• Lors de sa première visite en Inde depuis qu’il est secrétaire d’État, Antony Blinken a rencontré hier le ministre des Affaires étrangères indien, Subrahmanyam Jaishankar, ainsi que le Premier ministre Narendra Modi. Quelques jours seulement après la visite importante de Xi Jinping au Tibet, les discussions ont notamment porté sur l’approvisionnement en vaccins contre le Covid-19, sur l’évolution de la situation en Afghanistan, ainsi que sur l’état des droits de l’homme dans les deux pays. La première visite officielle américaine en Inde depuis l’élection de Joe Biden avait été assurée par le secrétaire à la Défense Lloyd Austin en mars dernier, au cours de laquelle il avait réaffirmé l’importance du partenariat avec l’Inde, dans une opposition assez ouverte face à la Chine dans la région.
  • Antony Blinken a déclaré que les deux pays partageaient les mêmes « valeurs fondamentales »1, alors que le gouvernement de Modi a récemment été accusé de réprimer durement les dissidents politiques, et de mettre en œuvre des politiques de division en faveur des nationalistes hindous — qui constituent sa base électorale —, rejetant de fait la minorité musulmane du pays, qui compte plus de 180 millions d’habitants (14 % de la population totale). New Delhi n’apprécie généralement pas les critiques sur ses questions intérieures. L’Inde reste attachée au principe de non-ingérence, considérant la promotion de la démocratie comme un prétexte pour des interventions. Elle suit d’ailleurs une politique « d’autonomie stratégique » vis-à-vis de l’ensemble des puissances2. Blinken, après avoir affirmé que « la relation avec l’Inde était une des plus importantes pour les États-Unis » (reprenant des éléments de langage utilisés lors de sa visite en Allemagne), a affirmé que « Le peuple indien et le peuple américain croient à la dignité humaine et à l’égalité des chances, à l’État de droit, aux libertés fondamentales, y compris la liberté de religion et de croyance… ce sont les principes fondamentaux des démocraties comme les nôtres ».
  • Antony Blinken et son homologue indien se sont également entretenus sur la situation sécuritaire en Afghanistan. Le secrétaire d’État a déclaré que les États-Unis et l’Inde partagent tous deux « l’idée d’un Afghanistan pacifique et stable », et que les deux pays ne souhaitent pas donner au conflit une solution militaire. La Chine s’intéresse également de plus en plus à l’Afghanistan, et semble vouloir reprendre le rôle laissé vacant par les États-Unis depuis le retrait d’un grand nombre de troupes (le retrait définitif étant prévu pour la date symbolique du 11 septembre). Dernièrement, des officiels indiens ont entamé des discussions avec les Talibans — qu’ils considèrent comme un proxy du Pakistan — dans la crainte que la prise de Kaboul par ceux-ci constituerait une menace pour New Delhi3.
  • De l’autre côté de la frontière, mardi 27 juillet, le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, le vice-ministre des Affaires étrangères ainsi que le représentant spécial chinois pour l’Afghanistan ont accueilli une délégation de neuf talibans pour discuter de « la sécurité de certaines régions transfrontalières »4. Ces derniers ont assuré « que le sol afghan ne serait pas utilisé contre la sécurité de quelque pays que ce soit ». Les responsables diplomatiques chinois, de leur côté, ont promis de ne pas interférer dans le conflit. La Chine partage une étroite frontière avec l’Afghanistan dans la province du Xinjiang, où elle craint qu’un contexte politique trop instable conduise à des troubles dans ses limites nationales.
  • Durant cette visite, Antony Blinken a également rencontré Ngodup Dongchung, représentant de l’Administration centrale tibétaine (le gouvernement tibétain est en exil depuis 1959). Il s’agit du contact le plus important avec les dirigeants tibétains depuis la rencontre entre le dalaï-lama et Barack Obama en 2016. En novembre dernier, l’ancien président du gouvernement tibétain en exil, Lobsang Sangay, s’était rendu à la Maison-Blanche — une première en 60 ans pour un représentant du pays. Depuis 2002, le département d’État dispose d’un bureau dédié à « promouvoir un dialogue constructif entre la République populaire de Chine (RPC) et Sa Sainteté le Dalaï Lama ou ses représentants sur l’autonomie du Tibet », dirigé par un Coordinateur spécial pour les questions tibétaines — signal très clair de l’implication des États-Unis.
  • Ce rapprochement diplomatique des derniers mois avec le gouvernement tibétain, vu par Pékin comme dissident, ne fait que raviver la rivalité entre les États-Unis et la Chine. Cette dernière considère le Tibet comme étant une partie constituante de la Chine, et voit dans le dalaï-lama un séparatiste. Si le ministère des Affaires étrangères chinois n’a pour le moment pas publié de communiqué sur la rencontre entre une puissance étrangère et les représentants du gouvernement tibétain en exil, il est fort à parier que Pékin ne voit pas d’un bon oeil l’apparent regain d’intérêt de Washington pour la question tibétaine.
  • Enfin, si Donald Trump n’entendait pas faire de l’Indo-Pacifique une des priorités de son mandat, l’administration Biden entend bien y remédier. Antony Blinken et son homologue indien se sont ainsi entretenus sur ce sujet, affirmant partager une vision commune d’un espace Indo-Pacifique « sûr, prospère, libre et ouvert ». Les États-Unis tentent ainsi de contrer l’influence de la Chine dans la région, notamment en renforçant leur implication au sein du quad (Quadrilateral Security Dialogue), ce groupement stratégique informel entre les États-Unis, l’Inde, l’Australie et le Japon en place depuis 2007. Cette stratégie passe également par un renforcement des alliances traditionnelles — notamment avec la Corée du Sud — et par une action maritime dans le cadre de l’Initiative de dissuasion du Pacifique.
Sources
  1.  Secretary Antony J. Blinken and Indian External Affairs Minister Dr. Subrahmanyam Jaishankar Before Their Meeting, U.S. Department of State, 28 juillet 2021.
  2. Alyssa Ayres, « How Biden Can Bolster India’s Democracy », Foreign Affairs, 26 juillet 2021.
  3. Gerry Shih, « Blinken pulls India closer amid challenges in Afghanistan, China », The Washington Post, 28 juillet 2021.
  4. « Afghanistan : les talibans en Chine pour rassurer Pékin », Les Echos, 28 juillet 2021.