Skopje. Les tendances démographiques sont des indicateurs importants pour obtenir une image complète d’un pays et à envisager des projections possibles pour son avenir. Elles représentent aussi un défi pour la République de Macédoine du Nord : comme l’État n’a pas fait de recensement officiel depuis 2002, la difficulté réside dans l’impossibilité de trouver des données pertinentes. Néanmoins, il pourrait être utile de réduire un peu les chiffres disponibles à partir de différentes sources et données afin d’avoir une perspective sur la démographie du pays.

Recensements macédoniens

Le premier recensement moderne sur le territoire de la République de Macédoine a été effectué en 1921. Par la suite, huit autres ont été réalisés : 1948, 1953, 1961, 1971, 1981, 1991, 1994 et 2002. Le recensement de 1991 étant incomplet, il a été réalisé à nouveau en 1994, ce qui est également le premier recensement effectué en République de Macédoine depuis son indépendance.

Le recensement de 2002 est le dernier à avoir été réalisé. Il a été suivi d’une controverse, au sujet du pourcentage d’Albanais dans le pays : en effet, selon l’accord d’Ohrid1 signé en 2001 avec le soutien de la communauté internationale, les Albanais se sont vus garantir davantage de droits, puisqu’ils représentaient 20 % de la population (condition préalable à l’accord d’Ohrid). Selon le recensement de 1994, la population totale était de 1 920 972 habitants, dont 1 295 964 Macédoniens et 441 104 Albanais. Le recensement de 2002 a donné les résultats suivants : la population totale était de 2 022 547 habitants, dont 1 297 981 Macédoniens (64,18 %) et 509 083 Albanais (25,17 %). Cela signifie que la condition pour la mise en œuvre de l’accord d’Ohrid était effectivement remplie. Mais ce qui était illogique dans les chiffres est ce qui suit : de 1994 à 2002, le nombre de Macédoniens n’a augmenté que de 2 017, tandis que le nombre d’Albanais a augmenté de 67 979. En outre, l’Office national des statistiques de l’époque avait affirmé que pour certaines régions de la partie occidentale du pays (où vivent la plupart des Albanais), les rapports des observateurs montraient que les personnes ne disposant que de documents photocopiés, ainsi celles ayant vécu hors du pays pendant plus d’un an avaient été censurées. Le recensement a cependant été déclaré valide.

La tentative de recensement suivante a eu lieu en 2011, et s’est soldée par un échec : 10 jours après le début de la collecte, la Commission nationale du recensement a annoncé sa démission et le recensement a été interrompu2. Les allégations faites par le président de la Commission de l’époque, qui a démissionné en déclarant qu’une fraude était en cours de préparation, sont significatives3. Le problème concernait de nouveau le comptage des personnes ayant passé plus de 12 mois à l’étranger, ainsi que celui des Macédoniens ayant des documents photocopiés. Même scénario qu’en 2002. À cette différence qu’en 2002, le recensement a été déclaré réussi, et salué par la communauté internationale, et que celui de 2011 a échoué dès le début. Dans les années suivantes, des demandes d’un nouveau recensement ont été formulées à plusieurs reprises : le plus récent était initialement prévu pour 2020, mais une fois encore, après de nombreuses controverses sur le nombre de personnes à enregistrer, ainsi que sur les éléments des listes de recensement, le recensement a été annulé. Aujourd’hui, une nouvelle proposition a été faite, qui prévoit un recensement soit à l’automne 2020, soit en 2021, qui serait ainsi le premier après une interruption de 18 ans.

Taille de la population

Selon les données des derniers recensements en Macédoine, en 1981, on dénombrait une population de 1 808 217 habitants ; en 1994, c’est 1 920 972 d’habitants Macédoniens qui avaient été recensés ; en 2002, la population était de 2 022 547 habitants. Sur la base de projections approximatives établies sur la base de ces tendances par l’Office national des statistiques, la République de Macédoine du Nord devrait aujourd’hui compter 2 077 132 habitants, soit 11 363 personnes (ou 0,6 %) de plus qu’en 2013, c’est-à-dire 54 585 personnes de plus qu’en 2002.

Composition ethnique et religieuse

En 2002, la composition ethnique de la population était la suivante : 64 % de Macédoniens ; Albanais 25,17 % ; Turcs 3,85 % ; Roms 2,66 % ; Valaques 0,48 % ; Serbes 1,78 % ; Bosniaques 0,84 % ; Autres 1,04 %. En termes d’affiliation religieuse4, la situation en 2002 était la suivante : Orthodoxes 64,8 %, Musulmans 33,3 %, Catholiques 0,3 %, Protestants 0,02 % et autres 1,5 %.

Une des raisons, outre la forte croissance démographique, de l’augmentation du nombre d’Albanais en Macédoine, est la crise du Kosovo : en 1999, plus de 100 000 personnes originaires du Kosovo ont été acceptées comme réfugiés sur le territoire de la Macédoine5. À ce jour, la question est de savoir combien d’entre elles ont quitté le pays ou y sont restées depuis 2002.

Élections présidentielles de 2019

Nous pouvons ajouter à la réflexion précédente une analyse des listes électorales des dernières élections de 20196. Le nombre total d’électeurs inscrits sur ces listes était de 1 808 131, tandis que le nombre d’électeurs ayant effectivement voté était de 753 520 (soit un taux de participation de 41,67 %). Les données du recensement de 2002 peuvent être utiles à cet égard : comme indiqué plus haut, la population totale était de 2 022 547 habitants, dont 1 297 981 Macédoniens et 509 083 Albanais. Dans les municipalités où la majorité de la population est macédonienne, le taux de participation aux dernières élections était d’environ 55 – 60 %. En revanche, dans les communautés où la plupart des résidents sont d’origine albanaise, la participation a été beaucoup plus faible, se situant autour de 20 à 30 % dans la plupart des cas.

Les chiffres sur le nombre d’électeurs inscrits et leur participation, comparés au nombre d’habitants selon le recensement de 2002, indiquent clairement que la participation des Albanais du pays est faible. La principale question est de savoir pourquoi il en est ainsi : les Albanais ne sont-ils pas motivés pour aller aux urnes ? Ou bien cela signifie-t-il plutôt que le chiffre déterminé par le recensement de 2002 n’est pas crédible, car les données relatives à la participation ne correspondent pas au nombre réel de la population vivant en permanence dans ces endroits ?

La population vieillit

En termes de structure d’âge, la population macédonienne vieillit. Selon les données du gouvernement, la population de 0 à 18 ans représente 26,0 % ; pour indiquer que la population ne vieillit pas, la proportion de jeunes devrait être supérieure à 30 %. En outre, depuis 2008, la part des jeunes (0-14 ans) a diminué, passant de 18,1 % à 16,4 %. Enfin, la part de la population âgée (65 ans et plus) a augmenté de 11,5 % à 14,1 %.

Selon certaines études récentes sur la participation électorale des jeunes de moins de 29 ans, seuls 20 % des jeunes électeurs votent, ce qui montre l’indifférence ou l’apathie des jeunes pour les questions de politique sociale. Selon des sondages récents, plus de 70 % des jeunes voient leur avenir hors de Macédoine. Une situation confirmée par le fait que plus de 100 000 jeunes n’étudient ni ne travaillent. Voici un autre fait choquant, rapporté par un journaliste macédonien : « Près de 30 % des personnes hautement qualifiées en Macédoine vivent et travaillent à l’étranger, et près de 80 % des étudiants en dernière année d’études techniques pensent ou envisagent de quitter le pays. Le nombre total de nos citoyens séjournant à l’étranger est aujourd’hui très important et peut être estimé à plus de 447 000 personnes »7.

Population par niveau d’éducation

L’évaluation du niveau d’éducation d’un pays est importante pour déterminer le niveau de ses ressources humaines et son potentiel de développement. Si nous classons la population âgée de 15 ans (1 596 267 personnes au total) et plus par niveau d’éducation, apparaissent ces résultats : aucune éducation, 67 358 personnes ; avec une éducation primaire incomplète, 219507 ; niveau élémentaire, 559 082 ; niveau secondaire, 588 554 ; titulaires d’un diplôme universitaire, 50302 ; dont licence, 104 081 ; avec une maîtrise, 2783 ; et doctorat, 2069 ; enfin, 2531 personnes sont encore dans le processus d’éducation élémentaire.

La situation dans le domaine de l’éducation ne varie pas beaucoup selon le niveau d’enseignement : à tous les niveaux, le nombre total d’étudiants diminue d’année en année. Le nombre d’étudiants inscrits dans l’enseignement primaire pour l’année scolaire 2017/2018 est inférieur de 13,5 % par rapport à 2007/2008. Le nombre d’étudiants inscrits dans l’enseignement secondaire est également en baisse. Le nombre d’étudiants inscrits dans l’enseignement secondaire pour l’année scolaire 2017/2018, par rapport à 2007/2008, a diminué de 24,4 %. Le nombre d’étudiants inscrits à la faculté en 2017/2018 a diminué de 11,4 % par rapport à 2007/2008. Le nombre d’étudiants diplômés du premier cycle en 2018 était de 7698. Le nombre de personnes qui ont obtenu le titre de Master of Science et de spécialiste en 2018 est de 1885. Le nombre de personnes ayant obtenu le titre de docteur en sciences en 2018 est de 243.

Mais même si nous sommes confrontés à des décrets ces dernières années, à titre de comparaison, le nombre total de diplômés (de premier, deuxième et troisième cycles) en 2018 est supérieur de 230 % à celui des étudiants diplômés en 1993. La conclusion serait que peu de Macédoniens s’inscrivaient à l’université avant l’indépendance de l’État. En tout état de cause, le pays est toujours confronté à un faible niveau d’éducation.8.

Selon les données de l’Office national des statistiques, pour l’année universitaire 2018/2019, un total de 53 677 étudiants étaient inscrits à l’université, ce qui représente une diminution de 5,7 % par rapport à l’année universitaire précédente. La plupart des étudiants (87,0 %) sont inscrits dans des établissements d’enseignement supérieur publics, tandis que 12,4 % sont inscrits dans des établissements d’enseignement supérieur privés. Au cours de la période 2011-20179, entre 70 et 73 % des diplômés appartiennent aux sciences humaines et sociales, entre 3,8 et 4,7 % aux sciences naturelles et mathématiques, entre 12 et 15 % aux sciences techniques et entre 7 et 12 % aux sciences médicales et biotechnologiques. Le taux d’efficacité est de 13 % : ce chiffre signifie que sur 100 diplômés, seuls 13 d’entre eux peuvent facilement trouver un bon emploi, adapté à leurs qualifications, et entrer sur le marché du travail.

Les dépenses publiques pour l’éducation, la jeunesse et le sport s’élevaient à 3,8 % du PIB en 2018, et les investissements dans la recherche et l’innovation restent faibles, à 0,43 % du PIB, presque entièrement financés par des sources publiques.

Il convient également de noter le très faible taux de réussite de l’initiative « Horizon 2020 », à 11,2 % (contre un taux de réussite global moyen de 15,3 %). La Macédoine du Nord est donc à la traîne par rapport aux autres pays participant au programme, et les normes générales de l’Union européenne sont requises : l’Union conseille de mieux utiliser les fonds européens pour la recherche et l’innovation, afin de garantir la qualité des programmes d’études dans les facultés et une plus grande efficacité dans l’emploi après l’obtention du diplôme.10

Employés et chômeurs

Selon les données de l’Office national des statistiques, au troisième trimestre 2019, la population active est de 964 248 personnes, dont 799 546 sont employées et 164 702 sont au chômage. Le taux d’activité au cours de cette période est de 57,2 %, le taux d’emploi de 47,4 %, tandis que le taux de chômage est de 17,1 %. En 2018, le taux d’emploi le plus élevé était de 45,1 %, et la même année, le taux de chômage le plus bas (20,7 %). Cette même année encore, le taux de pauvreté était de 21,9 %, avec un coefficient de Gini de 31,9 %. Le ménage moyen consomme environ 59,8 % de sa consommation pour répondre aux besoins de base, tels l’alimentation, l’habillement, le logement et les meubles. L’indice des prix à la consommation selon la classification COICOP, en 2018, par rapport à 2017, a augmenté de 1,5 %. Pour l’instant, nous ne disposons pas de chiffres pour 2019

Conclusion

Toutes ces données laissent un message clair : bien que le pays dispose d’une stratégie pour le développement démographique, il est évident qu’il faut accorder plus d’attention à sa mise en œuvre afin d’obtenir des tendances démographiques favorables à l’avenir, qui sont des conditions de base pour le développement de tout le pays, mais aussi des conditions préalables à son cheminement européen vers l’intégration de l’Union européenne. La question se pose de savoir si, avec ce genre de chiffres sur les perspectives démographiques du pays, les résultats requis par le processus d’intégration européenne pourraient être atteints. De toute évidence, il est nécessaire de déployer rapidement des politiques publiques qui permettraient de contrer les effets des tendances démographiques défavorables, par des ajustements économiques et sociaux. Le plus urgent est surtout la nécessité d’organiser un nouveau recensement officiel, qui devrait être réalisé selon les normes des Nations unies et de l’Union européenne afin d’en garantir la fiabilité.