En quoi les sanctions contre l’Iran nuisent à la lutte contre le coronavirus ?

Téhéran. La situation épidémique en Iran est particulièrement grave : près de 20000 personnes ont été testées positives au virus et 1500 personnes y ont déjà succombé. Les scénarios les plus pessimistes prévoient entre un million et 3,5 millions de morts dans le pays (sur une population de 80 millions de personnes) si l’épidémie ne parvenait pas à être contenue. 

Les principaux responsables sont bien entendu les dirigeants iraniens, qui ont apparemment tenté de cacher l’épidémie dans un premier temps afin de permettre que les élections législatives se tiennent en février, alors qu’il y avait déjà un certain nombre de cas, puis en minimisant le nombre de personnes infectées et en refusant de prendre des mesures drastiques. Ainsi, à l’inverse de ce qui s’est produit la plupart, les autorités iraniennes n’ont fermé que les principaux sites religieux, à Qom et à Mashhad, parfois sans même parvenir à maintenir leur fermeture sous la pression populaire des ultra-conservateurs.1

Cependant, la difficulté à faire face à la situation provient également, comme l’a expliqué le professeur Abbas Kebriaeezadeh, de l’impossibilité de trouver le matériel médical adapté pour répondre à la crise (notamment masques respiratoires, vestes chirurgicales et ventilateurs), en raison de la désorganisation des chaînes d’approvisionnement,  de la fermeture rapide des frontières des pays voisins et des faiblesses structurelles de l’économie iranienne qui est entièrement coupée de l’économie mondiale depuis le retour des sanctions américaines. 

Les sanctions américaines compliquent en effet la lutte contre le virus à deux niveaux. D’une part, le retour des sanctions a conduit un grand nombre de compagnies aériennes et de compagnies de transport maritimes à arrêter de travailler sur le territoire iranien de crainte d’être touché par des sanctions américaines. Pour ne donner qu’un exemple, l’Organisation mondiale de la santé a expliqué que le nombre limité de vols vers l’Iran avait compliqué et ralenti l’acheminement de médicaments au cours des dernières semaines.2

D’autre part, le nombre, la force, et le flou des sanctions américaines rendent très difficile l’importation de produits médicaux car presque aucune banque n’accepte des paiements provenant d’Iran. Ainsi, un certain nombre de cadres de  la Banque Centrale iranienne ont été sanctionnés en septembre 2019 alors qu’il s’agissait du seul canal financier qui permettait de fait d’importer des biens de nature humanitaire. D’après un rapport de Human Rights Watch, ces dernières sanctions ont rendu le concept d’ « exception humanitaire », utilisé par les autorités américaines pour dire que leurs sanctions ne touchent pas les biens de nature humaines « insignifiant ».3

Quelle est la position actuelle de l’administration Trump ? 

Et pourtant, alors que les pays européens ont accepté une trêve et ont prévu une aide de 5 millions d’euros,4 l’administration Trump n’a pas considéré que la situation était suffisamment grave pour mettre fin aux sanctions, malgré les appels des gouvernements britanniques5, russe6 et chinois7 à le faire.

L’administration, loin de lever des sanctions, en a même imposé de nouvelles. En effet, mardi, le Secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo a annoncé de nouvelles sanctions contre 9 entités iraniennes basées en Afrique du Sud, en Chine et à Hong Kong et contre 3 individus iraniens, apparemment impliqués dans des échanges importants dans l’industrie pétrochimique, tandis que le département du Commerce annonçait d’autres sanctions en parallèle, portant sur 18 entreprises et 3 individus.8

Pour la première fois, le Département du Trésor vise des entreprises basées aux Emirats Arabes Unis (5 sur les 18 sanctionnées), ce qui marque une volonté de durcir le ton puisque les Emirats servent habituellement de médiateurs de confiance des Etats-Unis vis-à-vis du régime iranien.9 Si ces sanctions ne changent pas véritablement la situation, elles témoignent ainsi de la radicalité de la pression américaine et pourraient dissuader d’autres pays qui souhaiteraient envoyer de l’aide médicale en Iran.  

Certains néo-conservateurs radicalement opposés à la République islamique, comme Richard Goldberg, considèrent même qu’il faut profiter de l’occasion pour réimposer l’ensemble des sanctions onusiennes qui avaient été levées par l’accord sur le nucléaire iranien.10 

Si le département d’Etat américain a déclaré publiquement être « prêt à aider la République islamique d’Iran  », le communiqué de Mike Pompeo du 28 février ne contenait aucune précision sur la nature de l’aide que le gouvernement s’apprêtait à donner.11

L’administration iranienne est-elle responsable de ce blocage ? 

Et pourtant, l’administration iranienne semble prête à admettre ses difficultés actuelles et à chercher implicitement l’approbation américaine pour débloquer une aide internationale. 

En effet, le 12 mars 2020, pour la première fois depuis octobre 1960, le gouvernement iranien a demandé au Fond Monétaire international un prêt pour l’aider à surmonter la crise. Abdolnaser Hemmati, directeur de la Banque Centrale iranienne, a expliqué ce jour-là avoir demandé 5 milliards de dollars d’aide au Rapid Financing Instrument, instrument du FMI qui avait déclaré disposer de 50 milliards pour aider les pays en difficulté.12

Doublant la demande formelle de Hemmati d’une demande diplomatique, le Ministre des affaires étrangères iranien a publié un appel à l’aide sur Twitter  accompagné d’une liste d’équipements médicaux dont les services de santé iraniens manquent.13, ainsi qu’une lettre à Antonio Guterres pour lui demander de l’aider à obtenir la levée des sanctions américaines.14

En effet, l’Iran, en raison de l’impossibilité d’exporter son pétrole, a eu un déficit commercial de 1,7 milliards de dollars pour le mois de février. Or, en raison de la dépréciation de la monnaie iranienne, importer des médicaments est de plus en plus coûteux pour l’Iran, et pourrait contribuer à renforcer l’inflation déjà galopante.15

Dans ce contexte, comme l’explique Esfandyar Batmanghelidj, demander l’activation de ce mécanisme du FMI revient peu ou prou à demander une approbation indirecte de Washington, puisque le Département du Trésor américain pourrait demander à vérifier que l’aide est en conformité avec les sanctions américaines, comme cela avait été le cas lorsque la Suisse avait transféré des aides médicales en Iran en février. Par là, conclut l’analyste, « l’Iran demande de fait à la direction du FMI de rechercher l’approbation de l’administration Trump afin d’ouvrir un canal financier que la Banque centrale iranienne trouve de plus en plus difficile à maintenir  ».16

Une telle approbation semble cependant improbable, du moins pour l’instant. En effet, tout en déclarant souhaiter aider le peuple iranien, Mike Pompeo a récemment déclaré « Le virus de Wuhan est un assassin, et le régime iranien en est le complice ».17

La radicalité de la position américaine pourrait s’expliquer par la poursuite des opérations de déstabilisation des soutiens de l’Iran au Moyen-Orient. En effet, le 12 mars, la base de Taji au nord de l’Irak a été touchée par une dizaine de tirs de roquette qui ont entraîné la mort de deux soldats américains et d’un soldat britannique. Les forces américaines ont accusé Kata’ib Hezbollah, une milice proche de Téhéran. 

En somme, pour les ultra-conservateurs du régime iranien, la crise ne semble pas encore suffisamment grave pour qu’ils acceptent de normaliser leur politique étrangère dans la région et reconnaissent les limites de leur opposition radicale aux Etats-Unis. Pour l’administration Trump, l’ampleur sans précédent de la crise humanitaire qui frappe actuellement l’Iran n’est pas un prétexte suffisant pour relâcher la doctrine de « pression maximale ».

Sources
  1. Iran hard-liners storm shrines closed due to coronavirus, Al Monitor, 17 mars 2020
  2. HAMELMANN Christoph, Tweet du 28 février 2020
  3. Human Rights Watch, “Maximum Pressure” : US Economic Sanctions Harm Iranians’ Right to Health, 29 octobre 2019
  4. UK Government, €5 million to help fight coronavirus in Iran : E3 statement, Mars 2020
  5. WINTOUR Patrick, UK presses US to ease Iran sanctions to help fight coronavirus, The Guardian, 18 mars 2020
  6. MEE Staff, Coronavirus : China and Russia call on US to lift sanctions against Iran, Middle East Eye, 17 mars 2020
  7. China Appeals To US To Lift Iran Sanctions For Coronavirus Pandemic, Radio Farda, 17 mars 2020
  8. PAMUK Humeyra, ARSHAD Mohammed, U.S. sanctions Iran, seeks release of Americans amid coronavirus outbreak, Reuters, 17 mars 2020
  9. US Targets UAE-Based Firms for Shipping Iranian Oil, Bourse & Bazaar, 19 mars 2020
  10. GOLDBERG Richard, If Trump Hates Obama’s Nuclear Deal, Why Is He Letting Up on Iran ?, Foreign Policy, 18 mars 2020
  11. POMPEO Michael R., Secretary of State, United States Offers Assistance to the Iranian People, US Department of State, 28 février 2020
  12. MOTEVALLI Golnar, Coronavirus Surge Sends Iran to IMF for First Time in 60 Years, Bloomberg, 12 mars 2020
  13. ZARIF Javad, Tweet du 12 mars 2020
  14. ظریف پایان تحریم های آمریکا برای مقابله با کرونا را خواستار شد, Mehr News Agency, 12 mars 2020
  15. کرونا در بزنگاه حکمرانی, Donya-e-eqtesad
  16. BATMANGHELIDJ Esfandiar, Iran’s Urgent IMF Loan Request Challenges Trump Policy, Bourse & Bazaar, 17 mars 2020
  17. US Department of State, Tweet du 18 mars 2020