Les deux sessions se sont achevées mardi et mercredi 26-27 mai avec la définition des objectifs économiques pour l’année et la publication des principales décisions de la semaine passée1. Au-delà de la question hongkongaise2, d’autres sujets de société nous paraissent intéressants. Tout d’abord, la Chine s’est désormais doté d’un code civil, après 6 ans de travail. Ce code civil, s’il devrait garantir certains droits et libertés, a d’ores et déjà fait parler de lui en ce qui concerne les divorces. En effet, le texte prévoit une période de « réflexion » (cool off period – 冷静期) de 30 jours avant de commencer la procédure afin de laisser aux couples le temps de « réfléchir » aux conséquences d’un divorce. Cette disposition, prévue pour « éviter les divorces irréfléchis » risque surtout de faire baisser le taux de marriage. En tout cas son impopularité a été rapidement perçue en ligne vu les débats qu’il suscite. Plus généralement, SixthTone a produit une excellente explication et infographie qui explique les conséquences de ce code pour le citoyen chinois.

La Chine a-t-elle abandonné ses étudiants à l’étranger ?

L’épidémie de coronavirus a eu un impact conséquent sur les déplacements internationaux et de nombreux étudiants chinois à l’étranger se sont retrouvés livrés à eux mêmes. En effet, contrairement à l’Inde, que les internautes chinois les plus nationalistes aiment critiquer et moquer, la République populaire de Chine n’a pas mis en place de vols de rapatriement. Ainsi, les étudiants chinois à l’étrangers, qui pour une partie d’entre eux sont (étaient) de fervents soutiens du PCC, ont connu une certaine désillusion. En effet, le récit du PCC est que « la patrie n’abandonne pas les siens », mais dans les faits, c’est ce qui s’est produit. Avec sa politique « five one » (五一) qui restreint dramatiquement les liaisons aériennes au point que Etats-Unis et Union européenne soient furieux, les billets d’avions vers la Chine s’arrachent pour plusieurs centaines voire milliers d’euros (début juillet, des vols Paris-Pékin s’achetaient à plus de 2000€). Des étudiants ayant acheté de tels vols se sont ensuite retrouvés bloqués dans des pays tiers. Une histoire virale sur Weibo racontait le calvaire d’une fille partie d’Angleterre finalement bloquée en Biélorussie depuis plusieurs jours, sans réaction de l’ambassade. Certains étudiants qui finissent finalement par rentrer sont accueillis par les insultes et le mépris des internautes nationalistes, qui les considèrent comme des traîtres (pour être partis à l’étranger), qui mettent en danger le pays (en ramenant le virus depuis leur lieux d’études). Comme si cela ne suffisait pas, un député chinois de la Commission politique consultative du peuple proposait que les étudiants revenant de l’étranger n’ayant pas terminé leurs diplômes pourraient entrer dans les « écoles techniques » (écoles spécialisées dans l’enseignement de compétences techniques). La proposition du député a été accueillie avec colère et il s’est rattrapé en expliquant que cette proposition ne ciblait que des étudiants en difficulté. Néanmoins, cette saga des étudiants bloqués à l’étranger représente pour certains étudiants un problème de légitimité de l’Etat et du gouvernement, dans la mesure où l’une des missions de l’Etat est bien sur la protection des citoyens.

Objectifs pour l’année 2020

Le 29 mai, Li Keqiang a présenté les missions importantes du travail du gouvernement de l’année 2020. Pour le premier ministre chinois, « nous sommes en mai et le temps presse ». Ainsi, le Conseil des Affaires de l’Etat a attribué 51 tâches dans près de 45 domaines. Comme nous l’expliquions la semaine dernière, la priorité gouvernementale telle que reflétée par le rapport de travail va au maintien de l’emploi et au soutien à l’économie. Ainsi la tâche prioritaire est la répartition des fonds réservés au soutien de l’économie, l’émission des obligation spéciales, la réduction des charges fiscales, etc. Li Keqiang a insisté sur le besoin pour les collectivités locales d’agir vite. Pour s’assurer la bonne utilisation des fonds, le premier ministre a parlé d’une « nouvelle voie » (新路子) : des comptes spéciaux seront créés pour cette occasion, afin que les fonds qui y sont versés soient ensuite directement transférés aux entreprises. Un « mécanisme de contrôle » sera aussi mis en place via la banque centrale de Chine ainsi que d’autres autorités financières. Si le gouvernement n’a pas, comme nous l’avons expliqué, annoncé d’objectifs de croissance pour cette année, Li Keqiang a déclaré que « se focaliser sur les six garanties » et les « six stabilités » constituent les principaux objectifs en termes de développement économiques3. Le discours de Li Keqiang confirme la gravité de la situation économique, justifiant selon lui la « compression de la plupart des dépenses non essentielles » (dans le budget central) et enjoint les autorités locales à se focaliser sur le plus important.

Le focus sur les infrastructures numériques

Une partie de la relance chinoise prendra la forme d’investissements dans les « nouvelles infrastructures » (新基建). Les nouvelles infrastructures correspondent aux bases de données et serveurs, 5G, internet industriel, intelligence artificielle et « smart city ». En un mot, le gouvernement compte financer une modernisation massive des équipements et infrastructures IT du pays. Ce projet particulièrement ambitieux représente des centaines de milliards de dollars de commandes pour les grandes entreprises (chinoises) du secteur : Huawei, Alibaba, Inspur, et bien d’autres. Toutefois, il faut encore relever de nombreux défi, comme par exemple développer les bases de données nationales. Aux yeux des autorités, les fournisseurs étrangers (Oracle, IBM, MySql, SAP) détiennent une part trop importante sur le marché chinois, alors que leurs compétiteurs nationaux détiennent à peine 7 % du marché. Il n’existe pas actuellement de contrainte pesant sur les entreprises chinoises pour faire appel à des entreprises locales et les géants étrangers restent prépondérant y compris au sein de l’armée, du gouvernement des grandes entreprises. Ainsi, durant les deux sessions, le député Tan Jieqing (檀结庆) a proposé de renforcer les mesures de soutien aux entreprises chinoises de ce secteur, à travers un fond de guidage,  de capitaliser sur les expériences menées avec HotDB dans le domaine financier et enfin de mettre en commun les technologies et informations des entreprises chinoises pour que les entreprises puissent mieux innover.

Des dépenses de R&D hétérogènes entre pays de l'Union en pourcentage de PIB

Un autre aspect de cette course aux nouvelles infrastructures est révélé par un article de Jiqizhineng qui s’intéresse au manque de « talents » disponibles pour construire et développer ces infrastructures. L’article de Jiqizhineng donne un aperçu des salaires moyens dans le secteur, avec notamment un tableau résumant les rémunérations moyennes par poste dans le secteur. En particulier, les compétences les plus demandées sont celles de la gestion de base de données et dans les télécommunications (通信), l’algorithmique est également un secteur porteur. Sans surprise, les provinces qui recrutent le plus sont le Guangdong (n°1), la région de Pékin (n°2) puis le Jiangsu et Shanghai (n°3 et 4).

Crédits
Ce texte est un extrait du nr. 64 du Passe Muraille, une revue de presse hebdomadaire de l'actualité chinoise. Constitué à partir de sources originales traduites et contextualisées, c’est le seul compte rendu francophone, gratuit, consacré à l'actualité du monde sinophone : https://eastisred.fr/passe-muraille-n64-semaine-du-25-mai/