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Au vu de ce qui a été fait en Espagne, et également dans le contexte du Plan de relance, pourrions-nous considérer que ce qui a été mis en place pour relancer l’économie espagnole est suffisant, ou faudrait-il encore injecter davantage ?

Je pense que la note d’Olivier Blanchard et Jean Pisani-Ferry est très intéressante. Ce qu’ils suggèrent, cette possible insuffisance, est très suggestif. Je suis d’accord avec cette insuffisance probable pour la dernière année 2022/23. Malgré cela, ils ne croient pas que nous devions égaler, en quantité et en ampleur, les fonds américains qui, pour d’autres raisons, sont d’un montant beaucoup plus élevé. Je pense qu’on se limite à un débat sur l’ampleur, dont la prévision dépend naturellement du modèle économique que nous avons derrière nous. Les auteurs ici travaillent avec quelque chose qui semble raisonnable. En effet, face à une récession de cette nature, comprise comme un choc externe, quelque chose qui n’est pas endogène comme pourrait l’être une crise financière, il y a des éléments qui nous font penser que la reprise pourrait être plus rapide, bien que nous devons nous attacher à éviter les dommages structurels, la destruction du tissu productif et l’apparition de phénomènes tels que l’hystérèse. Cette approche est correcte et fait partie d’une nouvelle orthodoxie – si vous me permettez d’utiliser cette expression – car ces idées sur les stimulus étaient pratiquement impensables il y a dix ans. Je crois qu’il faut passer du débat sur l’ampleur, qui est toujours intéressant, mais qui est relativement technique dans la mesure où il dépend de modèles, de suppositions, d’hypothèses, au débat que nous avons déjà sur les fonds comme opportunité, mais une opportunité pour quoi ? Nous devons passer à un débat qualitatif, essentiellement parce que nous sommes face à l’hypothèse selon laquelle l’objectif – c’est l’approche des auteurs dans l’article – est de retrouver le chemin de la croissance pré-pandémie : voilà l’objectif. Je pense que nous pouvons être plus ambitieux.

Une question importante a été soulevée, celle du revenu minimum vital et de la sous-exécution du budget qui lui est consacré. Cela signifie-t-il qu’il y a eu une erreur de conception ou qu’il coûte simplement un peu plus cher parce qu’il s’agit d’une nouvelle mesure ?

Le revenu minimum est une idée extraordinaire. Il aurait fallu pouvoir compter sur ce revenu auparavant, car nous aurions alors résolu une série de problèmes qui, comme cela a déjà été démontré, ne sont pas d’ordre budgétaire : ils sont liés au type de conception qui s’adapte à une réalité complexe. Nous parlons de groupes vulnérables, avec peu d’informations, du peu de capacité de l’État par rapport aux groupes vulnérables à pouvoir communiquer, à avoir un retour d’information, même dans les procédures administratives. En d’autres termes, c’est quelque chose qui ressemble à ce qui se passe avec la déclaration d’impôt. Tout le monde ne dispose pas des mêmes informations pour mener à bien une procédure qui, dans de nombreux cas, va lui être bénéfique. Nous avons donc ici des éléments d’efficacité. Nous sommes d’accord avec la logique et ce que nous devons faire, c’est améliorer l’efficacité des systèmes. Si nous disons « c’est une bonne réponse », c’est parce que nous sommes d’accord pour dire que ces mesures visaient à compenser ou à atténuer le pire de la récession en raison de l’arrêt de l’activité productive : préserver le tissu productif, préserver l’offre et aussi la demande.

Nous devons passer à un débat qualitatif, essentiellement parce que nous sommes face à l’hypothèse selon laquelle l’objectif – c’est l’approche des auteurs dans l’article – est de retrouver le chemin de la croissance pré-pandémie : voilà l’objectif. Je pense que nous pouvons être plus ambitieux.

ALBERTO GARZÓN

Les salaires ont été socialisés. Aujourd’hui, nous sommes familiers avec cela, mais il y a peut-être cinq ans, cela aurait semblé une folie. C’était une formidable innovation. La clé, à mon avis, est donc de savoir vers quoi nous nous dirigeons, comme je l’ai déjà dit. Allons-nous retrouver le chemin de la croissance précédente ? Est-ce l’objectif ? Parce que je crois que l’UE présente une série de failles institutionnelles, des failles dans la dynamique institutionnelle qui existaient avant la pandémie. Lorsqu’une crise survient – comme celle d’il y a quelques années ou d’aujourd’hui – les pays disposent de marges budgétaires différentes pour lui faire face. Cela a pour effet d’accentuer les écarts ou les différences entre un pays comme l’Allemagne, qui dispose d’une marge budgétaire importante, et les pays de la périphérie comme l’Espagne, l’Italie, la Grèce ou le Portugal. C’est là que se situe le cœur du débat des prochaines années – pas des mois suivants, ni de la réunion de vendredi dernier.  

Les modèles économiques ont tous des prétentions à l’universalité. C’est normal. C’est une question de méthodologie. Cependant, ils laissent souvent de côté les spécificités de chaque économie nationale, non pas en raison de l’incapacité des auteurs, mais parce qu’ils tentent de tirer des conclusions plus universelles. C’est pourquoi l’article est basé sur la France : logiquement, il est attribué à cette économie. Lorsque, par exemple, ils soulignent que l’innovation que les entreprises ont dû faire pour s’adapter au télétravail est susceptible de constituer un gain de productivité à moyen terme, je suis d’accord avec eux. Cependant, bien que nous manquions naturellement de données pour corroborer l’ampleur de cet effet, il est clair qu’il ne sera pas le même dans les différentes structures productives, certaines ayant un poids de la technologie beaucoup plus élevé que d’autres. Pour moi, la clé est de corriger cette asymétrie dans les structures productives avec ces fonds.

Même si nous retrouvons un taux de croissance similaire à celui de la période antérieure à la pandémie pour tous les pays, nous sommes sur des trajectoires de croissance différentes et dans des structures productives différentes. Ainsi, tôt ou tard, les problèmes se reproduiront.

ALBERTO GARZÓN

Nous avons un problème que l’on peut très bien observer dans l’indice de complexité des produits : des économies comme celle de l’Espagne perdent des places dans le classement depuis 30 ans. La sophistication technologique de nos exportations perd du terrain par rapport à d’autres pays et une divergence croissante se crée entre les pays du nord, comme l’Allemagne, qui ont de longues racines dans ce type d’activité, les pays de l’est qui sont intégrés dans des chaînes de valeur et ont une forte intensité technologique, et les pays de la périphérie qui ont de très sérieuses difficultés à innover à cet égard. Cela nous pose un problème au niveau de la balance des paiements. Et, lorsque ce problème se pose, nous nous retrouvons face à une situation que nous, Espagnols, voyons chaque année : quand le pacte de stabilité et de croissance revient-il et à quelles conditions ? Les pays de la périphérie doivent avoir un déficit dans la balance des paiements, dans la balance commerciale, dans le compte courant et, en même temps, on leur demande de ne pas avoir de déficit public. Dans ce contexte, cela ne peut correspondre, en termes de comptabilité nationale, qu’à un endettement privé. Et c’est vraiment la cause des potentielles crises financières. En d’autres termes, nous avons un déséquilibre que, selon moi, ces fonds devraient servir à pousser dans une autre direction. Même si nous retrouvons un taux de croissance similaire à celui de la période antérieure à la pandémie pour tous les pays, nous sommes sur des trajectoires de croissance différentes et dans des structures productives différentes. Ainsi, tôt ou tard, les problèmes se reproduiront.

Vous faites allusion au Pacte de stabilité. Il y a un grand débat en Europe sur la pertinence de ses valeurs de référence dans le contexte actuel de taux d’intérêt si bas et, surtout, au vu de la dynamique économique actuelle. Est-ce un modèle qui est devenu obsolète selon vous ? Ces 3 % et 60 % sont-ils encore utiles maintenant ?

Il y a quelque chose de très curieux dans la généalogie de ces indicateurs, et c’est que leur mise en œuvre était arbitraire. Fixer 3 %, ou 2,5 %, ou 3,5 %, était profondément arbitraire et reconnu par ceux qui l’ont fait. Ils essayaient de répondre à une philosophie, à une certaine théorie politique, mais le fait qu’ils l’aient fixé à 3 % et non à 2,8 % était fondamentalement arbitraire. Je ne me concentrerais pas tant sur cette ampleur. Nous devrions plutôt comprendre que ce que nous faisons maintenant avec le déficit public permet l’épargne privée et, par conséquent, nous permettons à la récession de ne pas être plus importante de cinq, six ou sept points.

Le ratio de la dette publique n’est que cela, un ratio : la dette publique en termes absolus par rapport au PIB. Par conséquent, si vous compensez avec ce déficit pour que le PIB ne baisse pas autant, vous protégez le ratio. L’importance dans toute dette – et sinon, demandez au Japon ou à l’Italie – est votre capacité à payer et, par conséquent, la croissance économique. Ce que nous devons examiner, c’est comment retrouver la croissance économique et ce qui a été fait jusqu’à présent – et dans tous les pays, cela a été très similaire – est bien. La clé est la suivante : est-ce suffisant ? Il s’agit de ce débat qualitatif dans lequel nous étions entrés et, surtout, de la manière dont nous allons continuer à croître. Quel type de spécialisation productive ? Quel type de structure ? Si nous ne portons pas les débats jusque-là, nous allons reproduire encore et encore les débats du Plan européen : des pays qui vont, parfois sur la base de préjugés, reprocher aux pays du Sud de trop dépenser ; nous allons continuer à tomber dans des caricatures qui ne reflètent pas des réalités beaucoup plus à moyen et long terme, plus profondes, plus structurelles.

Si se mettait en place, comme le proposent Olivier Blanchard avec Álvaro Leandro et Jeromin Zettelmeyer dans un autre article publié dans le Grand Continent, une plus grande flexibilité des règles budgétaires mais avec un mécanisme de contrôle indépendant capable de contredire le gouvernement lui-même je pense à quelque chose comme l’AIREF : nous nous souvenons tous quand le bureau économique de la Moncloa contredisait les propres indications de l’AIREF – ce gouvernement aurait-il la volonté d’aller dans cette direction ?

Nous avons déjà vu ce type de solutions. La BCE répond à cette logique. Elles naissent de la méfiance envers l’acteur politique, quel qu’il soit. C’est parfois dangereux car elles consistent essentiellement à s’attacher au mât pour ne pas subir le chant des sirènes, mais il se peut que certains débats se révèlent, finalement, ne pas être des sirènes. C’est ce qui arrive à la BCE. Elle s’est imposée certaines restrictions pour ne pas financer directement les États et elle finit par le faire selon les marges que les États imposent pour que cela puisse être fait. Je pense que cela dépend de la mesure. Je suis plutôt favorable au débat sur le fond.

Nous avons besoin de réformes structurelles. Des réformes du modèle de production et des réformes capables, évidemment, de compenser les secteurs et les acteurs sociaux qui peuvent être perdants, mais qui nous intègrent dans une dynamique de plus grande compétitivité.

ALBERTO GARZÓN

Nous avons besoin de réformes structurelles. Et des réformes structurelles pour quoi faire ? Des réformes du modèle de production et des réformes capables, évidemment, de compenser les secteurs et les acteurs sociaux qui peuvent être perdants, mais qui nous intègrent dans une dynamique de plus grande compétitivité. Mais c’est là que les nuances commencent : être plus compétitif par le prix ou par le produit ? Je pense que nous devons prendre la voie des produits. Ceux qui fabriquent les produits, ceux qui innovent, ce sont les entreprises. Les fonds doivent viser à encourager les entreprises à innover et à être en mesure d’ouvrir de nouveaux marchés. Et cela devrait également permettre d’accroître l’innovation technologique, de moderniser notre propre pays, en faisant un saut technologique dans la structure productive. Cela nécessite des réformes qui associent la formation, l’éducation et la structure territoriale. Par exemple, nous constatons que notre pays est très asymétrique sur ce type de question : nous avons des endroits comme le Pays basque avec une différence abyssale dans presque tous les indicateurs par rapport aux autres parties du sud du pays. Nous devons concevoir des institutions très bien pensées, car c’est difficile. Si ce que nous voulons, c’est corriger des déséquilibres centraux comme des déséquilibres externes, commerciaux, il faut penser que même au niveau mondial, au niveau européen, il ne peut y avoir d’exportations nettes. Ce qu’un pays exporte, un autre l’importe. L’équilibre doit être en fin de compte compensé et les intérêts de tous les pays ne sont pas alignés de la même manière.

Ici, il faut parler de politique, quelle union politique européenne est capable d’établir des institutions, non seulement au niveau espagnol, mais aussi au niveau européen. Que veut être l’UE quand elle sera grande ? Parce que maintenant, elle évite une crise, même si nous avons le Brexit, mais ce à quoi elle doit penser, c’est à sa place dans le monde, avec une puissance comme la Chine, avec une autre puissance comme les États-Unis, avec une locomotive interne comme l’Allemagne. Honnêtement, si la dynamique n’est pas corrigée, il est très difficile pour les pays d’Europe du Nord d’avoir des structures productives très technologiques qui leur permettent de faire plusieurs bonds, en coexistant avec des structures productives qui sont l’antithèse dans certains pays de la périphérie. C’est politiquement insoutenable. Le discours européiste que je partage est difficile à consolider lorsque vous avez une structure politique aussi différente. Par conséquent, les débats sur le type d’institutions sont centraux, mais il est évident que nous devons d’abord parvenir à un consensus sur le type de réformes, car sinon nous n’allons nulle part.

Compte tenu du fait que nous disposons déjà d’un plan de relance qui, en théorie, démarrera dans quelques mois, pensez-vous que nous allons voir ce consensus politique ? Y compris pour quelqu’un qui n’est pas espagnol et qui veut investir en Espagne, le scénario est actuellement très compliqué. Nous avons vu beaucoup de polarisation dans le pays.

Je pense que nous sommes confrontés à des motivations de la lutte politique partisane, électorale, démocratique, légitime, qui ont des échéances, qui sont les prochaines élections, qui sont des motivations qui ont à voir avec ce dont nous parlons. Nous parlons ici avec un grand niveau de consensus de réformes dont nous pourrions discuter les détails, mais des réformes qui ont l’aspiration d’aller au-delà des générations suivantes. Et cela est très difficile à réaliser avec des motivations électorales qui cherchent la reproduction politique de chaque espace, qui aspirent simplement à des questions courtermistes. Il s’agit presque d’un problème d’institutionnalisme difficile à résoudre qui explique en grande partie des comportements tels que ceux que nous avons observés dans les Pays-Bas lorsqu’il s’agit du débat sur les fonds européens, des débats au niveau national qui ont à voir avec les grands pactes d’Etat et les réalités que je dois transmettre ici.

Que veut être l’UE quand elle sera grande ? Parce que maintenant, elle évite une crise, même si nous avons le Brexit, mais ce à quoi elle doit penser, c’est à sa place dans le monde, avec une puissance comme la Chine, avec une autre puissance comme les États-Unis, avec une locomotive interne comme l’Allemagne.

ALBERTO GARZÓN

Cela fait dix ans que je suis député. Aujourd’hui, je suis ministre, mais je combine cette fonction avec celle de député et l’une des choses qui m’a le plus fasciné dans cette vie politique, c’est de rencontrer des adversaires politiques qui, à la tribune, font preuve d’une très grande hostilité à votre égard, mais qui, en privé, vous disent : «  Pardonne-moi, car je suis en fait assez d’accord avec toi, mais tu sais que nous sommes en concurrence ». Cette dissociation entre la logique politique et la logique étatique a lieu en permanence. Je pense que l’UE doit faire preuve d’un certain sens commun et culturel qui commence par un signal d’alarme. Soit on corrige cela, soit le Brexit peut se multiplier de différentes manières imprévisibles. Soit nous construisons une communauté politique dans laquelle tout le monde est heureux ou d’accord, soit ils nous échapperont effectivement… Et cela vaut pour notre pays.

La BCE a récemment publié un document dans lequel elle met l’accent sur la question des entreprises zombies. Certains considèrent qu’en fin de compte, ces aides ne sont pas efficaces et que les ressources pourraient être dirigées vers une partie beaucoup plus productive de l’économie. Selon vous, quels critères devraient être suivis ? J’entends bien que la question est assez compliquée.

C’est compliqué parce que nous n’avons pas de données concrètes pour le moment. Elles dépendront toujours d’un élément quelque peu spéculatif. Nous ne sommes pas dans une situation normale, il est donc difficile de savoir si certaines entreprises auraient survécu ou non dans une situation normale. Ce qui est clair, c’est que dans une situation anormale comme celle-ci, elles n’auraient pas survécu. En ce sens, avec le système des ERTE (les conventions de chômage partiel en Espagne) nous pouvons très bien voir combien reviennent à une certaine normalité. Nous verrons lorsque l’horizon de la vaccination sera achevé et nous devrons alors supposer que, de toute évidence, nous sommes dans un autre scénario. Et ce scénario est celui dont nous avons parlé ici. Tout processus de changement implique une résistance, notamment de la part des perdants. Ici, nous devons générer une série d’institutions qui protègent, mais nous ne pouvons pas détourner cela d’un élément qui, en ce moment, relève de l’urgence.

La dissociation entre la logique politique et la logique étatique a lieu en permanence. Je pense que l’UE doit faire preuve d’un certain sens commun et culturel qui commence par un signal d’alarme.

ALBERTO GARZÓN

Rappelons-nous cette métaphore célèbre – et parfois caricaturale – de Keynes sur le fait de creuser des trous. Ça marche. Il y a le multiplicateur automatique. Bien que cela puisse sembler, d’un point de vue éthique et moral, être du gaspillage – et je ne me réfère pas uniquement à ce type d’entreprise car, j’insiste, nous n’en connaissons pas l’ampleur – cela fonctionne. La métaphore de Keynes consistait à creuser un trou et à le remplir, car cela produirait de toute façon une activité économique. C’est effectivement ainsi que cela fonctionne. La question est de savoir si nous sommes favorables à une réflexion stratégique. En dehors du fait de creuser des trous, je ne veux pas d’une société qui creuse des trous toute la journée. Je veux une société qui soit capable de voir ces réformes structurelles. C’est là que nous devons le visualiser.

Lorsqu’il s’agit d’évaluer certaines entreprises, c’est très spécifique au secteur : quel type d’entreprise dois-je promouvoir pour augmenter la productivité et accroître l’intensité technologique des exportations ? Il y en a qui vont avoir besoin d’un coup de pouce plus important. Fondamentalement, les fonds sont très sectorisés. Un montant important est consacré à la numérisation et à la transition énergétique. Si elle avait pu être conçue par la Commission européenne, elle aurait dû aller encore plus loin dans le sens de la sectorisation. En définitive, la numérisation, par exemple, est une politique horizontale dans une certaine mesure. Quels sont les secteurs que nous voulons promouvoir et dans lesquels l’Espagne possède d’importants avantages comparatifs et compétitifs ? Nous avons un énorme potentiel, pas seulement des déficiences.

Il y a certains secteurs que nous devrions protéger davantage. Cela a été un problème dans notre pays parce que certains types d’intervention publique ont été criminalisés, accusés de dirigisme, de planification. Mais si vous allez dans des pays comme la France ou l’Allemagne, vous vous rendez compte que la politique industrielle existe toujours, même si elle ne s’appelle pas ainsi. Elle existe toujours avec une série de mécanismes qui ont fonctionné. Les fonds devraient être utilisés dans ce sens – et ils sont conçus pour l’être. Cependant, ils se heurtent alors à de nombreux éléments administratifs. Les êtres humains sont impliqués, de même que les agents sociaux. Il existe un certain nombre d’autres situations qui rendent la tâche difficile, et il ne s’agit pas d’un processus d’ingénierie sociale dans un laboratoire. La réalité s’impose. Les problèmes tels que le pourcentage d’entreprises zombies ne sont pas une question d’urgence ou de préoccupation majeure. Ce qui est important c’est plutôt le fait que nous sommes capables d’élaborer une stratégie parce que, au fond, nous ne sommes pas conscients que cela va définir les prochaines générations. Elle est comparable, en termes d’influence historique, à des phénomènes tels que le plan de 1959 et, surtout, 1986, avec l’entrée dans l’UE.

Il y a certains secteurs que nous devrions protéger davantage. Cela a été un problème dans notre pays parce que certains types d’intervention publique ont été criminalisés, accusés de dirigisme, de planification.

ALBERTO GARZÓN

Vous soulignez la nécessité de protéger des secteurs et faites allusion à la France. Lorsque la pandémie commence, Emmanuel Macron a affirmé qu’il protégerait l’industrie et les entreprises françaises « quoi qu’il en coûte ». Le gouvernement espagnol pourrait-il avancer une thèse similaire, selon laquelle aucune entreprise viable ne tombera, même si cela signifie plus de dépenses ?

C’est bien là notre approche. Je pense qu’il y a un consensus – heureusement, comme ce n’était pas le cas il y a dix ans – autour de l’idée que c’est maintenant qu’il faut dépenser, en raison du contexte financier. La BCE apporte son soutien et il semble que ce soit quelque chose qui ne s’arrêtera jamais. Il est clair qu’elle ne peut pas le faire pour le moment. Il serait désastreux de supprimer ses mesures de politique monétaire. L’heure est à la politique fiscale au niveau européen. Ce que font la BCE et la Commission européenne s’appelle des euro-obligations, même si on ne veut pas les appeler ainsi. Il y a dix ans précisément, la politique allemande s’est reposée en grande partie sur son rejet des euro-obligations. Nous faisons ce qu’on ne voulait pas faire il y a dix ans et nous l’appelons autrement pour que l’électorat puisse l’assimiler. Ce jeu d’incitations auquel j’ai fait allusion est parfois résolu par des euphémismes. Nous devons être capables de mettre en œuvre toutes ces réformes, en comprenant que c’est le moment du overshooting. En gros, il vaut mieux prévoir trop que pas assez.