Après plusieurs initiatives régionales depuis 2013, la Chine a annoncé le lancement début février 2021 de son marché carbone unifié sur les centrales thermiques et les entreprises énergétiques. Un marché carbone vise à faire payer aux entreprises des quotas pour chaque tonne de gaz à effet de serre émise durant le processus industriel de l’entreprise. Ainsi, une entreprise est incitée à réduire ses émissions, afin d’avoir moins de quotas à acheter sur le marché ou même d’en revendre. 

Le marché chinois du carbone concerne dès aujourd’hui 2225 centrales électriques fossiles émettant 14 % des émissions de CO2 mondiales, ce qui en fait directement le plus gros marché carbone au monde, dépassant le marché carbone européen (EU ETS), fer de lance des marchés carbone avec à la fois un prix du CO2 élevé et couvrant 40 % des émissions européennes.

Un marché carbone sans plafond

L’EU ETS, comme la majorité des marchés carbone, est un marché cap and trade, c’est-à-dire que l’Union européenne fixe un plafond au nombre de quotas, et les entreprises peuvent se les échanger sur le marché. En plus de ce maximum annuel, l’UE prévoit une trajectoire de réduction du plafond alignée sur ses objectifs climatiques (-2,2 % par an d’ici à 2030, un pourcentage en voie d’être augmenté avec la réforme du marché à venir).

A l’inverse, le marché du carbone chinois n’a pas de plafond mais applique des benchmarks par type de production. Chaque mode de production (différents types de centrale à charbon ou de centrales au gaz) doit viser un objectif d’efficacité énergétique  : si la centrale émet moins de tCO2/MWh, elle peut vendre des permis gratuits fixé sur le benchmark et si elle émet plus elle doit en acheter1. Les producteurs d’électricité ayant un facteur de charge faible auront par ailleurs un facteur correctif leur donnant une flexibilité allant jusqu’à 10 % de marge en plus lorsqu’ils opèrent 50 % du temps. Les objectifs d’efficacité énergétique complétés par les corrections sont donc peu ambitieux pour l’instant.

Le fonctionnement par benchmark permet d’inciter les producteurs d’électricité à utiliser des centrales plus efficaces, et à sortir progressivement du marché les centrales inefficientes, qui sont aussi les plus polluantes. La grande différence avec un plafond d’émissions absolu est qu’il sera toujours possible de construire de nouvelles centrales à charbon, tant qu’elles atteignent l’efficacité requise. Cette méthode s’inscrit dans la philosophie de la politique climatique chinoise qui s’est fixée à court-terme des objectifs de décarbonation relative de son économie. Cependant, réduire l’intensité carbone du PIB sera insuffisant pour atteindre la neutralité carbone, qui nécessitera de sortir du charbon

Cette méthode aura donc peu d’effet sur la substitution de centrales fossiles par de l’électricité bas-carbone (renouvelable ou nucléaire) et pas non plus sur la substitution entre charbon et le gaz, qui a pourtant été le principal facteur de réduction d’émissions en Europe ces dernières années. En effet, lorsque le plafond d’émissions du marché carbone européen est devenu contraignant (perspective de réduction du plafond et réserve de stabilité du marché), le prix du quota carbone a vu doubler la part relative du gaz par rapport au charbon. Ainsi, comme le dit l’analyste à la BNEF Yvonne Liu, «  le marché dans son format actuel n’accélèrera pas la décarbonation en Chine  »2.

Substitution entre production d’électricité au gaz et au charbon suite à l’augmentation du prix du quota de CO2 sur le marché carbone européen. Source  : Calculs de l’auteur à partir d’Eurostat, Epex

Quelles perspectives pour le marché chinois du carbone  ?

Le marché chinois du carbone aura donc un impact climatique assez faible à son début, mais il faut se rappeler que l’impact du marché européen a été peu visible de 2005 à 2017, avec un prix du carbone faible de 2012 à 2017 suite à l’excès de quotas lié à la crise économique. On peut donc espérer que son équivalent chinois s’améliore avec le temps. Il est déjà prévu que le marché soit étendu progressivement à tout le secteur de l’industrie, en commençant par le ciment et l’aluminium, ce qui couvrirait 75 % des émissions chinoises. De plus, les objectifs pourront être plus ambitieux au fur et à mesure, notamment à partir de 2030 où les émissions chinoises sont censées diminuer. Il pourra alors être pertinent de fixer un plafond absolu qui baissera avec le temps. Le marché carbone chinois pose donc une première pierre d’une politique climatique prometteuse, qui pourrait monter en puissance dans les prochaines années.

Évolution du prix du quota de CO2 sur le marché carbone européen depuis 2008. Source  : Epex et différentes phases de l’EU ETS (Commission européenne).

La diplomatie climatique européenne est un des moteurs du marché chinois du carbone

La diplomatie climatique est une composante de l’action climatique de l’Union européenne. A travers les COP et les sommets UE – Chine, elle cherche ainsi à être motrice de la décarbonation dans le monde, et sert d’exemple pour la mise en place de politiques de tarification du carbone comme en Chine3.

La Commission européenne utilise actuellement la menace d’un ajustement carbone aux frontières de l’Union européenne, qui viendrait renchérir le prix des importations carbonées, pour inciter ses partenaires commerciaux à mettre en place une tarification du carbone domestique. Dans ce cas, si l’État partenaire a par exemple mis en place un marché carbone ambitieux, il pourrait rejoindre un «  club climat » de pays exemptés d’ajustement carbone ou dont l’ajustement serait réduit en proportion de la tarification locale4.

Ainsi la Chine avec son marché carbone pourrait être exemptée d’ajustement carbone aux frontières, et ça a pu être une des motivations du gouvernement chinois, pressé par l’Union européenne et la diplomatie internationale.  Toutefois, une telle exemption pourrait nuire à la crédibilité du mécanisme si l’ambition du marché carbone chinois reste faible. A l’inverse, tant qu’ils n’ont pas mis en place de politique climatique suffisante, l’Ukraine et la Russie devraient être concernés par le mécanisme.

Le nouveau marché carbone chinois est donc une première étape dans la décarbonation de l’électricité. Il sera crucial que la mise en place de ce marché ne s’accompagne pas de nouvelles centrales à charbon, même plus efficientes. Après l’annonce de l’objectif de neutralité carbone en 2060, un autre événement encourageant est survenu fin janvier 2021. En effet, le Groupe d’Inspection Central sur l’Environnement chinois, mis en place par Xi Jinping lui-même en 2015, a audité les politiques énergétiques de l’Administration Nationale de l’Énergie et a remis un rapport très critique pointant les défaillances de la politique chinoise de développement du charbon. Certains observateurs y voient même un signe avant-coureur de la teneur du 14ème plan quinquennal (2021-2025) et de la possibilité de stopper la construction de centrales au charbon5.