Le message d’unité nationale de Noël du roi d’Espagne Felipe VI

Cette année, le message de Noël du roi espagnol Felipe VI à la nation était peut-être le plus attendu depuis des années, étant donné les graves conséquences de la COVID-19 dans le pays. Dans son discours le plus long à ce jour, Felipe VI a prononcé une allocution prudente et sereine dont le thème principal était la défense de l’unité nationale afin de faire face à la profonde « angoisse » générée par le coup dur de la pandémie tant pour le bien-être de la population que pour l’état de l’économie¹. Au moins depuis 2008, l’Espagne a été traversée par trois crises majeures qui ont entraîné des troubles sociaux : une crise économique qui a conduit à une crise de légitimation de l’État ; une crise régionale intensifiée par la montée du mouvement indépendantiste catalan qui a conduit à un référendum illégal en 2017 ; et une crise de l’État, qui inclut la Maison royale ainsi que dans le sillage des accusations de corruption de l’ancien monarque Juan Carlos, qui se trouve maintenant à Abu Dhabi après une enquête financière en août dernier². Bien que le discours manquait de principes de fond sur la signification de « l’unité », il était évident que le message de Felipe avait pour but à la fois de transmettre la tranquillité sociale au milieu de la polarisation politique. C’était également un discours qui s’efforçait d’établir une distance personnelle par rapport aux actions passées de son père. 

Pour avancer et retrouver la légitimité sociale de la Maison royale, Felipe a renoncé à l’héritage de son père, et dans le discours, il a fait une allusion implicite à la nécessité de la « responsabilité éthique » comme mission importante pour tout représentant politique ou social en Espagne aujourd’hui. Bien qu’il n’ait pas fait directement référence à Juan Carlos, il a fait allusion à sa précédente apparition après sa fuite l’été dernier. De plus, le message concernant la « responsabilité éthique » a également résonné en dissonance avec les bonnes tentatives de faire pression sur l’administration de Sánchez pour qu’elle gère l’épidémie. Sans aucun doute, l’accent mis sur la responsabilité politique doit être compris comme un moyen de défendre l’équilibre contre l’antagonisme politique qui prévaut entre les partis politiques. Dans ce sens, et comme certains l’ont soutenu ces dernières années, l’institution de la monarchie fonctionne toujours comme un pouvoir neutralisant l’escalade du conflit dans le pays. 

Deuxièmement, le principe d’« unité nationale » a été soutenu en invoquant l’effort collectif des travailleurs sociaux – en particulier ceux qui sont en première ligne du système de santé et hospitalier – qui ont poursuivi sur leurs épaules l’acte héroïque de s’occuper des patients les plus vulnérables de la crise COVID-19. Bien qu’il n’ait pas été autant discuté dans la presse, un facteur fondamental qui explique le lourd coup porté par la pandémie en Espagne est lié à la faiblesse des infrastructures sanitaires des systèmes hospitaliers régionaux qui ont subi des coupes budgétaires sévères au lendemain de la crise financière il y a dix ans (c’est le cas de La Rioja, la région la plus infectieuse par habitant, comme déjà analysé sur Le Grand Continent)³. Cependant, le roi n’a fait aucun geste pour faire avancer la « politique sociale », bien qu’il ait félicité la collaboration entre le gouvernement Sánchez et les efforts de l’UE dans les accords post-Covid19. Au lieu d’une réforme institutionnelle, le roi Felipe a fait allusion à la nécessité d’une « responsabilité individuelle dans un effort national collectif » pour ramener le pays à la normalité. 

Troisièmement, l’autre ingrédient de son plaidoyer pour l’unité nationale reposait sur une reprise économique saine. Ici, le public visé était évidemment le patronat espagnol, les groupes financiers et les entreprises (principalement celles du secteur du tourisme) qui ont été paralysés pendant les différentes phases des mandats de blocage de l’État. Felipe a rappelé qu’une « économie saine » est nécessaire pour faire face à la montée du chômage des jeunes, mais aussi pour éviter les troubles sociaux et l’aggravation de la fragmentation. Il ne faut pas oublier que les élections régionales catalanes sont prévues pour début février, où l’aile la plus ardente du mouvement indépendantiste catalan tente déjà d’intensifier l’agenda économique afin de provoquer une fermeture de l’Etat et de la région. Lauras Borràs, le nouveau leader du mouvement indépendantiste catalan, dans son compte Twitter a rapidement tourné en dérision l’appel du roi à l’unité sociale⁴. 

Dans l’ensemble, le message de Felipe VI était une défense de la centralisation qui rassurait la société civile sur « la force de la structure avancée de l’État espagnol, qui est un produit de la conception constitutionnelle de la transition de 1978 ». Et bien qu’il soit encore difficile de voir quelles sortes de contradictions émergent en Espagne pendant la phase de distribution du vaccin COVID-19, ce sera très certainement le moment de tester l’efficacité et les capacités administratives de l’État par rapport aux autonomies régionales. Le ministre de la santé, Salvador Illa, a promis 15 à 20 vaccinations d’ici début juin 2021⁵. Le succès ou les insuffisances du plan de distribution des vaccins seront le facteur clé pour comprendre les changements politiques en Espagne au cours du premier semestre 2021.