Les laboratoires P4, ou BSL-4 en anglais (biosafety level), sont des laboratoires de recherche biomédicale fonctionnant à un très haut niveau de sécurité, le plus élevé parmi les différents types de laboratoire. C’est uniquement dans ces laboratoires que les recherches sur les pathogènes les plus dangereux sont menées. P4 est avant tout une norme de sécurité internationale, que l’on pourrait en simplifiant énormément appeler « ISO 1 Recherches Biologiques Extrêmement Dangereuses ». Ces laboratoires sont entrés au coeur des débats passionnés concernant le Sars-Cov-2 suite à l’émergence de nombreuses rumeurs, théories et questionnements autour de ses origines. D’aucuns postulent que le virus proviendrait, de manière accidentelle ou intentionnelle, du laboratoire de l’Institut de Virologie de Wuhan. Ces théories, ardues à analyser et attrayantes de par leur capacité à simplifier la narration d’une crise complexe, s’appuient sur un certain nombre d’éléments relativement factuels. Tout d’abord, sur la mise en opération du laboratoire P4 de Wuhan il y a à peine trois ans, et sur l’idée qu’il s’agirait d’une « bien étrange coïncidence » que peu de temps après, un nouveau virus à l’origine d’une pandémie mondiale parte de Wuhan. Ensuite, sur le fait que, suite à une visite de représentants de l’ambassade des États-Unis en Chine en 2017, deux avertissements officiels avaient été envoyés à Washington, évoquant des « faiblesses au niveau de la sécurité et du management » de l’établissement. Pourquoi alors douter d’une explication si simple, si cohérente, et bien plus facile à accepter que la « théorie du pangolin » qui semble à côté bien plus risible ? Quelles informations a-t-on concernant les origines du virus et quelle est la probabilité qu’il provienne d’un laboratoire P4 ? Nous proposons un décryptage en 10 points.

1 – Que sont les laboratoires P4 ?

La classification P4 signifie « pathogène de classe 4 », ou protection de classe 4. Cette appellation est liée à un certain niveau de précautions obligatoires dans le cadre de la recherche sur des agents biologiques dangereux. Les pathogènes de classe 4 sont caractérisés par une haute dangerosité, ce qui en général signifie un taux de mortalité élevé en cas d’infection, l’absence de vaccin protecteur et de traitement médical accessible et efficace en cas de contamination. En bref, des agents qui ont un fort taux de mortalité et pour lesquels ni traitement ni prévention efficaces n’existent. Parmi eux, on retrouve des pathogènes à fièvre hémorragique, de type Ebola et Lassa, ainsi que des pathogènes à haute transmission, souvent par voie respiratoire, à l’image de la variole. Certains virus de la grippe, et en particulier de possibles futures mutations, ainsi que certains coronavirus sont étudiés par ces laboratoires ; SARS, en revanche, n’est classé « que » P3 2.

Les pathogènes de classe 4 sont caractérisés par une haute dangerosité, ce qui en général signifie un taux de mortalité élevé en cas d’infection, l’absence de vaccin protecteur et de traitement médical accessible et efficace en cas de contamination.

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Le niveau 4 est le plus élevé : au niveau 1, les seuls niveaux de protection requise sont en général le lavage des mains et un équipement de protection individuel (protective personal equipment, PPE) minimal. À titre d’illustration de leur caractère relativement répandu, les niveaux 1 et 2 sont accessibles à des étudiants pour des travaux pratiques et présents dans un certain nombre d’Universités, l’École Normale Supérieure Paris Saclay possédant par exemple un laboratoire P2 utilisé par ses équipes de recherche ainsi que par des étudiants pour la préparation des travaux pratiques de l’agrégation de biochimie et de génie biologique. 

2 – Quelles mesures de sécurité les laboratoires P4 doivent-ils respecter ?

Au niveau 4, les systèmes de ventilation doivent être très performants et les pièces doivent être hermétiques. Elles comprennent un sas de décontamination et surtout le maintien d’une pression négative à l’intérieur afin que l’air puisse y rentrer mais pas en sortir 3. En ce qui concerne l’équipement de protection des chercheurs, il existe deux types de laboratoire P4 : ceux qui fonctionnent avec des scaphandres à pression positive pour empêcher l’air extérieur d’entrer en cas de déchirure, et ceux qui optent pour des hottes de travail scellées de l’extérieur avec pour seule entrée deux gants très épais encastrés qui permettent aux chercheurs de travailler à l’intérieur de la hotte 4. Ce dernier type est connu dans la culture populaire : on le retrouve par exemple utilisé de manière très théâtrale par Tom Cruise dans le film Mission Impossible II, dont le scénario tourne précisément autour de chercheurs ayant mis au point un virus particulièrement dévastateur. Les procédures de ces laboratoires, très strictes, comportent douches au phénol à la sortie, contenants hermétiques, traitement de l’eau et des déchets avant toute sortie du laboratoire et bien sûr un haut niveau de sécurité et un entraînement intensif du personnel. 

Du fait du niveau extrême de sécurité requis, ces laboratoires sont extrêmement contrôlés, et leur mise en fonctionnement requiert la validation d’un nombre important de paramètres. Le premier laboratoire P4, par exemple, qui fut construit au Japon en 1981, n’a pu étudier que des pathogènes à bas risque jusqu’en 2015, quand les inquiétudes concernant un possible manque de sécurité ont finalement pu être levées 5. Enfin, au même titre que pour les installation nucléaires sensibles, un dépistage rigoureux doit être mené par les autorités du pays abritant le laboratoire afin de vérifier les antécédents, les fréquentations et les soupçons pesant sur un chercheur pressenti pour travailler dans un tel laboratoire. Ne travaille pas dans un P4 le premier chercheur venu, et il semble peu probable qu’un individu dont le casier judiciaire n’est pas intact, ou ayant un historique de voyages récents jugé suspect par les services de renseignements, obtienne les accréditations requises pour y travailler 6.

Au même titre que pour les installation nucléaires sensibles, un dépistage rigoureux doit être mené par les autorités du pays abritant le laboratoire afin de vérifier les antécédents, les fréquentations et les soupçons pesant sur un chercheur pressenti pour travailler dans un tel laboratoire.

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3 – Quelle est leur origine historique ? 

La création des laboratoires P4 remonte à l’incident survenu à Marbourg en Allemagne en 1967. À la suite d’une fuite à l’intérieur de l’usine Behring, qui travaillait sur la production de vaccins à partir de cellules rénales de singes provenant d’Afrique, 31 chercheurs furent contaminés. Sept d’entre eux sont morts d’un nouveau virus dont les singes étaient porteurs. Cet incident a par la suite donné son nom à ce nouveau virus, le virus Marburg, un pathogène à fièvre hémorragique considéré comme extrêmement dangereux 7. Il a également sans aucun doute alerté sur la nécessité de mesures de sécurité plus importantes dans le cadre de la recherche autour de pathogènes dangereux, au risque d’importantes conséquences humaines.

4 – Où sont situés ces laboratoires ?

Il existe peu de laboratoires P4 dans le monde, non seulement de par le caractère « exceptionnel » des recherches qui s’y déroulent, mais aussi parce qu’étant donné les mesures extrêmes requises pour leur fonctionnement, ces laboratoires coûtent cher à construire et à entretenir. Aux États-Unis par exemple, on compte environ 1350 laboratoires P3 pour seulement une quinzaine de P4 (bien que les chiffres restent flous), dont neuf au niveau fédéral. En France, on en compte trois à ce jour : deux dans l’Essonne liés à l’armée, celui de la direction générale de l’armement (DGA) et celui de l’Institut de recherche biomédicale des armées (IRBA), ainsi qu’un laboratoire de l’INSERM à Lyon (Jean Mérieux). En principe, leur emplacement doit se situer dans une zone protégée, loin de la foule en cas d’accident, et sur un territoire à très faible risque de tremblements de terre. Du fait de leur caractère particulièrement rare, ils attirent souvent des chercheurs venant de loin dont le domaine de recherche nécessite des manipulations biologiques à risque.

5 – À quoi servent-ils et pourquoi sont-ils essentiels à la recherche ?

Toute menace nécessite d’être étudiée et combattue. On ne doute aujourd’hui plus beaucoup de l’utilité des profileurs, qui ont pour rôle de comprendre la manière de penser des personnes susceptibles de commettre ou ayant commis des crimes. De la même façon que l’on s’interroge sur l’utilité de disposer de prisons de très haute sécurité pour la détention et l’interrogation de personnes suspectées ou condamnées pour terrorisme, on peut s’interroger sur l’utilité de tels laboratoires étant donné les risques liés à la manipulation de tels pathogènes. Sans accréditer les innombrables théories du complot qui circulent, le fait est que les autorités américaines détenaient Ahmed Ressam et Zacarias Moussaoui avant le 11 septembre, deux terroristes d’Al Qaeda liés aux attentats ayant, selon le rapport de la commission nationale du Congrès américain sur les attentats 8, à eux deux suffisamment de connaissances pour permettre de déjouer en partie ou totalement les attentats, eussent leurs interrogations été plus fructueuses. De la même manière qu’il est préférable de capturer les terroristes vivants afin de pouvoir les interroger et en obtenir des informations parfois cruciales dans des lieux ultra sécurisés, malgré le caractère parfois contre-intuitif que cela peut avoir, il vaut mieux étudier les virus et les bactéries les plus dangereuses dans des lieux ultra sécurisés plutôt que de chercher à détruire tous les échantillons dont on dispose et de tenter d’oublier leur existence. On ne pourrait pas, après coup, se plaindre de l’inefficacité et de l’incapacité à anticiper, à se prémunir, et à développer des armes efficaces contre une menace, et dans le même temps s’insurger contre le fait que l’on dispose de lieux précisément dédiés à l’étude de ces menaces.

Les laboratoires P4 sont cruciaux dans l’avancement de l’état de la recherche génétique et épidémiologique autour de pathogènes facilement transmissibles et à l’origine de maladies souvent fatales.

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Les laboratoires P4 sont cruciaux dans l’avancement de l’état de la recherche génétique et épidémiologique autour de pathogènes facilement transmissibles et à l’origine de maladies souvent fatales. Plutôt que d’attendre que de nouveaux pathogènes apparaissent et se propagent de façon incontrôlée, plutôt que d’attendre des mois voire des années de parvenir à comprendre leur fonctionnement et réussir à développer un vaccin et à identifier un traitement, ces laboratoires ont pour but de prendre de l’avance et d’imaginer quelles mutations génétiques pourraient donner lieu à de tels pathogènes ainsi que décrypter leur fonctionnement et la façon dont ils pourraient interagir avec le corps humain. 

Certains virus mutent rapidement puisqu’ils se reproduisent dans un laps de temps très bref en utilisant le matériel génétique des cellules hôtes qu’ils infectent. Or il est tout à fait possible que certains virus jusqu’ici limités à la transmission animale acquièrent des mutations génétiques, lors de leur transmission d’une espèce animale à une autre, qui les rendent transmissibles et dangereux pour l’homme. Bien que sa nocivité soit bien moins inférieure, il existe par exemple de nombreux types et sous-types du virus de la grippe, du fait des nombreuses combinaisons antigéniques que le virus a rencontrées au cours de son évolution ; certains sous-types sont transmissibles entre humains, à l’image du H1N1, responsable de l’épidémie de grippe espagnole de 1918 mais également de celle de 2009, tandis que d’autre n’ont jusqu’ici été observés que chez les animaux – c’est par exemple le cas des virus de type D. Les laboratoires P4 servent également à examiner les virus pour lesquels l’information disponible est encore faible, mais qui semblent similaires à d’autres pathogènes dangereux. Ces pathogènes sont en général manipulés à ce niveau de protection jusqu’à ce que l’état de la connaissance permette de confirmer qu’il est possible de les manipuler à un niveau de protection moins élevé ; dans le cas contraire, ils continueront à être examinés à ce niveau de protection.

Ces laboratoires ont pour but de prendre de l’avance et d’imaginer quelles mutations génétiques pourraient donner lieu à de tels pathogènes ainsi que de décrypter leur fonctionnement et la façon dont ils pourraient interagir avec le corps humain. 

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6 – Quels sont les risques ?

Du fait de la haute dangerosité des pathogènes qui y sont manipulés, la construction de ces laboratoires et les protocoles de travail doivent répondre à un haut niveau de sécurité. Or du fait de leur nouveauté (la plupart de ces laboratoires ont été construits au cours des dix dernières années), l’établissement de standards, la communication et le partage de l’information entre ces laboratoires à l’échelle mondiale sont encore à un stade assez préliminaire. Par ailleurs, de plus en plus de pays en développement cherchent à construire de tels laboratoires, qui confèrent une place de premier plan sur la scène internationale de la recherche en génétique. La Chine, par exemple, est parvenue à construire deux de ces laboratoires au cours des cinq dernières années, et planifie la création de cinq à sept autres d’ici 2025 9. Afin d’accélérer l’adoption de normes à grande échelle pour favoriser au mieux la sécurisation de la recherche à haut risque, l’Organisation Mondiale de la Santé a organisé au cours des dernières années plusieurs rencontres de haut niveau entre les différents acteurs concernés, de partage de bonnes pratiques et recommandations 10. À l’échelle européenne, le partage de l’information a été favorisé par la mise en place du réseau européen de laboratoires P4 (European Network of BSL-4 labs) 11, mais cela reste difficile dans des sociétés moins habituées à des politiques de transparence. En Chine, les laboratoires mis en place doivent insister sur l’importance d’un dialogue ouvert entre salariés et de signalement en cas de problème, même mineur, qui sont loin d’être des politiques traditionnelles en entreprise.

Au-delà des normes et de la nécessité du partage transparent de l’information à l’intérieur mais aussi entre de tels établissements, les laboratoires P4 sont controversés du fait des expériences qui y sont menées. Prendre de l’avance sur les pathogènes signifie expérimenter, et essayer des mutations génétiques dans le but d’étudier le comportement de ces agents et leur interaction avec le corps humain. Or, dans la nature, les mutations génétiques sont dues au hasard, et le monde des possibles est tellement vaste qu’il est impossible de prévoir quelles mutations vont affecter un certain pathogène. C’est pourquoi les expériences dites de « gain de fonction », qui sont parfois menées (comme ça été le cas à Wuhan) afin de rendre des virus connus plus infectieux dans le but d’étudier comment ils pourraient interagir avec le corps humain, ne sont pas nécessairement vues d’un bon oeil. Mener de telles expériences, c’est courir le risque de permettre à un virus d’acquérir un avantage génétique qui ne se serait peut-être jamais produit naturellement. En 2011 par exemple, le virologue néerlandais Ron Fouchier avait réussi à rendre contagieux le virus grippal H5N1, très dangereux mais jusque-là incapable de se transmettre entre humains, une manipulation qui a été vivement critiquée 12.

Ces laboratoires permettent également de recréer des virus disparus.

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Par ailleurs, ces laboratoires permettent également de recréer des virus disparus. En 2005, l’équipe d’Adolfo Garcia-Sastre aux Etats-Unis était parvenue à recréer le virus de la grippe espagnole de 1918. On ne peut qu’imaginer les dégâts que la fuite d’un tel virus pourrait engendrer à l’échelle mondiale. Quel était donc l’intérêt de recréer le virus de la grippe espagnole ? Le premier objectif était probablement technique : le fait de recréer ce virus a constitué une prouesse de génie biologique et génétique, et les éléments techniques sont tellement convergents dans ces domaines que cela a probablement entraîné des bénéfices thérapeutiques et médicaux. Les tests de dépistages aujourd’hui mis en place et les protocoles de recherche d’un vaccin utilisent des techniques de génie biologique potentiellement améliorées par cette initiative. On peut également considérer que malgré leurs innombrables différences, la compréhension du virus de la grippe espagnole qu’a permis cette initiative aide aujourd’hui à la compréhension et la recherche thérapeutique contre le Sars-Cov-2. En effet, le fait de recréer le virus de la grippe espagnole a permis de mieux comprendre son mécanisme physiopathologique, c’est-à-dire de mieux comprendre la manière dont il tue 13. Il semble d’après ce que l’on sait aujourd’hui que le virus tuait en induisant une surréaction du système immunitaire qui finit par s’attaquer aux poumons ou se trouve le virus et dans certains cas à amener du liquide, entraînant parfois une forme de noyade. D’après ce que l’on sait aujourd’hui, c’est également comme cela que tue le Sars-Cov-2, dans un grand nombre de cas. Le fait d’avoir des connaissances préalables sur ce phénomène grâce au virus de la grippe espagnole que l’on a recréé en laboratoire a ainsi permis de gagner du temps. Plusieurs pistes de traitement actuelles visent à s’attaquer à ce phénomène en bloquant des molécules de signalisation impliquées dans la surréaction du système immunitaire comme l’interleukine 6, et l’on a exploré ces pistes parce que l’on avait une bonne connaissance préalable de ce phénomène, en partie grâce à nos connaissances du virus de la grippe espagnole recréé en laboratoire. Le Sars-Cov-2 ne contiendrait-il pas alors des éléments du virus de la grippe espagnole ? Cela semble très peu probable car la séquence du virus de la grippe espagnole est connue et publique, et que celle du Sars-Cov-2 l’est également, et qu’ainsi tout un chacun peut télécharger et comparer les deux séquences et voir qu’il n’en est rien. De plus, les virus de la grippe sont des virus à génome à ARN à polarité négative segmenté, c’est-à-dire séparé en plusieurs éléments, tandis que le Sars Cov 2 est un virus à ARN à polarité positive non segmentée. Cela ne rend pas un éventuel transfert de séquence impossible, mais cela le rend très improbable. 

Enfin, certains des virus étudiés par les laboratoires P4 sont sur la liste des potentielles armes biologiques, ce qui permet certes de pouvoir étudier de potentiels traitements, mais alimente les théories de secrets d’États.

Certains des virus étudiés par les laboratoires P4 sont sur la liste des potentielles armes biologiques, ce qui permet certes de pouvoir étudier de potentiels traitements, mais alimente les théories de secrets d’États.

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7 – Pourquoi en parle-t-on en ce moment ?

Comme mentionné précédemment, l’un de ces laboratoires se trouve à Wuhan, épicentre de la pandémie de Covid-19. C’est d’ailleurs l’un des deux seuls laboratoires P4 chinois en fonctionnement. Le laboratoire de l’Institut de virologie de Wuhan étant réputé pour ses recherches sur les chauves-souris, afin de rechercher et d’identifier de potentiels nouveaux virus et de détecter l’émergence de mutations potentiellement dangereuses pour l’homme, il n’a pas fallu longtemps pour que des théories émergent concernant la provenance du virus SARS-Cov-2. Ce qui a nourri la polémique : des rapports de l’ambassade américaine à Pékin, qui suite à une visite du laboratoire en 2017 alertaient sur la possible insuffisance des mesures de sécurité de l’établissement 14. En plus de cela, les critiques du laboratoire questionnent la possibilité d’assurer le niveau de sécurité requis pour le fonctionnement d’un tel établissement dans une société répressive, étant donné que le partage et l’accessibilité de l’information ainsi que la possibilité d’exprimer son point de vue sont extrêmement importants pour prévenir de possibles dangers, comme cela a été évoqué plus tôt. À ces questions, les responsables du laboratoire de Wuhan ont répondu avoir construit l’établissement sur une base de transparence et de collaboration internationale 15.

8 – La création intentionnelle d’un virus tel que le Sars-Cov-2 et la capacité d’anticiper l’impact qu’il aura sont-elles imaginables au vu de l’état actuel de nos connaissances en génétique ?

Le génie biologique, et en particulier le génie génétique, sont des domaines qui connaissent actuellement un âge d’or. On entend parfois que l’âge d’or de la physique a eu lieu au début et au milieu du XXe siècle, avec l’émergence de scientifiques comme Einstein, Max Planck, Niels Bohr, Werner Heisenberg, Erwin Schrödinger, etc. qui ont révolutionné nos théories décrivant l’atome, la matière, et les lois de l’Univers. On peut considérer que cet âge d’or s’est d’abord traduit par une production très fertile de nouvelles théories, la plus connue d’entre elles étant probablement celle de la relativité, donnant entre autres naissance à la physique quantique, mais qu’il ne s’est pas limité là puisqu’après avoir révolutionné le champ scientifique, il a révolutionné le champ militaire et géopolitique en donnant naissance à la bombe atomique. On d’abord compris, puis on a appris, et enfin on a appliqué. 

On peut considérer que le domaine de la biologie moléculaire est en train de connaître un âge d’or similaire depuis le début du millénaire et le séquençage complet du premier génome humain. Notre compréhension des génomes évolue depuis à une vitesse vertigineuse, mais cette progression des connaissances ne doit pas faire perdre de vue la tout aussi vertigineuse progression de la connaissance de notre ignorance. On a longtemps pensé que l’ADN contenait l’ensemble des informations permettant de constituer un individu, en somme « l’ensemble du plan de chaque être vivant », et qu’ainsi la simple observation des séquences ADN permettrait d’expliquer les différences entre individus. Par ailleurs, l’ADN a longtemps été considérée comme un « plan simple à lire et à interpréter ». D’énormes espoirs ont été nourris dans le séquençage de l’ADN, et l’on pensait qu’il permettrait très rapidement de tout comprendre sur les êtres vivants. On croyait qu’en analysant l’ADN de différents êtres vivants il serait possible de rapidement comprendre quelle partie de l’ADN correspond à quelle partie de l’être vivant, qu’en comparant des êtres vivants de la même espèce malades et non malades on pourrait rapidement comprendre quelle partie de l’ADN explique la maladie, qu’en comparant des êtres vivants de la même espèce grands et petits, on pourrait expliquer cette différence de taille grâce à l’ADN, etc. Un des meilleurs exemples de ces espoirs est sans doute le discours de Bill Clinton à la Maison Blanche en présence de scientifiques pour célébrer le séquençage du premier génome humain au début des années 2000, dans lequel il expliquait que l’on pourrait bientôt comprendre et guérir les maladies génétiques de manière efficace.

Le génie biologique, et en particulier le génie génétique, sont des domaines qui connaissent actuellement un âge d’or.

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Mais une très large part de ce que l’on a appris sur la génétique depuis est précisément tout ce que l’on ignore. En observant l’ADN, on a été déçu de voir qu’on était parfaitement incapable d’expliquer toutes les différences entre individus en « lisant simplement » l’ADN. On a ainsi été forcé d’admettre deux choses : toutes les informations expliquant les différences entre individus ne se trouvent pas dans l’ADN, et les mécanismes de régulation de l’ADN, autrement dit la manière dont l’ADN est « lu et interprété » par la machinerie de la vie est d’une complexité vertigineuse. La transmission héréditaire d’informations autrement que par des changements de séquence d’ADN est devenu un champ majeur de recherche (l’épigénétique), qui se caractérise par une grande diversité de mécanismes tout aussi complexes les uns que les autres. 

Le principe de l’expérimentation scientifique est celui de l’acquisition d’une certaine capacité à anticiper et reproduire. On cherche à comprendre à quoi sert un gène quand on est capable d’anticiper les conséquences de son absence, à quoi sert une séquence ADN quand on est capable d’anticiper les conséquences de son insertion ou de sa délétion. Et c’est précisément là que la comparaison avec l’âge d’or de la physique devient complexe. Pour faire une bombe atomique par exemple, il nous a d’abord fallu avoir une compréhension de la structure de la matière et des lois la gouvernant, et bien qu’encore globalement imparfaite, cette compréhension reste très bonne dans le champ référentiel considéré. Mais la compréhension du rôle précis des séquences, et la capacité d’anticiper leur insertion ou leur délétion reste extrêmement parcellaire. 

Pourtant, de manière très paradoxale et frustrante, notre capacité à lire et éditer l’ADN a dans le même temps progressé de manière extrêmement spectaculaire. Le séquençage du premier génome humain, abouti au début des années 2000 a pris plus de 10 ans, coûté des milliards de dollars et mobilisé des équipes de recherche du monde entier. Aujourd’hui, il est possible de séquencer un génome en quelques jours pour quelques milliers de dollars avec des appareils qui tiennent dans un sac de voyage. Jadis, introduire une mutation dans un génome était un processus long, fastidieux, et incertain. Mais avec l’avènement de nouvelles technologies de rupture dans l’édition du génome, la plus connue d’entre elles étant très probablement CRISPR/Cas9, que l’on pourrait comparer à une « machine à écrire génétique » il est maintenant possible d’éditer un génome de manière très efficiente. Ce grand écart entre nos connaissances et nos compétences crée une situation qui pourrait se résumer ainsi : « nous disposons d’une machine à écrire génétique, mais seulement d’un dictionnaire parcellaire ». On sait lire un génome et le modifier de manière relativement rapide, efficiente, et peu chère. Mais on sait extrêmement mal interpréter une séquence que l’on lit, et encore moins anticiper les conséquences des modifications que l’on pourrait y introduire. 

Ce grand écart peut être illustré par deux exemples.

Le principe de l’expérimentation scientifique est celui de l’acquisition d’une certaine capacité à anticiper et reproduire. On cherche à comprendre à quoi sert un gène quand on est capable d’anticiper les conséquences de son absence, à quoi sert une séquence ADN quand on est capable d’anticiper les conséquences de son insertion ou de sa délétion.

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Tout d’abord, par la tournure tragique qu’a pris un essai de thérapie génique à destination « d’enfants bulles » immuno-déficients. Ces enfants souffrent de l’absence d’un gène qui empêche le fonctionnement normal de leur système immunitaire. Le gène en question a donc été inséré dans des lentivirus, qui ont été utilisés comme vecteur pour réintroduire le gène déficient dans le génome de ces enfants. Ce qu’ils ont fait, guérissant presque tous les enfants de leur maladie. Mais les chercheurs n’avaient pas anticipé qu’ils allaient parfois s’insérer devant des oncogènes, dont la suractivation provoque le cancer, et les activer, provoquant des leucémies chez plusieurs enfants.

Ensuite, par la fameuse mutation « protégeant » de l’une des deux formes du VIH. Cette mutation, nommée CCR5Δp32, qui consiste en une très courte délétion d’ADN sur le gène d’un des récepteurs au virus, vue un temps comme une solution miraculeuse, aurait été volontairement insérée chez deux enfants par un chercheur chinois, suscitant la condamnation et l’indignation de l’ensemble de la communauté scientifique et même des autorités chinoises. Toutefois, il semblerait que les « avantages » que cette mutation donne d’un côté, elle les reprenne en réalité de l’autre… En effet, on a appris depuis que cette mutation était associée à une espérance de vie réduite 16.

Il est ainsi vrai que nos connaissances et nos capacités en génétique sont de plus en plus importantes. Pourtant, notre très faible capacité à anticiper les conséquences biologiques des modifications du génome que l’on est capable de faire sont telles que la plupart des fantasmes sur la production artificielle d’armes biologiques surestiment l’état actuel de nos connaissances. Pour qu’un virus soit capable de faire autant de dégâts que le Sars-Cov-2, il doit répondre à un « cahier des charges génétiques » d’une extrême complexité qu’a priori aucun scientifique sur terre n’est capable de bien comprendre entièrement. Malgré le séquençage plus qu’intensif du virus, il existe encore bien des zones d’ombre. Toute théorie ou réflexion postulant la production volontaire d’un virus artificiellement modifié pour faire autant de dégâts se heurte à la réalité des limites de nos connaissances actuelles. La meilleure illustration de cela étant sans doute le fait que la séquence génétique complète du virus est connue depuis début janvier, mais que malgré cela la communauté scientifique et médicale a dans son ensemble été très largement incapable d’anticiper de manière consensuelle et claire la dangerosité du virus et les dégâts qu’il allait causer. On sait bien lire et écrire l’ADN, mais très peu l’interpréter.

Il est ainsi vrai que nos connaissances et nos capacités en génétique sont de plus en plus importantes. Pourtant, notre très faible capacité à anticiper les conséquences biologiques des modifications du génome que l’on est capable de faire sont telles que la plupart des fantasmes sur la production artificielle d’armes biologiques surestiment l’état actuel de nos connaissances.

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9 – Quelle est la place des théories liant l’origine de ce virus à des manipulations humaines dans la crise actuelle ? 

La crise actuelle fait émerger une polarisation des sociétés entre partisans d’une défiance virulente de tout ce qui est perçu comme « le système ». Tous ceux qui ne partagent pas cette défiance virulente étant perçus comme complices, et devraient être attaqués au même titre que le système lui-même. Il faut bien sûr distinguer cette défiance virulente et systématique de la critique et des questionnements, plus que légitimes. Pour les partisans d’une défiance systématique du système, les faits qui corroborent le narratif privilégié sont bien sûr les seuls à être authentiques, et tous les autres sont le fruit de manipulations, de complots, et d’une volonté de dissimulation. La thèse précède les faits. On sait qu’il y a eu complots et intentions criminelles, et on distingue parmi l’ensemble des informations et des faits rapportés ceux qui sont vrais de ceux qui sont faux sur la seule base de cette conviction pré existante. Ces « défiants » convergent, et se soutiennent mutuellement les uns les autres, formant un front issu d’une convergence des luttes que l’on pourrait comparer à la manière dont les hommes politiques populistes s’appuient les uns sur les autres pour tenter de créer un effet de vague. De la même manière que les populistes fustigeant le système s’appuient sur le moindre élément venant du système tenant à les légitimer ou à confirmer une partie de leur discours, les tenants du populisme pseudo-scientifique s’appuient sur toutes les formes de légitimité scientifique institutionnelle existante pour légitimer et crédibiliser leurs discours.

La crise actuelle fait émerger une polarisation des sociétés entre partisans d’une défiance virulente de tout ce qui est perçu comme « le système ». Tous ceux qui ne partagent pas cette défiance virulente étant perçus comme complices, et devraient être attaqués au même titre que le système lui-même.

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Comment résister alors, dans cette critique virulente du système, au soutien d’un Prix Nobel, graal de la recherche scientifique, affirmant que le SARS-Cov2 serait une fabrication humaine ? Selon ce dernier, le génome du virus du Covid19 correspondrait à celui d’un coronavirus classique de chauve-souris auquel aurait été ajouté une séquence du VIH. Le SARS-Cov2 serait ainsi le résultat d’une manipulation volontaire, probablement dans l’intention de développer un vaccin contre le VIH, qui aurait secondairement fuité du laboratoire. Il est tout à fait normal que les propos d’un Prix Nobel de Médecine aient un poids particulièrement important, et que des accusations aussi graves aient dans leur bouche une résonance et une gravité toute particulière. Il semble en effet qu’un Prix Nobel de Médecine, qui plus est pour la découverte d’un virus, soit particulièrement bien placé pour analyser et s’exprimer sur une pandémie mondiale liée à un virus. Mais lorsque l’on y regarde de plus prêt, on comprend mieux que ces déclarations aient, malgré le Prix Nobel de leur auteur, suscité le plus grand scepticisme et la plus grande froideur de la communauté scientifique et médicale. Car cela fait maintenant un moment que ce dernier multiplie les déclarations contredisant des faits scientifiques, ne s’appuyant pas sur des faits scientifiques, et relevant de l’expression d’opinions pures présentées comme faits scientifiques. La mémoire de l’eau, l’opposition aux vaccins, ou encore la papaye fermentée pour guérir Parkinson et le SIDA, toutes ces théories sans justification scientifique ont été soutenues comme scientifiquement valables par ce dernier. Il déclare enfin qu’un bon système immunitaire peut se débarrasser du virus du VIH en seulement quelques semaines et que l’Afrique est particulièrement touchée à cause de problèmes de nutrition.

Ce qui frappe dans ces déclarations, comme dans les faits mis en avant par le camp qui les soutient est encore une fois que lorsque des faits ou des éléments de légitimité venant du système vont dans leur sens, ils sont le signe qu’ils sont dans le vrai, mais que lorsqu’ils infirment massivement leur narratif ou en l’absence criante de faits, c’est à cause de la censure. En d’autres termes : si le titulaire d’un Prix Nobel soutient une thèse, c’est qu’elle est vraie. Et si son co-récipiendaire de Nobel accompagné de dizaines d’autres Prix Nobel, infirment cette même thèse, c’est qu’ils sont corrompus et maquillent les faits.

La mémoire de l’eau, l’opposition aux vaccins, ou encore la papaye fermentée pour guérir Parkinson et le SIDA, toutes ces théories sans justification scientifique ont été soutenues comme scientifiquement valables par un certain Prix Nobel.

XAVIER OLESSA-DARAGON, MARINE DELGRANGE, FIENE MARIE KUIJPER

Des chercheurs indiens mettent en ligne un preprint, un article qui n’a pas été évalué et encore moins accepté pour publication, qui évoque des similarités entre VIH et Sars-Cov-2, c’est que la théorie est scientifiquement établie. Les mêmes chercheurs retirent d’eux même ce preprint suite aux commentaires de leurs pairs, et les autres équipes de recherche qui tentent de reproduire leurs résultats n’y parviennent pas, c’est qu’il y a complot. Les séquences des deux virus sont publiques et disponibles et tout un chacun peut les comparer, c’est qu’il y a complot encore plus en amont. Mais comment expliquer alors qu’un tel personnage ait pu recevoir un Prix Nobel en lien avec la virologie ? D’aucuns mettent en avant le fait que c’est en réalité surtout Françoise Barré Sinoussi qui a découvert le virus du SIDA, et que la découverte lui a bénéficié car il était avant tout son supérieur hiérarchique. On a vu des entraîneurs sportifs à qui l’on prête bien peu de qualités d’entraîneur remporter des trophées prestigieux et on l’a facilement expliqué par le niveau de jeu phénoménal de certains de leurs joueurs, on a vu des chefs d’État à qui l’on prêtait bien peu de génie militaire remporter des batailles et des guerres et on l’a facilement expliqué par les qualités de certains de leurs généraux ou ministres, alors dans un domaine aussi hiérarchique que la recherche, ou le chef d’une équipe co-signe par définition tous les articles produits par son équipe en tant que dernier auteur et bénéficie donc de facto d’une part du crédit de tous ces travaux, doit on vraiment être si surpris par la possibilité que dans certains cas les qualités du récipiendaire ne soient pas aussi exceptionnelles que le prix qu’il reçoit ? 

D’aucun diront qu’il s’agit là d’une manière de décrédibiliser quelqu’un qui dit des choses qui dérangent. D’autres qu’il s’agit d’une manière d’appliquer une certaine forme de rigueur intellectuelle en demandant des faits appuyant des déclarations. D’aucun diront que l’ennemi de mon ennemi est mon ami, et que tous les propos condamnés et jugés dérangeants par un système honni doivent être accueillis avec la plus grande bienveillance. D’autres diront qu’il est tout à fait légitime d’exprimer une conviction personnelle, et d’avoir de la bienveillance pour certaines opinions, mais qu’on ne peut présenter une conviction personnelle comme un fait scientifique pour lui donner tout le poids et la légitimité de la science, car la différence entre une intime conviction et un fait scientifique c’est précisément cela, les faits.

10 – À quel point le VIH et le Sars-Cov-2 sont-ils similaires ?

L’ensemble des organismes vivants partageant une certaine quantité de séquences de génome communes, il arrive souvent que des virus aient des morceaux de séquence communs. Et cela pour deux raisons principales.

La première, du fait que le code génétique, tout comme l’alphabet latin, comporte un nombre restreint d’éléments répétés. L’ADN est composé de quatre bases, et les protéines, au grand maximum, d’une trentaine d’acides aminés différents. Les génomes les plus petits, comme ceux des virus, sont constitués de milliers de bases, et trois par trois les bases codent pour des acides aminés. Des séquences constituées a minima de plusieurs milliers de lettres alors qu’il n’existe que quatre lettres différentes vont ainsi nécessairement comporter des similarités.

L’ensemble des organismes vivants partageant une certaine quantité de séquences de génome communes, il arrive souvent que des virus aient des morceaux de séquence communs. Et cela pour deux raisons principales.

XAVIER OLESSA-DARAGON, MARINE DELGRANGE, FIENE MARIE KUIJPER

Le deuxième élément est le fait que la nature recycle. Bien loin de réinventer perpétuellement la roue, l’évolution, selon les mots du Prix Nobel français de médecine Jacques Monod, « est une bricoleuse ». Lorsqu’elle produit de nouvelles séquences, de nouveaux gènes, qui vont changer les espèces déjà existantes et donner naissance à de nouvelles, la nature s’appuie sur des séquences déjà existantes. En étudiant les génomes, on s’est ainsi rendu compte qu’un certain nombre d’éléments constituants les génomes et les gènes, quand il ne s’agit pas de gènes entiers, se retrouvaient chez des êtres vivants parfois aussi éloignés qu’une amibe, une fleur, et un requin-marteau, et que l’évolution construisait préférentiellement à partir de briques de Lego qui avaient déjà fait leurs preuves plutôt que d’en créer de nouvelles. Il est donc parfaitement fréquent et cohérent de retrouver des pans de séquence communs chez diverses espèces, sans que cela ait quoi que ce soit à voir avec l’activité humaine. 

Tout comme pour la question de la similarité entre le Sars-Cov-2 et le virus de la grippe espagnole, la première réponse est que tout un chacun peut s’assurer de la non-similarité entre le Sars-Cov-2 et le VIH, les deux séquences étant publiques. La seconde est qu’hormis les morceaux de séquence communs qui peuvent être expliqués par la redondance entre génomes naturellement observée décrite précédemment, il n’y a pour ainsi dire pas de similarité entre ces deux virus. 

Si l’on se penche maintenant sur la phylogénie du virus, c’est-à-dire si l’on regarde à quels autres virus connus il ressemble génétiquement pour en apprendre plus sur son « histoire », il s’avère qu’une partie du matériel génétique du Sars-Cov-2 ressemble à celui de coronavirus identifiés chez les chauves-souris tandis qu’une autre serait liée au pangolin, qui est suspecté comme d’avoir joué le rôle d’hôte intermédiaire avant l’infection humaine. La recombinaison dont le virus a bénéficié, celle qui lui a permis d’être facilement transmissible aux humains (et entre humains), c’est la détection par les récepteurs humains ACE2. Or, ce mécanisme de détection par les cellules (en utilisant ce récepteur) n’a jamais été observé avant si ce n’est chez d’autres coronavirus, comme le SARS-Cov-1, responsable du SRAS, et chez le MERS. Bien que l’assemblage synthétique de matériel génétique ne laisse pas de trace, il est très peu probable qu’un laboratoire ait été précurseur dans l’état de la recherche génétique au point d’être en mesure de rendre volontairement un virus aussi pathogène que ne l’est le Sars-Cov-2.

il s’avère qu’une partie du matériel génétique du Sars-Cov-2 ressemble à celui de coronavirus identifiés chez les chauves-souris tandis qu’une autre serait liée au pangolin, qui est suspecté comme d’avoir joué le rôle d’hôte intermédiaire avant l’infection humaine.

XAVIER OLESSA-DARAGON, MARINE DELGRANGE, FIENE MARIE KUIJPER

L’évocation de la présence de séquences du VIH au sein du Sars-Cov-2 frappe toute suite très fort dans l’imaginaire collectif et fait penser à une synergie virale et à un super virus rendu plus dangereux suite à l’ajout d’éléments des virus les plus dangereux qui soient. Pourtant, lorsque l’on se penche de plus près sur les caractéristiques des deux virus, de nombreuses différences apparaissent, notamment leurs modes d’action et les éléments qui les rendent dangereux. L’élément qui suggère un transfert de matériel génétique du VIH vers le SARS-Cov-2 est la forme de leurs génomes, de l’ARN simple brin à polarité positive. Il existe des virus avec un génome ADN, à ARN, simple ou double brin, à polarité positive ou négative. 

Mais la structure du génome n’est pas la seule propriété majeure du génome, car le mode de réplication des virus est aussi un élément clef. Ainsi le VIH et le Sars-Cov-2 n’appartiennent pas à la même catégorie de la classification de Baltimore qui classe les virus en fonction des propriétés de leur génome, leur structure mais aussi leur mode de réplication. Le Sars Cov 2 appartient à la classe IV des virus à ARN simple à polarité positive, tandis que le VIH appartient à la classe VI, des rétrovirus. Les rétrovirus passent par une étape de « transcription inverse » au cours de laquelle leur génome ARN est converti en ADN, ce qui leur permettra ainsi de s’intégrer au génome ADN de la cellule hôte infectée. Cette étape, qui est essentielle, n’existe pas chez les coronavirus, y compris chez le Sars-Cov-2. Or, elle conditionne une large part de la dangerosité du VIH, puisque c’est au cours de cette étape que sont introduites de nombreuses mutations au sein du génome du VIH, et que la vitesse de mutation vertigineuse du VIH est un élément central de sa dangerosité. Après infection, le VIH mute si rapidement que le système immunitaire a beau reconnaître le virus responsable de l’infection initiale, ses reproductions successives finiront par donner naissances à des virus suffisamment différents de lui pour que le système immunitaire ne les reconnaisse plus. C’est loin d’être le seul élément expliquant sa dangerosité mais c’est tout de même un élément majeur, et qui explique pourquoi il semble presque impossible de développer un vaccin contre le VIH, le vaccin vaccinera contre une forme du virus mais il mute si vite qu’il semble presque impossible de vacciner contre toutes ses formes. Le Sars-Cov-2 ne passe pas par cette étape, et semble muter très peu, l’ensemble des séquences obtenues aux quatre coins du monde à différents stades de l’épidémie étant extrêmement proches. 

On a donc d’un côté un virus très variable qui mute très vite, cible le système immunitaire, cause une immunodéficience et tue en plusieurs années ; d’un autre, un virus qui mute très peu, cible notamment les cellules pulmonaires, et tue en quelques semaines en suractivant le système immunitaire dans les poumons.

Xavier Olessa-Daragon, Marine Delgrange, Fiene Marie Kuijper

Autre élément central d’un virus : son tropisme, c’est-à-dire le type de cellules qu’il infecte. Ce tropisme est conditionné par les récepteurs qu’un virus utilise pour rentrer dans des cellules et va conditionner une large part des symptômes qu’il va causer. Les virus causant des hépatites n’ont pas tous un génome de même nature, mais pour rentrer dans les cellules ils utilisent des récepteurs qui se trouvent à la surface des cellules du foie, et vont donc causer des pathologies qui vont toucher le foie. Le VIH utilise des récepteurs, CCR5 et CXCR4, qui sont exprimés à la surface des cellules du système immunitaire et cible donc celles ci. Un des moyens principaux par lequel le VIH cause une immunodéficience étant ainsi en infectant les cellules du système immunitaire. Le SARS-Cov-2 quant à lui utilise un récepteur, ACE 2, qui se trouve entre autres à la surface de cellules épithéliales pulmonaires, et va donc causer une pathologie qui se caractérise dans un grand nombre de cas par une pneumonie. On ignore encore beaucoup de choses concernant le Sars-Cov-2, mais en l’état actuel des connaissances il semble qu’il tue en détruisant des cellules pulmonaires, et en causant une surréaction du système immunitaire qui envahit massivement les poumons, causant parfois une forme de noyade.

Dernier élément, la cinétique d’infection du virus. Le VIH tue dans la grande majorité des cas plusieurs années après l’infection, et à l’exception d’un nombre extrêmement rarissime de cas jamais en moins d’1an. Le Sars-Cov-2 a quant à lui fait plus de 200.000 morts et touché le monde entier moins de 6 mois après la déclaration des premiers cas. Après infection, il tue donc en quelques semaines voire quelques jours. 

On a donc d’un côté un virus très variable qui mute très vite, cible le système immunitaire, cause une immunodéficience et tue en plusieurs années ; d’un autre, un virus qui mute très peu, cible notamment les cellules pulmonaires, et tue en quelques semaines en suractivant le système immunitaire dans les poumons. 

Cela ne prouve rien, et il est parfaitement possible  de modifier un virus et de le rendre plus ou moins dangereux en y ajoutant des séquences, notamment des séquences régulatrices, d’un autre virus qui ne modifient aucune de ces caractéristiques d’un virus. Mais il semble tout de même important de rappeler que les deux virus sont très différents, que et les mécanismes à l’origine de leur dangerosité sont eux aussi très différents.