Les Français expriment une défiance de plus en plus forte vis-à-vis de l’Union européenne (+11 points de pourcentage comparé à la moyenne européenne), ce qui les place à l’un des niveaux d’euroscepticisme parmi les plus élevés de l’Union)1. La France, pays fondateur, se classe parmi les pays où les jugements négatifs vis-à-vis de l’Europe sont les plus répandus. De manière générale, le manque de connaissances sur le fonctionnement de l’UE constitue un élément majeur du rapport de défiance des Français à l’Europe (la France occupe le dernier rang parmi les 27)2. Dans cette perspective, la question de l’acquisition de connaissances et par là même celle de l’éducation sont essentielles. Il ne s’agit pas ici de considérer que l’accroissement des connaissances doit être instrumentalisé pour accroître l’europhilie des Français  ; bien plutôt, il s’agit de considérer que la France étant un pays membre fondateur de l’Union européenne participant à l’ensemble de ses politiques, cela implique que les jeunes gens puissent recevoir un enseignement sur l’«  Europe  » permettant l’appropriation par les élèves de cette échelle de citoyenneté complémentaire de l’échelle nationale. Sur la base de cette compétence scolaire, les citoyens pourront ensuite naturellement développer une compétence civique autour de convictions et de préférences individuelles vis-à-vis de l’Europe qui leurs seront propres. Mais l’éducation constitue à tout le moins une condition indispensable pour cela et l’ancrage de la dimension européenne dans l’enseignement en France apparaît aujourd’hui comme une nécessité.

L’Europe à l’école  : ne pas oublier le collège et le lycée

Cet enjeu pourrait sembler, à première vue, avoir été pris en considération par les autorités de notre pays. En effet, le Président de la République française a annoncé, en septembre 2017, dans son «  Discours pour une Europe souveraine, unie et démocratique  »3 dresse une liste ambitieuse d’initiatives visant à mettre en œuvre sa vision stratégique. Le domaine éducatif n’a pas été laissé pour compte et plusieurs mesures importantes ont été édictées : maîtrise par chaque étudiant de deux langues européennes minimum d’ici à 2024, renforcement des échanges pour les étudiants et les apprentis avec pour objectif qu’«  en 2024 la moitié d’une classe d’âge doit avoir passé, avant ses 25 ans, au moins six mois dans un autre pays européen  », création d’une vingtaine d’universités européennes d’ici à 20244, mise en place d’un «  processus d’harmonisation ou de reconnaissance mutuelle de diplômes de l’enseignement secondaire  » afin de faciliter «  les échanges, changements et transitions dans tout le système secondaire européen  » et promotion du multilinguisme en Europe.

S’il faut saluer ces initiatives, force est de constater qu’elles se bornent pour une large part à l’enseignement supérieur. Par ailleurs, il est frappant de constater que la réforme du baccalauréat et la transformation des programmes qui en a découlé n’ont pas pris suffisamment en compte la question de l’enseignement de l’« Europe ».

thierry chopin

S’il faut saluer ces initiatives, force est de constater qu’elles se bornent pour une large part à l’enseignement supérieur. Par ailleurs, dans le cadre de l’enseignement secondaire français, il est frappant de constater que la réforme du baccalauréat et la transformation des programmes qui en a découlé n’ont pas pris suffisamment en compte la question de l’enseignement de l’«  Europe  ». L’analyse des nouveaux programmes révèle même un appauvrissement de la dimension européenne au lycée, sauf en ce qui concerne le nouvel enseignement de spécialité consacré à l’«  Histoire-géographie, sciences politiques et géopolitique  », mais qui par définition n’est pas suivi par tous les élèves. Cela est d’autant plus surprenant que le Président de la République a fait de l’école et de l’Europe deux composantes-clés de son mandat  ; de ce point de vue, il est paradoxal que la réforme des programmes récente n’ait pas été utilisée comme une occasion pour articuler ces deux enjeux majeurs pour notre pays. Tel est l’objectif visé par le rapport publié par l’Institut Jacques Delors.

L’Europe au collège et au lycée en France  : une dimension plus que «  secondaire  »  !

Au-delà des travaux – très souvent monodisciplinaires –  tant institutionnels – nationaux et européens (produits par l’Union européenne mais aussi par le Conseil de l’Europe) – qu’académiques5 réfléchissant à la manière dont sont exposés les jeunes Français et Européens aux questions européenne,s que ce soit en histoire-géographie et en éducation civique6 ou encore dans les enseignements de langues vivantes étrangères7, l’analyse des programmes au collège et au lycée, développée dans le cadre d’une approche comparative (trop rare) avec d’autres pays européens (Länder allemands, Italie, Pologne et Suède) permet de tirer un certain nombre de leçons.

L’analyse des programmes au collège et au lycée, développée dans le cadre d’une approche comparative (trop rare) avec d’autres pays européens (Länder allemands, Italie, Pologne et Suède) permet de tirer un certain nombre de leçons. 

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Tout d’abord, sur le registre du contenu des enseignements, l’analyse des programmes, et aussi les entretiens conduits avec des enseignants et plus largement avec des acteurs du monde éducatif, mettent en lumière les éléments suivants. En histoire  : prédominance de l’analyse franco-centrée  ; ouverture à l’Europe limitée à l’Europe de l’Ouest, absence de l’Europe centrale et orientale, et plus largement des «  petits  » pays ; logique de projection de l’histoire hexagonale sur l’Europe (ex. les Lumières, la Révolution française)  ; etc. Cela s’explique sans doute par l’histoire politique même de notre pays. En effet, l’enseignement de l’histoire est étroitement lié à la vie politique française. La France est un pays où les historiens ont un statut privilégié et où, à partir de 1875 environ, le rôle des professeurs a été d’épauler la République. C’est sans doute ce qui explique l’ «  ellipse européenne  » dans la narration du récit national par les professeurs d’histoire. La sous-représentation des questions européennes est liée à leur rôle dans l’installation de la construction nationale d’un côté, dans la consolidation de la République de l’autre. En outre, dans l’enseignement moral et civique (EMC), si la dimension civique européenne tient une place plutôt ténue, même si elle n’est pas négligeable, au profit des valeurs de la République, on constate un recul dans les nouveaux programmes scolaires de 2018 et 20198  : les références aux institutions et à la citoyenneté européennes sont rares. Par ailleurs, il est frappant de constater que la géographie de l’Europe reste très marginale. Les grands thèmes de l’enseignement de géographie sont la France, les territoires et la mondialisation. Dans le meilleur des cas, le sujet européen au sens de l’Union européenne est présenté comme une échelle entre la France et le monde. Une attention croissante est portée aux questions des inégalités et fractures territoriales, et l’échelle locale acquiert une dimension de plus en plus importante. De son côté, l’échelle européenne est reléguée au second plan car la priorité est désormais accordée à la mondialisation notamment dans sa dimension économique. Enfin, l’analyse de l’enseignement des langues vivantes étrangères en France et en Europe met en évidence la faiblesse des performances linguistiques dans notre pays, avec ses conséquences négatives en termes d’insertion professionnelle en et hors de France, ainsi que d’ouverture à l’altérité.

Dans l’enseignement moral et civique (EMC), les références aux institutions et à la citoyenneté européennes sont rares. La géographie de l’Europe reste très marginale.

thierry chopin

L’approche comparative permet de mettre en évidence certains traits communs entre la France et d’autres pays européens (notamment le primat accordé aux échelles nationale et mondiale aux dépens de l’échelle européenne). Néanmoins, la comparaison permet également de mettre en valeur un certain nombre de différences notables : la pédagogie active (jeux, débats, …), plus développée en Allemagne qu’en France  ; la plus grande valorisation de l’anglais en Suède qu’en France (examen de fin d’études portant sur les mathématiques et l’anglais)  ; la plus grande dimension européenne des programmes scolaires italiens.

Des difficultés structurelles

Dans un tel contexte, tout effort visant à renforcer la familiarisation des élèves français à la dimension européenne bute sur un certain nombre d’obstacles, tant l’«  Europe  » constitue un objet d’enseignement problématique. Tout d’abord, parce que  l’«  Europe  » est un sujet clivant, un objet d’enseignement devenu «  vif  »9, qui divise les enseignants au moins depuis le début des années 1990 avec le «  moment Maastricht  » et plus encore à partir du milieu des années 2000 avec le «  non  » français par référendum au projet de traité constitutionnel en 2005. Si l’Europe constitue un sujet d’enseignement non consensuel, c’est que l’institution scolaire constitue une chambre d’écho des débats et des clivages qui traversent la société française. En d’autres termes, l’école reflète le rapport ambigu de la société française à l’Europe. En outre, une autre difficulté réside dans le fait – que certains acteurs de premier plan du monde de l’éducation ont récemment soulignée – que «  le thème européen n’est pas aujourd’hui un thème attractif des formations et des savoirs  »10. Enfin, comme évoqué plus haut, en France, l’importance de l’histoire est intimement liée à la fois à la construction du sentiment national et à la consolidation de la République  ; dans cette perspective, la question se pose de savoir comment articuler l’enseignement du «  roman national  » avec celui du récit européen.

L’école reflète le rapport ambigu de la société française à l’Europe. Dans cette perspective, la question se pose de savoir comment articuler l’enseignement du « roman national » avec celui du récit européen.

Thierry Chopin

Fondamentalement, la difficulté réside dans le fait que le mot même «  Europe  » est flou et indéterminé  ; Lucien Febvre écrivait que «  L’Europe, c’est un nom flottant, et qui longtemps n’a pas su exactement sur quoi, sur quelles réalités se poser…  »11. Le terme est mal identifié dans les programmes qui font référence à  : l’«  Europe-continent  » (géographique) mais avec une indétermination sur ses limites territoriales  ; l’« Europe-civilisation  » (historico-culturelle, mais avec un ancrage fort à l’ouest), avec l’ambivalence entre la fragmentation politique étatique et nationale qui a caractérisé l’histoire du continent européen d’un côté, l’existence d’une communauté de culture de l’autre  ; projet d’union rassemblant des Européens aux visions diverses avec qui les Français sont engagés dans un projet commun («  Europe instituée  » sous la forme d’une construction juridico-économique) avec un questionnement sur ses formes politiques à venir  ; et l’ idée d’«  Europe unie  » – pour reprendre le mot de Jacques Delors, il s’agit d’«  une pensée en actes  ».

Dès lors, la question du contenu de l’enseignement sur l’Europe se pose. Dans un contexte où «  l’enseignement de l’Europe s’est vu surinvesti de finalités diverses dont celle d’éducation à la citoyenneté, de création d’un sentiment d’appartenance et d’une culture commune  »12, il est nécessaire de clarifier les objectifs de cet enseignement. Doit-on privilégier la transmission culturelle et patrimoniale des pays européens («  européanité  ») ? Le cas échéant, comment  ? Devons-nous enseigner les fondements et les logiques (historiques, géopolitiques, économiques et politiques) de l’histoire complexe de la construction européenne  ? Devons-nous enseigner les formes d’«  adhésion  » à l’Union européenne et au projet politique européen commun, c’est-à-dire renforcer par l’enseignement l’unité européenne et les liens entre les Européens  : éducation à la citoyenneté européenne  ; développement d’un sentiment d’appartenance et d’une culture commune («  européisme  ») 13 ?

Que faire  ? 

Dans une telle perspective, le présent rapport suggère de doter les élèves du secondaire des connaissances et des approches nécessaires à la compréhension de l’histoire (politique et culturelle) de l’Europe, de l’espace européen (donner des repères dans l’espace et dans le temps) et de l’Union européenne, dans lequel ils vivent et agissent en tant que citoyens français et européens. Le lecteur trouvera ainsi dans la dernière partie de ce rapport les principaux axes de recommandations. Plutôt que de les mentionner de manière exhaustive, il s’agit ici plutôt d’indiquer l’esprit général de ces préconisations et la perspective d’ensemble dans laquelle elles s’inscrivent. Au préalable, il convient de souligner que les crises à répétition auxquelles les Français et les Européens font face ouvrent une fenêtre d’opportunité pour renforcer la dimension et l’échelle européennes dans l’enseignement secondaire français. Dans un tel contexte, deux axes principaux de recommandation visant à familiariser les élèves à l’«  Europe  » semblent structurants. 

Il s’agit ici plutôt d’indiquer l’esprit général de ces préconisations et la perspective d’ensemble dans laquelle elles s’inscrivent.

thierry chopin

Le premier porte sur les contenus d’une pédagogie de l’Europe. Sur ce registre, il est fondamental de donner aux élèves des repères dans le temps en leur rappelant d’où ils viennent. Il s’agit de mettre en œuvre une «  véritable éducation européenne, qui ne peut être qu’historique  »  ; comme l’a écrit Élie Barnavi, il ne s’agit pas de «  remplacer les narratifs nationaux, qui restent indispensables à la formation des jeunes citoyens  »  ; mais il faut les compléter par un «  narratif spécifiquement européen, dans lequel le jeune Européen apprendra que tout phénomène historique national – le féodalisme et l’émergence de l’État moderne, la Renaissance et la Réforme, les Lumières et la révolution industrielle – a été aussi, et d’abord, un phénomène européen  »  ; il faudra faire «  découvrir aux Européens des «  lieux de mémoire  » (Rome, Florence, Nuremberg, Vienne, Auschwitz, Varsovie, Prague, Athènes, Barcelone, Plages du débarquement et mémorial de Caen, etc.) et des « héros communs  ». Sans occulter les déchirements de l’Europe, ni ses crimes, car on ne bâtit rien de bon sur le mensonge, fût-il par omission. Mais en montrant comme, de la mémoire partagée des malheurs du passé, peut surgir une volonté commune de construire ensemble un avenir meilleur. Ce n’est pas une mauvaise définition d’une vraie politique de l’identité européenne  »14.

Parallèlement, cette éducation européenne historique ne se réduit pas à une discipline scolaire  ; elle a naturellement aussi une vocation civique et citoyenne. C’est pourquoi il s’agit également d’identifier plus clairement l’Europe de l’Union, l’«  Europe instituée  », les 27 États qui en sont membres et leur histoire, la communauté de droit dans laquelle ils ont décidé volontairement et librement de se regrouper, mais aussi de mettre en lumière les logiques (géo)politiques qui sous-tendent le processus même d’unification européen et qui sont à l’œuvre dans les modes de décision, sans méconnaître les tensions, les divisions et autres rapports de forces politiques et diplomatiques qui les structurent, et ce, en alliant l’apprentissage académique classique à des expériences pratiques  : simulations de négociations, débats, voyages d’études, découvertes de lieux de pouvoir européens, rencontres avec des professionnels agissant à l’échelle européenne, mobilité européenne et internationale. Une telle éducation européenne est de nature à produire de nombreux effets positifs  : développement de la culture générale, de l’esprit critique, éducation à la responsabilité sociale et civique, apprentissages linguistiques, aide à l’orientation professionnelle, etc.

Faire « découvrir aux Européens des « lieux de mémoire ». Montrer comme, de la mémoire partagée des malheurs du passé, peut surgir une volonté commune de construire ensemble un avenir meilleur.

thierry chopin

Le second axe porte sur la nécessité de favoriser l’appropriation de l’échelle européenne par les futurs citoyens français et européens. Deux niveaux sont ici essentiels  : l’Europe au quotidien, c’est-à-dire l’Europe incarnée dans le territoire des élèves, et l’Europe dans le monde. L’«  Europe  » doit être rendue visible. D’abord à l’échelle locale. Il s’agit ici de mettre en évidence les politiques européennes, leur mise en œuvre et les avantages qu’en retirent les différents États membres et surtout les différentes régions et territoires en leur sein. Cette mise en valeur pourrait s’appuyer sur des exemples d’actions de proximité afin de permettre aux élèves de se représenter concrètement les actions de l’Union européenne. Mais l’«  Europe  » doit également acquérir une dimension «  charnelle  » et sensible auprès des élèves : elle doit être incarnée par des professionnels mais aussi par des citoyens d’horizons différents afin d’instaurer un lien vivant entre les élèves et l’échelle européenne. Au-delà, une autre échelle, l’échelle mondiale, est fondamentale. La réflexion européenne est en effet d’une urgente actualité dans le contexte de gestion de crises actuelles. Dans un contexte où la multipolarité du monde devient de plus en plus agressive, une éducation européenne doit accorder une place à l’approche géographique et géopolitique. La raison d’être de l’analyse géographique est de rendre compte de la diversité15. Reste que la réalité de la diversité européenne est souvent mal comprise en France, souvent récusée dès lors qu’il y a des différences (on parle de «  désunion  », d’«  ordre dispersé  », de «  désaccords  ») alors que la communauté de valeurs et d’intérêts qui unit les Européens saute aux yeux, au moins dans sa valeur culturelle et démocratique, quand on compare l’Europe à la Chine, à la Russie, à la Turquie ou même aux États-Unis.

Dans un contexte où la multipolarité du monde devient de plus en plus agressive, une éducation européenne doit accorder une place à l’approche géographique et géopolitique.

thierry Chopin

Les événements les plus récents et les plus tragiques mettent en évidence l’indispensable combat pour les valeurs républicaines en France et, plus largement, pour celles de la démocratie libérale en Europe.Les valeurs européennes font face à la haine mortifère du fondamentalisme islamiste mais aussi à l’hostilité subversive du régime russe ou encore chinois. Elles sont aussi sous un tir nourri provenant de l’intérieur, venant de tous ceux qui, pour des raisons diverses, préfèrent se reconnaître dans le modèle des adversaires du projet européen ou encore qui sont tellement obnubilés par la diversité européenne – réelle, légitime et précieuse – qu’ils en oublient tous les éléments d’unité et les différences, voire les fossés, qui distinguent cette mosaïque européenne des autres modèles de société dans la concurrence mondiale actuelle des systèmes d’organisation politique, économique, social, et environnemental. La clé réside dans les politiques d’éducation et de la culture. Le manque de fierté et d’attachement au patrimoine spirituel et culturel européen constitue un facteur de faiblesse face aux menaces externes, portées par ceux qui sont habitées par la conviction de la supériorité de leurs valeurs et de leur culture comme face aux défis internes liés à la montée des radicalités et aux extrémismes. Il est urgent que les systèmes d’éducation européens réalisent que, face à la superficialité toujours croissante véhiculée par certains médias et les réseaux sociaux, il faut jouer le contrepoids en visant la profondeur, le long terme, l’exigence et la qualité. C’est dans cette perspective que l’ancrage d’une véritable dimension européenne dans les systèmes éducatifs nationaux est indispensable, avec un accent mis sur l’histoire et la culture, sur la diversité et la richesse des réalités locales et nationales, mais aussi sur leurs racines et dénominateurs communs, ainsi que sur les influences croisées entre elles16.

Dans le contexte de mise en cause actuelle de la démocratie libérale sous l’effet de la montée des radicalités, une éducation renforçant la dimension européenne, telle que nous avons tenté d’en dessiner les contours, constitue une condition indispensable à la préservation de nos démocraties et de la liberté individuelle.

thierry chopin

Fondamentalement, l’éducation a une vocation citoyenne. Dans le contexte de mise en cause actuelle de la démocratie libérale sous l’effet de la montée des radicalités sous leurs formes les plus diverses, une éducation renforçant la dimension européenne, telle que nous avons tenté d’en dessiner les contours, constitue une condition indispensable à la préservation de nos démocraties et de la liberté individuelle. Une telle affirmation pourrait paraître péremptoire et excessive. Pourtant «  des capacités développées de pensée critique et de réflexion sont essentielles pour maintenir les démocraties vivantes et dynamiques (…) la capacité de raisonner de manière juste sur un large ensemble de cultures, de groupes et de pays est essentielle. Elle permet aux démocraties d’affronter de manière responsable les problèmes que nous rencontrons actuellement en tant que membres d’un monde interdépendant. La capacité à imaginer l’expérience d’un autre, capacité que presque tous les être humains possèdent à quelque degré, doit être largement développée et affinée si nous voulons maintenir des institutions décentes, malgré les nombreuses divisions qui marquent toute société moderne (…). Ouvrir l’accès à une éducation de qualité est une question urgente pour toute démocratie moderne  »17. Dans le droit fil de la tradition humaniste, au cœur de l’histoire européenne, la question qui se pose est dès lors la suivante : « l’Europe actuelle des vingt-sept États membres, ouverte à la pluralité des cultures (…), recherche-t-elle avec la même ardeur l’individualité libre et cultivée ? (…). Là est l’enjeu capital (…) : le problème éducatif est le problème numéro un de l’Europe »18.

Sources
  1. Une première version plus courte de cet article a été publiée initialement par The Conversation.
  2. Bruno CAUTRÈS, Thierry CHOPIN, Emmanuel RIVIÈRE, Les Français et l’Europe, entre défiance et ambivalence, l’indispensable «  retour de l’Europe en France  », Sciences Po Cevipof, Institut Jacques Delors, Kantar, Rapport n°119, Mai 2020.
  3. Emmanuel MACRON, Président de la République, «  Discours pour une Europe souveraine, unie et démocratique  », discours prononcé à la Sorbonne, 26 septembre 2017.
  4. 17 universités européennes ont été créées à la rentrée 2019. Impliquée dans 14 partenariats, la France est le pays le plus investi.
  5. Daniel GAXIE et Nicolas HUBE (dir.), L’Europe des Européens. Enquête comparative sur les perceptions de l’Europe, Économica, coll. «  Études Politiques  », 2011.
  6. Alain LAMASSOURE, «  L’enseignement de l’histoire en Europe  », Rapport au Premier ministre, avril 2019  ; Daniela HEIMPEL, Former le citoyen européen ? Réflexions sur le concept d’éducation civique dans le cadre de l’intégration politique transnationale de l’Europe, Eurostudia, 2017, 12 (1), p.1–26 ; Alain BERGOUGNOUX, Pascal CAUCHY, Jean-François SIRINELLI, Laurent WIRTH, Faire des Européens  ? L’Europe dans l’enseignement de l’histoire, de la géographie et de l’éducation civique, Delagrave, 2006  ; Inspection générale de l’Éducation nationale, L’Europe dans l’enseignement de l’histoire, de la géographie et de l’éducation civique, Ministère de l’Éducation nationale, 2000.
  7. Chantal MANES-BONNISSEAU et Alex TAYLOR, Propositions pour une meilleure maîtrise des langues vivantes étrangères, Rapport au Ministre de l’Éducation nationale, Septembre 2018.
  8. Camille AMILHAT, «  L’Europe entre invisibilité et réalités distantes. L’appréhension des institutions européennes en Enseignement moral et civique  », (Actes de colloque à paraître). Nous remercions l’auteur d’avoir bien voulu nous communiquer ce texte.
  9. Corinne BONAFOUX, «  L’enseignement de l’Europe au collège, imitation ou dépassement du roman national  ?  », in : Benoît FALAIZE, Charles HELMBERG, Olivier LOUBES (dir.), L’école et la nation : Actes du séminaire scientifique international. Lyon, Barcelone, Paris, 2010, Lyon, ENS Éditions, 2013, p.247-255.
  10. Voir sur ce point Gilles PÉCOUT, ancien Recteur de l’Académie de Paris, «  Enseigner l’unité européenne  », entretien publié par Le Grand Continent. Ce point mériterait d’être discuté compte tenu du renouvellement historiographique important qui caractérise le corpus scientifique sur l’Europe  : en France, autour de Laurent WARZOULET, Etienne FRANCOIS, Thomas SERRIER  ; en Allemagne, de Kiran Klaus PATEL et Hagen SCHULZE  ; en Angleterre, avec notamment les travaux de Ian KERSHAW.
  11. ucien FEBVRE, L’Europe. Genèse d’une civilisation. Cours professé au Collège de France en 1944-1945, Perrin, 1999, leçon XXVIII, p. 307.
  12. Corinne BONAFOUX, «  L’enseignement de l’Europe au collège, imitation ou dépassement du roman national  ?  », op. cit.
  13. Voir Georges STEINER, Une certaine idée de l’Europe, Actes Sud, 2005, p. 52-58.
  14. Elie BARNAVI, «  Identité  », Yves BERTONCINI, Thierry CHOPIN, Anne DULPHY, Sylvain KAHN, Christine MANIGAND (dir.), Dictionnaire critique de l’Union européenne, Armand Colin, 2008  ; Pierre NORA, «  Les ‘lieux de mémoire‘ dans la culture européenne  », in Europe sans rivage. De l’identité culturelle européenne, Albin Michel, 1988, p. 38-42  ; Voir également «  Europa, notre histoire, Etienne FRANCOIS, Thomas SERRIER  : un échange avec Pierre NORA,  », Le Débat, n°198, Janvier-Février 2018.
  15. Je remercie vivement Michel FOUCHER pour ces éclairages précieux sur ce point.
  16. Thierry Chopin et Lukas Macek, «  Une Europe des valeurs  ? Un combat à mener  », Telos, 9 juillet 2018.
  17. Martha NUSSBAUM, Not for Profit. Why Democracy Needs the Humanities, Princeton University Press, 2010  ; trad. française, Les émotions démocratiques. Comment former le citoyen au XXIe siècle  ?, Flammarion, «  Champs essais  », 2020, p. 19-20.
  18. Lucien JAUME, Qu’est-ce que l’esprit européen ?, Flammarion, 2010, p. 29.
Crédits
Ce texte est basé sur un rapport de Thierry Chopin (https://institutdelors.eu/wp-content/uploads/2020/10/R120_201008_LEuropedanslesprogrammesscolaires_Chopin.pdf) avec la collaboration de Guilaine Divet : « Enseigner l’Europe en France. Le nécessaire ancrage de la dimension européenne dans l’enseignement secondaire français », Institut Jacques Delors, septembre 2020 ; préface de Clément Beaune, Secrétaire d’État chargé des Affaires européennes.