Cet entretien est également disponible en version anglaise sur le site du Groupe d’études géopolitiques.
Le rôle politique de la Commission européenne n’est pas nouveau. Il existait déjà en tant qu’idée, en tant que concept, dès les premiers jours de l’intégration européenne. Jean Monnet, le père fondateur de l’intégration européenne, était très clair sur la nécessité pour la Haute Autorité d’être un acteur explicitement politique afin d’être investi d’une responsabilité politique. Il affirmait : « la coopération entre les nations, si importante soit-elle, ne résout rien. Ce qu’il faut rechercher, c’est une fusion des intérêts des peuples européens, et non pas seulement le maintien de l’équilibre de ces intérêts » Alors, comment réaliser une telle fusion des intérêts et de la responsabilité politique en pratique ? Ceux d’entre nous qui s’intéressent au rôle des organisations et des institutions dans la vie politique savent que les idées et les processus de mise en œuvre sont souvent déconnectés dans les structures organisationnelles. La Commission européenne a été délibérément conçue comme un organe technocratique afin d’éviter une forte exposition publique et favoriser la fusion des intérêts. On lui a néanmoins souvent reproché son manque de responsabilité politique et de légitimité démocratique. Les idées initiales de Monnet sont toujours pertinentes. On peut même dire que leur importance s’est accrue dans une Union qui touche pratiquement tous les aspects de la vie des Européens. Alors, que signifie concrètement aujourd’hui le rôle politique émergeant et croissant de la Commission européenne ? Pourquoi considérez-vous que la Commission est politique ?
Frédéric Mérand
La notion de « Commission politique » évoque la Commission Juncker. La Commission Juncker était en fait une expérimentation menée dans le cadre d’un phénomène plus large : la politisation de l’Union. Pour comprendre ce qu’est une Commission politique, il y a de nombreux éléments à prendre en compte mais, l’idée primordiale était que la Commission devait se comporter comme un exécutif, sensible à l’opinion publique et responsable devant le Parlement. Pendant le mandat de Jean-Claude Juncker, deux facteurs clés ont rendu cette expérimentation possible. D’abord, le processus des Spitzenkandidaten qui a donné au président de la Commission et à son collège une légitimité démocratique, acquise dans les urnes. Deuxièmement, mais cela était tout aussi important, la grande coalition au sein du Parlement européen (PE) sur laquelle la Commission pouvait s’appuyer, le fait que le centre-gauche et le centre-droit avaient ensemble la majorité des sièges et étaient en mesure de soutenir la politique de Jean-Claude Juncker et de sa Commission.
Cette Commission s’inscrivait dans un contexte d’intérêts et d’opposition croissants, de clivages de plus en plus marqués à propos des politiques européennes au sein de l’opinion publique européenne et parmi les partis politiques. Cette politisation a été largement étudiée par les politologues au cours des vingt dernières années. Elle découle de la prise de conscience que l’intégration européenne crée des « gagnants » et des « perdants ». Les citoyens en sont conscients et ont de plus en plus tendance à voter en fonction de cela. Dans mon livre, je m’intéresse à la manière dont les membres de la Commission Juncker ont systématiquement tenté de repousser les limites du politique : comment ils ont essayé de créer un environnement dans lequel il serait possible d’effectuer des arbitrages politiques entre des valeurs contradictoires.
Ce que je qualifie de travail politique consiste à accroître la place donnée à la politique. Cela n’est pas facile au sein de l’Union qui est caractérisée – comme toutes les autres organisations internationales – par des contraintes juridico-institutionnelles (les traités) et diplomatiques (la dynamique intergouvernementale au Conseil) très fortes. Ce que Jean-Claude Juncker et Pierre Moscovici ont essayé de faire, c’était d’accroître le champ au sein duquel il serait possible de faire le genre de choix qui sont faits au niveau national, par exemple entre la gauche et la droite. Cela n’a pas toujours fonctionné et beaucoup de gens ont critiqué cette politisation de la Commission, mais c’est leur héritage.
Martin Selmayr
La Commission a toujours été un organe oscillant entre technocratie et politique. Depuis le début, il y avait les fédéralistes qui voulaient que la Commission évolue en gouvernement européen et les souverainistes, qui voulaient que la Commission reste une organisation purement technocratique. De nombreux débats actuels sont liés à cette tension. Selon les traités, le Parlement européen élit le président de la Commission, mais les commissaires ne sont pas appelés ministres afin de les faire paraître moins légitimes démocratiquement que les ministres des gouvernements nationaux, même s’ils sont soumis à un processus de contrôle démocratique beaucoup plus rigoureux.
Après presque vingt ans au sein de la Commission, mon expérience m’a appris que la Commission oscille toujours entre ces différents pôles de sa nature. Parfois – et cela dépend beaucoup des circonstances historiques – elle se tourne davantage vers son pôle technocratique et parfois elle s’oriente plutôt vers son pôle politique. Jean-Claude Juncker, lorsqu’il est devenu président de la Commission, voulait que sa Commission soit « une Commission politique, très politique. » En 2014, il y avait trois raisons pour cela :
a) La première raison était intrinsèque à Jean-Claude Juncker lui-même. Jean-Claude Juncker a fait de la politique toute sa vie. Il a commencé comme ministre du gouvernement luxembourgeois avant ses 30 ans, et il a été Premier ministre de son pays pendant près de 19 ans. Il était donc évident que lorsqu’il a eu à sa charge une organisation appelée Commission européenne, celle-ci devait être une institution politique et non une institution technocratique. Cela découlait en grande partie de sa personnalité : Juncker à la tête d’une institution technocratique aurait été un paradoxe en soi. Jean-Claude Juncker était et demeure un animal politique qui lit une quantité énorme de journaux du monde entier au sortir du lit pour comprendre ce qui se passe dans la politique contemporaine. Juncker consomme de l’information en permanence. Il considérait la Commission comme un gouvernement, sans jamais l’appeler ainsi. Manfred Weber (le chef du groupe PPE au Parlement européen) lui a dit un jour qu’il devrait qualifier la Commission de gouvernement européen, mais Juncker a répondu qu’il était trop politique pour cela. Il était parfaitement clairvoyant sur les complications inutiles que cela aurait créé, notamment en ouvrant la voie aux attaques des souverainistes. Son expérience en tant que Premier ministre a également influencé son style de gouvernance. En effet, Jean-Claude Juncker était quelqu’un de très impliqué sur des sujets précis. Il devait impérativement garder le contrôle et tout devait passer par son bureau. Il était bien trop politicien pour laisser des décisions clés aux mains des technocrates. Il insistait toujours pour prendre lui-même toutes les décisions.
b) La deuxième raison relève du fait que Juncker était Spitzenkandidat : on ne peut pas mener une campagne à l’échelle européenne en promettant que l’Union devienne plus démocratique et ensuite agir en parfait technocrate. Cela aurait été illogique et non conforme à sa pensée ainsi qu’au mandat qui était le sien.
c) La troisième raison est, elle aussi, très circonstancielle : Jean-Claude Juncker est devenu président après les années de la crise financière. Il s’agit également d’un président qui savait déjà pendant sa campagne qu’il aurait à gérer le Brexit – ou au moins les négociations pour éviter le Brexit. En 2014, le principal argument de tous ceux qui critiquaient l’Union européenne pour ses actions pendant la crise financière était de dire que des technocrates non élus avaient décrété l’austérité. Du côté britannique, le Premier ministre Cameron déclarait qu’il ne voulait pas être gouverné depuis Bruxelles par des bureaucrates non élus. Il était donc très important pour Juncker d’insister sur le fait qu’il avait rassemblé une majorité à la fois au Parlement européen et au Conseil européen, qu’il était aussi légitime d’un point de vue démocratique que ses collègues siégeant à la table du au Conseil européen. Ceci était extrêmement important pour sa propre interprétation du rôle de président de la Commission politique.
Quelles sont des illustrations empiriques du rôle politique de la Commission ?
Frédéric Mérand
Mon livre est conçu comme un témoignage ethnographique du cabinet Moscovici. Les « Moscos », comme je les appelle, avaient une identité : ils n’étaient pas tous français mais ils connaissaient tous très bien la France et la politique française. Ils étaient tous plus ou moins de gauche, comme le commissaire lui-même. Je vais vous donner deux illustrations de la manière qu’ils avaient de faire de la politique.
La gestion de la crise grecque en est un premier exemple. Nous connaissons la version de l’histoire présentée par Varoufakis, mais plusieurs facteurs sont entrés en jeu. Il y avait la logique institutionnelle des mémorandums ainsi que le rôle du FMI et de la BCE (la troïka). Il y avait aussi la logique diplomatique de l’Eurogroupe, qui a lourdement pesé dans les négociations. Les deux ont conduit à imposer à la Grèce ce que l’on peut considérer comme un programme d’austérité sévère. D’autre part, il y avait aussi ce qui relève de la politique grecque, de la démocratie grecque et d’un système relativement dysfonctionnel piloté depuis Athènes. S’il y avait de fortes tensions entre la Commission et Athènes, il y’avait toutefois une volonté commune de faire une place à la politique. Pour les Moscos, il s’agissait de bien respecter les institutions tout en trouvant une marge de manœuvre suffisante pour que le gouvernement grec puisse mettre en œuvre ses propres priorités politiques (sur la base du fait qu’il a été élu en tant que gouvernement démocratique). Le résultat de ce travail politique est mitigé, mais sans le travail politique de la Commission, le résultat final aurait été bien différent.
Le deuxième exemple que je cite dans mon livre est celui de la fiscalité. La Commission Juncker a débuté en 2014 avec le scandale des « Lux Leaks » qui était lié au président Juncker. En définitive, ce scandale s’est avéré être une véritable chance pour le travail politique, car il a mobilisé l’opinion publique, galvanisé le Parlement européen et obligé la Commission à agir. À mon avis, cela a été une occasion qui a permis aux Moscos d’aller beaucoup plus loin que ce que l’on aurait pu imaginer en matière de lutte contre l’évasion fiscale. Pendant un moment, le Conseil a semblé paralysé, incapable de bloquer les propositions venant du Berlaymont. Mais cette situation n’a pas duré longtemps. Les Moscos avaient des aspirations plus ambitieuses pour les réformes de la fiscalité en Europe, pour une assiette commune de l’impôt sur les sociétés, pour la fiscalité numérique (certains États membres, comme la France, faisaient également pression pour cela), mais ils se sont finalement heurtés au veto de certains États membres au sein du Conseil et ont perdu la partie au profit de l’OCDE, qui semble désormais être le principal lieu où se déroulent les négociations sur ce sujet.
Martin Selmayr
Je pourrais donner de nombreuses illustrations mais, je citerais surtout un moment précis lors des négociations avec la Grèce en 2015. C’est l’année où les négociations les plus difficiles avec la Grèce ont eu lieu (au début, Alexis Tsipras et le nouveau gouvernement ne voulaient rien faire jusqu’à ce que nous arrivions à une situation où le Grexit a failli se produire). Juncker estimait qu’il fallait éviter le Grexit à tout prix, car cela aurait été, selon lui (et je partageais entièrement son analyse), la fin de la monnaie commune et la fin du projet le plus intégré de l’Union. Ensemble, nous avons lutté de toutes nos forces contre le Grexit. Juncker connaissait la Grèce et c’est pourquoi il a toujours prôné le déploiement de politiques modérées et réalistes en s’opposant aux mesures drastiques et aux coupes excessives. Lorsque Juncker est arrivé à la présidence et qu’il a été confronté à cette crise, il a découvert que ce type de négociations, sous la Commission précédente, étaient menées essentiellement par des technocrates. Juncker a mis fin à cette situation dès le premier jour. Il a exigé de se faire transmettre des rapports quotidiens, matin et soir, par les fonctionnaires chargés des négociations en Grèce. Par écrit d’abord, puis directement par téléphone. S’il a été confronté à une certaine résistance au début, les fonctionnaires ont ensuite suivi les directives qui leur ont été données. Avec beaucoup de patience, M. Juncker a expliqué aux fonctionnaires à de multiples reprises qu’il ne s’agissait pas simplement d’une décision technique banale consistant à demander à la Grèce de réduire ses dépenses dans le domaine de la santé alors qu’elle pouvait plutôt le faire pour son budget de défense excessif, mais une décision qu’il souhaitait prendre lui-même en tant que président de la Commission. Il avait l’habitude de dire à ses fonctionnaires : « Cette décision n’est pas de votre ressort, elle est pour moi ». Cette méthode politique n’a pas plu à tout le monde. Un jour, un ministre des finances très influent a téléphoné à Juncker pour lui dire – non sans une certaine agressivité – de ne pas intervenir dans ces négociations. Juncker lui a répondu que les traités eux-mêmes, y compris le traité sur le mécanisme européen de stabilité, stipulent de manière explicite que c’est le rôle de la Commission de mener les négociations. Le ministre des finances influent a alors poussé un soupir d’exaspération et répondu : « Jean-Claude, cela fait référence aux experts de la Commission, pas à vous ! ». Juncker a alors répondu résolument : « Mais je suis le patron de ces experts, et je suis politiquement responsable de ce qu’ils font, devant le Parlement européen, et devant le public en général. C’est pourquoi je dois absolument être directement impliqué ». Ce qui est très révélateur dans cet épisode, c’est que beaucoup de gens percevaient la Commission ainsi : « Quand la décision vous semble appropriée, laissez la technocratie s’en occuper ». Pourtant, en réalité, les décisions doivent passer par le Collège des Commissaires et par le Président, car il s’agit d’un ensemble de décisions fondées sur l’expertise juridique mais aussi sur le jugement politique discrétionnaire, dont l’exercice est encadré juridiquement, mais qui relève au final de la responsabilité des hommes politiques à la tête de la Commission.
Pour conclure sur ce point, je crois que juillet 2018 a été un moment clé lors duquel la Commission politique a été acceptée pour la première fois par tous les États membres, durant la guerre commerciale que Donald Trump avait entamée. Tous les États membres ont accordé leur confiance au président Juncker lorsqu’il menait les négociations avec Trump à Washington, à l’issue desquelles il est parvenu à un compromis lors d’une réunion historique à la Maison Blanche. C’était la première fois qu’un président de la Commission négociait face à face avec un président des États-Unis. A l’issue de cette séquence, Juncker a déclaré : « Ils m’ont donné un mandat tout simplement parce qu’ils estimaient que c’était une mission impossible et que j’allais échouer. Mais ce ne fut pas le cas ». Voilà ce qui est important pour une Commission politique. Ne pas échouer politiquement au moment du rendez-vous déterminant avec l’Histoire.
Le rôle politique de la Commission a-t-il évolué ? Si oui, de quelle manière ?
Frédéric Mérand
Dans mon livre, je considère qu’il y a trois forces derrière le travail politique : la volonté de faire de la politique, la capacité de trouver des amis/alliés/réseaux qui soutiennent votre action et la capacité à communiquer de manière efficace. Si les Moscos ont été en mesure de faire de la politique, c’est parce qu’ils ont été capables de mobiliser ces trois forces. C’est aussi grâce à cela que Jean-Claude Juncker a pu agir sur le plan politique. À mes yeux, la situation actuelle est passionnante, car elle révèle deux choses. Premièrement, qu’il y a un élément nouveau par rapport à l’analyse que je propose dans le livre : la force d’un choc externe. Politiquement, la réforme de la zone euro a été un échec sous Jean-Claude Juncker et Pierre Moscovici. Mais ensuite, le Covid-19 a frappé, Angela Merkel a changé de position, un changement de paradigme s’est produit, et un grand nombre des débats que j’observais entre les Moscos et les fonctionnaires de la DG ECFIN ont ressurgi dans ce qui est aujourd’hui Next Generation EU.
Pour donner un autre exemple : lorsque Ursula von der Leyen est entrée en fonction, elle n’a pas dit qu’elle ne voulait pas diriger une Commission politique, mais elle a insisté sur le fait qu’elle dirigerait une Commission géopolitique. On peut considérer que c’était une façon de dire qu’elle ne croyait pas que la formule Juncker pouvait réussir. Dans la mesure où elle n’a pas été élue selon le processus de Spitzenkandidaten, elle n’a pas disposé d’une majorité claire au Parlement (qui était beaucoup plus fragmenté après les élections de 2019). Il s’agissait donc peut-être de la fin de la politique ou la fin d’une Commission politique. Mais, la pandémie l’a ramenée à des enjeux profondément politiques (comme la vaccination ou Next Generation EU). Ces enjeux sont fondamentaux parce que le public y est particulièrement attentif, parce que ces situations créent des « gagnants » et des « perdants », et tant qu’il en sera ainsi, il y aura une place pour le travail politique.
Martin Selmayr
Quelques leçons pour l’avenir : je crois sincèrement que « Commission politique » ne signifie pas, ne peut pas et ne doit pas signifier « Commission de la politique des partis ». Frédéric Mérand a avancé l’argument que, au sein du cabinet Moscovici, il y avait une certaine homogénéité politique, mais je vous dirais que ni Jean-Claude Juncker ni moi ne connaissions quelles étaient les orientations politiques des membres de son cabinet. Il y avait 14 membres, mais leurs orientations politiques ne nous concernaient pas car ils étaient des fonctionnaires expérimentés de la Commission, les meilleurs des meilleurs, et ils servaient Juncker, leur dirigeant politique, avec compétence et rigueur, mais on ne leur demandait pas de suivre une orientation politique propre dans leur travail. Ils ont donné des conseils, fait des propositions et des suggestions, mais la direction politique venait de Juncker et personne d’autre. Voilà ce qui distingue et devrait toujours distinguer les Commissaires des administrateurs qui les servent. Une Commission politique signifie que le niveau politique – ceux qui sont élus par le Parlement et nommés par le Président de la Commission et les membres du Conseil – doit être choisi sur des bases politiques, mais ça ne s’applique pas aux collaborateurs du président ou aux collaborateurs des commissaires. La Commission est une excellente institution qui fonctionne bien parce que les fonctionnaires ne peuvent et ne doivent pas être choisis en fonction de leur orientation politique ou de leur nationalité. C’est très important parce que, si nous allons dans le sens de la politique des partis au sein de la Commission, nous discréditons son travail et l’excellence du service public européen.
La Commission doit agir dans l’intérêt de l’Union dans son ensemble et en tant d’équipe. Il ne peut donc y avoir « un seul commissaire politique » à la Commission, comme le prétend M. Merand, de son point de vue d’observateur avisé. Pour que la Commission réussisse, il doit y avoir 27 Commissaires politiques qui agissent en tant qu’équipe politique. Il est intéressant de constater que les membres de la Commission qui ont travaillé dans cet esprit, en tant que véritables membres d’une équipe engagée, ont été nommés pour un nouveau mandat au sein de la Commission von der Leyen, indépendamment de leur affiliation politique. Prenez Margrethe Vestager, Frans Timmermans, Valdis Dombrovskis. Chacun d’entre eux a été reconnu pour sa capacité à travailler en équipe et à établir des liens entre toutes les familles politiques et toutes les nationalités. La force d’une Commission politique ne réside pas dans un comportement partisan, mais dans un travail d’équipe qui dépasse les frontières des nationalités et des allégeances politiques. Ce processus doit être organisé de la communication à la décision politique, en passant par le bon déroulement des opérations quotidiennes du collège des commissaires, qui peut ainsi fonctionner comme un gouvernement. S’il veut réussir dans la durée, le président de la Commission doit être le capitaine de cette équipe.
Récemment, la commissaire Dubravka Suica a affirmé que la Commission n’a pas vocation à proposer des changements dans le cadre de la Conférence sur le futur de l’Europe. Si la Commission a pour ambition d’être la force motrice de l’intégration européenne, pourquoi pareille réticence ?
Frédéric Mérand
La politique européenne a gagné en complexité au cours des 20-30 dernières années. Il n’y a pas si longtemps, l’opinion publique était à peu près divisée entre ceux qui étaient « pour » et ceux qui étaient « contre » l’intégration européenne. Aujourd’hui, la situation est beaucoup plus compliquée car vous avez des fractures au niveau européen qui, dans une certaine mesure, reproduisent les divisions nationales. Par exemple, il y a des gens qui poussent pour plus d’intégration européenne si celle-ci se fait dans une perspective plus conservatrice ou, au contraire, dans une perspective plus sociale-démocrate. Cela signifie que la Commission n’est plus un lieu où tout le monde est fédéraliste et a la même conception de ce que signifie plus d’Europe. Dire que les partis et la politique jouent un rôle à la Commission ne signifie pas que la Commission se comporte comme un gouvernement majoritaire dans un système comme celui de la France ou du Royaume-Uni. Il s’agit bien d’un système fondé sur le consensus, mais dans lequel l’affiliation partisane importe.
Martin Selmayr
Je pense que Mme Suica a dit quelque chose de sensé. Il n’y a pas de tendance favorable qui permette d’aboutir à la modification des traités avant les 5 à 10 prochaines années. La modification des traités n’est certainement pas exclue, mais ce n’est pas ce qu’envisagent actuellement les 27 États membres. Dans le mandat donné à la Conférence sur l’avenir de l’Europe, ceux-ci ont explicitement (et le Parlement a accepté) exclu l’hypothèse d’une modification des traités. Certains ont tendance à trop vite oublier que nous avons régulièrement modifié les traités ces dernières années, même pendant la crise financière – il suffit de se rappeler du nouvel Article 136(3), du traité sur le fonctionnement de l’Union ou du nouveau fonds de relance qui nécessite une ratification dans les 27 États membres – mais la préparation d’une convention constitutionnelle est une tout autre histoire. Si, en tant que Commission, vous voulez être le moteur de l’intégration européenne, la modification des traités n’est peut-être pas toujours le meilleur instrument pour y parvenir. La lourdeur de la procédure de modification des traités pourrait même paralyser l’Union pendant une décennie, comme cela s’est produit la dernière fois avec le traité constitutionnel. Mieux vaut donc consolider et réformer de l’intérieur avant de modifier. De plus, les traités actuels contiennent de nombreux instruments et clauses qui ne sont pas encore utilisés. Nous ne sommes qu’au début de la mise en œuvre du potentiel du traité de Lisbonne. Nous devons donc arrêter de dire que le progrès ne peut se produire qu’avec un changement de traité, parce qu’il n’y aura pas de progrès rapide avec cette mentalité. Nous pouvons accomplir beaucoup de choses en changeant de perspective, en augmentant la volonté de travailler ensemble et en mobilisant les ressources de manière plus efficace.
Comment évaluez-vous la continuité entre la Commission Juncker et la Commission actuelle dirigée par Ursula von der Leyen ?
Frédéric Mérand
Mon point de vue est qu’il y a un retour à la politique mais d’une autre façon. Quel que soit le projet initial d’Ursula von der Leyen, la pandémie, la crise économique et la politique de vaccination ramènent inévitablement la politique dans la construction européenne.
Martin Selmayr
Chaque Commission a son propre moment. Je vois quelques différences, mais aussi beaucoup de continuité entre Juncker et von der Leyen, de la politique à la géopolitique. La Commission est devenue plus politique et plus structurée sous Juncker, ce qui lui permet maintenant de travailler avec le reste du monde et de mieux définir ses priorités extérieures. Entre autres choses, la Commission devra définir un nouvel équilibre avec les États-Unis sous la présidence Biden, et elle devra également trouver un moyen de travailler avec la Russie, avec Erdogan, avec la Chine, même si c’est difficile.
Il y a aussi beaucoup de continuité en ce qui concerne la tendance à la centralisation au sein de la Commission. Je me souviens du transfert de pouvoir entre Barroso et Juncker : le principal conseil de Barroso était de toujours garder une vue à 360° sur ce qui se passe à l’intérieur de la Commission, d’être réellement à la tête de toute la machinerie du Berlaymont. Je pense qu’Ursula von der Leyen a préservé cet état d’esprit que Juncker a initié sur les conseils de Barroso, pour faire en sorte que le niveau politique de la Commission soit vraiment en responsabilité. Avant Juncker, toutes les décisions qui étaient prises par la Commission ne passaient pas forcément par le collège des commissaires. En particulier, les actes délégués et les actes d’exécution n’étaient pas décidés sur une base politique – même si ceux-ci peuvent être extrêmement politiques comme nous l’avons vu avec l’acte d’exécution concernant le Glyphosate. Jean-Claude Juncker a fait évoluer les choses parce qu’il suivait de très près tous les débats politiques qui se déroulaient en Europe, via les médias et les réseaux politiques qu’il avait tissés au cours d’une longue carrière politique. Juncker a changé le système au sein de la Commission, il insistait pour que toutes les questions politiquement sensibles soient portées à l’attention du secrétaire général et du cabinet du président afin qu’il puisse les mettre à l’ordre du jour des réunions hebdomadaires du collège des commissaires. Jean-Claude Juncker a également inventé un instrument de politisation qui existe encore aujourd’hui dans la Commission von der Leyen, à savoir les vice-présidents qui jouissent de pouvoirs délégués par le président et qui agissent en son nom. Il voulait que ceux-ci mènent des projets sur des dossiers de premier ordre (par exemple sur le numérique ou le climat, l’énergie ou encore la migration). Cela signifie qu’il y avait une équipe de commissaires, avec leurs cabinets, qui travaillaient sur un dossier sans intervention dans le processus de la part du président jusqu’au dernier moment, lorsque ce dossier figurait à l’ordre du jour du collège. Le travail d’équipe et le leadership ne sont pas contradictoires, ils vont de pair dans une Commission politique bien structurée.
Les vice-présidents exécutifs sont différents des vice-présidents. Par exemple, Dombrovskis ou Vestager sont en charge de très puissantes directions générales qui ont tendance à agir de manière plus ou moins autonome. Cela pourrait les amener à ne voir ce qui se passe en Europe que par leur propre prisme, sans transversalité. Cela peut créer des problèmes au sein de la Commission. Pourquoi le rôle des vice-présidents est-il une bonne chose aujourd’hui selon vous ?
Martin Semayr
Il y a de nombreuses années, nous n’avions qu’un seul vice-président, puis nous avons eu un nombre illimité de vice-présidents. Juncker a choisi un nombre limité de vice-présidents pour leur déléguer une partie de ses pouvoirs de définition de l’agenda et de coordination politique. Certains vice-présidents étaient principalement des commissaires chargés de la coordination des dossiers, mais d’autres – comme aujourd’hui au sein de la Commission von der Leyen – étaient des vice-présidents ayant leur propre direction générale (DG). Je pense, par exemple, au vice-président chargé du budget qui avait 6000 fonctionnaires travaillant directement sous ses ordres. Le vice-président HR/VP avait bien sûr le service d’action extérieure, et enfin, Valdis Dombrovskis est peut-être le meilleur exemple de quelqu’un qui a évolué d’un rôle de vice-président avec un simple rôle de coordination pendant la Commission Juncker à celui de vice-président exécutif avec sa propre DG désormais. De fait, après le départ du commissaire britannique en 2016, il a pris en charge le dossier des services financiers et des marchés de capitaux : il n’est donc plus seulement vice-président chargé de la coordination des affaires économiques et monétaires, mais il bénéficie également de son propre service, la DG FISMA. Nous avons donc eu les deux types de vice-présidents au sein de la Commission Juncker. En partie à cause de l’intervention du Conseil européen dans l’organisation interne de la Commission – ce qui ne constitue probablement pas l’épisode le plus glorieux dans l’histoire des institutions européennes – Ursula von der Leyen façonne maintenant la Commission avec trois vice-présidents exécutifs. Ce que nous constatons à partir de ces exemples, c’est que l’organisation de la Commission est une question de gestion stratégique qui évolue entre deux Commissions, en fonction des circonstances politiques du moment et, surtout, des préférences en matière de gestion du président de la Commission concernée.
Frédéric Mérand
Tout d’abord, la centralisation qui se produit au sein de la Commission n’est pas propre à l’Union. Elle se produit dans tous les gouvernements du monde. On observe une centralisation du pouvoir entre les mains des dirigeants pour diverses raisons. L’Union n’est pas différente de ces gouvernements, mais on peut comprendre que cela suscite des réactions de la part des personnes qui se voient dépossédées de leur autorité.
Ensuite, la Commission a toujours été une organisation au sein de laquelle les DG ont beaucoup d’autonomie. Les commissaires font partie d’une équipe, ils ont été choisis par le président, mais surtout ils ont été choisis par leur gouvernement et ils retourneront très probablement dans leurs États membres respectifs par la suite. Leur loyauté est toujours moins évidente qu’elle ne le serait dans un gouvernement national où les ministres sont véritablement choisis par les chefs de gouvernement, surtout dans les systèmes majoritaires. Le troisième élément est que la combinaison de multiples orientations nationales et partisanes a été productive au sein de la Commission. Il était bien connu que les relations entre le commissaire Moscovici et le vice-président Dombrovskis étaient tendues, mais de cette tension sont sorties de bonnes choses. Moscovici était un socialiste issu d’un pays de l’Ouest, presque méditerranéen, tandis que Dombrovskis était un conservateur originaire d’un pays balte. Cela a bien sûr suscité des tensions, mais qui étaient réglées à l’intérieur de la Commission avant qu’elles ne deviennent publiques. Il ne faut pas oublier qu’il y a aussi beaucoup de points de vue divergents au sein du cabinet d’un commissaire, parce que chaque membre du personnel a une formation différente, une nationalité différente, une façon particulière de comprendre l’idéologie politique – même s’ils sont tous de gauche et qu’ils maîtrisent bien la langue française, comme les Moscos.
Martin Selmayr, vous avez évoqué les nouvelles compétences de la Commission européenne qui restent encore à mobiliser pleinement. Quelles compétences et quelles nouvelles prérogatives pourraient être utiles dans les années à venir pour répondre aux défis et montrer le caractère politique de la Commission ?
Martin Selmayr
Je ne dirais pas compétences mais plutôt questions à traiter dans le cadre des traités actuels. Par exemple, il y a dix ans, le changement climatique était déjà un problème qui ne figurait pas au premier rang des priorités de l’Union. Aujourd’hui, la Commission européenne fait des propositions pour légiférer dans ce domaine, de l’efficacité énergétique de votre aspirateur à votre voiture, en passant par les multiples sources d’émission de CO2. Cela n’a rien à voir avec une question de compétences, mais avec la volonté politique de reconnaître qu’il existe des questions importantes qui nécessitent une solution européenne.
Je crois qu’il y a dix ans, nous n’aurions pas non plus imaginé de réglementer les plateformes internet. Désormais, avec le Digital Services Act et le Digital Markets Act, la Commission européenne fait deux propositions très importantes, tournées vers l’avenir et qui sont réalisables dans le cadre des traités actuels parce qu’elles sont conçues d’une manière qui permet de le faire.
Je suis personnellement convaincu que nous devons encore améliorer notre cadre budgétaire, et c’est pourquoi les propositions actuelles présentées dans le cadre de Next Generation EU sont si importantes, même si elles ne sont pas encore entièrement ratifiées parce que certains États membres sont encore réticents. Je crois également que la gestion des crises est une question importante qui nécessite davantage de travail. Nous avons vu lors des dernières crises – de la crise financière à la crise migratoire – que l’Union européenne évolue toujours considérablement, elle fait même des bonds quantiques mais, au départ, il y a une grande confusion parce qu’il n’y a pas d’instruments de gestion de crise à disposition. Cela s’explique par le fait que, dans l’Union, nous estimons de manière générale qu’une solution décentralisée ne doit pas être centralisée avant que la situation le justifie impérativement. Même l’Allemagne, un pays profondément fédéral, centralise à présent les politiques Covid-19 qui étaient auparavant confiées à ses régions. A contrario, l’Autriche fédérale se décentralise au même moment. Cela montre à quel point l’Europe est diverse. Mais je pense qu’il serait utile que l’Union dispose d’un mécanisme, prêt à être activé en temps de crise, permettant temporairement de prendre des décisions de manière plus simple et plus rapide pour réagir avec détermination aux situations de crise. L’Union a eu raison de se mettre d’accord sur l’achat commun de vaccins. Mais si elle avait pris toutes ses décisions concernant l’achat de vaccins et leur financement total dès le mois de juin 2020, je pense que nous nous trouverions dans une situation différente aujourd’hui. Peut-être devrions-nous permettre un transfert décisionnel temporaire au niveau de l’Union dans les situations de crise. Bien évidemment, rien ne dit que cela serait toujours approprié. Mais le monde progresse trop vite pour prendre des décisions trop tardives. Je ne crois pas que nous devrions transférer toutes les compétences en matière de santé à Bruxelles. Fermer les écoles à Vienne ou ailleurs ne peut pas être décidé au niveau européen, mais, en temps de crise, nous devrions pouvoir centraliser de manière provisoire les éléments financiers et les décisions relatives à l’achat d’équipements médicaux. L’article 352 pourrait servir de base à la création d’un mécanisme de crise européen qui s’appliquerait à toutes les crises futures, afin d’être plus rapide et plus efficace.
Pendant le Brexit, la Commission européenne a réussi à préserver l’unité des États membres tout au long des négociations. Combien de ce capital politique accumulé va être nécessaire pour continuer à parler d’une seule voix au sujet de la future relation avec le Royaume-Uni ? Jusqu’à quel point cette unité peut-elle être préservée ? Combien de capital politique faudra-t-il pour gérer cette relation ?
Fréderic Mérand
Le Brexit m’a montré à quel point les Nord-Américains ne comprennent absolument rien à l’Union européenne et à la Commission. Pendant le Brexit, ou plutôt au moment du référendum du 23 juin 2016, presque tout le monde au Canada – dans les milieux d’affaires, dans les universités, dans les médias – était absolument persuadé que cela mènerait à l’implosion de l’Union et à une victoire très large du Royaume-Uni dans les négociations. C’était le point de vue dominant. Cela a changé au cours des mois suivants, en partie parce que Justin Trudeau a adopté une position ferme en faveur de l’Union européenne, mais l’idée générale était toujours que cette unité ne pourrait pas toujours durer et que le Royaume-Uni prendrait le dessus. Pourtant, cela fait maintenant cinq ans et, d’un point de vue extérieur, l’Union fait toujours preuve d’unité face au Royaume-Uni. Au Canada, nous vivons à côté des États-Unis, nous savons ce qu’est une relation asymétrique, nous savons ce que la dépendance économique vis-à-vis de votre voisin signifie, nous savons que les négociations ne sont jamais terminées – même lorsqu’il y a un accord commercial, vous ne savez jamais combien de temps il va tenir. Sur cette question, je trouve que la Commission européenne a été extrêmement efficace.
Martin Selmayr
Ce succès est le fruit d’un travail extrêmement difficile. Il s’agissait d’une situation exceptionnelle pour l’Union et l’unité des 27 était indispensable puisque si nous nous étions disputés tout au long de cette période, nous aurions sombré dans l’autodestruction. C’était une situation exceptionnelle, qui, je l’espère, ne se répétera pas. L’un des principaux secrets de la réussite de ces négociations a été Michel Barnier, que Juncker avait chargé de diriger les négociations sur le Brexit – une décision qui, à l’époque, était courageuse parce que de nombreux États membres et beaucoup de membres de la Commission y étaient opposés. Nombre d’entre eux voulaient qu’un commissaire soit chargé du Brexit, et nombreux étaient ceux qui voulaient assumer eux-mêmes cette responsabilité, même certains fonctionnaires du Conseil. Mais la décision de Juncker a permis de s’assurer que les problèmes liés au Brexit restaient séparés du reste des activités de la Commission et ne figuraient pas à son ordre du jour général. Grâce à la Task Force Barnier spécifiquement mobilisée sur le Brexit, ce sujet n’a pas contaminé outre mesure les activités de l’Union, que ce soit sur l’énergie, le climat, le numérique, le commerce ou le nouveau cadre financier pluriannuel. Il était également très important – et c’est un autre indicateur de la Commission politique à l’œuvre – que Michel Barnier, un homme politique et non un technocrate, ait pris le relais et centralisé le travail au nom du président, travaillant en étroite collaboration avec son cabinet.
L’autre ingrédient du succès a été ce que certains appellent la méthode Juncker-Barnier : l’idée que, pour les questions existentielles centrales, il faut être encore plus prudent que d’habitude, et faire attention aux différents niveaux de légitimité du travail de la Commission. La Commission est élue par le Parlement européen mais a également besoin de la confiance des 27 États membres pour être légitime. Avec les négociations du Brexit, nous avons suivi cette démarche dans les règles de l’art. Michel Barnier a systématiquement informé les membres du Parlement européen, mais aussi les États membres, les ambassadeurs du COREPER, etc. Cet engagement à s’adresser aux deux sources de légitimité a contribué au renforcement de la Commission européenne. Cela nous amène au Spitzenkandidat. Le Spitzenkandidat est mal compris comme une procédure que le Parlement européen impose aux États membres, mais le Spitzenkandidat ne peut réussir que si le Parlement européen choisit un Spitzenkandidat après les élections et trouve ensuite un accord avec le Conseil européen. M. Juncker est parvenu à ce résultat en 2014 et j’espère vivement qu’en 2024, nous renouvellerons cette expérience, parce que c’est une bonne chose pour la démocratie européenne et pour une gestion politique efficace au niveau de l’Union. Le Spitzenkandidat, un élément important de la démocratie parlementaire européenne, est pour le moment endormi. Faisons en sorte de le réveiller à temps avant les prochaines élections du Parlement européen. Nous le devons aux citoyens de l’Union.