La Biélorussie est l’un des partenaires les plus proches de Pékin en Europe de l’Est, et une expérience importante de la « Belt and Road Initiative (BRI) ».1 L’effondrement actuel du régime d’Alexandre Loukachenko est un test important pour les ambitions stratégiques de Pékin dans la région. Cet article vise à montrer pourquoi, même en tenant compte de tout cela, la Chine ne soutiendra finalement pas Loukachenko.

Officiellement, Xi Jinping a été l’un des premiers à féliciter Loukachenko pour sa dernière victoire aux élections (truquées). C’est une belle faveur, mais Pékin ne peut pas se permettre de ne pas soutenir un partenaire autocratique officiel qui subit la pression des protestations de rue, pour des raisons internes. La question clé est ici cependant de savoir si Pékin utilisera ses atouts diplomatiques et sa puissance économique pour soutenir Loukachenko de manière significative (au-delà du soutien symbolique). Dans ce cas, on peut affirmer sans risque que la réponse est négative. Et la réponse longue est : tout dépend de la réponse de la Russie. Le soutien immédiat et inconditionnel de Pékin est peu probable.

La Chine est généralement insatisfaite du statut de sa coopération économique avec la Biélorussie, Loukachenko étant pointilleux sur ce que Pékin offre, et l’investissement rêvé de la Chine dans le parc industriel Great Stone à Minsk ne se matérialisant pas car il n’y a pas de grand intérêt économique là-bas2. De plus, politiquement, la Chine considère la Biélorussie (et l’Ukraine, d’ailleurs) comme appartenant à la sphère d’influence de la Russie, et suivra ainsi la réponse de Moscou aux protestations de la Biélorussie, dans la plupart des scénarios possibles de l’évolution de la crise : la survie fragile de Loukachenko ; une transition gérée du pouvoir ; une révolution.

Dans le premier scénario, si Loukachenko survit en tant que dirigeant, il sera très faible, et Moscou l’utilisera très probablement pour pousser à une plus grande intégration. Cela n’est pas contraire à l’intérêt à long terme de Pékin : la Biélorussie est de toute façon attrayante pour la Chine en tant que porte d’entrée sur le marché russe, et les trains trans-Eurasiens continueront à circuler. De plus, si la Chine perturbe les plans d’intégration tant attendus de Moscou avec Minsk, ce sera le plus grand coup porté aux relations sino-russes depuis des années. Or Pékin a besoin de Moscou sur la scène mondiale.

Dans le second scénario, si nous assistons à une transition gérée du pouvoir (qui soulagerait la pression sociale, sans pour autant affaiblir la position de Moscou), Pékin pourrait essayer de tirer certains avantages économiques de la nouvelle situation. Mais il ne faut pas s’attendre à ce que la Chine apporte un soutien économique massif, car Pékin préfère laisser Moscou payer son nouveau « projet ». Et si Moscou accepte la nouvelle direction, nous devrions nous attendre à ce que Pékin mette également fin à son amitié éternelle avec Loukachenko. La Chine n’a eu aucun problème pour parler avec Guaidó lorsque Maduro était en difficulté. Les transitions se passent bien, tant que la dette chinoise est remboursée (environ 3 milliards de dollars dans le cas de Minsk).

Enfin et surtout, nous pourrions voir les protestations biélorusses s’intensifier et entrer dans une dynamique semblable à celle de l’Ukraine, avec une véritable démocratisation en cours, éventuellement avec un sentiment anti-russe, si Moscou intervient. Et c’est un résultat que Pékin n’acceptera pas, pour deux raisons.

La première est évidente : la Russie ne l’acceptera pas. Mais la Chine est également idéologiquement opposée à toute transition démocratique, car elle voit tout cela à travers le prisme du coup d’État induit par la CIA, tout comme la Russie. Il suffit de regarder tous les mèmes publiés sur China Daily à propos de Hong Kong, comparant la situation à la place Maidan en Ukraine3. Comme en Ukraine, si un conflit éclate entre la Biélorussie et la Russie (et, peut-être, entre l’Occident et la Russie, par conséquent), la Chine maintiendra au minimum sa neutralité vis-à-vis des actions de la Russie, et gèlera les liens avec Minsk. Éventuellement, en maintenant une coopération discrète.

La situation est fluide, donc cette analyse a probablement manqué certains scénarios alternatifs qui pourraient, en fin de compte, se produire réellement. Mais l’objectif de cet article était de mettre en lumière la logique chinoise dans la région, qui devrait être étudiée très attentivement.

Sources
  1. SIMES Dimitri, “Unrest threatens China’s Belt and Road ‘success story’ in Belarus”, Nikkei Asian Review, 16 juillet 2020.
  2. MARDELL Jacobs, “Big, empty, but full of promise ? The Great Stone industrial park in Minsk”, MERICS, 24 avril 2019.
  3. ZHANG Yunbi, “HK ‘color revolution’ signs seen”, China Daily, 6 septembre 2019.
Crédits
Cet article est la reprise d'une analyse de Jakub Jakobowski, publiée le 17 août dernier en anglais sur son compte Twitter : https://twitter.com/J_Jakobowski/status/1295287794206728192