L’initiative du Président Macron est-elle à même de commencer à résoudre les imbrogli politiques et économiques de ce pays meurtri – avec son économie effondrée, sa capitale détruite et la pandémie de Covid-19 hors contrôle ? Macron a négocié avec les principaux acteurs politiques une feuille de route comprenant les réformes les plus urgentes. Mais ceux-ci n’ont pas réussi à constituer un gouvernement pour la mettre en œuvre. Quels ajustements pourraient sauver l’initiative ?

L’initiative française fait deux paris fondamentaux. Le premier consiste à trouver un ensemble de réformes économiques qui soit acceptable aux acteurs politiques disposant d’un droit de veto – les principaux oligarques sectaires et la révolte populaire. La présomption est qu’un tel accord existe, mais que les acteurs politiques, polarisés par leurs divisions, ne peuvent y parvenir par eux-mêmes. 

Trois lignes de fracture compliquent une coopération nécessaire : sectaire, que la polarisation régionale exacerbe ; de pouvoir, avec la rue essayant d’éliminer une classe dirigeante corrompue et inepte ; et de classe, liée à l’éventuel partage du fardeau d’une résolution de la crise financière. Macron a choisi de se concentrer sur la troisième fracture pour pouvoir traiter la crise économique, tout en œuvrant à neutraliser, pour le moment, les deux premières.

Le deuxième pari consiste à trouver un mécanisme qui empêcherait les parties de tenter de renégocier un accord, ex-post, pour avantager leurs intérêts politiques. La forme proposée pour éliminer de telles ingérences est celle d’un cabinet « de mission » chargé exclusivement de mettre en œuvre la feuille de route. Il existe des précédents à cela, en Italie notamment, et plus récemment au Soudan, où l’armée et les révolutionnaires sont parvenus à un accord politique, à mettre en œuvre par un gouvernement technocratique.

Pour réussir, l’initiative française devra trouver un équilibre plus adéquat entre ces trois fractures.

Premièrement, le choix de reléguer les réformes démocratiques à plus tard est rejeté par l’opposition. Mais le Président français a rapidement reconnu qu’il devait composer avec la classe dirigeante pour initier les réformes les plus urgentes. Il a donc tenté de pacifier la société civile avec des gestes symboliques, un gouvernement apolitique, la promesse d’arrêter l’effondrement économique, et des fonds de secours après l’explosion du port de Beyrouth allant directement à la population touchée.

Au sein de l’opposition, certains reconnaissent, à contrecœur, qu’éviter l’effondrement économique est prioritaire. Mais il y a aussi la crainte profonde qu’un programme d’aide et d’ajustement économique géré par la classe dirigeante ne profiterait qu’à sa survie.

Pour cette raison, et pour geler la question clivante des armes du Hezbollah, il fallait que le gouvernement de mission exclue toute formation politique en son sein. Mais cela s’est avéré difficile. L’ancien Premier ministre Hariri et le Hezbollah ont insisté pour contrôler le ministère des Finances, afin de protéger leurs alliés d’accusation de corruption dans le contexte de l’audit en cours de la Banque centrale. La formation d’un gouvernement de mission reste un défi. Le prix à payer – mettre davantage de côté les préoccupations de bonne gouvernance – sera opposé par la rue.

Mais au final, c’est l’obstructionnisme américain qui a conduit à l’effondrement de l’initiative. De nouvelles sanctions américaines et un discours incendiaire du secrétaire d’État américain Pompeo ont fait voler en éclat la garantie française de « protéger » le Hezbollah. De nouvelles avancées ne peuvent donc être réalisées avant un réchauffement des relations américano-iraniennes, peut-être dans le contexte d’une victoire de Joe Biden. L’acceptation du Liban d’entamer avec Israël des négociations sur la délimitation de leurs frontières aidera – mais celles-ci devraient être exclues du mandat du gouvernement de mission et placées sous l’égide du président Aoun, allié du Hezbollah.

Troisièmement, la feuille de route, négociée à la hâte, pour être suivie d’un accord plus large une fois le processus testé, reste excessivement modeste. Compte tenu des coûts de transaction élevés, une solution plus globale à la crise économique semble maintenant préférable. Son contenu ne se rapproche pas assez des conditions préalables au lancement d’un programme du Fond Monétaire, à un moment où le Liban a grandement besoin d’un soutien financier que seul le FMI peut débloquer. Celles-ci comprennent la fermeture des déficits externe et interne, la réduction de la dette et la restructuration du secteur bancaire.

Les deux premières conditions sont désormais en vue : le déficit extérieur s’est nettement réduit face à un effondrement de l’économie ; et des progrès dans le secteur de l’électricité peuvent réduire suffisamment le déficit budgétaire pour lancer le programme.

C’est la troisième condition qui pose le défi le plus difficile : comment répartir les énormes pertes financières (plus de 50 milliards de dollars, soit deux fois le PIB du Liban) entre les élites économiques et une population appauvrie ? Les positions se sont polarisées, avec la rue comptant sur la récupération des actifs volés par l’élite corrompue, et les banques insistant sur la nationalisation de tous les actifs de l’État. C’est surtout là que Macron doit chercher un compromis.

Idéalement, le cabinet de mission obtiendrait également des pouvoirs extraordinaires du Parlement pour exécuter sa mission, de quoi bloquer toute tentative de modifier les termes de l’accord ex-post, les réformes clés nécessitant le soutien du Parlement.

L’initiative française peut être sauvée si elle améliore son contenu et parvient à y faire participer les États-Unis. Ces enjeux constituent un défi de taille pour la diplomatie française. Mais en l’absence d’alternatives, il n’y a pas d’autre moyen pour le moment d’empêcher la « disparition du Liban », comme l’a prévenu le Président Macron.