Alors que l’adoption d’un pacte vert pour l’Europe, communément appelé « Green Deal », entérine une nouvelle stratégie de croissance pour l’UE, la saisine de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) le 30 octobre 2020 par la Commission européenne à l’encontre de l’Etat français1 démontre le rapport ambivalent entre la prise d’engagements et leur réalisation. Ce recours intervient face au constat d’une mauvaise qualité de l’air due à des niveaux élevés de particules fines (PM10). En d’autres termes, la France n’a pas respecté ses engagements pris dans la directive du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe2. La pollution atmosphérique était déjà considérée comme une priorité de l’Union européenne, au regard de ses effets nocifs sur la santé humaine et sur l’environnement. Outre un vecteur de coûts externes, la pollution atmosphérique demeure la première cause de décès prématurés liée à l’environnement dans l’Union européenne, avec plus de 400 000 décès prématurés par an selon l’Agence européenne de l’air.3

Ce constat alarmant est le moteur d’un encadrement européen des niveaux de pollution atmosphérique, et ce d’autant plus que la pollution ne s’arrête pas aux frontières nationales. La directive de 2008 incarne cette ambition de garantie de la qualité de l’air.4 Trois niveaux d’exigences étaient prévus dans cette directive. Le premier s’applique dans un contexte de bonne qualité d’air. Les États doivent maintenir les niveaux des polluants, dont les particules PM 10, en deçà des valeurs limites, voire améliorer la qualité de leur air ambiant.5 Cette obligation de maintien en deçà des valeurs limites s’articule avec le deuxième et troisième engagement, à savoir veiller à ce que les États membres ne dépassent pas, dans leurs zones et agglomérations, les valeurs limites6 et les niveaux critiques7 de particules fixées par la directive. En situation de dépassement, il revient aux États membres d’adopter les mesures adéquates pour revenir au premier niveau d’exigence, à travers l’adoption de plans relatifs à la qualité de l’air. 

Les différentes obligations des États ont généré un résultat sans appel : « depuis 2000, le PIB de l’UE a augmenté de 32 %, tandis que les émissions des principaux polluants atmosphériques ont baissé de 10 % à 70 % en fonction du polluant »8. Mais ce constat général ne vaut pas pour l’ensemble du territoire européen, à commencer par les régions urbanisées, ni pour l’ensemble des polluants atmosphériques. 

Les pays européens, bon indice de performance environnementale

En France, un non-respect des niveaux limites de pollution de l’air 

Le recours de la Commission européenne à l’égard de l’État français illustre cette inégalité de la qualité de l’air au sein de son territoire. Cette dernière observe le non-respect systématique des règles de la directive relatives aux valeurs limites pour les particules fines PM10 dans les zones de Paris et de la Martinique sur une durée de, respectivement, douze et quatorze ans9. La durée de ce dépassement et l’absence de mesures pour y remédier constituent la matrice de ce recours juridictionnel. 

Si une saisine de la Cour peut apparaître comme les prémices d’une procédure juridictionnelle, elle est pourtant le résultat d’un long dialogue institutionnel mis en échec. En l’occurrence, la France est visée par une procédure en manquement régie aux articles 258 et 260 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Cette procédure fait l’objet d’une phase précontentieuse, qui se décline notamment par une lettre du 22 février 2013 de mise en demeure par la Commission européenne. Cette étape invite l’État à présenter ses observations dans le délai fixé dans la mise en demeure et donc à préparer sa défense. Faute de réponse ou d’éléments suffisants de réponses sur la violation de ses obligations européennes, la Commission européenne émet un avis motivé10. L’avis de la Commission, en date du 29 avril 2015, invitait la France à prendre des mesures ambitieuses, rapides et efficaces afin que la période de non-conformité, constatée depuis 2005, soit la plus courte possible. Sans être contraignant, cet avis incarne une demande formelle de se conformer au droit de l’Union. En l’absence d’une mise en conformité de l’État membre, la Commission peut décider de saisir la Cour de justice.

C’est donc à cette dernière étape que se situe la France dans le cadre de ce recours sur les particules PM10. Il revient désormais à la Cour de justice de statuer si le dépassement des niveaux des valeurs limites des particules fines constitue un manquement de l’État français à ses obligations prévues par la directive de 2008. Il doit cependant être relevé que la procédure précontentieuse a permis de réduire de manière drastique le champ géographique de l’infraction. Alors que l’avis motivé dénombrait 10 zones de dépassement des particules fines, respectivement Paris, Lyon, Grenoble, Marseille, la zone urbaine régionale de la région PACA, Vallée de l’Arve, Nice, Toulon, Douai-Béthune-Valenciennes et la Martinique, la Cour ne se prononcera que sur le dépassement des niveaux de particules fines sur les zones de Paris et de la Martinique. Cette diminution du rayon géographique de l’infraction est le résultat du dialogue institutionnel de la phase précontentieuse, dont l’objet principal est de mettre fin à ce manquement sans avoir recours à la phase juridictionnelle. 

Nonobstant cette diminution du rayon géographique de l’infraction, les risques d’une condamnation sont assez élevés, et ce d’autant plus que la France a déjà fait l’objet de plusieurs condamnations récentes en la matière. En 2019, l’État français a été condamné par la CJUE pour un dépassement des valeurs limites de dioxyde d’azote (NO2) depuis 2010 dans douze agglomérations françaises : Paris, Marseille, Lyon, Nice, Toulouse, Montpellier, Strasbourg, Reims, Grenoble, Clermont-Ferrand, Toulon et la vallée de l’Arve11. Cette condamnation résonne avec l’actuelle procédure de manquement, puisqu’elle résulte d’obligations prévues dans la directive de 2008. Mais le risque d’une condamnation européenne est accrédité par la condamnation de l’État français le 12 juillet 2017 par le Conseil d’État pour les dépassements des valeurs limites de particules fines (PM10) et de dioxyde d’azote12. Cette condamnation fait écho avec la procédure européenne, dès lors qu’elle vise la même source de polluants ainsi que la même violation aux obligations européennes. La décision du Conseil d’État avait même fait l’objet d’une condamnation supplémentaire de l’État français le 20 juillet 2020. Plus précisément, pour ne pas avoir pris les mesures pour ramener les concentrations en dioxyde d’azote et en particules fines PM10, comme le Conseil d’État l’avait exigé en 2017, l’État est condamné à une astreinte de 10 millions d’euros par semestre de retard à compter du 20 janvier 2021.13

Ces condamnations cristallisent l’inaction de l’État français, qui est par ailleurs le fondement de l’actuelle procédure en manquement menée par la Commission européenne. Si les probabilités d’une condamnation sont élevées, elle n’aboutira à aucune sanction financière. L’originalité de la procédure en manquement est de rendre contraignante l’obligation pour l’Etat de mettre un terme à la pollution de l’air dans les zones concernées. Une sanction financière n’interviendra que par une seconde procédure juridictionnelle, dans le cas où l’État ne respecte pas les termes de l’arrêt de la CJUE. En raison de la récente décision du Conseil d’État, et de surcroît de l’astreinte relativement élevée en situation d’inaction de l’État français, ce deuxième scénario s’avère peu probable. 

Des manquements fréquents en Europe

La France n’est toutefois pas un cas isolé dans l’Union européenne. Plusieurs États membres ont fait l’objet d’une procédure en manquement pour ne pas avoir respecté leurs obligations en matière de pollution de l’air14. En revanche, une condamnation juridictionnelle n’est intervenue que pour quatre États. La condamnation de la Bulgarie en 2017 par la CJUE pour un dépassement des valeurs de concentration de particules fines dans l’air dans 6 zones entre 2007 et 2014 constitue le premier arrêt en la matière15. S’ensuit la condamnation de la Pologne en 2018 concernant un taux élevé de concentration de particules fines dans l’air dans 35 zones entre 2007 et 201516 et la France en 2019 concernant les émissions de dioxyde d’azote17. Plus récemment, la Roumanie a été condamnée le 30 avril 2020 pour un dépassement des valeurs de particules fines entre 2007 et 201618, ainsi que l’Italie, le 10 novembre 2020, pour une pollution aux particules fines entre 2008 et 2017 dans plus d’une vingtaine de zones19. L’introduction de procédures juridictionnelles devrait se poursuivre tant le niveau de concentration de sources de polluants de l’air continu en 2019 de dépasser les valeurs limites européennes dans une grande majorité des États membres20.

La saisine de la Cour de justice, et de surcroît les différentes séries de condamnations et d’introduction de procédure en manquement, mettent en exergue les difficultés pour les États à respecter leurs engagements. Sans être un instrument palliatif aux sources de pollution de l’air, ces procédures juridiques révèlent ainsi une appréhension ambivalente des États sur le prisme environnemental. Concrètement, ces procédures sont symptomatiques d’une difficile conciliation entre impératif économique et environnemental de l’Union européenne. Elles s’inscrivent toutefois dans un contexte de renforcement des obligations climatiques, matérialisé par l’actuelle négociation des différents mécanismes de mise en œuvre du pacte vert21. Le processus de révision du paradigme de l’Union européenne, et de surcroît des États membres, demeure à un stade embryonnaire. 

Sources
  1. Commission européenne, Qualité de l’air : la Commission décide de saisir la Cour de justice d’un recours contre la France, 30 octobre 2020, IP/20/1880.
  2. Directive 2008/50/CE du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe, JOCE, L 152/1 11.6.2008.
  3. Air quality in Europe — 2019 report1994-2019EEA Report No 10/2019
  4. Il doit être cependant précisé que cette directive est le prolongement de précédentes directives règlementant respectivement plusieurs polluants comme la directive 96/62/CE du 27 septembre 1996 concernant l’évaluation et la gestion de la qualité de l’air ambiant, la directive 1999/30/CE du 22 avril 1999 relative à la fixation de valeurs limites pour l’anhydride sulfureux, le dioxyde d’azote et les oxydes d’azote, les particules et le plomb dans l’air ambiant, la directive 2000/69/CE du 16 novembre 2000 concernant les valeurs limites pour le benzène et le monoxyde de carbone dans l’air ambiant ou la directive 2002/3/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 février 2002 relative à l’ozone dans l’air ambiant.
  5. Art. 12, directive 2008/50/CE, préc.
  6. Art. 13, directive 2008/50/CE, préc.
  7. Art. 14, directive 2008/50/CE, préc.
  8. AEE (2017) « Air quality in Europe – 2017 Report » : entre 2000 et 2015, les émissions ont diminué dans l’UE, de 8 % (ammoniac) à 72 % (oxydes de soufre).
  9. Commission européenne, Qualité de l’air : la Commission décide de saisir la Cour de justice d’un recours contre la France, 30 octobre 2020, IP/20/1880
  10. our plus de détails sur la procédure en manquement, v. V. Michel, Recours en constatation de manquement Répertoire de droit européen, 2012 , pt. 51 à 55. 
  11. CJUE, 24 octobre 2019, Commission c/ France, C-636/18, ECLI:EU:C:2019:900
  12. CE, 12 juillet 2017, Association Les Amis de la Terre France, n°394254, ECLI:FR:CECHR:2017:394254.20170712
  13. Conseil d’État, 10 juillet 2020, Association Les Amis de la Terre France et autres, n° 428409, ECLI:FR:CEASS:2020:428409.20200710
  14. Communication de la commission, 17.05.2018, Une Europe qui protège : de l’air pur pour tous, COM/2018/330 final
  15. CJUE, 5 avril 2017, Bulgarie c/ Commission, C‑488/15, ECLI:EU:C:2017:267.
  16. CJUE, 22 février 2018, Pologne c/ Commission, C‑336/16, ECLI:EU:C:2018:94.
  17. V. supra.
  18. CJUE, 30 avril 2020, Roumanie c/ Commission, C‑638/18, ECLI:EU:C:2020:334.
  19. CJUE, 10 novembre 2020, Italie c/ Commission, C‑644/18, ECLI:EU:C:2020:895
  20. Air quality in Europe — 2019 report1994-2019, EEA Report No 10/2019
  21. À titre d’illustration, Proposition de Règlement établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique et modifiant le règlement (UE) 2018/1999 (loi européenne sur le climat), 4.3.2020, COM(2020) 80 final