Au lendemain des élections régionales, départementales et territoriales françaises, le Grand Continent vous propose une série d’entretiens croisés pour tirer le bilan de chacun de ces scrutins. Après La Réunion, les Pays de la Loire et la Corse, nous vous emmenons en Provence-Alpes-Côte d‘Azur et en Île-de-France, qui ont constitué le théâtre de deux des scrutins les plus médiatisés de cette séquence électorale.

Entretiens croisés avec Christine Pina, professeure de sciences politiques à l‘Université de Nice, Gilles Ivaldi, chargé de recherche au CNRS et chercheur au CEVIPOF, et Antoine Jardin, ingénieur de recherche CNRS au CESDIP.

Quelles problématiques régionales spécifiques, quels équilibres politiques particuliers ont marqué la campagne ? Quelles ont été selon vous les conséquences de ces dynamiques sur le résultat du scrutin ?

Gilles Ivaldi  : Ce qui m’a marqué au regard du premier tour – et qui n’a été que très peu relevé puisque tout le monde focalisait son attention sur le risque d’un basculement en faveur du Rassemblement national (RN, ID) –, c’est d’abord l’extrême faiblesse de la gauche. Je crois que c’est quelque chose qui mérite d’être souligné. Jean-Laurent Felizia (EÉLV, Verts/ALE), à la tête d’une liste d’union de la gauche, fait à peu près 17 % au premier tour  ; or si on regarde le cumul des deux principaux candidats au premier tour en 2015, le total de gauche était autour de 23-24 %. Cette élection confirme un phénomène que nous avions remarqué depuis longtemps dans nos travaux sur la région Provence-Alpes-Côte d’Azur  : la droitisation de la région, qui s’est encore accentuée lors de cette élection régionale. C’est une dynamique politique assez importante et relativement claire, qui a été un peu occultée par le duel entre Thierry Mariani (RN) et Renaud Muselier (LR, PPE).

Christine Pina  : Effectivement, l’attention médiatique s’est focalisée sur le duel annoncé entre Mariani et Muselier, ce qui a contribué à rejeter au second plan un certain nombre d’aspects, et notamment la situation d’une gauche qui avait été absente pendant six années du Conseil régional. On peut dater cet effritement progressif des partis de gauche de la fin des années 80 ou du début des années 90. Depuis 2015, s’y ajoute un «  effet d’absence  »  : la gauche, qui n’est plus représentée au Conseil régional, est invisibilisée  ; c’est aussi ce que traduisent ces résultats du premier tour.

Antoine Jardin  : En Île-de-France, les dynamiques spécifiques que l’on observe sont à mettre en perspective avec la composition sociologique très particulière de la région, dont la population compte beaucoup plus de diplômés du supérieur et beaucoup plus de descendants d’immigrés extra-européens que la moyenne française. Le Rassemblement national y est donc structurellement plus faible que dans les autres régions françaises.

Une deuxième caractérique de la région est son équilibre droite-gauche incertain, notamment depuis l’alternance de 2015. Cette instabilité se double d’une seconde incertitude portant sur la capacité des partis de gauche à s’unir et sur la composition des listes d’union qui résultent, le cas échéant, d’une telle union. La sensation venait cette fois du vote écologiste : pour la première fois, les Verts arrivent en tête parmi les différentes formations de gauche et de centre-gauche, tirant parti d’une nette croissance de leurs scores dans les espaces urbains denses  ; les écologistes s’ancrent de plus en plus profondément au sein des groupes sociaux des classes moyennes et supérieures.

Certains territoires ont-ils manifesté des dynamiques spécifiques ?

Christine Pina : On observe dans les différents départements qui composent la région des dynamiques assez différentes et des identités politiques spécifiques. De manière schématique, les deux départements de l’arrière-pays, c’est-à-dire les Hautes-Alpes et les Alpes-de-Haute-Provence. sont marqués de longue date par l’influence de la gauche et du syndicalisme. Lors de cette élection, la liste Felizia y a obtenu de bons résultats, alors que l’implantation du RN y était moins importante qu’ailleurs. À l’inverse, dans le département du Vaucluse et dans celui du Var, le RN (et précédemment le FN) est particulièrement puissant.

Le cas des Alpes-Maritimes est intéressant. Ce département est un beau laboratoire, car on y retrouve un concentré de tous les enjeux de ces élections régionales  : les questions stratégiques, celle du soutien de LREM (incarné dans les Alpes-Maritimes par Christian Estrosi) à la liste Muselier, et enfin celle d’un parti LR relativement autonome politiquement et qui montre parfois quelques faiblesses pour le RN. Or, dans les Alpes-Maritimes, contrairement à ce qu’on observe dans les autres départements côtiers, les résultats de la liste Muselier en 2021 sont un peu plus faibles que ceux de la liste Estrosi en 2015. Le département des Alpes-Maritimes reste très fortement agité par les questions qui tiennent au positionnement de LR par rapport au RN.

Gilles Ivaldi  : Cette dynamique particulière des Alpes-Maritimes peut être due à l’effet de certaines prises de position de responsables locaux, et notamment d’Éric Ciotti qui, on le sait, a été vent debout contre l’alliance de Renaud Muselier avec LREM. On peut imaginer que la droite proche d’Éric Ciotti, nombreuse dans les Alpes-Maritimes, s’est un peu moins mobilisée. Les Alpes-Maritimes ont été le terrain d’une intense tension stratégique, à droite, entre le pôle centriste de LR et ceux qui, au sein du parti, tendent vers le RN.

Christine Pina  : J’ajouterais encore un point. Éric Ciotti, qui certes n’est pas le président du Conseil départemental des Alpes-Maritimes, mais qui est quelqu’un de très influent dans ce département, ne s’est rallié véritablement qu’en tout fin de campagne de l’entre-deux tours à la candidature de Renaud Muselier. Avant le premier tour, il avait pourtant assuré qu’il n’apporterait jamais son soutien à cette liste. On a là, potentiellement, une sorte de modèle de ce qui pourrait se jouer lors de prochaines élections nationales, et en particulier lors de l’élection présidentielle de 2022.

Antoine Jardin  : D’abord, un point de méthologie  : lorsqu’on parle d’évolution électorale, il est nécessaire de préciser quels indicateurs on analyse. Bien souvent, s’intéresser au pourcentage des inscrits fournit une image plus fidèle de la réalité que de considérer uniquement le pourcentage des exprimés. Dans le cas de l’Île-de-France, la liste menée par Valérie Pécresse (centre-droit et droite) obtient certes 45 % des exprimés et un million de voix, mais ce sont 200 000 voix de moins que François Fillon au premier tour du scrutin présidentiel de 2017. Cela interroge sur la capacité des territoires à conserver des électeurs. Dans aucun camp on n’observe une dynamique de conquête ; la droite l’emporte d’abord parce que la baisse qu’elle subit est plus faible que celle des autres partis.

La seule croissance nette que l’on observe est celle des écologistes, absents des dernières présidentielles. Leur base électorale est significative en Île-de-France notamment dans les zones denses (Est de Paris, Val-de-Marne, une partie de la banlieue Ouest), et ils enregistrent une progression structurelle de puis les élections européennes, passant de 550 000 à 750 000 voix environ, avec des reports importants. C’est leur meilleur score en leur nom depuis 2015.

Observe-t-on par ailleurs des différences significatives entre les résultats des élections régionales et départementales ?

Gilles Ivaldi  : Dans nos travaux portant sur les Alpes-Maritimes, nous observons deux tendances de fond. Dans toutes les élections qui ont une dimension très locale – qu’il s’agisse des municipales, des anciennes cantonales et maintenant des départementales –, la domination de la droite classique est sans conteste. Ces élections sont dominées par des notables extrêmement bien implantés, qui disposent de réseaux importants. La force militante des Républicains est encore très vivace dans ce département, ce qui donne un avantage très fort à la droite classique sur l’extrême droite dans ces scrutins. On l’a vu lors des municipales de 2020 à Nice, mais aussi dans la plupart des grandes communes des Alpes-Maritimes. À l’inverse, lors des élections à enjeu national, y compris les élections européennes et régionales, le rapport de force, depuis 2012 ou 2014, s’est modifié au profit du Rassemblement national.

Christine Pina  : Incontestablement, lors des élections régionales en PACA comme dans d’autres régions, il y a eu une grande tentation de nationaliser le débat, de présenter ces élections comme un scrutin préparatoire aux échéances de 2022. Ce processus de nationalisation n’a pas du tout opéré pour les élections départementales. D’abord parce que ceux qui se présentent aux élections départementales occupent déjà le terrain. Ce sont des élus locaux, des conseillers municipaux, des maires en place, qui sont très visibles pour les électeurs et capables de maintenir leurs zones d’influence. Les élections départementales récompensent généralement le travail local opéré par les élus. De plus, tant la pandémie que l’abstention profitent aux élus sortants. Dans le département des Alpes-Maritimes, il restait encore un canton qui était détenu par la gauche communiste  ; or ce canton a basculé à droite cette année. Un seul canton est encore tenu par une gauche associée aux écologistes. À cette seule exception près, la prime au sortant a très largement joué et la droite l’a emporté.

Antoine Jardin : Les résultats des deux échelons montrent une certaine cohérence, même si le seuil très élevé de maintien au second tour qui prévalait aux élections départementales (12,5 % des inscrits) a rendu les triangulaires beaucoup moins fréquentes, modifiant les rapports de force. Aux élections départementales, il était par ailleurs plus difficile pour certains partis (notamment le RN) de présenter des candidats dans toutes les circonscriptions.

Au niveau départemental, la nouveauté la plus marquante a été le passage du Val-de-Marne des mains du Parti communiste français (PCF, GUE/NGL) à celles de la droite. Ce changement consacre une évolution de long terme. À l‘inverse, l‘exécutif de gauche en Seine-Saint-Denis est en progression, alors que les Hauts-de-Seine ou les Yvelines connaissent une grande stabilité.

Un point de vigilance toutefois : dans les cantons où le RN est battu au second tour, sa défaite est souvent très serrée. C‘est particulièrement le cas lorsque l‘adversaire est issu de LREM, mais la tendance existe dans toutes les configurations.

La faible participation peut-elle s’interpréter comme le signe d’un désintérêt pour la politique régionale, ou au contraire comme le résultat d’une nationalisation excessive de la campagne ?

Gilles Ivaldi  : L’abstention est clairement un phénomène national. La chute de la participation touche toutes les régions, même si certaines sont plus épargnées que d’autres. Une forme d’extrême lassitude, un désintérêt pour ces élections régionales, l’absence de campagne, la crise sanitaire… tout cela a joué. Deux autres points sont particulièrement intéressants.

Le premier c’est que, malgré les tentatives des acteurs politiques de nationaliser la campagne et ses enjeux, les sondages semblent montrer qu’ils n’ont pas réussi. Globalement, lorsqu’on regarde les enquêtes, les électrices et les électeurs disent avoir voté plutôt suivant des enjeux régionaux et locaux. À l’inverse de 2015, il n’y a pas eu d’effet de nationalisation du débat ou de vote sanction clair. Le deuxième point très important pour PACA, c’est que cette abstention a affecté de manière inégale les différentes forces politiques. En nombre de voix, les deux forces qui reculent le plus sont le Rassemblement national et la gauche. Renaud Muselier perd deux ou trois points des inscrits par rapport au score d’Estrosi en 2015. Pour le Rassemblement national, c’est presque neuf points, et pour la gauche plus de six. Les électeurs du Rassemblement national se sont beaucoup moins mobilisés que ceux de la droite classique.

Christine Pina  : Depuis quelques jours, on présente l’abstention à ces élections régionales comme le record absolu de la Cinquième République. Pourtant, on a déjà connu une participation plus faible lors du référendum qui proposait le passage du septennat au quinquennat. On peut donc lire cette évolution d’au moins deux manières : soit de manière structurelle et diachronique, en considérant que la participation des électeurs et des électrices est de plus en plus intermittente  ; soit comme un phénomène conjecturel. C’est la conjonction de ces deux effets qui conduit à observer un taux d’abstention aussi élevé.

La France avait déjà expérimenté l’organisation simultanée des élections départementales et régionales. À l’époque, l’abstention avait diminué. Incontestablement, ce processus réitéré en 2021 ne fonctionne pas de la même façon, ce qui suggère un phénomène conjoncturel particulier liéeau contexte de cette campagne et à la manière dont les acteurs se saisissent de ces élections.

Antoine Jardin  : On observe lors de ces élections une participation plus faible que lors du dernier scrutin européen, pourtant traditionnellement considéré comme une échéance peu mobilisatrice. Cette hausse de l’abstention a une caractéristique majeure qui a été trop peu mise en avant  : elle touche tous les milieux – les territoires populaires bien sûr, où elle a été la plus forte, mais aussi ceux habités par les classes supérieures. C’est le cas des Hauts-de-Seine et des beaux quartiers de Paris où la participation tournait autour de 40 %. Le déclin est également net dans les territoires traditionnellement dominés par la gauche, pour des raisons ayant notamment trait à leur sociologie, mais pas seulement  : les 4e, 9e, 10e, 11e arrondissement de Paris, par exemple, ont également été touchés. L’abstention est si massive qu’elle n’épargne aucun territoire.

Une forme de cycle de la participation politique semble à l’œuvre derrière cette forte baisse de la participation, qui ne semble pas pouvoir s’analyser uniquement comme une évolution brutale touchant une élection particulière. Il s’agit bien plutôt d’un moment de désintérêt, d’usure après plusieurs scrutins successifs en 2017, 2019 et 2020, lors d’une élection voyant s’affronter des candidats dont les clivages ne reflètent que de manière secondaire ceux de la présidentielle.

Les tentatives de nationalisation d’une échéance régionale particulière ont souvent peu d’impact, dans la mesure où le jugement porté sur l’exécutif national affecte de toutes façons le résultat des consultations régionales : ces élections régionales fonctionnent largement comme des élections intermédiaires. C’était déjà le cas lors des cantonales de 2011 qui avaient vu la montée en puissance de Marine Le Pen, c’était le cas sous le quinquennat de François Hollande. Ce caractère de scrutin intermédiaire peut expliquer une partie de l’abstention élevée qu’on observe cette année. En effet, la cote de popularité d’Emmanuel Macron est malgré tout assez élevée par rapport à celle de ses prédécesseurs, et celle de Marine Le Pen a peu évolué sur le temps long. Ni l’un ni l’autre n’étaient en capacité de peser en Île-de-France, ce qui rendait toute forme de « vote sanction » impossible.

En définitive, cette élection a été décidée par l’opinion des électeurs mobilisés, qui constituent un segment particulier de la population. En outre, le premier tour conditionnait beaucoup le second, ce qui est certainement l’une des sources de la défiance actuelle vis-à-vis du politique  : les reports d’un tour à l’autre sous la pression de l’extrême droite diminuent nettement les choix de l’électorat.

Comment expliquez-vous le recul du Rassemblement national dans la région PACA entre 2015 et 2021  ? Comment caractériser son implantation ?

Gilles Ivaldi  : Le recul du RN n’est pas propre à PACA  ; il s’agit bien davantage d’une tendance nationale. Ce qui est un peu nouveau, c’est qu’en général l’électorat du RN se mobilise plutôt bien  ; il est plutôt loyal, fidèle et actif  ; or, pour la première fois, les électeurs et électrices du RN sont restés à la maison de manière plus substantielle.

Il y a également un facteur que je trouve intéressant, et qui, curieusement, n’a pas été beaucoup souligné dans les commentaires politiques  : c’est le contexte de crise sanitaire, la présence de ce qui me semble être encore une période d’assez forte incertitude. Or on sait que dans les périodes d’incertitude, les électeurs ne sont pas très enclins à se tourner vers des partis populistes ou radicaux qui sont finalement assez peu crédibles, et dont on ne sait pas s’ils auront la capacité de gérer les les affaires publiques. Je pense donc que pour une partie de l’électorat, y compris de l’électorat protestataire du RN, l’idée de confier une grande région comme PACA à ce parti dans un moment encore marqué par énormément d’anxiété a semblé moins séduisante. Nous voyons déjà un certain nombre d’articles de presse évoquer un quatrième confinement ou une quatrième vague à la rentrée, et je crois qu’il est logique que, dans ce contexte, les partis populistes obtiennent des scores un peu plus faibles que précédemment. J’en veux pour preuve le fait que ça n’est pas simplement le RN qui a reculé dans ces élections  : la France insoumise, qui est autre grand acteur radical-populiste de la scène politique française, a également connu des résultats assez faibles.

Au passage, on note aussi l’échec de la fameuse dédiabolisation. En effet, Thierry Mariani, qui nous était présenté comme le fer de lance de ce RN dédiabolisé, fait plutôt moins bien que Marion Maréchal, qui était pourtant l’incarnation du FN historique. Ce phénomène est d’autant plus intéressant que PACA est depuis toujours l’une des grandes zones de force du RN : c’est là que le FN de Jean-Marie Le Pen faisait déjà ses meilleurs scores dans les années 1980. À l’époque, la plupart des grades figures du parti, Jean-Marie Le Pen, Bruno Mégret, Jean-Marie Chevallier et d’autres, s’étaient parachutés eux-mêmes en PACA à différentes occasions pour venir récolter les fruits de leur implantation. À partir de 2012, à l’arrivée de Marine Le Pen, on a observé une forme de rééquilibrage passant par un renforcement du parti dans le nord du pays  ; mais PACA reste son grand bastion historique, avec deux zones particulièrement fortes dans le Vaucluse et le Var.

Christine Pina  : Le Rassemblement national a réussi à conforter son implantation locale, pérennisant sa représentation dans les conseils municipaux, départementaux et régionaux. Cet ancrage joue petit à petit au bénéfice du parti qui dispose de plus en plus d’élus sortants, avec les avantages qu’on connaît  : ces élus s’installent dans le paysage, créent des liens au sein des parlements avec d’autres élus de droite, et, finalement, se notabilisent. On voit bien comment cela tiraille les partis politiques – en premier lieu les Républicains. Certains élus de la droite traditionnelle s’interrogent sur leurs proximités politiques et idéologiques, particulièrement quand est évoquée la question des migrations.

J’ai été très étonnée par le contraste entre, d’une part, les affrontements assez virulents auxquels se sont livrés Renaud Muselier et Thierry Mariani dans certains débats, et, d’autre part, les déclarations de Thierry Mariani estimant que la région PACA avait été très bien gouvernée par Renaud Muselier pendant la crise sanitaire. Gilles a souligné qu’en période de crise, les électeurs ont du mal à s’engager dans quelque chose qui peut apparaître comme une expérimentation politique. C’est encore plus vrai lorsque vous avez un challenger qui vous explique que, finalement, la région n’a pas été si mal gouvernée pendant la période pandémique. Il y a là une sorte d’ambiguïté des acteurs eux-mêmes, par ailleurs très liée à l’itinéraire de Thierry Mariani qui, on se le rappelle. est un ami de longue date de Nicolas Sarkozy et l’un de ses anciens ministres. La trajectoire de Thierry Mariani est très représentative de la manière dont se jouent les phénomènes de dédiabolisation, de rapprochement entre la droite républicaine et l’extrême droite. Certains observateurs ont dit que c’était une erreur de casting, mais on peut dire aussi que c’est un casting assez symptomatique des mutations de la droite et de l’extrême droite en région PACA.

Comment se structure l’implantation territoriale du parti d’Emmanuel Macron et de ses alliés ?

Christine Pina  : Au lendemain de l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République et des législatives qui l’ont suivie, La République en Marche semble s’implanter en région PACA, y obtenant 22 élus. Cela pouvait paraître tout à fait considérable, mais, en y regardant de plus près, on voit que c’est en fait une élection en trompe-l’œil  : LREM l’emporte à partir du moment ou elle est opposée au second tour à un candidat ou à une candidate du RN, dans un contexte d’abstention relativement élevée. Les électeurs qui avaient voté pour Emmanuel Macron au premier ou au second tour ne se sont pas abstenus lors des législatives de 2017, alors que toutes les autres forces politiques ont vu le niveau d’abstention de leurs électorat croître considérablement entre les deux échéances. En regardant uniquement les résultats de ces législatives, on peut penser que La République en Marche est solidement installée en région PACA, alors que lorsqu’on analyse les chiffres de manière un peu plus attentive, on se rend compte que cette implantation est le fait d’une unique échéance nationale.

Gilles Ivaldi  : Oui, tout à fait. Le manque d’implantation locale et d’élus sortants a été la grande faiblesse du parti présidentiel lors de ces élections régionales. C’est d’ailleurs l’une des faiblesses de LREM depuis son origine dans la plupart des régions françaises. Les législatives, fonctionnant comme des élections de confirmation de la présidentielle, amplifient très largement le poids politique du parti du président nouvellement élu. Il est donc difficile de juger de l’implantation d’un parti comme La République en Marche uniquement sur la base des résultats des législatives. Ce qui est clair, c’est que toutes les élections qui, depuis 2017, pouvaient requérir une petite dose d’implantation locale – que ce soient les municipales, les départementales ou les régionales – ont consacré la faiblesse de LREM. En PACA, ce sont la droite traditionnelle et l’extrême droite qui se partagent l’essentiel des territoires.

Antoine Jardin  : En Île-de-France, les candidats LREM avaient beaucoup profité en 2017 du rapports des voix de gauche, du Mouvement démocrate (MoDem, RE) et des écologistes. En 2019, avec la candidature de la liste menée par Nathalie Loiseau aux élections européennes, on a observé un premier déplacement vers la droite, qui a provoqué un glissement géographique de l’électorat de LREM vers des espaces plus fortement marqués à droite. En 2021, comme lors des municipales de 2020 – les municipales parisiennes constituant une forme de cas d’école –, la capacité de LREM à peser semble pour le moins incertaine. Son socle électoral se réduit à mesure que les électeurs de gauche reviennent à gauche, et les électeurs de droite à droite.

Observe-t-on une recomposition du paysage politique régional ou un déplacement des équilibres au sein des différents blocs ? Quels sont les clivages au sein de ces blocs ?

Gilles Ivaldi  : Dans le cas de PACA, les équilibres sont assez difficiles à évaluer puisque, par définition, l’offre politique s’est structurée de manière assez homogène. Renaud Muselier a intégré LREM plus ou moins officiellement, mais, de ce fait, on n’a pas pu mesurer l’audience électorale du parti présidentiel dans ces élections en PACA. De la même façon, il est difficile d’analyser les équilibres internes au bloc de gauche. En effet, d’une part, les Insoumis n’étaient pas présents et, d’autre part, Jean-Laurent Felizia représentait à la fois une partie des écologistes, le parti socialiste et d’autres formations de gauche.

Antoine Jardin  : Une certaine prudence dans l’analyse est nécessaire au vu du niveau de l’abstention. Il faut garder en mémoire – je trouve cette métaphore assez éclairante – que le paysage à marée basse ne ressemble pas, en général, au paysage à marée haute. Les Verts ont eu un électorat assez fidèle entre 2019 et 2021, mais ce potentiel électoral ne s’est encore jamais matérialisé dans un contexte de forte participation, et leurs chances d’emporter une élection présidentielle semblent à ce jour très limitées. Le cas de La France Insoumise (LFI, GUE/NGL) est un peu différent  : l’opinion a évolué, la proportion d’opinions favorables a fortement diminué depuis 2017 à mesure que Jean-Luc Mélenchon adoptait des positions plus tranchées. Jean-Luc Mélenchon arrivait devant Emmanuel Macron dans beaucoup de territoires au premier tour de 2017, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. De son côté, le Parti socialiste (PS, S&D) a vu son électorat s’étioler  ; lors de ces élections régionales, il était proche de l’élimination et n’a été sauvé que par la fusion des listes. Son score satisfaisant à l’échelle nationale tient davantage à sa capacité à se maintenir dans les régions qu’il gouvernait déjà qu’à de bonnes performances ailleurs.

Comment interpréter la « prime au sortant » que le commentaire politique a souvent évoquée au soir de l’élection  ?

Gilles Ivaldi  : En PACA, Renaud Muselier obtient 31,9  % au premier tour, soit beaucoup mieux que Christian Estrosi qui, il y a 6 ans, n’avait récolté que 26,5 %. Il y a donc bien une prime au sortant, un peu occultée par le score de Thierry Mariani qui, par ailleurs, est beaucoup plus faible que celui de Marion Maréchal en 2015. Un sondage a montré qu’environ 60 % des habitants de la région étaient plutôt satisfaits du bilan de Renaud Muselier  ; le résultat est donc assez logique. Comme on l’a déjà évoqué, cette prime au sortant peut notamment s’expliquer par un effet de de contexte lié à la crise sanitaire, qui détourne certains électeurs d’une solution populiste. Par ailleurs, tous les candidats sauf Mariani et Muselier souffraient d’un profond déficit de notoriété  : alors que les deux favoris étaient connus d’environ 60 à 70 % des électeurs, les autres étaient inconnus de 80 à 90  % de la population  ! Dans un climat anxiogène et avec une connaissance très limitée de l’offre politique doublée d’une campagne a minima et de dysfonctionnements sur la distribution de la propagande électorale, cette prime au sortant est compréhensible. Placés face à un choix mais sans grande conscience des enjeux, certains électeurs ont pu être tentés de se tourner vers quelqu’un de connu et d’identifié, qui bénéficiait d’une médiatisation plus forte.

Christine Pina  : J’ajouterais deux choses. D’abord, on a beaucoup analysé le psychodrame autour de l’alliance de Renaud Muselier avec La République en Marche comme une sorte de suicide politique pré-électoral, mais en réalité, on peut aussi le lire complètement différemment, comme un moyen de médiatiser fortement un enjeu politique régional et un candidat. L’opération est à double tranchant, mais il serait inexact de la voir uniquement comme une catastrophe politique. On peut parfaitement la penser comme une manière d’occuper le terrain médiatique et de s’affirmer, en particulier avec le soutien de Messieurs Falco et Estrosi, dans une attitude de recherche de solutions face au Rassemblement national.

Ensuite, un deuxième phénomène a pu jouer en faveur de Renaud Muselier  : c’est son attitude pendant la pandémie, sa capacité à interpeller les Marseillais sur l’opposition entre Marseille et Paris, à montrant combien il était un soutien des commerçants et des jeunes qui était en souffrance. Le président du Conseil régional sortant a été très actif pour porter la voix de la région PACA par rapport à ce qui était considéré, à Marseille, comme des oukases venant de la Macronie parisienne. Ce n’est pas pas uniquement parce qu’il est sortant, mais aussi parce qu’il a déployé les ressources dont il disposait pour mobiliser et mettre en valeur son action – qui plus est en période de pandémie – qu’il a réussi à convaincre. C’est un effet qu’on a également très bien vu lors de certaines élections municipales, notamment à Nice.

Antoine Jardin : Valérie Pécresse a consacré une partie de sa campagne à des questions de sécurité, dont on a souvent souligné qu‘elles n‘étaient pas du ressort de la région. C‘est vrai, mais en réalité les compétences effectives de la région n‘ont pas joué un rôle majeur dans ce scrutin. Ce sont d‘abord des systèmes de valeurs qui ont été mobilisées, surtout dans un contexte de participation très faible – les opinions générales ont davantage compté que les propositions spécifiques.

Ce qui a sauvé Valérie Pécresse et d‘autres élus en place, notamment ceux issus de la droite, c‘est aussi leur capacité à échapper aux procès et aux scandales, à se tenir à l‘écart des affiares tout en préservant un capital politique. La présidente régionale sortante s‘est par ailleurs efforcée d‘adopter une posture peu clivante : elle a certes présenté l‘alliance du centre-gauche avec LFI comme dangereuse, mais elle a aussi montré sa proximité avec une partie des idées de la gauche. Son choix d‘un clivage avec LFI plutôt qu‘avec Emmanuel Macron l‘a ramenée vers le centre et a consacré son éloignement du centre de gravité de LR, mais il a sans doute contribué à sa réélection.