Initialement prévu fin mars, le sommet UE-Chine s’est finalement déroulé par vidéoconférence le 22 juin dernier. Le duo européen constitué d’Ursula von der Leyen – présidente de la Commission européenne – et de Charles Michel – président du Conseil européen – a rencontré en visioconférence le président chinois Xi Jinping et son bras droit Li Keqiang. Si la précaution a largement dominé les échanges, l’Europe a désormais pris conscience du rapport asymétrique de puissance entre la Chine et les Etats-Unis et a donc adopté un ton plus ferme, qui laisse entrevoir l’ébauche de traduction concrète d’une doctrine géopolitique européenne. 

Un levier normatif européen insuffisant… 

Si la Chine est un partenaire économique majeur de l’UE avec des échanges commerciaux qui atteignent en moyenne plus d’un milliard d’euros par jour, elle revêt également le statut de rival systémique et de compétiteur. Cette relation protéiforme, indispensable mais complexe dont la crise sanitaire a mis en exergue les failles, pousse l’Europe à avancer un positionnement franc et assumé, en accord avec ses valeurs intrinsèques. 

La rencontre, bien que virtuelle, a ainsi permis d’aborder trois points d’achoppement majeurs jusque-là éclipsés par les priorités sanitaires. Premier cheval de bataille des dirigeants européens : la lutte concernant la cybersécurité et la désinformation, particulièrement éprouvées durant la crise. Cette critique s’inscrit dans le prolongement de « l’infodémie » dénoncée par Josep Borrell et Thierry Breton dans une tribune conjointe et témoigne d’une Europe de moins en moins patiente envers les entorses aux valeurs qui l’animent. En ce qui concerne Hong Kong, l’UE se positionne à l’encontre du projet de loi sécuritaire par la Chine, estimant que cela constitue une atteinte aux libertés fondamentales. L’UE maintient son soutien au principe « d’un pays, deux systèmes » et appelle la Chine à respecter ses promesses ainsi que la neutralité politique des entreprises européennes basées à Hong Kong. Enfin, fidèle aux valeurs de l’UE, les dirigeants européens ont fait part de leur inquiétude vis-à-vis de la détérioration du traitement des minorités et de la situation des droits de l’homme, en mentionnant notamment des cas précis de détentions arbitraires. 

En abordant publiquement ces thématiques sensibles qui étaient jusqu’ici restées en suspens, l’UE assume cette asymétrie de valeurs et de modèles mais certifie que le rapprochement ne se fera pas au prix des siens. Alors que la Chine est engagée dans une rhétorique hostile avec les Etats-Unis et cherche des appuis stratégiques pour concrétiser ses ambitions, elle se heurte désormais aux exigences européennes qui la poussent à faire des concessions sur son modèle de gouvernance. 

En souhaitant davantage imposer ses règles et valeurs comme conditions sine qua non de toute coopération, l’Europe mobilise son pouvoir normatif. Bien que ce dernier soit un atout majeur, au fondement de sa légitimité sur la scène internationale, les réponses politiques aux crises et défis internationaux ne peuvent se contenter de mots et d’idéaux. Afin de maintenir son rang parmi les puissances stratégiques d’un système multipolaire complexe et de s’affirmer comme partenaire incontournable, l’UE prend progressivement conscience de l’impératif de formulation et de concrétisation de son approche stratégique collective par des actions.

mais nécessaire à l’élaboration d’une stratégie européenne

Afin de s’adapter à un système en pleine transition de puissance, l’Europe doit certes maintenir et renforcer son pouvoir normatif mais également se parer d’une approche stratégique concrète et pluridimensionnelle. De fait, pour Josep Borrell et Thierry Breton, le « soft power vertueux » n’est plus suffisant pour se positionner en tant qu’acteur de la géopolitique mondiale et doit s’additionner au « hard power » reposant sur de solides bases industrielles, technologiques, militaires, commerciales et économiques. Ainsi, ils encouragent l’UE à « réduire ses dépendances » sans toutefois s’isoler de ses partenaires internationaux, afin d’être autonome et souveraine dans la protection de ses valeurs et intérêts stratégiques. 

Comme le présente explicitement Josep Borrell, la pierre angulaire de cette ambition réside en majeure partie dans la mise en oeuvre d’une politique de sécurité et de défense collective. Pour le Haut représentant, la consolidation de la sécurité collective européenne est déterminante afin de renforcer la faculté de l’UE à agir « en tant qu’Union » sur la scène internationale. Il exhorte donc l’UE à se rassembler autour « d’une culture stratégique commune » et « d’un compas stratégique » devant répondre à trois objectifs majeurs : une capacité d’évaluation collective des menaces, une définition de sa portée et une structure définie. La réalisation de cet objectif repose néanmoins sur un budget ambitieux dans le domaine de la défense et de la sécurité, nécessitant l’aval et la coordination des Etats membres. 

Sollicitée de part et d’autre par les Etats-Unis et la Chine, ce qui s’apparente à une prise en tenaille s’avère en réalité une opportunité pour l’Europe de tirer profit de ses deux partenariats et de définir une vision stratégique européenne ambitieuse. L’UE détient la capacité de se présenter comme une voie alternative, non-alignée ni sur la Chine ni sur les Etats-Unis, à elle désormais d’outrepasser la difficile division des tâches entre les instances intergouvernementales et communautaires afin de concilier les objectifs hétérogènes des Etats membres.