Un commentaire que j’ai régulièrement entendu au cours des négociations sur le Brexit est resté gravé dans ma mémoire. En septembre 2020, un haut fonctionnaire de l’Union européenne travaillant sur le Brexit m’a dit, non sans une certaine exaspération : « ce qui est si étrange dans l’approche britannique du Brexit, c’est que lorsque vous échangez avec les gars du 10 Downing Street, ils ne sont pas préoccupés par l’économie ; ils sont obnubilés par l’impératif de recouvrer une certaine liberté vis-à-vis des règles européennes et de la Cour de justice l’Union ». Ce dénigrement de l’économie explique en partie pourquoi l’accord de commerce et de coopération finalisé par Boris Johnson et Ursula von der Leyen la veille de Noël promet d’offrir un Brexit difficile. La bonne nouvelle de cet accord réside dans le fait que l’alternative, à savoir un no-deal, aurait été bien pire pour l’Union comme pour le Royaume-Uni. En revanche, l’accord réduira non seulement les liens économiques entre la Grande-Bretagne et le continent, mais bouleversera aussi tout autant les relations en matière de sécurité, d’éducation et de l’ensemble des relations humaines au sens large du terme. Voici dix réflexions sur le processus du Brexit.
1 – La conclusion d’un accord de libre-échange (ALE) en dix mois est exceptionnellement rapide
Il faut normalement cinq à sept ans pour que l’Union négocie un ALE. David Frost, Michel Barnier et leurs équipes respectives méritent bien des louanges pour leur persévérance et leur travail acharné. À certains égards, le refus du Royaume-Uni de prolonger la période de transition au-delà de la fin de l’année 2020 a probablement permis de focaliser les efforts dans un temps court. Cette décision était toutefois contestable, particulièrement dans la mesure où ce calendrier serré crée beaucoup d’incertitudes pour les entreprises, car elles ne disposent plus que de quelques jours pour s’adapter aux nouvelles dispositions. Il est inconcevable d’envisager que tout le monde soit en mesure de suivre les nouvelles règles à partir du 1er janvier 2021.
Si l’accord a été conclu aussi rapidement, c’est aussi parce que les responsables politiques étaient plus engagés dans la négociation de cet ALE qu’ils ne le sont pour un ALE ordinaire. Les négociateurs auraient même pu aller encore plus vite si les décideurs politiques le leur avaient permis : une grande partie des trois derniers mois a été consacrée à de nombreuses manœuvres de persuasion destinées aux opinions publiques internes. Les deux camps ont probablement préféré repousser le compromis final au dernier moment afin de montrer à leurs opinions publiques respectives à quel point ils se battaient avec ténacité, mais aussi pour ne pas laisser aux Parlements britannique et européen trop de temps pour scruter les détails de l’accord.
2 – La plupart des Britanniques ne savent pas à quel point le Brexit sera difficile
Au cours des 4 années et demie qui se sont écoulées depuis le référendum, le peuple britannique s’est lassé de manière exponentielle (et c’est compréhensible) des négociations du Brexit. Nombre d’entre eux s’en sont désintéressés il y a bien longtemps et partent du principe qu’un accord est positif par principe. Ils ont raison de penser qu’un no-deal aurait entraîné beaucoup plus de perturbations. Mais beaucoup de choses vont changer malgré tout, bien plus que ce que les partisans du Leave ont promis pendant la campagne référendaire.
Les industriels et les agriculteurs seront soumis à de fastidieux contrôles aux frontières, notamment en ce qui concerne les douanes, la TVA, la sûreté et la sécurité, les contrôles sanitaires, et bien d’autres choses encore. Les entreprises perdront l’accès au marché unique si elles n’y créent pas de filiales. Les compagnies aériennes et les compagnies de fret britanniques ne pourront plus opérer librement au sein de l’Union. Les citoyens perdront le droit de voyager aussi longtemps qu’ils le souhaitent, de travailler, d’étudier ou de résider dans l’Union européenne. Les industries et les institutions qui ont pris l’habitude d’employer des citoyens européens – notamment dans des domaines tels que l’agriculture, l’hôtellerie, les maisons de soins, le bâtiment et l’éducation supérieure – seront confrontées à des difficultés. La Grande-Bretagne quitte une multitude d’agences européennes, comme celles qui s’occupent des médicaments, des produits chimiques, de la sécurité aérienne et de la sécurité alimentaire. La police britannique perd un accès direct à de nombreuses bases de données criminelles.
3 – Quitter l’Union européenne est un peu comme y adhérer, à l’envers
Lorsqu’un candidat cherche à rejoindre l’Union, il doit en accepter les conditions. De la même façon, une fois que le Royaume-Uni a défini ses lignes rouges, l’Union a façonné un accord selon ses propres termes, à savoir essentiellement un ALE sur le modèle canadien mais avec un champ d’application plus large, couvrant des domaines comme l’énergie ou la justice et les affaires intérieures ; avec des règles plus strictes sur les subventions, l’environnement, le climat et les normes de travail. Ces règles sont notamment liées à une conditionnalité exécutoire, de sorte que les facilitations relatives au commerce puissent être suspendues si l’une des parties ne respecte pas ses engagements. Ces règles couvrent également des dispositions moins généreuses dans certains domaines (comme dans le domaine des services financiers, l’absence de reconnaissance mutuelle des organismes de certification, ou encore les contrôles plus stricts sur les importations de denrées alimentaires). Le Royaume-Uni a été forcé de souscrire à tout cela car il avait moins de cartes en main que l’Union européenne. L’équation est simple : un no-deal l’aurait plus impacté que l’Union.
L’analogie de l’adhésion inversée n’est cependant pas tout à fait exacte, car le Royaume-Uni a eu plus de poids lors de cette négociation que le Monténégro n’en a dans le cadre de son processus d’adhésion à l’Union européenne. C’est la raison pour laquelle l’Union a assoupli certaines de ses exigences initiales, par exemple que le Royaume-Uni respecte ses règles en matière d’aides d’État, ou que la Cour de justice européenne joue un rôle dans le contrôle ex-post de l’accord. Mais, dans la phase finale des négociations, le Royaume-Uni a cédé sur d’importants dossiers comme la pêche – pendant une période de transition, l’Union européenne ne « rendra » qu’un quart du poisson qu’elle prélève actuellement dans les eaux britanniques – ou les « règles sur l’origine » – l’Union n’autorisera pas le « cumul étendu », ce qui signifie que les composants provenant de pays avec lesquels le Royaume-Uni et l’Union européenne ont conclu des ALE (comme le Japon) ne seront pas considérés comme du contenu « local », ce qui complexifiera l’accès des produits fabriqués au Royaume-Uni sur le marché européen.
4 – Ces 4 dernières années et demie, les gouvernements britanniques ont rarement été honnêtes à propos des compromis inévitablement liés au Brexit
Tout pays quittant l’Union doit trouver sa place sur un spectre allant d’une autonomie réglementaire maximale caractérisée par des liens économiques minimaux à une autonomie réglementaire minimale caractérisée par des liens économiques maximaux. Le compromis se situe sur un axe sur lequel se trouve la souveraineté d’un côté et la prospérité de l’autre. Il aurait fallu admettre que le Brexit avait un coût économique réel. En privé, certains Brexiteurs l’admettent, y compris au sein du gouvernement, bien que la plupart d’entre eux avancent que l’économie prospérera à long terme, lorsqu’elle sera libérée des contraintes imposées par Bruxelles. En public, et particulièrement pendant la campagne du référendum, ils n’ont pas fait preuve de la même honnêteté intellectuelle.
D’une certaine manière, le gouvernement de Boris Johnson a toutefois été plus clair sur l’ampleur des compromis nécessaires que le gouvernement de Theresa May : Boris Johnson a admis depuis un certain temps que quitter l’union douanière provoquait des frictions et générait des coûts économiques implicites à la frontière. Mais le discours triomphant de Boris Johnson après l’accord, lors duquel il a faussement déclaré que celui-ci signifie « no non-tariff barriers », témoigne d’un gouvernement qui peine encore à appréhender pleinement les conséquences de ses décisions.
5 – Les historiens se demanderont pourquoi le gouvernement britannique a accordé si peu d’attention à l’économie pendant la négociation
La réponse courte consiste à dire que le gouvernement Johnson, composé de hard-Brexiteurs, a mis l’accent la notion de souveraineté en s’arrimant à une extrémité du spectre mentionné plus haut (le gouvernement de Theresa May souhaitait préserver certains avantages de l’union douanière et du marché unique).
Il est néanmoins étrange qu’un pays ayant contribué à inventer la science économique et qui a le libre-échange dans le sang ait si peu pris en compte les piliers de l’économie britannique, tels que la City de Londres et l’industrie automobile. Pour de nombreux Brexiteurs, la pêche – qui ne contribue qu’à hauteur de 0,04 % au PIB du Royaume-Uni – était plus importante, les négociations ont même failli échouer sur la question des quotas de pêche.
La « cause économique » a souffert du fait que la plupart des dirigeants d’entreprise appartenaient au camp des « Remainers » – une affiliation qui les rendait persona non grata dans les hautes sphères gouvernementales. J’étais présent lorsque le ministre des Affaires étrangères a lancé « Fuck Business » lors d’une réception diplomatique. David Davis, le premier secrétaire d’État chargé du Brexit dans le gouvernement May, n’était pas tendre non plus lorsqu’il parlait de la City de Londres. Il faut cependant reconnaître que de nombreux fonctionnaires impliqués dans le Brexit ont travaillé dur pour défendre les intérêts de l’économie britannique.
6 – L’Union a été excessivement paranoïaque quant aux « conditions de concurrence équitables » (level playing field), qui se sont avérées être l’un des points les plus litigieux des négociations
La Grande-Bretagne a un déficit commercial de 80 milliards de livres sterling par an avec l’Union européenne, ce qui signifie que les craintes européennes vis-à-vis d’une Grande-Bretagne hyper-concurrentielle faussant le marché unique sont exagérées. C’est même plutôt le Royaume-Uni qui est pénalisé par des conditions de concurrence défavorables (de nombreux services dans lesquels le Royaume-Uni excelle n’ont jamais été libéralisés par l’Union). En outre, comme nous l’avons déjà expliqué, le Brexit ne manquera pas d’impacter la compétitivité du Royaume-Uni et donc de le rendre moins attrayant pour les investisseurs étrangers.
Faisal Islam, le rédacteur en chef de la rubrique économique de la BBC, a bien résumé le point de vue européen dans un tweet : « le Royaume-Uni déclare son indépendance réglementaire tout en essayant de maintenir des droits de douane inexistants ; l’Union essaie de gérer cette divergence et d’empêcher, par exemple, que le Royaume-Uni devienne un centre d’assemblage offshore pour les entreprises américaines et chinoises avec un accès libre au marché unique ». Les inquiétudes de l’Union concernant l’équité des conditions de concurrence sont réelles. Pendant plusieurs décennies, les responsables politiques français ont cru que le Royaume-Uni détournerait les investissements du continent en faisant du « dumping social », c’est-à-dire en réduisant les normes du marché du travail, mais peu de preuves permettent d’étayer cette thèse.
Les responsables politiques britanniques ont largement contribué à attiser les craintes des Européens. Le ministre des finances de May, Philip Hammond, un Remainer modéré, a parlé d’un « Singapour sur la Tamise » pour définir le Royaume-Uni après le Brexit. Plus récemment, un groupe de conseillers du 10 Downing Street associé à Dominic Cummings – lui-même conseiller principal de Boris Johnson jusqu’en novembre – a défendu la vision d’une Grande-Bretagne ultra-déréglementée, prospérant sur sa non-appartenance à l’Union européenne (Cummings a également parlé du déploiement important d’aides d’État afin de soutenir les industries de haute technologie).
En réalité, aucun gouvernement britannique, même conservateur, ne se risquera à sabrer les mécanismes de protection sociale et environnementale (ou à inverser l’aversion de longue date des Britanniques pour les subventions industrielles). Ces mécanismes sont trop populaires auprès des électeurs et députés conservateurs. En revanche, pour ceux d’entre nous qui souhaitent que l’Union européenne réussisse, force est de constater que le manque de confiance qu’elle affiche à propos de la viabilité de son propre modèle économique face à une concurrence rude est un peu inquiétant.
7 – Lorsque le peuple britannique se rendra compte de la superficialité de l’accord qu’il a conclu, les politiciens débattront de la possibilité et de la manière d’en améliorer les termes
Si l’accord UE-UK s’avère être très contraignant pour de nombreuses personnes, entreprises et institutions, un débat sera lancé sur la manière d’en améliorer les termes. L’accord comprend une clause permettant à chaque partie de demander un réexamen des dispositions relatives au commerce, quatre ans après son entrée en vigueur – ce qui fera des relations entre l’Union européenne et le Royaume-Uni un thème central des élections générales qui auront probablement lieu dans trois ou quatre ans.
Il est possible que le Parti conservateur retrouve son goût pour les grandes entreprises, auquel cas les députés modérés plaideront pour un accord plus favorable aux entreprises. Mais si les conservateurs restent imprégnés de penchants nationalistes, ils seront relativement indifférents aux lobbies industriels. Il reviendrait alors au parti travailliste de plaider en faveur d’un rapprochement avec l’Union européenne. Keir Starmer pourrait être réticent à franchir ce pas, étant donné les efforts qu’il déploie pour renforcer son parti dans les régions du nord du pays qui sont aussi les plus favorables au Brexit. D’un autre côté, les membres du parti travailliste sont pour la plupart favorables à l’Union européenne. Le parti entretient notamment des liens de longue date avec le secteur manufacturier, ce qui plaidera fortement en faveur d’un retour à une sorte d’union douanière avec l’Union européenne.
La police et les services de renseignement plaideront pour une coopération plus étroite en matière de justice et d’affaires intérieures. La possibilité d’établir des liens structurels avec l’Union en matière de politique étrangère et de défense – actuellement hors de l’accord – fera également l’objet d’un débat.
Pour une raison ou une autre, il est probable que le Royaume-Uni soit en négociation permanente avec l’Union européenne pendant les dix prochaines années – comme l’ont été les Suisses depuis les années 1970. Un diplomate suisse de haut rang lance toutefois un avertissement aux Britanniques : depuis 1992, année où la Suisse a voté de justesse contre l’adhésion à l’Espace économique européen, le soutien à l’adhésion a chuté, passant de presque 50 % à un peu plus de 10 %. Ce faisant, il souligne que les discussions sans fin avec un voisin beaucoup plus fort, qui se comporte parfois avec une certaine arrogance, n’ont pas rendu la Suisse europhile.
8 – Dans le cadre des négociations semi-permanentes à venir, le Royaume-Uni sera contraint par un manque de confiance du côté de l’Union
Le comportement des trois derniers premiers ministres conservateurs a affaibli la position de la Grande-Bretagne vis-à-vis des dirigeants européens. Ce déclin a d’abord été amorcé par David Cameron lorsqu’il était Premier ministre, par des épisodes tels que le départ du Parti populaire européen, le refus de signer le traité sur le pacte budgétaire européen et le sabotage de la campagne référendaire. Le respect pour la Grande-Bretagne s’est encore amoindri au contact de Theresa May, son gouvernement, divisé, ayant mis deux ans à élaborer un plan pour le Brexit, qu’il n’est pas parvenu à faire approuver par le Parlement. Le soft power de la Grande-Bretagne s’est ensuite effondré avec Boris Johnson, dont les paroles et les actes ont souvent consterné les amis de la Grande-Bretagne au sein de l’Union européenne. Pour ne citer que deux épisodes qui ont fait beaucoup de bruit en dehors du Royaume-Uni : sa tentative de suspension du Parlement à l’automne 2019 – ultérieurement jugée illégale par la Cour suprême britannique ; et son projet de loi sur le marché intérieur du Royaume-Uni à l’automne 2020, comprenant des clauses qui auraient permis au gouvernement d’annuler certaines parties de l’accord de retrait (concernant la frontière irlandaise) qu’il avait récemment négocié avec l’Union européenne. Johnson a désormais retiré les clauses litigieuses – mais le mal est fait. Les dirigeants européens n’ont pas confiance en la parole de son gouvernement ni en sa capacité à respecter le droit international.
Bien entendu, les dirigeants européens sont pragmatiques et traiteront respectueusement tout gouvernement que le peuple britannique choisira d’élire. Mais une grande partie de la bonne volonté que beaucoup d’entre eux ressentaient spontanément vis-à-vis du Royaume-Uni s’est évaporée. Elle pourrait revenir si les dirigeants britanniques prennent l’habitude d’être constructifs dans leurs relations avec l’Union. Mais si les gouvernements conservateurs cherchent à accroître leur popularité en dénigrant Bruxelles, le Royaume-Uni se trouvera face à un partenaire de négociation plus difficile et tatillon.
9 – Il est peu probable que la question de la réintégration du Royaume-Uni à l’Union européenne soit à l’ordre du jour avant une génération
Les sondages d’opinion suggèrent qu’une nette majorité de Britanniques est favorable à une adhésion à l’Union européenne. Si et quand les citoyens percevront l’accord actuel comme un cadre sous-optimal pour les relations entre le Royaume-Uni et l’Union, un nombre encore plus important de personnes pourraient regretter le Brexit. Cela ne signifie pas pour autant qu’il y aura une volonté suffisamment forte pour organiser un autre référendum permettant d’inverser celui de 2016. Beaucoup de Remainers pensent que le pays doit faire contre mauvaise fortune bon cœur et passer à autre chose. Keir Starmer s’est opposé au Brexit et a soutenu l’idée d’un second référendum pendant un certain temps – mais c’était avant que le Royaume-Uni ne quitte l’Union. Maintenant qu’il tente de redonner ses lettres de noblesse au parti travailliste, notamment auprès des électeurs du camp du Leave, il est peu probable que Starmer veuille faire campagne pour la réintégrer.
Bien sûr, il pourrait en être autrement si l’opinion publique changeait radicalement. Mais alors, les Britanniques désireux de rejoindre l’Union européenne seraient confrontés à un problème de taille. Si la plupart des responsables politiques des pays de l’Union européenne regrettent énormément le Brexit, ils n’accueilleraient pas favorablement une demande d’adhésion d’un gouvernement Starmer si l’opposition conservatrice restait défavorable à l’Union. En effet, il y aurait alors un risque que la Grande-Bretagne rejoigne et quitte l’Union européenne tous les deux ou trois ans. S’il existait un consensus national en faveur de l’adhésion à l’Union européenne, les dirigeants européens pourraient être intéressés. Mais il semble peu probable que le parti conservateur devienne pro-européen dans un futur proche.
Cette condition d’adhésion – un large consensus national – est plus ou moins remplie dans le cas de l’Écosse. Si l’Écosse obtenait son indépendance légalement, puis demandait à devenir membre, la plupart des dirigeants européens seraient ravis de l’intégrer à l’Union.
10 – Le Brexit a rendu l’avenir du Royaume-Uni plus incertain
En 2020, année du Covid et des négociations du Brexit, le soutien des électeurs écossais à l’indépendance a substantiellement augmenté pour atteindre environ 60 % aujourd’hui. La pandémie et les négociations commerciales ont permis au Parti national écossais (SNP) de souligner l’incompétence d’un gouvernement conservateur agissant contre les intérêts de l’Écosse. Plus le Brexit paraît nuire à l’Écosse, mieux cela vaut pour le SNP et sa politique consistant à « quitter le Royaume-Uni pour rejoindre l’Union européenne ».
Pendant la campagne du référendum et par la suite, les Écossais n’ont pas manqué de remarquer que peu de Leavers – à quelques exceptions près comme le ministre du Cabinet Office Michael Gove – se sont souciés de l’unité du Royaume-Uni. Beaucoup d’Écossais n’apprécient guère les nationalistes anglais qui ont une grande influence au sein du parti conservateur. Le SNP se dirige vers une grande victoire aux élections parlementaires écossaises de mai 2021. Il est évident que si les Premiers ministres britanniques continuent de s’opposer à un référendum écossais (comme le fait Johnson), l’Écosse ne pourra pas devenir indépendante. Toutefois, à chaque victoire du SNP, il sera de plus en plus difficile pour Londres de continuer à dire non. De ce fait, le Brexit a rendu l’indépendance plus probable.
La situation en Irlande du Nord est plus compliquée. Le protocole de l’accord de retrait relatif à l’Irlande du Nord place de facto le territoire dans l’union douanière et dans certaines parties du marché unique de l’Union européenne, et crée également des éléments de frontière dans la mer d’Irlande pour les marchandises voyageant de la Grande-Bretagne vers l’Irlande du Nord. Ces dispositions excluent la nécessité de contrôles à la frontière entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande mais ont contrarié la communauté unioniste.
Il y a beaucoup d’incertitudes sur la façon dont ces nouvelles dispositions fonctionneront en pratique et sur leur pérennité. Si les unionistes trouvent que les nouveaux contrôles aux frontières constituent une charge inacceptable, un futur gouvernement conservateur pourrait-il rompre le Protocole, comme Johnson a failli le faire il y a quelques mois ? Dans la mesure où les supermarchés du Nord déplacent déjà leurs chaînes d’approvisionnement des grossistes anglais vers ceux d’Irlande, et que les liens économiques entre le Nord et le Sud vont probablement se multiplier, une plus grande partie des Nord Irlandais va-t-elle progressivement favoriser une Irlande unie ? À tout le moins, les nouvelles dispositions créent beaucoup d’incertitudes quant à l’avenir de l’Irlande du Nord.
Conclusion
L’accord conclu la veille de Noël a très peu réglé l’avenir du Royaume-Uni et sa place en Europe, si ce n’est qu’il sera hors de l’Union européenne, au moins pour un certain temps. De nombreuses questions restent en suspens. Dans quelle mesure les règles britanniques divergeront-elles de celles de l’Union ? Les relations avec l’Union seront-elles amicales ou conflictuelles ? Seront-elles axées autour de rencontres informelles entre dirigeants ou sur la base d’un arbitrage permanent ? Le Royaume-Uni cherchera-t-il à resserrer ses liens avec l’Union européenne en matière de sécurité, de politique étrangère et de défense, ou préférera-t-il entretenir des relations avec les pays de l’« anglosphère » ? Le concept mis en avant par le président Emmanuel Macron d’une « Europe des cercles concentriques », aux bords extérieurs de laquelle le Royaume-Uni pourrait se positionner, prendra-t-il forme ? La pensée souverainiste des conservateurs fixera-t-elle encore longtemps le cap politique du Royaume-Uni, ou les fantômes de Smith, Ricardo et Keynes ne tarderont-ils pas à riposter, rapprochant le Royaume-Uni plus près de son plus grand marché voisin ?