Victoria Durnak, Evelyns innboks (La messagerie d’Evelyn), Oslo, Flamme Forlag, 2021

Le jour de son cinquantième anniversaire, Evelyn découvre que sa messagerie privée a été mise en ligne et se trouve maintenant en accès libre. Cet épisode entraîne une cascade de péripéties : son mari demande le divorce, sa fille ne lui parle plus, elle est renvoyée et finit par déménager dans une cabane isolée dans la montagne. Mais un jour, elle voit surgir Astrid.

Evelyns innboks est l’histoire dérangeante de ce qu’Internet sait de nous. Par un mélange d’humour et de lucidité féroce, Victoria Durnak dresse le portrait d’une femme qui perd tout le jour où tout devient disponible en ligne.

La messagerie en sait un bout sur vous. Un an d’emails révèle où vous avez été, qui vous avez rencontré, ce que vous appréciez et ce que vous n’aimez pas, ce dont vous rêvez et ce dont vous avez peur. Une messagerie est une image de vous composée d’une infinité de petits pixels. Une image que je croyais privée, collée dans un album lui-même rangé dans une étagère bien cachée dans une maison fermée à clé et protégée par une alarme.

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Djaimilia Pereira de Almeida, Maremoto (Tremblement de mer), Lisbonne, Relógio D’Água, avril 2021

Elle habite Rua do Loreto, à l’arrêt 28. Lui, le combattant, gare des voitures quelques rues plus bas, dans la rue António Maria Cardoso. Tremblement de mer raconte l’amitié entre les deux, grand-père et petite-fille accidentels, issus d’une catastrophe et d’un sauvetage. De Lisbonne à un Bissau imaginaire, Boa Morte da Silva, voiturier, met des mots sur sa vie et s’écrit à lui-même en s’adressant à sa fille qu’il connaît à peine. « Je rendrai ma douleur aveugle afin que ma douleur ne trouve pas ton cœur. Puisse ma douleur ne jamais trouver ton chemin, Aurora. Que ma douleur ne te trouve jamais. »

Née en Angola et élevée au Portugal, Djaimilia Pereira de Almeida (Luanda, 1982) est une écrivaine qui se concentre sur les questions de «  race  », de genre et d’identité. Après avoir acquis une notoriété immédiate avec son premier roman, une autofiction intitulée Esse Cabelo et traduite en diverses langues, elle s’est affirmée comme l’une voix littéraires les plus intéressantes de sa génération.

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Teolinda Gersão, O regresso de Júlia Mann à Paraty (Le retour de Julia Mann à Paraty), Porto, Porto Editora, janvier 2021

Le dernier livre de Teolinda Gersão se présente formellement comme un ensemble de trois contes indépendants, qui cependant peuvent et demandent à être lus comme un roman, refusant une distinction rigide des genres littéraires, ainsi que soustrayant à une linéarité chronologique qui dissout les vies dans les faits, la mémoire dans l’externalisation de l’expérience. Les trois vies qui s’entremêlent intérieurement ici sont celles de Sigmund Freud, de Thomas Mann et de la mère de ce dernier, Julia Mann. Née au Brésil, ayant grandi à Lübeck, loin de sa famille d’origine, cette femme «  du Sud  », inquiète et passionnée, qui ne s’est jamais conformée au Nord hanséatique et luthérien, laissera une trace profonde dans la vie et l’œuvre de ses fils Thomas et Heinrich. Le nœud des relations familiales difficiles de la famille Mann est exploré dans un long monologue intérieur par Sigmund Freud qui, dans l’expérience de l’écrivain allemand, suit la sienne, tissant les ficelles d’un chemin existentiel parallèle, caractérisé par le génie et la relation douloureuse dans un contexte historique tragique.

« La porte d’entrée est le numéro 20 de cette nouvelle et ultime adresse de Maresfield Gardens, Hampstead, une agréable banlieue de Londres. C’est une maison à deux étages, où mon fils Ernst, aidé par la dévouée Paula Fichtl, a tenté de reconstituer l’atmosphère de notre ancienne habitation de la Berggasse. Presque tout a été apporté – meubles, tableaux, tapis, objets, et surtout le divan, avec sa couverture aux couleurs chaudes – afin que, autant que possible, je puisse me sentir dans l’environnement familier auquel je me suis habitué. […] Cependant, ce n’est pas la maison de la Berggasse 19, où j’ai vécu pendant près de cinq décennies, et je ne suis pas à Vienne, ma ville depuis soixante-dix-neuf ans, où je ne reviendrai pas.  » (extrait du conte « Freud pense à Thomas Mann en décembre 1938  »)

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Přemysl Krejčík, Čokoláda pro wehrmacht (Du Chocolat pour la Wehrmacht), Prague, Host, 2021

Un roman « dieselpunk » situé dans une Seconde Guerre mondiale alternative.

Bienvenue à Prague, en 1942, dans une ville à l’esthétique dieselpunk, avec ses machines gigantesques et ses soirées jazz déjantées, mais aussi sa peur de la répression nazie omniprésente. Dans les rues, des motards au volant d’engins futuristes prennent en chasse des unités de collaborateurs qui projettent de prendre la place d’Hitler, tandis que la jeunesse de Prague a succombé aux charmes de la musique moderne naissante.

Londres a refusé le projet d’attentat contre Heydrich, chef du Protectorat de Bohême-Moravie, et a entièrement revu sa stratégie de soutien à la résistance tchécoslovaque. Les membres des unités de parachutistes restés en URSS doivent donc se chercher une nouvelle cible. Zemek et Škácha, de l’unité Silver B, secondés par Kolařík, de l’unité Out Distance, reçoivent pour mission de contacter une légende vivante surnommée le « Pieux pistolero », et, au cours d’une opération secrète au nom de code « Golem », de récupérer les plans d’une arme futuriste : un androïde aux fondements mythiques.

Les ennemis tentent bien sûr eux aussi d’obtenir ces plans entourés de légende qui permettraient de créer un homme mécanique. Mais au bout du compte, existent-ils vraiment ? Et, si c’est le cas, les machines sont-elles vraiment telles qu’on les imagine ?

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Avrom Sutzkever, Heures rapiécées. Poèmes en vers et en prose (traduit du yiddish par Rachel Ertel), Paris, Éditions de l’Éclat, avril 2021

L’œuvre — comme la vie — d’Avrom Sutzkever est exemplaire à plus d’un titre. Elle traverse le siècle et porte l’espoir paradoxal de la poésie qui, en plusieurs occasions, lui a littéralement sauvé la vie, quand, ayant dû traverser un champ de mines sous la neige dans la forêt de Narotch, il a accordé ses pas au rythme d’un poème récité à voix basse. C’est également avec la poésie qu’il affrontera la ville secrète des égouts de Wilno et la mort d’un enfant, et c’est avec la poésie qu’il renaîtra sur la terre spirituelle de sa langue, le yiddish, flammèche vacillante sur une bougie orpheline, qu’il gardera vissée au corps. Figurent dans cette anthologie des poèmes de tous ses ouvrages publiés, depuis Sibérie (1936) jusqu’à Murs effondrés (1996), et si une partie importante est consacrée à l’écriture quotidienne du ghetto et de sa résistance, l’ensemble de près de 400 poèmes en vers et prose, extraits de 22 recueils, résonne au-delà de la seule réalité politique à laquelle Sutzkever fut confronté. On peut parler alors d’un véritable engagement poétique visant à garder mémoire des visages et des mots de ceux que la barbarie a voulu effacer, les inscrivant en lettres plus éternelles que le temps dans le livre de la vie.

enfant de demain,

si ton rêve exhume nos corps —

des mains qui se tendent avec force

vers des visages de chiffons jaunes —,

étouffe étrangle la gorge du rêve

et enfouis dans la cendre tes larmes.

car notre foi est devenue

oiseau de proie.

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Raquel Taranilla, Mi cuerpo también (Mon corps aussi), Madrid, Seix Barral, avril 2021

Fin 2008, à l’âge de vingt-sept ans, un cancer du sang est diagnostiqué chez Raquel Taranilla. Ce qui n’était au départ qu’un mal de dos a fini par devenir un long et douloureux processus d’hôpitaux, d’opérations, de rapports et de médicaments qui a abouti à un lent rétablissement. Pendant des mois, traînée par un appareil médical qui l’empêchait de prendre des décisions, elle n’a pas eu besoin d’écrire sur son expérience. Elle ne pouvait même pas revendiquer comme sien ce corps malade dont le gouvernement était entre les mains d’autres personnes.

Évitant délibérément le livre-témoignage d’une survivante, toute morale ou conseil sur la manière d’affronter et de surmonter le cancer, Mon corps aussi cherche à redonner au patient le pouvoir de raconter sa propre histoire, au-delà du récit officiel que l’histoire clinique implique, ainsi qu’à lui donner le pouvoir de remettre en question l’autorité médicale. Écrite avec le recul nécessaire donné par le passage du temps, cette édition comprend également un nouvel épilogue de l’autrice.

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Tiina Raevaara, Tourbillon polaire (Polaaripyörre), Helsinki, Like Kustannus, mars 2021

Ce roman est la suite de Double hélice (Kaksoiskierre), thriller scientifique dans lequel Eerika, une jeune biologiste, était sollicitée par son ancien directeur de thèse pour participer à un projet de technologie génétique aussi révolutionnaire qu’illégal. Cette fois, elle tente de fuir son passé en partant avec sa fille pour l’archipel du Svalbard. Elle y travaille comme assistante océanographe, dans une zone où des rumeurs affirment que des navires de guerre non identifiés circulent au pied des glaciers. L’expédition dont elle fait partie découvre dans le pergélisol de l’Arctique, en train de fondre sous l’effet du réchauffement climatique, un organisme inconnu qui menace non seulement la sécurité d’Eerika et de ses proches mais également l’avenir de l’espèce humaine. Le petit groupe de chercheurs finlandais va se déchirer autour de la conduite à tenir et des informations qu’il s’agit de divulguer ou non auprès du grand public.

Ce roman a été salué en Finlande pour l’efficacité de son mélange des genres et sa crédibilité scientifique — Tiina Raevaara est d’ailleurs elle-même biologiste en marge de ses travaux d’écrivain.

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Inese Zandere, Puika ar suni. Bunkurs (Le petit garçon au chien. Le bunker), illustrations de Reinis Pētersons, Riga, Liels un mazs, avril 2021

L’action se déroule en 1941 sur l’île de Ķīpsala, rive gauche de la Daugava, face à la vieille ville de Riga. La narratrice, Silvija, une petite dizaine d’années, est une fille contemplative ; elle passe le plus clair de son temps à observer – la vie, la ville, la guerre, et aussi les activités de son petit voisin Zigfrīds, dit « Zigis », et de son chien Jerry. Zigis est un spectacle à lui tout seul : il sculpte avec son couteau toutes sortes de figurines en bois ; avec les chenapans du coin, il joue au foot dans son jardin ou se baigne dans le fleuve. Mais surtout, Zigis est le plus jeune fils de Žanis et Johanna Lipke chez qui des gens vont et viennent, sans que l’on comprenne bien ce qu’ils font.  Car il faut savoir qu’après-guerre, Žanis et Johanna Lipke furent reconnus « Justes parmi les nations » par le centre Yad Vashem, et l’on estime qu’ils ont sauvé la vie à une cinquantaine de Juifs – sachant que le nombre total des sauvetages pour la Lettonie n’excède pas les cinq-cents (sur une population juive de quelque 90 000 personnes avant-guerre). Žanis Lipke est docker, et il a été recruté par la Luftwaffe qui a établi ses quartiers dans les entrepôts jouxtant le marché central, soit à quelques centaines de mètres du ghetto. Jusqu’à la débâcle nazie, les Lipke réussirent, avec une audace folle, à sortir des gens de l’enfer, et à les cacher, notamment dans un « bunker » creusé sous la grange, dans leur jardin. C’est ce bunker qui est au cœur de Puika ar suni. Bunkurs, le deuxième volume de la trilogie que signe Inese Zandere dans le cadre d’un projet avec le Mémorial Žanis Lipke.

Inese Zandere (née en 1958) est une personnalité centrale de la scène littéraire en Lettonie. Poète de la génération de la Révolution chantante, c’est une actrice importante du monde de l’édition, du journalisme culturel et des revues. Figure généreuse et fraternelle, elle doit ses plus grands succès à son œuvre à destination de la jeunesse.

Soutenu par les dessins faussement rétro de Reinis Pētersons, le texte de Zandere touche par sa précision, sa franchise – on dirait même sa rudesse, car il cogne parfois douloureusement, et impressionne par sa capacité à maintenir l’équilibre entre différents niveaux et registres : la vérité historique et l’exactitude factuelle, la fiction et la fantaisie, la consistance des personnages et la fluidité du récit, les enjeux éthiques surtout.

Associé par la force des choses à l’action clandestine, le jeune Zigis fait face à la violence brute, au deuil, à l’effroi, au désespoir et à la trahison. Les adultes autour de lui ne trichent pas, et leurs difficultés pratiques ou morales ne lui sont pas cachées. Terrienne, sensuelle, proche de la nature, Zandere excelle à rendre la matérialité de ce monde en guerre – les goûts, les odeurs, les textures. Elle sait peindre avec pudeur et humanité les relations qui se nouent entre l’enfant et les réfugiés du bunker – Sacha, le skipper qui a parcouru les mers, Vilis le dentiste à la voix si douce qui lui enseigne la géographie.

Comme le travelling au cinéma, le point de vue de narration en littérature est une question éthique – d’autant plus sensible, lorsqu’un livre entend affronter l’histoire sombre du XXe siècle, les génocides, et qu’il vise un lectorat jeune. L’invention de Silvija apparaît à ce titre comme l’innovation magistrale qui donne à ce texte son élan, sa profondeur et sa grâce. Témoin privilégiée sans être actrice, elle est concernée sans être meurtrie dans sa chair, parfois ignorante et parfois omnisciente (comment fait-elle pour savoir tant de choses ?), à distance, mais aussi surplombante. La responsabilité de Silvija n’est pas d’agir, mais de dire. Puisqu’elle a vu, puisqu’elle sait, il faut bien qu’elle raconte, et ce faisant, elle retourne aussi le miroir vers le lecteur d’aujourd’hui : et toi alors, tu fais quoi ?

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Marcin Wicha, Kierunek zwiedzania [Sens de la visite], Kraków, Wydawnictwo Karakter, 2021

Qui est le protagoniste de cette histoire ? Un créateur, un prophète ou peut-être un grand mystificateur ? Dans le livre de Marcin Wicha, une promenade à travers une exposition imaginaire d’œuvres de Malevitch devient le prétexte à une histoire sur les projets utopiques et les rêves non réalisés, sur la révolution russe et notre époque contemporaine.

Les objets exposés ici sont des peintures, des signes de ponctuation, des betteraves à sucre et des destins humains. L’auteur se détourne de la narration muséologique, joue avec la convention de la biographie artistique avec un sourire et non sans ironie, et en même temps, très sérieusement, essaie de trouver un langage capable de saisir l’essence de la peinture – tout en donnant une extraordinaire démonstration de talent littéraire.

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Eva Koff, Kirgas uni (Le brillant sommeil), Tallinn, Härra Tee & proua Kohvi, avril 2021

Le sommeil et les rêves sont au centre de ce très singulier roman d’Eva Koff (née en 1973) qui, après le succès d’un premier roman historique (La Colline bleue, 2017), renouvelle ici brillamment son univers. Vers la mi-juin, à l’approche du solstice d’été, la vie des quatre personnages principaux est soudain affectée par le surgissement de visions mystérieuses, des rencontres avec des êtres issus de leur mémoire ou enfantés par leur imagination. Dans le théâtre où sa troupe s’est enfermée avant la première de sa pièce inspirée de L’Idiot, Guido croise une petite fille inconnue et voit sa mère décédée apparaître sur une affiche. Férue de cristallothérapie, Anastassia aperçoit dans une église son ex-patron en train de manger une main de femme. Son fils, Jaan, entretient dans ses rêves une amitié avec une jeune Palestinienne dont la réalité ne fait pour lui aucun doute. Hele, une neuroscientifique spécialisée dans l’étude du sommeil, se fait aborder dans la rue par un homme vêtu d’une vieille tunique qui prétend être saint Louis. Si la plupart de ces déchirures dans la trame du réel peuvent s’interpréter comme des hallucinations ou des rêves éveillés, une énigme plus insoluble forme l’axe autour duquel s’entrecroisent les destins des protagonistes : des employés de la société Aletheia, dont Anastassia vient de démissionner, ont été retrouvés sur leur lieu de travail dans une étrange léthargie, pétrifiés, inconscients, mais sans que leurs fonctions vitales soient affectées. Hele fait partie du groupe d’experts chargés d’élucider le mystère…

Au fil des chapitres, d’une écriture sobre et précise, l’auteur dévoile peu à peu les profondeurs de ses personnages et fait monter la tension en instillant dans son récit des doses soigneusement mesurées de fantastique et d’onirisme.

« Guido tend l’oreille : oui, c’est le rire de notre maison. Le rire nocturne de notre théâtre. D’après le timbre, il y a deux possibilités : un enfant ou une jeune fille. Il en est toujours ainsi quand Guido passe la nuit au théâtre : vers minuit, un rire clair résonne quelque part. On dirait qu’il vient du bout du couloir, mais quand on va voir, tout est silencieux. Puis on l’entend derrière la scène, sous la console d’éclairage, dans le café… Et quand on va vérifier : silence. Il n’y a rien d’horrible ni d’hostile dans ce rire. Cet être qui rit dans le théâtre est manifestement amical, peut-être est-ce même un ami du théâtre ? Tel est du moins ce que lui dit son instinct, et Guido fait confiance à son instinct. »

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Mario Desiati, Spatriati (Expatriés), Turin, Einaudi, avril 2021

Expatrié est le participe passé du verbe « expatrier » qui signifie « obliger quelqu’un à quitter sa patrie ». Dans certains dialectes du Sud de l’Italie, comme celui parlé à Martina Franca (province de Tarente), le terme a également d’autres significations : « incertain », « désorienté  », « errant », « sans rien, sans métier », voire « orphelin » ; d’après son étymologie latine (la « patrie » étant « le pays des pères »), il signifie « sans pères ».

Après le très remarqué Candore (Einaudi, 2016) qui nous proposait les errances romantiques et existentielles de Martino Bux, jeune homme obsédé par le sexe et la pornographie, Mario Desiati (Bari, 1977) fait son retour sur le devant de la scène littéraire italienne avec un beau roman sur l’amitié fraternelle, le désir et le passage à l’âge adulte.

Comme l’auteur, Francesco et Claudia ont grandi à Martina Franca (provice de Tarente), dans les Pouilles, une fois de plus présentes dans la prose de Desiati. Adolescents, ils se sont connus dans la cour du lycée. Leurs parents – respectivement la mère de Francesco et le père de Claudia – sont tombés amoureux et entretiennent une relation sentimentale ; eux, liés tacitement par ce lien semi-fraternel, ne se quitteront plus. Leur rencontre est une fulgurance, une évidence.

Claudia, excentrique et libre, est toujours en fuite : Londres, Milan, enfin Berlin, la capitale européenne des expatriés et de la transgression. Passionnée de poésie, sa bibliothèque essentielle, que Desiati nous glisse discrètement parmi d’autres nombreuses références littéraires et culturelles, est un hommage à la littérature italienne, surtout féminine, du XXème siècle. Francesco est solitaire et introverti. Il se cherche à l’abri des regards et mène une existence inquiète et intimiste. Son expérience de l’exil est une parenthèse dans la parenthèse. Après avoir rejoint Claudia à Berlin, il rentrera en Italie, dans sa terre natale, et choisira de vivre à la campagne.

Leurs déracinements ne se ressemblent pas mais se rejoignent dans l’incarnation d’une génération, celle de l’auteur, excentrée et en errance perpétuelle.

Mario Desiati est écrivain, journaliste et éditeur. Ses romans ne sont pas traduits en français.

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Camille de Toledo et Alexander Pavlenko, Le Fantôme d’Odessa, Paris, Denoël, mai 2021

Mai 1939. L’écrivain Isaac Babel est incarcéré à la prison de la Loubianka. Il y sera interrogé et torturé durant huit mois avant d’être secrètement exécuté le 27 janvier 1940, sur ordre de Staline. Pour tenir, il écrit à sa fille Nathalie, réfugiée en France avec sa mère. La lettre du condamné à mort prend la forme d’un examen de conscience. Comment ses idéaux de liberté, son refus des dogmes, son humanisme l’ont-ils écarté de cette révolution à laquelle il a cru ? Les visions qui lui reviennent sont celles de sa jeunesse à Odessa, la ville turbulente, affranchie, éclatante de vie, de couleurs et de drames des bandits juifs emmenés par le « Roi » Bénia Krik, qu’il a peinte dans ses premiers récits. Les images du scénario qu’il a tiré de ces contes pour S. M. Eisentein et que le cinéaste, accaparé par son Potemkine, n’a jamais tourné, affluent à sa mémoire. Relatant les hauts faits de l’indomptable Bénia, anarchiste associé aux bolchéviques puis trahi par eux, elles s’imposent soudain comme la parfaite prémonition de son propre destin…

Parution le 12 mai 2021

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Crédits
Cette sélection, coordonnée par Mathieu Roger-Lacan, a été composée grâce à Nicolas Auzanneau (letton), Teresa Bartolomei (portugais), Martin Carayol (finlandais), Antoine Chalvin (estonien), Benoît Meunier (tchèque), Irene Nanni (italien), Felix Terrones (espagnol), Marlena Wilczak (polonais) et Inger Wold Lund (norvégien).