Alors que tous les yeux se sont tournés vers les États-Unis, où la victoire de Joe Biden dans la course à la Maison Blanche est désormais acquise, une autre campagne, et une autre élection, sont en train de passer inaperçues. Pourtant, leur issue, quasiment concomitante avec les derniers soubresauts de la présidentielle américaine, pourrait être affectée par ces derniers. Elle pose aussi la question de la résilience de l’ordre international multilatéral né au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Un ordre international que Donald Trump a durant quatre années mis à rude épreuve, et que son successeur démocrate semble plus déterminé à sauver1.
Changement à la tête de l’OMC
C’est du côté de Genève qu’il faudra regarder en cette fin d’année, quand devrait s’achever la dernière phase de sélection d’un nouveau Directeur général pour l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC)2. Pour la première fois en vingt-cinq ans d’existence, l’OMC sera, quoiqu’il arrive, dirigée par une femme, les deux candidats encore en lice étant des candidates. Et pour la première fois aussi, les 164 pays membres pourraient désigner un ressortissant du continent africain à la tête de l’Organisation, en la personne de la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala, favorite à l’heure où nous écrivons ces lignes3. Si l’on précise que l’OMC elle-même s’inscrit dans la continuité du système instauré par l’Accord Général sur les Tarifs douaniers et le Commerce (GATT), signé en 1947, une telle désignation constituerait un tournant symbolique dans une histoire longue de soixante-dix ans4. La question demeure de savoir s’il faudra se contenter de cela – un symbole – ou si la nouvelle Directrice générale disposera d’une marge de manœuvre suffisante, dans une institution très marquée par l’inter-gouvernementalisme, pour faire face aux problèmes nombreux qui grippent aujourd’hui le système commercial international.
Les fonctions variées et variables du Directeur général
Le rôle du Directeur général n’est pas défini dans l’Accord de Marrakech, qui donne naissance à l’OMC en 1995. Son Article VI(2) ne fait qu’appeler la Conférence Ministérielle, instance de décision suprême de l’Organisation5, à désigner un Directeur général et à adopter « des règles énonçant les pouvoirs, les attributions, les conditions d’emploi et la durée du mandat » de celui-ci. Cependant, seul ce dernier point, un mandat de quatre ans renouvelables, ainsi que la procédure de désignation, fondée sur la consultation et un vote en dernier recours, ont finalement été formellement adoptés par les pays membres en 20026. Cette lacune explique qu’en pratique, les capacités d’action du Directeur général aient varié au fil des années, en fonction des personnalités et surtout de la volonté des États à faire évoluer l’Organisation. Il est néanmoins possible d’énumérer quelques fonctions clés.
D’abord, un rôle administratif est dévolu au Directeur général. Il est notamment chargé d’établir les règles de gestion qui permettent de mettre en œuvre le Règlement financier adopté par le Conseil général, second niveau d’autorité de l’OMC. Ce Règlement lui-même est d’importance, puisqu’il détermine les conditions d’utilisation du budget de l’Organisation, issu des contributions des États membres à mesure de leur poids dans les échanges internationaux. Le Directeur général est aussi responsable des nominations du personnel du Secrétariat, qui compte aujourd’hui environ 700 personnes, et de déterminer les conditions d’exercice de leurs fonctions. Enfin, il représente officiellement l’OMC auprès des États et autres organisations internationales avec lesquelles elle collabore sur nombre de sujets. Il coordonne ainsi, par exemple, le travail avec les agences partenaires et les donateurs du Cadre intégré renforcé, qui assiste les pays les moins avancés (PMA) dans leur utilisation du commerce international comme outil de croissance et de réduction de la pauvreté7.
Le Directeur général joue ensuite un rôle dans la résolution des différends à l’OMC, puisqu’il peut être amené à désigner un panéliste (arbitre des différends commerciaux internationaux) en cas de désaccord entre les parties, et coordonne en général la résolution des différends impliquant les PMA à travers la médiation et la conciliation8.
Surtout, le Directeur général est une personnalité centrale dans la fonction de négociation de l’Organisation, puisqu’il doit favoriser l’obtention d’un consensus entre les pays membres sur l’établissement de nouvelles règles commerciales. Fin 2013, les efforts de Roberto Azevêdo avaient permis d’arriver à un accord sur le « Paquet de Bali »9, avec des engagements renforcés en matière de facilitation des échanges, de réduction des subventions à l’export de produits agricoles, et d’aide au développement par une exemption accrue des droits de douanes sur les importations originaires des PMA10. En tant que Président du Comité des Négociations Commerciales, le Directeur général joue aussi un rôle moteur dans la résolution de problèmes liés à la mise en œuvre des engagements pris par les pays membres à l’OMC. Sous le mandat de Pascal Lamy, le Comité était ainsi parvenu à un compromis sur l’établissement d’un mécanisme de transparence pour les accords commerciaux régionaux, mettant fin à une impasse de plusieurs années sur la question11. L’obtention du consensus implique parfois l’organisation par le Directeur général des fameuses réunions en « Green Room », rassemblements informels d’un groupe limité de pays membres destinés à obtenir une masse critique d’accords sur un sujet particulier. Si ces réunions ont fréquemment été condamnées, notamment par les petits pays, pour leur effet d’exclusion et leur manque de transparence, elles pourraient encore aujourd’hui s’avérer précieuses dans la résolution des conflits auxquelles devra faire face la prochaine Directrice générale de l’OMC, notamment en ce qui concerne le blocage de l’Organe d’Appel et la confrontation de puissances entre les États-Unis et la Chine.
Au-delà de l’Organe d’Appel, les blocages persistant à l’OMC
De ces problèmes, les deux candidates se sont montrées soucieuses dans leurs campagnes respectives. Yoo Myung-Hee, actuelle Ministre du commerce en Corée du Sud, parle de la nécessité de renouveler l’OMC dans un contexte de menace protectionniste croissante et de tensions commerciales exacerbées12. Forte d’avoir négocié des accords de libre-échange avec la Chine aussi bien qu’avec les États-Unis, elle a une conscience aiguë de leurs désaccords fondamentaux, mais espère que l’OMC pourra jouer un rôle dans leur résolution, au moins en tant que plateforme de dialogue sur les sujets strictement commerciaux13. Comme elle, Okonjo-Iweala, deux fois Ministre des finances au Nigéria, mais aussi ex-numéro deux de la Banque Mondiale et membre du conseil d’administration de Twitter (elle possède la nationalité américaine depuis 2019), se montre optimiste sur les intérêts de Beijing et de Washington à résoudre leurs différends. Les deux finalistes constatent cependant que l’opposition entre ces pays découle en partie d’un échec de l’OMC à convenir de règles commerciales qui prennent en compte la réalité de coexistence, au niveau mondial, de modèles économiques très différents14.
Comme nous le soulignions en décembre dernier, au moment où l’Organe d’Appel entrait en paralysie des suites du blocage des nominations de ses membres par les États-Unis, l’OMC s’avère victime de l’incapacité de nombre de pays à s’accorder sur la manière dont devrait évoluer le système d’échanges commerciaux internationaux15. La frustration de Washington à l’égard de l’OA, qui aurait outrepassé ses attributions dans son interprétation des accords de l’OMC, ne peut être lue séparément de cette fragilité de la fonction de négociation de l’Organisation. Certaines des décisions de l’OA jugées problématiques par les États-Unis, et dans une moindre mesure par Bruxelles, telles que sa définition relativement restrictive de ce qui constitue une subvention industrielle, résultent de vides juridiques que les membres de l’OMC n’ont pu ou voulu combler. Dix-neuf ans après l’adhésion de la Chine à l’Organisation, force est de constater que les modèles de croissance et d’intervention de l’État dans l’économie n’ont pas convergés, et que le « level playing field », cette situation de juste concurrence entre pays et industries nationales, est encore hors d’atteinte. Aux États-Unis comme en Europe et ailleurs, ce constat se double d’un rejet populaire croissant de la mondialisation, encore accentué tout récemment par la pandémie de Covid-19. Sans volonté politique forte pour la formulation de nouvelles règles commerciales, l’espoir de progrès s’amenuise. Yoo Myung-Hee et Ngozi Okonjo-Iweala présentent toutes deux des atouts considérables pour remplir un rôle de médiateur efficace dans d’éventuelles négociations multilatérales, mais dans un tel contexte, il est difficile d’imaginer un consensus se former sur les sujets sensibles. De plus en plus, ces derniers sont discutés entre like-minded, en dehors du cadre de l’OMC. Ainsi, pour traiter de subventions industrielles et de transfert forcé de technologie – c’est-à-dire surtout des pratiques commerciales chinoises jugées déloyales – les États-Unis, l’Europe et le Japon se sont depuis 2017 régulièrement réunis en format trilatéral hors de Genève16. Il reste à savoir si un accord au niveau de ces trois puissances pourrait par la suite constituer une masse critique susceptible d’inciter la Chine à s’asseoir à la table des négociations, à l’OMC ou ailleurs.
Les divergences touchent aussi des discussions d’apparence moins délicates sur l’élaboration de normes en matière de commerce électronique, ou plus généralement l’adaptation du système multilatéral à l’essor de la part des services dans les échanges mondiaux17. Là encore, on distingue les racines du mécontentement de Washington. Le succès du GATT puis de l’OMC en termes de libéralisation du commerce des biens profite désormais moins à des pays à faible excédent manufacturier et fort excédent dans les services, comme les États-Unis, relativement aux usines du monde que constituent les pays comme la Chine18.
Devant de tels blocages, les deux candidates ont relevé l’importance que revêtirait l’obtention de ne fût-ce qu’un accord en termes de restauration de la crédibilité de l’Organisation. La Coréenne et la Nigériane ont ainsi mis en avant la possibilité d’un consensus sur les subventions à la pêche lors de la Douzième Conférence Ministérielle, initialement prévue en juin 2020 et repoussée pour l’instant à juin 202119. Très spécifique, un tel texte présenterait toutefois l’avantage de toucher au développement durable, puisque les pays membres convergeraient surtout sur une interdiction des subventions contribuant à la pêche illégale et à la surpêche, ainsi que de certaines subventions au fuel20. Cependant, même sur ce sujet subsistent des points d’achoppement, qui tiendraient même à la définition de ce que constituerait un « poisson » dans le futur accord21.
Mais ce sont d’autres désaccords encore, que la désignation de Okonjo-Iweala comme nouvelle Directrice générale mettrait tout particulièrement en lumière ; ceux qui concernent le statut des pays en voie de développement dans le système de l’OMC.
Entre Commission géopolitique et position américaine, la question des pays en voie de développement à l’OMC
Il n’existe pas formellement de principe de rotation régionale à la tête de l’OMC, et on peut affirmer que les précédents Directeurs généraux n’ont pas été désignés sur la base d’une quelconque appartenance géographique. Néanmoins, le processus de sélection demeure, par sa nature même – une longue phase de consultations des pays membres, individuellement ou en groupes, avec tout ce que cela peut impliquer de jeux d’influence et de revirements – très politique. Nombre de considérations peuvent entrer en ligne de compte dans une décision de soutenir un candidat particulier. La prise de position de l’Union européenne en faveur de la candidate Nigériane est à cet égard intéressante.
On peut en effet la relier au récit d’une « Commission géopolitique » introduit par la Présidente Ursula Von der Leyen. Il été récemment souligné combien ce terme se prêtait difficilement à la définition22. Cependant, il semble possible d’y voir une volonté pour l’Union de se positionner comme un acteur à part entière des relations internationales, pour traiter d’égal à égal avec les géants américain, chinois ou russe. En se faisant géopolitique, l’Union européenne doublerait son statut de mastodonte économique d’une ambition de puissance proprement politique, capable de projeter ses normes et valeurs et de défendre ses intérêts stratégiques. L’OMC, parce qu’elle se situe justement à l’intersection des matières économiques et diplomatiques, tout en traitant de questions commerciales pour lesquelles l’Union est juridiquement compétente, s’impose comme un forum particulièrement propice à la manifestation d’une telle ambition. A ce titre, il faut remarquer que si chaque État Membre de l’UE est individuellement membre de l’OMC, il n’en demeure pas moins que Bruxelles considère l’Organisation genevoise comme un lieu où l’Union ne doit pas apparaître en ordre dispersé. C’est ainsi que fin octobre, au niveau des Représentants permanents à Bruxelles, les quelques oppositions de pays de l’Est au soutien européen de la candidate Nigériane avaient finalement été levées, et une procédure écrite lancée pour autoriser l’Union à exprimer la position commune au prochain Conseil Général de l’OMC. Ce soutien précieux du plus gros bloc commercial au monde aurait pu être déterminant dans la désignation de la nouvelle Directrice générale. Mais c’était sans compter l’intervention américaine.
Le 28 octobre dernier, les Etats-Unis de Trump ont en effet été les seuls à s’exprimer contre la nomination de Okonjo-Iweala, pourtant plébiscitée par une majorité de pays23. Officiellement, Washington a dit considérer la Coréenne Yoo Myung-hee comme plus apte à occuper le plus haut poste de l’OMC du fait de sa longue expérience de négociatrice commerciale pour son pays24. Officieusement cependant, des sources proches de Robert Lightizer, l’actuel Représentant au Commerce américain (USTR), laissent entendre que Okonjo-Iweala déplairait aussi pour d’autres raisons25. Par une administration connue pour ses coups d’éclats protectionnistes et unilatéralistes, la Nigériane serait perçue comme trop internationaliste, notamment du fait de sa proximité avec des personnalités telles que Robert Zoellick, lui-même ancien USTR et ardent promoteur du libre-échange, avec qui elle a longtemps collaboré à la Banque Mondiale26.
Quoi qu’il en soit, la désignation du Directeur général devant normalement faire l’objet d’un consensus des 164 membres de l’Organisation, le veto américain suffit pour l’heure à bloquer la nomination de la Nigériane, dans une situation qui rappelle en tous points le sort de l’Organe d’Appel de l’OMC, en sommeil depuis près d’un an. Là aussi, on ne peut exclure que le processus s’éternise si les États-Unis persistent dans leur préférence pour la candidate coréenne face à une majorité favorable à Okonjo-Iweala. De fait, un nouveau Conseil Général, initialement prévu le 9 novembre pour considérer la nomination de la nouvelle Directrice Générale, a été reporté jusqu’à nouvel ordre…27 Quant au vote, dernier recours prévu par les règles de désignation de 2002 et qui permettrait aujourd’hui d’élire une Directrice générale sans obtenir de consensus, il pourrait être écarté pour des raisons politiques, un contournement de la première puissance économique mondiale présentant un coût trop élevé. Preuve s’il en fallait de cette réalité, l’option du vote, pourtant envisageable en théorie s’agissant des nominations à l’Organe d’Appel, n’a jusqu’alors pas été exploitée28. Bien consciente de tenir là un levier supplémentaire de négociation de ses intérêts, et fidèle à sa doctrine de « pression maximale », l’Administration Trump pourrait donc très prosaïquement s’opposer à toute nomination moins par rejet de l’une ou l’autre candidate que dans le but d’obtenir des concessions, quel qu’en soit le prix en termes de délégitimation de l’institution multilatérale.
Dans ces conditions, il paraît raisonnable de penser que l’attente se prolongera jusqu’à l’investiture de Joe Biden. Toutefois, on peut aussi craindre que ce dernier n’ait pas non plus pour priorité, à son arrivée à la Maison Blanche, de libérer l’OMC de ce nouveau blocage.
Il convient en effet de noter que les griefs de Washington à l’encontre de l’Organisation genevoise sont largement bipartisans, et que les premières occurrences de veto américains aux nominations à l’Organe d’Appel datent de la présidence Obama, et donc de la Vice-Présidence Biden29. Il est impossible de savoir si Obama serait, comme Trump, allé jusqu’à provoquer le blocage complet de l’OA, tel qu’il est survenu fin 2019, ni même si Biden l’aurait soutenu dans cette entreprise. Cependant, il est permis de s’interroger sur la volonté de la nouvelle administration démocrate à se montrer plus conciliante avec l’OMC tant que la Chine, avec laquelle le nouveau Président devrait poursuivre une approche presque aussi agressive que son prédécesseur30, refusera d’y discuter de nouvelles règles. À ce titre, les espoirs placés en Joe Biden résident moins dans un éventuel changement de cap sur les questions commerciales que dans l’attente d’un retour, post-Trump, à une approche plus classique des institutions internationales et du multilatéralisme en général. Dans cette perspective est soulignée la volonté du prochain occupant de la Maison Blanche à travailler avec ses alliés traditionnels, notamment européens, au maintien d’un ordre international stable fondé sur des règles négociées, système dont les États-Unis comme les nations européennes ont été les principaux architectes au lendemain de la Seconde Guerre mondiale31.
C’est donc peut-être dans ce rôle d’alliée influente, en faveur du multilatéralisme, que pourrait entre autres s’affirmer une Europe géopolitique. Et un exemple des formes que pourrait prendre cet effort européen est celui de la défense du statut des pays en voie de développement à l’OMC.
En effet, si le soutien à la candidate Nigériane représente un outil d’affirmation géopolitique pour l’Union, ce n’est peut-être pas seulement parce que la Commission von der Leyen a depuis ses premiers jours mis le continent africain au cœur de ses priorités32. La désignation de Okonjo-Iweala représenterait plus généralement un affermissement de la place des pays en voie de développement au sein de l’Organisation, qui est justement remise en cause par les États-Unis.
En effet, plusieurs accords de l’OMC ménagent pour ces pays un certain nombre d’avantages et d’exceptions aux engagements mutuels, qualifiés de « traitement spécial et différencié » (TSD). Celui-ci doit en théorie leur permettre d’utiliser les échanges commerciaux comme outil de développement tout en évitant une mise en concurrence rude de leurs industries nationales avec les importations étrangères. Pour Washington, un trop grand nombre de pays, et en premier lieu la Chine, continueraient de profiter d’un tel traitement de faveur sans que leur situation économique actuelle ne le justifie. Là encore, l’OMC aurait péché en ne posant pas de critères objectifs de ce que devrait être un pays en voie de développement, et en laissant au contraire ces derniers s’auto-désigner33. Si elle partage avec les États-Unis l’idée d’une nécessaire refonte de la liste des pays bénéficiaires du TSD, l’Union européenne ne suit pas Washington dans les moyens qu’elle estime pertinents d’utiliser pour ce faire. Alors que Donald Trump préconise que les États-Unis cessent unilatéralement de considérer comme pays en voie de développement les membres de l’OMC qui ne satisferaient pas à certains critères, Bruxelles privilégie l’introduction de nouvelles flexibilités au niveau multilatéral pour adapter le TSD aux besoins spécifiques de chaque pays34. Entre ces deux positions, l’enjeu fondamental demeure celui de la distribution des fruits de la libéralisation commerciale au niveau mondial, et du sort d’un objectif général de développement qui se trouvait dès la naissance de l’OMC au centre de sa mission35.
Le soutien de l’UE à Okonjo-Iweala pour le poste de Directrice générale (et plus tôt dans le processus de sélection à d’autres candidatures africaines) représenterait donc peut-être, au moins symboliquement, un engagement à résoudre de manière multilatérale et négociée ce problème du TSD, en remettant en centre du débat les principaux intéressés que sont les pays en développement. La candidate Nigériane serait d’ailleurs particulièrement apte à faciliter les discussions sur ce sujet, dans la mesure où elle a derrière elle une longue carrière de travail sur les problématiques de développement à la Banque Mondiale.
Ainsi, bien que la prise de position d’une Commission géopolitique en faveur de Okonjo-Iweala ait cela de commun avec l’actuelle opposition américaine à sa nomination qu’elle doive être lue d’abord comme une manifestation de puissance, elle s’en distingue par ses effets. Quand Washington oscille encore entre opérations de fragilisation de l’ordre international et signaux d’apaisement, l’Union continuerait quoiqu’il arrive de rechercher la réaffirmation de ce dernier, y compris par le renforcement des organisations internationales et des règles multilatérales qui y sont négociées. Pour ce qui concerne l’OMC, un tel renforcement semble d’autant plus nécessaire que ces deux élections, à la Maison Blanche et à Genève, demeurent si anormalement liées.
Sources
- Kemal Dervis, ‘Can Biden save the world ?’, Brookings, 8 October 2020, https://www.brookings.edu/opinions/can-biden-save-the-world/
- Le précédent Directeur général, le Brésilien Roberto Azevêdo, a prématurément quitté son poste en mai dernier, pour « raisons familiales ».
- ‘Ngozi Okonjo-Iweala is the favourite to lead the WTO’, The Economist, 22 October 2020, https://www.economist.com/finance-and-economics/2020/10/22/ngozi-okonjo-iweala-is-the-favourite-to-lead-the-wto
- World Trade Organization, Previous GATT and WTO Directors-General, https://www.wto.org/english/thewto_e/dg_e/exdgs_e.htm
- Elle rassemble tous les pays membres de l’OMC, et se réunit habituellement tous les deux ans.
- World Trade Organization General Council, Procedures for the Appointment of Directors-General, WT/L/509, Adopted on 10 December 2002, 20 January 2003
- Ministerial Declaration Adopted on 14 November 2001, Ministerial Conference Fourth Session, Doha, 9-14 November 2001, WT/MIN(01)/DEC/1 (20 November), para 39
- Articles 22.6 and 24.4, Understanding on Rules and Procedures Governing the Settlement of Disputes, Marrakesh Agreement Establishing the World Trade Organization, Annex 2, 1869 U.N.T.S. 401, 33 I.L.M. 1226 (1994)
- Du nom de la ville où se tenait la neuvième Conférence Ministérielle.
- ‘A Bali, l’OMC conclut un accord « historique »’, Le Monde, 7 décembre 2013, https://www.lemonde.fr/economie/article/2013/12/07/a-bali-l-omc-conclut-un-accord-historique_3527224_3234.html
- Lamy welcomes WTO agreement on regional trade agreements, WTO News, 10 July 2006, https://www.wto.org/english/news_e/news06_e/rta_july06_e.htm
- Yoo Myung-Hee, Envisioning a Renewed WTO, http://www.yoomyunghee.com/vision.html
- ‘Korean Minister Vows to Revitalize WTO if Elected as Chief’, Interview with Korean Trade Minister Yoo Myung-Hee, Bloomberg, 25 September 2020 ; Ngozi Okonjo-Iweala and David Dollar, ‘Ngozi Okonjo-Iweala’s vision for the WTO’ [podcast], Brookings, 21 September 2020, transcript at https://www.brookings.edu/podcast-episode/ngozi-okonjo-iwealas-vision-for-the-wto/?utm_source=feedblitz&utm_medium=FeedBlitzRss&utm_campaign=brookingsrss/programs/global
- ‘Yoo Myung-Hee : US-China style trade wars could proliferate without WTO ‘reinvention’, Korean candidate says’, South China Morning Post, 1 September 2020
- Diane Cosson, ‘L’OMC est en train d’imploser’, Le Grand Continent, 8 décembre 2019
- Voir par exemple : Joint Statement of the Trilateral Meeting of the Trade Ministers of Japan, the United States and the European Union, Washington, 14 January 2020, https://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2020/january/tradoc_158567.pdf
- Ngozi Okonjo-Iweala et David Dollar (n 14).
- Deniz Ünal, ‘Spécialisations USA-UE-Chine et perspectives du commerce mondial’, CEPII Le Blog, 5 décembre 2018.
- Ngozi Okonjo-Iweala et David Dollar (n 14) ; Yoo Myung-Hee, Presentation to the WTO General Council, https://www.wto.org/english/thewto_e/dg_e/dgsel20_e/stat_kor_e.pdf
- International Institute for Sustainable Development, ‘WTO Members Agree on Work Programme to Advance Fisheries Subisidies Negotiations’, 28 July 2020, https://sdg.iisd.org/news/wto-members-agree-on-2020-work-programme-to-advance-fisheries-subsidies-negotiations/
- World Trade Orgnization, ‘WTO members search for compromise as text-based negotiations on fishing subsidies continue’, 9 October 2020, https://www.wto.org/english/news_e/news20_e/fish_09oct20_e.htm
- Florian Louis, ‘Quatre Problèmes Géopolitiques de la Commission Géopolitique’, Le Grand Continent, 8 septembre 2020, https://legrandcontinent.eu/fr/2020/09/08/commission-geopolitique/
- World Trade Organization, ‘Members Indicate Strong Preference for Ngozi Okonjo-Iweala as DG but US objects’, 28 October 2020, https://www.wto.org/english/news_e/news20_e/dgsel_28oct20_e.htm
- Office of the United States Trade Representative, ‘Statement from the Office of the U.S. Trade Rrepresentative on the WTO Director-General Selection Process’, 28 October 2020, https://ustr.gov/about-us/policy-offices/press-office/press-releases/2020/october/statement-office-us-trade-representative-wto-director-general-selection-process
- Bryce Baschuk, ‘U.S. Sows WTO Turmoil by Vetoing Front-Runner for Top Job’, Bloomberg, 28 octobre 2020, https://www.bloomberg.com/news/articles/2020-10-28/wto-panel-said-to-recommend-nigeria-s-candidate-for-top-post.
- Robert Zoellick, bien que membre du Parti Républicain, est aussi un célèbre opposant à Donald Trump. Voir par exemple : Robert Zoellick, ‘Trump Gets It Wrong : Trade is a Winner for Americans’, The Wall Street Journal, 8 August 2016
- World Trade Organization, General Council meeting on DG election postponed, 6 November 2020, https://www.wto.org/english/news_e/news20_e/dgsel_06nov20_e.htm?utm_source=dlvr.it&utm_medium=twitter&fbclid=IwAR3rvJYuK7FBmu_0VPcqU-0-hKhzFocwGVi0wyN-mx4EanIgrnjJ5N6ucKc
- Jennifer Hillman, ‘Three Approaches to Fixing the World Trade Organization’s Appellate Body : The Good, the Bad and the Ugly ?’, Institute of International Economic Law, https://www.law.georgetown.edu/wp-content/uploads/2018/12/Hillman-Good-Bad-Ugly-Fix-to-WTO-AB.pdf
- Diane Cosson (n. 15)
- Irene Entringer Garcia Blanes, Alexandra Murphy, Susan Peterson, Ryan Powers, Michael J. Tierney, ‘Poll : How Biden and Trump Differ on Foreign Policy’, Foreign Policy, 22 October 2020, https://foreignpolicy.com/2020/10/22/poll-how-biden-and-trump-differ-on-foreign-policy/#
- Idem.
- Ursula von der Leyen, ‘A Europe that strives for more : My Agenda for Europe’, 2019, https://ec.europa.eu/commission/sites/beta-political/files/political-guidelines-next-commission_en.pdf
- Donald J. Trump, Memorandum on Reforming Developing-Country Status in the World Trade Organization, 26 July 2019, https://www.whitehouse.gov/presidential-actions/memorandum-reforming-developing-country-status-world-trade-organization/
- European Commission, Concept Paper on WTO modernization, 29 june 2018, https://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2018/september/tradoc_157331.pdf, p. 7
- Idem, p. 6