Hindafing : rire de tout avec cruauté, sans méchanceté

Olivier Costa a regardé Hindafing, un village bavarois un peu différent. Une série comique, désespérée et décalée qui rappelle Fargo et Breaking Bad.

Boris Kunz, Hindafing, 2 saisons, Neuesuper, 2016

Un peu par hasard, j’ai regardé la première saison de « Hindafing », sur le Replay d’ARTE. C’est une série de fiction allemande dont le sous-titre « Un village bavarois un peu différent » avait piqué ma curiosité. Elle conte, au fil de deux saisons de 6 épisodes de 44 minutes, les mésaventures d’un maire déjanté, cocaïnomane, coureur, menteur et malhonnête, qui est rattrapé par les promesses désordonnées et contradictoires qu’il a faites à différents citoyens de sa ville. 

C’est parfaitement joué, affreusement drôle, et très enlevé.

«  Hindafing  » évoque les (bonnes) séries américaines et nordiques. Elle a le rythme endiablé de «  Arrested Development  », la qualité visuelle de «  The Killing  » ou de «  The End of the F***ing World  », l’inventivité scénaristique de «  Ozark  » et le politiquement incorrect de «  Breaking Bad  ». En somme, elle est comique, désespérée et décalée comme « Fargo  », la brillante série inspirée par le film éponyme des frères Coen. Comme «  Fargo  » ou «  Ozark  », «  Hindafing  » joue sur le décalage entre les lieux, a priori calmes, évoqués par le titre, et les choses peu recommandables qui s’y passent. 

Mais il y a plus. «  Hindafing  » se distingue par le nombre de sujets sensibles que la série aborde sans aucun tabou, mais sans jamais créer de malaise pour le spectateur moyen, celui qui ne fait pas partie de la population allergique à la satire ou «  aisément offensée  ». L’intrigue évoque tour-à-tour l’homosexualité du pasteur, la difficile intégration des réfugiés et l’incendie criminel de leur centre, leurs exigences en termes de confort, de nourriture et d’accueil, la manière dont le boucher fabrique de savoureuses saucisses avec des viandes impropres à la consommation importées d’Ukraine, la corruption du maire, un inceste assumé, la conversion d’un brave bavarois à l’islam, un meurtre, la vacuité de l’art contemporain et du petit milieu qui en vit, la spéculation sur les énergies renouvelables et les méfaits de la fracturation hydraulique, la consommation de drogues dures par des citoyens lambda, l’incurie de la police, et le cynisme sans borne des responsables du Land.

Malgré sa férocité, la série ne tombe jamais dans le cynisme déplaisant. Le ton est caustique et le récit ne nous épargne rien des aspects les plus sordides de la réalité, mais il reste léger et n’est jamais moralisateur ou pamphlétaire. À la différence de nombre de ses confrères hexagonaux, qui se prennent à la fois pour des artistes, des penseurs et des militants, le réalisateur a la modestie de ne rien vouloir démontrer ou dénoncer. Son propos n’est ni nihiliste, ni populiste, ni paranoïaque, ni bien-pensant. Avec un refus très subtil du manichéisme, tout le monde en prend pour son grade avec légèreté. Mieux  : les personnages gardent un fond d’humanité et ne sont jamais totalement détestables, quoi qu’ils aient fait. Comme dans les meilleures séries du genre – on pense ici à «  Breaking Bad  » ou aux «  Sopranos  » – le spectateur éprouve de l’empathie pour eux, espère secrètement qu’ils échapperont à des sanctions pourtant méritées, et comprend pourquoi ils agissent comme ils le font. Parce qu’il est au bord de la ruine, parce qu’elle veut être reconnue comme une artiste, parce qu’il doit veiller à l’entreprise familiale, parce qu’elle cherche à s’intégrer, parce qu’il éprouve des sentiments sincères, les uns et les autres sont pris dans une spirale qui leur échappe. 

« Hindafing » est paradoxalement une série dépourvue de méchanceté. Parce que c’est une comédie, qui n’a pas d’autre ambition que de distraire, tout est caricaturé jusqu’à l’absurde – et pas seulement la cupidité des élus ou la stupidité des policiers, comme c’est habituellement le cas dans les séries françaises. Et, à l’image des grands romans, la série aborde avec tact et délicatesse des sujets de fond : la difficulté pour un élu de privilégier l’intérêt public et de résister aux pressions politiques et économiques ; les addictions et leurs conséquences ; les dilemmes et contradictions qui s’attachent à la protection de l’environnement ; la complexité des jeux amoureux ; la solitude de tous ceux qui doivent ajuster leurs valeurs, envies et intérêts à ceux des autres, et sont appelés à définir leurs priorités en la matière.

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