes sur d’autres terrains et particulièrement au Sahel, une région où j’ai vécu et travaillé et que je connais bien. Ceci étant, les différences entre les situations dans ces deux zones sont nombreuses, ne serait-ce que parce que pour l’instant les flux d’aides et de corruption massive sont beaucoup plus limités au Sahel. Chacun convenait déjà avant Kaboul que la solution ne pouvait pas être militaire non plus au Sahel. Mais la capacité à faire l’effort indispensable en termes tant de développement économique et social sur le terrain que de construction de l’État de droit, paraît pour l’instant très insuffisante dans les pays concernés comme du côté de l’Europe. Il faudra donc mettre chacun devant ses responsabilités : les Africains bien sûr, mais aussi les Européens en particulier en termes d’aide au développement.
La diplomatie de l’anthropocène
Sur quels terrains se joue selon vous la nouvelle géopolitique du climat ?
La nouvelle géopolitique du climat se détermine sur de nombreux terrains à la fois, ce qui contribue à rendre la question si complexe à résoudre. Elle se joue d’abord du côté de l’adaptation au changement climatique. Si nous n’aidons pas en particulier massivement les pays du Sud à y faire face, à modifier leur agriculture, à adapter leurs villes, les États faillis risquent de se multiplier avec leur cortège de troubles. Les guerres de Syrie, d’Irak, les conflits au Proche-Orient, la déstabilisation de l’Ethiopie sont déjà en bonne partie des guerres de l’eau accélérées par le changement climatique. La famine est massive à Madagascar.
Et elle se joue également du côté de l’atténuation : on ne pourra obtenir que les États producteurs de charbon, de pétrole et de gaz acceptent de laisser leurs réserves dans le sol que si nous sommes en mesure de leur offrir quelque chose en contrepartie. Cela vaut d’ailleurs au sein même de l’Europe, vis-à-vis de la Pologne en particulier.
Enfin elle se joue sur le terrain de l’innovation technologique. Le futur de l’industrie se construira forcément autour des technologies vertes, non carbonées, économes en ressources non renouvelables de toutes natures. La capacité de l’Europe à trouver sa place dans la division internationale du travail sur ce terrain sera déterminante pour son avenir. Elle avait il y a vingt ans une certaine avance en la matière mais les politiques d’austérité et la mauvaise gestion de la crise de 2008-2009 et de ses suites lui a fait perdre beaucoup de terrain depuis…
Pensez-vous que la Chine est en train de devenir une puissance écologique ? Son modèle vous semble-t-il souhaitable ?
La mutation engagée en Chine est certes impressionnante. Les autorités chinoises ont compris je pense combien ce pays qui dépend très étroitement de l’eau provenant des glaciers himalayens, était menacé par le changement climatique. Et c’est important pour l’avenir de la planète compte tenu du poids démographique et économique de la Chine. Pour autant, ce pays reste et devient chaque jour un peu plus une dictature insupportable et un pays terriblement inégalitaire. Il nous faut absolument montrer au cours des prochaines années que nous sommes capables de faire bien mieux qu’elle sur le plan écologique dans un contexte et par des moyens démocratiques. L’accord d’investissement UE-Chine soutenu par Angela Merkel et Emmanuel Macron en pleine répression et persécutions massives contre les Ouighours et les démocrates est un terrible aveu de faiblesse, sur nos valeurs fondamentales comme sur notre souveraineté. La transition écologique est un enjeu mondial qui exige toutes les coopérations. Mais c’est aussi un enjeu démocratique sur lequel on ne peut transiger et un enjeu de souveraineté énergétique et industrielle. À cet égard, nous, écologistes, nous sentons bien seuls au parlement européen.
Êtes-vous favorable à l’extension du domaine du droit international sous l’égide de l’ONU ? Soutenez-vous, par exemple, l’adoption d’un traité de non-prolifération des énergies fossiles ? Faut-il contribuer à la création d’une force d’intervention écologique sous l’égide de l’ONU ?
Il faut évidemment renforcer la régulation internationale face à la crise écologique. Il faut notamment compléter le droit international concernant les réfugiés aux conséquences du changement climatique, comme ajouter les crimes environnementaux à la CPI. Le renforcement du devoir de vigilance des entreprises multinationales peut et doit aussi aider puissamment à conjurer la crise écologique. De même que la prise en compte effective du risque carbone et plus largement des risques écologiques au niveau de la finance et des comptes des entreprises.
L’idée d’un traité de non prolifération des énergies fossiles est intéressante mais avant de parler de nouveaux traités internationaux sur les énergies fossiles il faut déjà réussir la COP 26 en obtenant de tous les grands émetteurs qu’ils rehaussent leurs engagements au niveau nécessaire pour limiter le réchauffement à 1,5 °C et mettre en place les modalités de suivi et de contrôle qui permettent de s’assurer que chacun, à commencer par les Européens, respecte bien les engagements qu’il a pris. Cela implique aussi que les pays développés acceptent de mettre sur la table l’argent promis de longue date pour aider les pays du Sud à faire face au changement climatique. Cela implique l’arrêt immédiat de toute subvention publique aux énergies fossiles. C’est encore plus de 50 milliards d’euros par an pour l’UE. Une aberration !
Notre dernière question porte sur votre vision de la théorie de l’État et de la souveraineté. Est-ce que la souveraineté westphalienne peut coexister avec l’urgence climatique ?
L’urgence climatique impose par nature une politique mondiale. Si nous réussissons à trouver un accord pour y faire face, la lutte contre le changement climatique sera à coup sûr un des principaux moteurs de l’intégration européenne, de renforcement du multilatéralisme et, à terme, de la construction d’un État mondial.