Alors qu’en Nouvelle-Calédonie, le second référendum pour l’indépendance à de nouveau porté le camp du « non » à la victoire, tant le mouvement de soutien à l’indépendance que le clivage ethnique se sont significativement renforcés, ce qui annonce qu’il ne pourra y avoir de futur viable pour la Nouvelle-Calédonie qu’en collaborant avec les indépendantistes dans une entente concernant le pouvoir. Un accord pacifique est crucial pour le futur de la région pacifique australe.
Le résultat des urnes
Le résultat du second de trois votes successifs dans le cadre du processus d’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie du 4 octobre s’est de nouveau conclu sur une majorité favorable au maintien dans le territoire français : 53,26 % ont voté « non » , 46,74 % ont voté « oui ». Ce sont toutefois les indépendantistes qui ont gagné le plus dans ce scrutin, leur score augmentant de 3,5 points par rapport au premier vote de novembre 2018, au cours de laquelle ils avaient su rassembler un bloc fermé de 43,3 % des voix, contre les loyalistes, qui représentaient alors 56,7 % des suffrages.
Le taux de participation de ce 4 octobre, de 86 % des inscrits, était plus important encore que l’historique 81 % de 2018, et cela, résultant de toute évidence de la mobilisation du bloc indépendantiste. Leurs suffrages dans les Provinces Îles et Nord indigènes kanaks dépassaient toutes les attentes, et ont progressé jusque dans la citadelle du « non », Nouméa, en Province Sud pourtant largement dominée par le loyalisme. Les partis de l’indépendance ont réussi à réduire de moitié l’écart entre les votes favorables et défavorables au référendum, qui de 18 000 en 2018 est passé sous les 10 000 voix, malgré une croissance du nombre d’inscrits au cours de cette période (de 174 165 en 2018 à 180 899). Les chefs du bloc séparatiste revendiquent avoir bénéficié du soutien de ceux qui ne votent pas habituellement pour eux, ce qui suggère que des citoyens non-Kanaks (des Polynésiens, par exemple, jusqu’ici loyalistes dans les urnes) aient voté en faveur du « oui ».
Le scrutin s’est dans l’ensemble déroulé de façon pacifique, quoique quelques militants loyalistes aient pu trouver les défilés et rassemblements enthousiastes des militants indépendantistes intimidants, comme l’a noté la commission électorale, statuant que cela n’avait pour autant pas influé sur le résultat du vote : le fort taux de participation ainsi que la présence d’observateurs des Nations unies neutralisent l’éventualité d’une contestation du résultat du scrutin.
Dans le respect des clauses de l’accord de Nouméa de 1998, négocié afin de parer à un retour d’une flambée de violence en ajournant le vote à 2018, jusqu’à trois votes peuvent être organisés tant que le résultat du « non » à l’indépendance l’emporte. Suite au constat de deux votes en faveur du « non », un appel à un troisième vote peut être fait dans les six mois suivant le scrutin, avec l’accord nécessaire du tiers des représentants du Congrès local. Les partis indépendantistes tiennent un bon tiers des sièges, et déclarent qu’ils organiseront un troisième scrutin. Même dans le cas d’un troisième vote « non », les discussions concernant l’avenir de la Nouvelle-Calédonie doivent être maintenues avec tous les partis.
Bien que de cette campagne dénote une profonde polarisation des deux positions, et que les loyalistes aient affiché leur stupeur en apprenant le résultat du vote à la télévision locale, une étincelle positive apparaît à l’horizon : la veille du scrutin, de courts communiqués tant des partis loyalistes que des partis indépendantistes évoquaient l’importance d’un futur commun pour tous les Néo-Calédoniens.
Les réactions des parties au résultat étaient prévisibles. Les loyalistes les plus radicaux, qui étaient sortis de la table des négociations avant le premier référendum, se déclarent désormais favorables au dialogue dans les six prochains mois plutôt qu’à la tenue d’un autre référendum. Les figures indépendantistes, enthousiasmés par leur succès, réaffirment leur engagement pour un troisième vote et l’indépendance de leur pays, tout en déclarant maintenir leur volonté de poursuivre le dialogue.
La position française
Cette fois, les dirigeants français ont fait preuve de retenue dans leurs commentaires publics. Contrairement à 2018, où il s’était rendu à Nouméa pour ouvrir la campagne par un grand discours, le président Macron est resté silencieux pendant la campagne. Interrogé sur le référendum au Parlement, le Premier ministre Castex a noté l’impartialité de l’État et le vote libre des Néo-Calédoniens.
Macron a été plus mesuré dans sa réaction publique au résultat qu’en 2018, où il avait exprimé sa fierté quant à la décision de rester avec la France. Il a plutôt évoqué le « succès » du « deuxième rendez-vous démocratique ». « En tant que chef de la République française », il a exprimé « une profonde gratitude » et « l’humilité », saluant « ce signe de confiance dans la République ». Il a affirmé la neutralité de la France. Malgré l’opposition loyaliste à un troisième référendum, Emmanuel Macron a déclaré que c’était au Congrès local de décider, et que la France en organiserait un si tel était le choix des parties en présence. Il a noté que les dispositions temporaires de la Constitution française découlant de l’Accord de Nouméa seraient soit remplacées par des dispositions à plus long terme après 2022 si la Nouvelle-Calédonie restait en France, soit retirées en cas d’indépendance.
M. Macron a déclaré que le moment était venu d’aborder les implications concrètes de tous les scénarios : chaque partie doit accepter de reconsidérer et de comprendre les hypothèses de l’autre et leurs conséquences. Dans ce qui est une première pour un président français s’occupant de la Nouvelle-Calédonie, et ajoutant d’éventuelles complexités supplémentaires, il a demandé aux partis politiques nationaux français de définir leurs visions pour l’avenir de la Nouvelle-Calédonie.
Enfin, M. Macron a déclaré que la Nouvelle-Calédonie avait deux ans pour définir, non seulement sa gouvernance, mais aussi son avenir. S’abstenant de dicter un résultat, il a résumé la vision de la Nouvelle-Calédonie qu’il avait projetée en mai 2018 (à l’époque, au sein de la France), notant simplement les défis de l’Indo-Pacifique, du développement économique, de la gestion du changement climatique, de l’éducation, de l’agriculture, de l’industrie, de l’énergie, du tourisme et des ressources marines, de l’engagement régional, de la sécurité au quotidien et de l’égalité des sexes.
Considérations régionales
Résoudre de manière consensuelle le futur statut de la Nouvelle-Calédonie (souvent appelé « The Pacific Way ») devient crucial dans le contexte régional, où l‘influence de la Chine se sentir fait de plus en plus fortement. Les loyalistes ont joué la carte de la Chine dans leur campagne, laissant entendre que la Nouvelle-Calédonie deviendrait une colonie chinoise si elle devenait indépendante. Il est à noter que si Macron, dans son commentaire public, a fait référence à sa vision indo-pacifique, qu’il considère comme faisant partie de l’équilibre de la Chine, il n’a cette fois-ci pas spécifiquement nommé la Chine ou les tendances hégémoniques, comme il l’a fait dans le passé. Cela montre sa sensibilité aux dispositions régionales. La Chine est le plus grand importateur pour les produits de néo-calédoniens. Les dirigeants du parti de l’indépendance qui dirigent la province nord du territoire, site d’une nouvelle grande usine de nickel construite dans le cadre de l’accord de Nouméa, ont cimenté des liens productifs avec la Chine ces dernières années, notamment un marché solide et une entreprise commune. Il est difficile d’envisager un avenir économique viable pour la Nouvelle-Calédonie sans le marché chinois, qu’elle choisisse l’indépendance ou non.
Les pays insulaires continuent de s’intéresser à la mise en œuvre du processus d’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie, cette fois-ci en chargeant leurs consulats résidents à Nouméa d’observer le vote compte tenu des contraintes des mesures anti-Covid strictes du territoire.
Ce qui se passe en Nouvelle-Calédonie a clairement un impact sur son voisinage. D’autres territoires français surveillent et chercheront à obtenir un traitement similaire dans les concessions faites par la France, tant dans le Pacifique qu’au-delà. Les chefs indépendantistes de la Polynésie française ont soutenu le côté indépendantiste dans la campagne, comme ils l’ont fait en 2018.
Les mouvements séparatistes mélanésiens des pays voisins, la Papouasie-Nouvelle-Guinée et la Papouasie occidentale indonésienne, se voient également renforcés par leur soutien croissant à l’indépendance en Nouvelle-Calédonie. Le Melanesian Spearhead Group (Groupe Mélanésien Fer de Lance) a ainsi pris le parti des indépendantiste lors des scrutins référendaires.
Prochaines étapes
En Nouvelle-Calédonie, l’accent sera désormais mis, espérons-le, sur le dialogue, afin de surmonter les profonds clivages ethniques et de redéfinir l’avenir de la Nouvelle-Calédonie à l’expiration des accords temporaires, dans un contexte régional incertain.
Crédits
Denise Fisher est une ancienne diplomate australienne de haut rang qui a été consul général d'Australie à Nouméa. Elle est actuellement chercheur invité au Centre d'études européennes de l'Université nationale australienne. Son livre France in the South Pacific : power and politics est disponible en ligne sous forme électronique.