Le Fidesz, parti du Premier ministre hongrois Viktor Orbán, a quitté le Parti populaire européen (PPE) au Parlement européen le 3 mars. Nous proposons une analyse de l’impact de cette décision sur la structuration des forces politiques européennes.

  • Un long feuilleton. Les relations entre le Fidesz d’Orbán et le PPE sont ambiguës et tendues depuis plus d’une décennie. Progressivement, l’image du parti hongrois de droite dure ou illibérale est entrée en contradiction avec les valeurs du parti de centre-droit du Parlement, même s’ils se rejoignaient globalement sur les questions économiques et de libre marché. Pourtant, le PPE s’est accommodé de cette situation malgré le franchissement de nombreuses lignes rouges par le Fidesz, notamment afin de maintenir son statut de force politique dominante au sein du Parlement en nombre de députés représentés. Lire plus
  • Le départ du Fidesz mercredi dernier. Alors que le PPE modifiait ses statuts internes pour pouvoir suspendre ou exclure désormais des délégations entières (et non plus des parlementaires individuels), Orbán a considéré que cette évolution visait directement les députés Fidesz. Il a donc annoncé le départ solennel de son parti du PPE, dans une lettre adressée au président du groupe, l’Allemand Manfred Weber (CSU).
  • À court terme, le PPE domine toujours. Même sans les 12 députés du Fidesz, le PPE reste le premier parti du Parlement. Il passe de 187 à 175 élus. Le vote très large en faveur de la réforme des statuts (et donc, indirectement, pour l’exclusion du Fidesz), qui a rassemblé 148 députés, est aussi un témoignage de la relative unité d’un PPE. Si le groupe continue à dominer l’hémicycle, la légère baisse de son poids politique renforce les deux autres partis qui suivent en nombre, S&D (145 députés) et Renew (97), notamment dans la perspective imminente du remaniement à mi-parcours des postes politiques clés au sein des commissions du Parlement. De plus, si les négociations entre les 10 députés du M5S italien et S&D aboutissaient, celui-ci atteindrait 155 élus.
  • À moyen terme, l’émergence probable d’un parti nationaliste de taille intermédiaire. La question est alors de savoir quel parti européen la formation d’Orbán est le plus susceptible de rejoindre. Pour l’heure, elle fait partie des non-inscrits (NI). Le Fidesz a reçu un appel clair et net du parti Identité et démocratie (qui rassemble l’Afd allemande, le RN français, la Ligue italienne, etc.). Si le Fidesz et ID se rassemblent sur plusieurs thématiques (migrations, identité européenne, etc.), le Fidesz présente des convictions a priori incompatibles avec les membres de ID sur certains points fondamentaux comme en ce qui concerne son attachement à un budget européen élevé, dont la Hongrie bénéficie largement. C’est pourquoi il semble plus probable que le Fidesz rejoigne les Conservateurs et Réformistes Européens ou CRE (qui rassemblent notamment Frères d’Italie, le PiS polonais et le PDC tchèque), avec lesquels il est aligné  dans 72 % des cas, contre 51 % pour ID (selon VoteWatch Europe). Si le Fidesz rejoignait le parti CRE, celui-ci serait alors plus volumineux que les Verts.
  • À moyen terme, d’autres départs du PPE à prévoir ? Lors du vote sur les statuts internes du PPE, certains députés hors Fidesz n’ont pas voté pour la réforme, notamment des députés de droite slovène et autrichienne. Bien qu’ils n’aient pour l’heure pas intérêt à quitter le PPE, des négociations avec Orbán pourraient naître et leur départ affaiblirait encore davantage le PPE. De plus, le PPE perd avec le Fidesz l’un des plus fervents défenseurs du libre marché, et pourrait avoir des difficultés à soutenir certaines mesures dans ce domaine, ce qui avantagerait sa frange plus centriste et poserait question sur son positionnement politique réel. Il est également à noter que ce départ entraîne un ajustement géopolitique au sein du parti qui se repositionne vers l’Ouest et le Nord du continent dans la mesure où il perd un important contingent d’Europe centrale. D’importants partis de droite d’Europe centrale et orientale sont désormais explicitement en dehors du PPE, pourtant historiquement le parti de la droite européenne élargie depuis les élections de 1979.
  • À long terme, une reconfiguration des droites européennes ? Orbán ne perçoit pas son départ comme une simple manœuvre politique et comptable, lui-même régulier pourfendeur de la prétendue bureaucratie bruxelloise. Jeudi, le Premier ministre hongrois a déclaré souhaiter « construire sans le PPE une offre pour les citoyens européens qui ne veulent pas de migrants ni de multiculturalisme, qui ne sont pas tombés dans la folie LGBTQ, qui défendent les traditions chrétiennes de l’Europe ». Vendredi, il a ajouté : « Il faut qu’il y ait une famille politique pour les gens comme nous qui protègent la famille, défendent leur patrie, pensent en termes de coopération entre États-nations plutôt qu’en termes d’empire européen ». Orbán se réfère en priorité au PiS polonais et à la Ligue italienne qui, comme dit plus haut, n’appartiennent pour l’heure pas au même parti européen. À long terme donc, une restructuration profonde des droites européennes semble se faire jour.