« Nous sommes en guerre. » C’est la phrase qui a marqué la dernière adresse du président Emmanuel Macron aux Français le 16 mars 2020. Comment comprendre cette expression ? Une comparaison chiffrée laisse entrevoir une différence entre les réactions des pays, les réactions efficaces venant davantage des pays ayant une culture de la mobilisation (Corée du Sud, Taïwan, Israël). Dans une telle situation, le recours à l’armée, à ses savoirs faire et à sa culture pourrait s’avérer un avantage réel.
Nous avons posé la question à des médecins spécialisés dans les opérations d’urgence. Leur expérience au cœur des crises doit être étudiée pour comprendre comment la gestion du Covid-19 sera influencée par la référence à la guerre.
- Frédéric Petitjean est médecin spécialiste de l’aide médicale d’urgence et de la médecine de catastrophe, médecin Chef SDIS 04, et ancien médecin du BMPM et de la réserve opérationnelle au sein des forces spéciales de la Marine.
- Jean Marc Laborie est médecin spécialiste de l’aide médicale d’urgence et de la médecine de catastrophe, médecin principal de réserve à la BSPP, ancien médecin du Groupe Médical d’Intervention du RAID, membre de la Société française de médecine de catastrophe.
- Matthieu Dolain fonctionnaire, ancien Commando Marine, nageur de combat et opérateur premiers secours de combat.
Comment comprenez-vous l’expression « guerre au virus » ? Est-ce qu’elle a un sens opérationnel ? Quel est l’intérêt de se référer à cette notion ?
Le Président de la République a répété à plusieurs reprises : « Nous sommes en guerre. » Ce mot de « guerre » doit être compris en tant que la guerre est toujours un facteur déstructurant pour l’individu. Cette expression désigne plutôt un moment où les individus, les groupes, les institutions, etc., tout ce qui fait tenir ensemble et qui protège la société, sont immédiatement mis en difficulté, même s’ils sont déjà préparés. Lorsqu’ils n’ont aucune préparation, c’est pire, ils se retrouvent en phase chaotique de paralysie. Évidemment, nous ne sommes pas en guerre au sens littéral, mais la situation a de quoi rappeler l’idée d’urgence et les effets déstabilisants qui sont attachés à la guerre.
Ce qui compte davantage, c’est la réponse qu’on apporte à la situation. Parler de guerre, cela signifie que l’on est en face d’une mise en tension extrême du système de santé dans son régime normal, tel qu’on le connaît et le pratique tous les jours. Parler de guerre a donc du sens, métaphoriquement, puisque cela nous oblige à réfléchir dans le « hors cadre ». Par ailleurs, ce mot aide à faire prendre conscience que nous vivons une situation exceptionnelle et dangereuse. Accepter ce qui arrive demeure une étape importante pour faire face à la crise. Pour l’instant, seule la région Grand Est, pour laquelle des moyens exceptionnels ont été mobilisés, avec le déploiement d’un hôpital de campagne, semble être dans une situation sanitaire tendue. Mais la situation pourrait vite évoluer.
Si on devait trouver un sens opérationnel à cette comparaison entre la guerre et la mobilisation du système de santé contre le virus, on pourrait évoquer les trois phases avec lesquelles doivent travailler tous les médecins et travaillent dans la gestion de crise : l’anticipation, l’action et l’amélioration.
Pour toutes les unités de l’armée et de la police qui se confrontent au combat, et plus particulièrement pour celles qui mènent des opérations de libération d’otages, il s’agit surtout de réagir à une situation de crise d’urgence ou à une situation dégradée. En cela, l’univers médical est comparable. L’évaluation et le pilotage de situations dans la crise se fait en trois temps : la préparation (avant), l’adaptation (pendant) et l’amélioration (après).
Quel rôle peut jouer l’armée dans les prochaines semaines ?
L’armée et surtout le Service de santé des Armées (SSA) participe à la sécurité publique, comme la police, la Gendarmerie, les Pompiers, les Secours Associatifs, le SAMU, etc…
Au fond, il n’y a pas vraiment de différence au niveau des personnels-soignants. Les formations sont proches. La grande capacité réside dans la faculté à évaluer et à soigner dans un environnement particulier. Les médecins, les infirmiers et les secouristes qui sont préparés à aller au combat, qu’ils appartiennent à la police ou à l’armée, aux unités spéciales ou non, peuvent tous être amenés à jouer un rôle dans cette crise, car ils ont une expérience des situations d’urgence.
Le SSA va forcément apporter son expertise et son aide. D’abord, il a à offrir une capacité logistique unique pour proposer des solutions en situation extrême. Sur le plan stratégique, ses objectifs ne sont pas si différents de ceux des personnels-soignants civils : il s’agit toujours de soigner le maximum de patients avec les moyens à disposition. Ils ont la même éthique, les mêmes connaissances et les mêmes qualifications. Un syndrome de détresse respiratoire (SDRA) se soigne toujours de la même façon, qu’on soit au SSA ou à l’hôpital.
Ce qu’apporte le SSA sur le plan logistique est donc surtout une culture de l’extrême, qui aura peut-être ses limites, et une culture de l’obéissance et de la résilience. Ces facteurs seront cruciaux pour prendre en charge la crise qui submerge le pays.
Mais le reste de l’armée pourrait aussi prêter main-forte afin de soulager et d’optimiser les effectifs des services hospitaliers ou afin de remplir des tâches qui ne relèvent pas de l’urgence mais qui restent indispensables. C’est justement ce que l’on observe, par exemple, en Lombardie où les militaires assurent le transport les corps des personnes décédés. Et en Corse, où un navire de la Marine nationale doit prochainement évacuer des malades d’Ajaccio.
Quel rôle pensez-vous que l’armée devrait jouer ?
Les moyens projetables ou d’évacuation (Morphée, « hôpitaux projetables ») peuvent apporter localement une bouffée d’oxygène à un système qui croule sous la charge, même en temps normal. Les personnels du SSA (médecins, infirmiers, aide soignants, mais aussi les cadres non médicaux) peuvent apporter une vraie plus-value en situations de crise. La gestion de crise (les conflits) sont la raison d’être des armées. Pour être capable de gérer une crise, plusieurs facteurs sont à prendre en compte, non seulement au niveau individuel, mais également au plan structurel.
Au niveau des individus d’abord, le facteur humain est essentiel. Certains ont des « facilités » à garder des facultés d’analyse en situation de stress, à garder son calme sous une pression importante, à travailler en équipe sous stress. On peut citer par exemple le processus de sélection des unités spéciales. Le résultat est que ces formations intensives et ces sélections donnent des individualités plus stables, plus solides, plus fiables et capables de continuer à penser, à créer, à s’adapter quelle que soient les circonstances. Plus généralement dans les armées, l’expérience opérationnelle de ces dernières années a considérablement renforcée les qualités humaines du soldat.
Car au-delà du facteur humain qui permet une forte résistance psychologique et physique au niveau individuel, l’expérience est primordiale à la préparation à la gestion de crise. À ce titre, les éléments qui vont pouvoir changer la donne sont ici : l’acquisition de connaissances et d’outils la répétitions d’exercices mettant en œuvre ces outils et ces connaissances et le partage d’expérience. Par définition, une crise est imprévisible, dans sa survenue, sa cinétique, sa forme, ses contraintes : il est impossible de travailler tous les scénarios. La formation doit donc s’attacher à travailler à l’adaptabilité, à la souplesse et à l’intelligence, pour permettre aux acteurs de s’adapter en permanence.
Au niveau des structures, il existe des outils d’organisation du commandement – outils militaires repris par les pompiers, et les forces de Sécurité intérieure – qui permettent de structurer le commandement de façon à permettre : la remontée d’information, le traitement de l’information, l’écriture et l’analyse des situations envisageables, l’élaboration des idées de manœuvres, la préservation d’un « temps de cerveau libre » au profit des décideurs.
Une bonne partie des acteurs du SSA a une expérience de terrain. Celle-ci vient enrichir la « bibliothèque de référence » de l’individu. Si elle a été digérée et intégrée, elle permet une approche plus « dégagée de l’effet tunnel ». Combinée à la créativité et à la capacité de s’adapter, elle est une des clefs de la réussite.
En clair, ces personnels expérimentés peuvent créer des synergies et des cinétiques positives par leur savoir faire et par leur expérience.
Face à ce virus, l’urgence médicale civile est-elle de même nature que l’urgence médicale lors d’une opération de combat ? Peut on parler de « tactique médicale » ?
En situation de combat, l’ennemi met en difficulté les hommes et la structure. Avec une urgence sanitaire comme le coronavirus, on se trouve dans une situation similaire, toute chose égale par ailleurs. L’expérience de l’armée ou de la police nationale (le RAID, par exemple) s’enrichit par l’habitude de cette situation. De cette façon et dans ce contexte, il faut accepter l’événement, y faire face, et vaincre. Cet état esprit n’est pas forcément transposable totalement, mais il aura ses vertus pour affronter le Covid-19.
Ce qui change, c’est l’organisation autour du malade. Un blessé par balle ou un SDRA se soigne avec la même approche, une approche médicale, de soin. Le SSA a une valeur ajoutée dans l’intervention compte tenu de sa logistique adaptée et habituée aux situations d’extrême urgence, mais cette logistique est limitée, elle ne suffira à faire face toute seule à l’afflux de malades du Covid-19.
La nouveauté va donc être de travailler en harmonie. Et ce dont la médecine civile pourra s’inspirer pour mettre en œuvre une « tactique médicale », c’est la capacité du SSA d’imposer avec force des décisions difficiles, aussi bien à l’individu qui exécute les décisions qu’à la structure qui fait corps autour de lui.
Et le monde de la santé en est tout à fait capable. Si les méthodes sont différentes, le résultat, au bout du compte, sera le même : l’hôpital, les SDIS, les SAMU, les associatifs, toute la société civile est tout à fait capable de se mettre en ordre de bataille derrière les soignants pour livrer une guerre avec détermination.
La gestion d’une crise complexe nécessite tactique et stratégie. L’impact majeur est organisationnel. Un bon médecin sera utile à 4, 5, 10 patients. Si c’est un clinicien et un tacticien, il doit organiser son service et son hôpital. Son action bénéficiera ainsi à 50, 100, 200 patients. Il faut sortir du soin pour penser l’organisation et gérer des flux en situation dégradée.
Chacun doit agir à la bonne échelle. Un médecin gérant un service de réanimation fait des choix tactiques dans son unité (gestion des personnels, des matériels, des techniques médicales qu’il va décider d’utiliser ou non…), un directeur d’hôpital, qui a la vision de l’ensemble des services et des besoins va faire des choix tactiques (privilégier certains services, en fermer d’autre, gérer ses approvisionnement, rechercher des solutions alternatives, gérer l’affectation des personnels entre les services tout en pensant dans le temps …), un infirmier isolé dans une maison de retraite va quant à lui également faire des choix tactiques pour améliorer au mieux la survie de ses pensionnaires malades, les personnels en soutien direct et indirect du personnel-soignant vont contribuer à l’efficacité de l’ensemble de façon cruciale, etc.
Dans une structure non préparée à une gestion de crise il faut rapidement identifier ces gestionnaires « innés » ou expérimentés et rebâtir l’organisation opérationnelle autour d’eux.
Quels sont le rôle et la fonction de chaque acteur partie prenante dans la séquence ? Quelle sera leur routine dans les prochaines semaines ?
La spécificité d’une crise est que, précisément, il n’y aura pas de routine, plus de routine. La séquence qui s’ouvre va obliger chaque acteur à changer de modèle. Donc il ne s’agit pas d’une habitude mais bien de l’obligation de changer complètement de logiciel.
Cela passe par trois étapes : décider, rassurer par la décision et, last but not least, innover. À ce titre, les personnels-soignants vont probablement devoir sortir, comme souvent, de leur zone de confort. Leur rôle ne sera pas d’être des bons techniciens – ce ne sont pas des difficultés techniques qui menacent avec le nouveau coronavirus, mais bien la propagation de l’épidémie – mais de décider dans les moments où c’est difficile. Non pas seulement décider d’ailleurs, mais bien décider en inspirant confiance et donc en rassurant les populations. C’est bien là qu’est la plus grande difficulté. La force des process et des routines est qu’elles ont presque force de loi. Il n’est pas nécessaire de légitimer une procédure habituelle. Lorsqu’on agit dans le « hors cadre », lorsqu’on innove, la difficulté est redoublée.
Chaque nouveau jour implique de remettre en question ce qui a été fait la veille. Ai-je bien fait ? Ces mesures étaient-elles suffisantes ? etc. Si nous voulons vaincre la crise, il faut changer d’échelle : avec le Covid-19, les parties prenantes doivent se poser ces questions en permanence, plusieurs fois par jour. Pour dompter le moment, les acteurs doivent sortir des sentiers battus et se demander en permanence : quelle est la situation actuelle ? est-ce que la vision que j’en ai est conforme à la réalité ? les décisions prises hier sont-elles cohérentes aujourd’hui ? quelles sont les situations prévisibles qui m’attendent demain. Il s’agit de sortir du tunnel de l’action en cours.
C’est tout le paradoxe de la légitimité de l’action qui se retrouve ainsi à plat : quelle règle appliquer s’il n’y a pas de règle ? Comment savoir si la règle que j’invente, à travers les solutions que je mets en œuvre, est la bonne ? Il s’agit d’avoir un impact sur ce qui se passe.
Dans vos domaines d’activités respectifs vous avez dû à plusieurs reprises faire face, quels sont les enseignements les plus utiles (retour d’expériences, culture stratégique) pour mener efficacement « la guerre au virus » que vous tirez de votre expérience ?
La stratégie du triage médical peut-être évoquée. Pour les médecins et pour les militaires, l’image du triage est un bon outil. Trier, en médecine, c’est décider.
L’exemple du Bataclan, quoique particulièrement extrême, est à cet égard assez parlant : il s’agissait d’extraire du théâtre tous les blessés pendant l’intervention. Cette opération fut réalisée en 40 minutes, avant l’assaut du 1er étage. C’est le genre d’expérience, typique d’un environnement de guerre, qu’il est utile de garder en mémoire lorsqu’on doit faire face à l’urgence et à la crise.
Concrètement, l’impact majeur est organisationnel. La base de toute opération de soin en situation d’urgence, comme en opération militaire, est la structuration de la chaîne de décision. C’est elle qui va être l’aiguillon en dernier ressort, même dans les moments d’improvisation. Son objectif tend à limiter au maximum que des micro-décisions soient laissées aux individus, mais qu’elles soient au contraire portées par la structure. Les objectifs choisis doivent pour cela être clairs et compris de tous, de façon à ce que chaque échelon puisse adapter sa tactique à la réalité du terrain et atteindre l’objectif assigné. Pour ce faire, la maîtrise de l’information a donc une importance capitale.
Au fond, l’organisation du commandement doit donc n’avoir qu’un seul objectif : permettre la prise de décisions adaptées et s’assurer de leur exécution. C’est pour cela qu’elle doit permettre d’établir dès le départ une vision parfaitement claire.
Quels sont les avantages et les inconvénients de la gestion de crise civile et de la gestion de crise au combat ?
Il vaut mieux éviter de parler de gestion de crise au moment de la bataille. En situation de combat, on fait face. Il en sera de même avec le coronavirus. Parler de gestion de crise à cet instant n’est plus adapté. Pendant l’apogée de la crise, on pilote, on s’adapte, on s’améliore par la suite, mais on ne gère pas vraiment. Les opérateurs du RAID ont par exemple l’habitude de dire qu’ils « aiment » la crise, car on s’y prépare tous les jours. C’est ce qui fait qu’on ne se retrouve pas simplement à devoir la gérer une fois qu’ils y sont confrontés.
C’est la raison pour laquelle il peut exister une certaine « expérience » de la crise. Ce concept est déterminant pour les pompiers, pour les militaires aussi, et évidemment pour le RAID, le GIGN, etc. Une crise n’est pas vue dans sa singularité : une crise est une crise ; une crise reste une crise, qu’elle soit civile ou militaire.
La crise est consubstantielle à l’action de guerre. Dès lors, les combattants intègrent la gestion de crise directement dans leur processus de préparation : c’est un avantage par rapport au monde civil. L’entraînement est fait pour mettre le soldat en difficulté par exemple, et le fait de vivre des crises lui en donne une expérience qui, à terme, améliore évidemment ses capacités et sa réactivité dans l’urgence. C’est ce qu’on peut observer chez les pompiers de Paris par exemple, ou au Service de santé des armées.
La planification est essentielle car elle réduit l’incertitude. Elle permet notamment d’anticiper les situations qui peuvent nous faire sortir du déroulement nominale de l’action. Les nageurs de combat appellent cela la gestion des « cas non conformes ». Mais il faut pouvoir encore s’adapter à des choses plus imprévisibles encore. Car parfois, lorsqu’on est dans l’action, rien ne se passe comme prévu. Il faut alors pouvoir se raccrocher à son expérience, à son entraînements et à ses capacités intrinsèques. C’est cela, au bout du compte, qui fait la différence.
Dans la médecine civile, on a davantage tendance à trop se reposer sur ses procédures et sur ses bonnes habitudes. C’est le cas par exemple en réanimation : on croit souvent pouvoir tout maîtriser. Dans le cas présent cela peut être dangereux. Le risque principal repose sur ce qu’on pourrait appeler le phénomène Germanwings. Le pilote de cet avion s’était enfermé dans la cabine. Or la capacité pour les pilotes de s’enfermer dans les cabines avaient été mise en place à la suite des détournements d’avions et des attentats du 11 septembre pour, précisément, protéger les pilotes. En cherchant à tout prix à vouloir tout contrôler aux moyens d’une procédure et des habitudes, sans tenir compte de ce facteur humain, on en a permis une situation qui a eu les conséquences dramatiques que l’on sait.
L’autorité et la hiérarchie font partie de la culture des groupes d’interventions de l’armée et de la police, comment la culture médicale (civile) peut-elle apprendre de cela ?
Le partage enrichit toujours les parties prenantes. Il doit donc avoir lieu dans les deux sens. Mais ce que la culture des groupes d’intervention de l’armée et de la police peut apporter, c’est certainement la cohésion du groupe, le leadership « intelligent et adaptatif », la culture de la préparation à l’incertitude, le débriefing régulier, l’art du retour d’expérience (retex) humain, etc.
L’humilité et l’abnégation restent des valeurs fondamentales. Dans les unités de combat, on insiste beaucoup sur ces qualités : la simplicité, la bonne humeur mais aussi le sens du sacrifice au profit du collectif. Cet état d’esprit concourt à la réussite de la mission. En situation de crise particulièrement, on est défait à partir du moment où l’on commence à se penser comme un héros, c’est-à-dire seul. Car se penser comme un champion ralentit en fait le groupe, en tuant sa cohésion, et a des effets indirects sur la structure, qui est la garante in fine de la victoire. C’est aussi de cette humilité que vient la capacité d’adaptabilité ; c’est elle qui prémunit contre le penchant que certains pourraient avoir de se parer dans leurs certitudes. Faire face, c’est laisser de côté son égo et c’est s’ouvrir à l’adaptabilité en refusant la fermeture d’esprit.
L’hôpital ne fonctionne pas au quotidien en mode gestion de crise. Chaque chef de service est le patron chez lui. Une structure militaire est très verticale et les unités d’intervention spécialisées marient à la fois verticalité et autonomie à chaque étage. Partager cette culture là avec le corps médical pourrait être une réelle plus-value.
En temps de crise sanitaire, les médecins des hôpitaux civils partagent-ils le même vécu que les médecins des groupes d’intervention de l’armée ou de la police ?
En définitive, il y a une similarité du vécu sur plusieurs points. D’abord, les médecins des groupes d’intervention de l’armée ou de la police partagent avec les médecins des hôpitaux civils les expériences de gestion de flux. La dimension organisationnelle est donc, au moins pour une part, intégrée. Par ailleurs, la nécessité de répondre à la menace est également sensible chez tous les médecins qui ont à faire à la menace. Les différences tiennent plus en réalité au corps de métier qu’au vécu. Psychologiquement, on peut penser qu’ils vivent la même chose. Certes, un virus n’est pas une arme. Pour un médecin de groupe d’intervention, une arme est peut-être moins menaçante qu’un virus, et inversement pour un médecin en hôpital. Tout est donc question de maîtrise de l’objet qu’on doit traiter : en termes d’inquiétude, les médecins militaires sont à maîtriser une menace spécifique et particulière. La menace bactériologique est bien prise en compte au niveau de l’unité de combat mais dans un cadre espace/temps peu comparable avec la situation actuelle. On parle ici d’un virus qui menace l’équilibre mondial. La réponse doit donc s’inscrire de façon collective, globale et dans la durée.
Les grandes différences ont trait à la formation. Les militaires sont formés à la résilience et, dans certains cas, ont intégré la prise en compte du facteur de l’amélioration – capacité à s’améliorer. Ces questions dépassent d’ailleurs la question du traitement des crises, et sont donc des facteurs clés pour « faire face » à toutes les situations.