La menace turque face à l’Europe géopolitique

Le conflit est clairement ouvert entre la Turquie et les puissances européennes, qui n’ont cessé de témoigner leurs désaccords cette semaine.

Catastrophe naturelle. Vendredi dernier, un puissant séisme de magnitude 7 a frappé l’ouest de la Turquie et la Grèce, entraînant au moins 116 morts¹.
Un élan de solidarité. La plupart des dirigeants européens ont proposé à la Turquie de l’aide face à cette hécatombe. C’était par exemple le cas du ministre de l’Intérieur français.

Surtout, des tensions. S’il peut éventuellement désamorcer légèrement un contexte particulièrement tendu, cet élan de solidarité n’enlève rien aux franches oppositions entre la Turquie et la France, entre la Turquie et l’Europe, récemment.
Liberté d’expression et religion. Alors que les caricatures du prophète Mahomet étaient condamnées par de nombreuses forces politiques musulmanes, le président turc Erdogan a été particulièrement incisif en réponse à la caricature qui a été faite de lui-même dans l’hebdomadaire satirique français Charlie Hebdo. Erdogan a traité Macron d’« islamophobe » et a mis en cause son « état mental », ce qu’il avait déjà souligné la semaine précédente en réponse à la volonté de Macron de lutter contre le « séparatisme ». Une fronde de tous les dirigeants européens a largement condamné les propos du dirigeant turc.²
La goutte d’eau qui fait déborder le vase. Ces accusations sur fond de remise en cause de la liberté d’expression et du modèle français de laïcité ne sont qu’un élément de plus dans la série des ruptures turco-européennes ces dernières années.³

La Turquie ne va pas s’arrêter là. La stratégie géopolitique turque est fondée sur la doctrine de la « Patrie bleue », théorisée par l’ancien amiral Cem Gürdeniz. Celle-ci repose sur 3 piliers : la volonté de se réaffirmer comme une puissance maritime ; une définition des zones de juridiction maritime ; une doctrine pour sauvegarder, protéger et développer les droits et intérêts maritimes de la Turquie. « Les intérêts géopolitiques de la Turquie vont se développer à l’avenir. »⁴
Les atermoiements européens. « La doctrine ‘Patrie Bleue’ de la Turquie représente une menace stratégique pour l’Europe, plus encore que les joutes géopolitiques en Libye, en Syrie ou au Haut-Karabakh, théâtres dans lesquels Erdogan est également impliqué. […] Pourtant, l’Europe ne semble pas capable de s’accorder sur la manière de freiner les politiques irrédentistes d’Erdogan. »⁵
Pourquoi est-il si difficile de condamner la Turquie ? Alors que la France, la Grèce et Chypre voient dans la question turque un grand enjeu de sécurité et de souveraineté, « la politique envers Ankara est d’abord vue par Berlin comme Rome en fonction des intérêts commerciaux et industriels ». À cela, le rôle que la Turquie peut avoir pour juguler les flux de migrants entrant dans l’Union a souvent amené les États membres à une position de modération.⁶

Vers la Commission géopolitique. « Bien sûr que l’Union est partiale. Elle a tous les droits de l’être. Contrairement à l’ONU, elle n’a pas vocation à rester cantonnée au seul rôle de médiateur. L’Europe a des intérêts et des frontières, elle est partie prenante des relations géopolitiques. L’Union devrait le reconnaître, et agir en conséquence. »⁷
« Géopolitique » n’est plus un gros mot à Bruxelles. Les tensions de l’été et l’intensité de l’agenda politique de la rentrée demandent d’acclimater l’Europe au nouveau langage de la puissance.⁸