Économie

Un bazooka contre le coronavirus, le sens de la nouvelle politique économique allemande à l’échelle continentale

Les mesures chocs et sans limite présentées par les ministres des Finances et de l'Économie allemands pour contrer le Coronavirus.

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La crise du Coronavirus a clarifié le rapport de force à l’échelle continentale : si les instruments de l’Union semblent modestes (37 milliards d’euros), c’est qu’ils laissent la place à des instruments fiscaux nationaux puissants. La Commission a en effet permis aux États membres d’apporter une réponse fiscale du plus grand impact possible. Emerge donc le cadre d’une communauté d’intérêts et moyens profondément hétérogènes qui peut encore disposer d’un lieu de coordination, le prochain en date sera la réunion de l’Eurogroupe de lundi, et d’une institution d’équilibrage, la BCE, bien que profondément et du moins momentanément affaiblie.

Selon La Stampa, le gouvernement italien devrait approuver des dépenses initiales allant jusqu’à 16 milliards d’euros (17,9 milliards de dollars) pour un plan de relance. Le Premier ministre Pedro Sánchez a décrété l’état d’urgence : une mesure qui lui donne le pouvoir de prendre le contrôle des usines et de restreindre les mouvements des personnes. En France, le ministre de l’économie Bruno Lemaire a annoncé des dépenses de plusieurs dizaines de milliards d’euros pour atténuer l’impact du coronavirus. Le gouvernement français a déjà annoncé des mesures, notamment des garanties de prêts, un fonds de solidarité et des aides financières pour les entreprises qui réduisent leurs heures de travail sans procéder à des licenciements. La Fed a accéléré son achat de bons du Trésor américain, un jour après avoir déclaré qu’elle fournirait des milliards de dollars de prêts à court terme afin d’atténuer les graves perturbations sur le marché de la dette publique le plus important et le plus liquide.

Un bouclier de protection pour les salariés et les entreprises

Mesures pour réduire l’impact du Coronavirus

C’est avec force et détermination que le gouvernement fédéral s’engage dans la lutte contre les effets économiques du coronavirus. Le ministre fédéral des finances, Olaf Scholz (SPD), et le ministre fédéral de l’économie et de l’énergie, Peter Altmaier (CDU), se sont accordés sur un train de mesures de grande envergure pour protéger les emplois et soutenir les entreprises. Le gouvernement met ainsi en place un bouclier de protection pour les salariés et les entreprises, avec pour objectif de leur fournir un niveau de liquidité suffisant pour leur permettre de surmonter la crise.

Le message principal du gouvernement fédéral est donc le suivant : nous disposons des moyens financiers suffisants pour combattre la crise, et ces moyens financiers seront mis en œuvre. Nous prendrons toutes les mesures nécessaires. Chacune et chacun d’entre nous peut en être certain.

Comme le remarquent la plupart des commentateurs, les mesures annoncées par MM. Scholz et Altmaier représentent un changement net pour la politique économique de la grande coalition qui, depuis des années, est attachée à l’idéologie de l’équilibre budgétaire et du non-recours à de nouveaux emprunts, et qui a longtemps résisté aux appels d’organisations internationales comme l’OCDE à plus de dépense.

Dans la conférence de presse de présentation du plan, le ministre des finances Olaf Scholz (SPD) a déclaré que le gouvernement allemand fournira une aide en liquidités illimitée aux entreprises allemandes touchées par la pandémie. 

Les chaînes d’approvisionnement ont été ravagées par les conséquences de la pandémie : on compte des arrêts de production nombreux dans tout le pays. Intéressant de noter que, comme le président Macron dans son discours à la nation, mais contrairement à la banquière centrale Christine Lagarde, le ministre des finances a lui aussi fait le choix du whatever it takes : «  C’est un bazooka, avec lequel nous ferons tout ce qui est nécessaire  ». De son côté le ministre de l’économie, Peter Altmaier (CDU), a déclaré que ces mesures étaient «  sans précédent dans l’histoire de l’Allemagne de l’après-guerre […] aides et garanties les plus complètes et les plus efficaces qui aient jamais existé en cas de crise… Nous faisons une promesse illimitée, aux plus petites entreprises, des chauffeurs de taxi aux industries créatives, en passant par les très grandes entreprises comptant des dizaines de milliers de travailleurs  ».

Le gouvernement allemand s’est en effet engagé d’une manière beaucoup plus importante que le reste des partenaires européens. Le dispositif passe par des prêts accordés d’accès élargi par la banque d’État KfW, conçus pour fournir aux entreprises un «  bouclier protecteur  ». Selon le Financial Times le budget allemand garantit actuellement à la KfW un cadre financier de 460 milliards d’euros, mais les fonctionnaires ont déclaré que ce montant pourrait maintenant être augmenté de 93 milliards d’euros, ce qui donnerait à la banque plus de 550 milliards d’euros de puissance de feu disponible.

Contexte

Le coronavirus est un défi majeur pour l’ensemble de notre société. L’inquiétude va croissant parmi les citoyennes et les citoyens, mais aussi dans le secteur économique. Du fait de l’interdépendance étroite des économies à l’échelle internationale, les effets de cette pandémie dans d’autres parties du monde touchent aussi nos enterprises. Personne ne peut encore décrire avec certitude l’ampleur des effets qu’aura la pandémie sur l’évolution conjoncturelle en Allemagne, puisque les indicateurs conjoncturels ne sont disponibles qu’avec un certain délai. Cependant, beaucoup d’entreprises ressentent déjà les premiers effets du virus. L’annulation de foires et de grands événements et la limitation des voyages touchent le secteur des services, particulièrement la logistique, le commerce, l’hébergement et le tourisme. En outre, la demande à l’export diminue et les chaînes d’approvisionnement internationales sont perturbées, ce qui a un effet sur la production nationale.

Le gouvernement fédéral agit par des mesures de politique économique et financière volontaristes. Les ministres fédéraux Scholz et Altmaier mettront des liquidités à disposition des entreprises afin d’assurer la croissance et l’emploi.

Les conditions permettant une stabilisation rapide de l’économie allemande sont réunies. Des mesures immédiates, précises et rapidement efficaces permettront de réagir aux évolutions conjoncturelles dues au Coronavirus, afin de ramener aussi rapidement que possible l’économie sur sa trajectoire de croissance. Ces mesures sont prises en concertation étroites avec les Länder et avec nos partenaires européens et internationaux.

Environ un milliard d’euros a d’ores et déjà été mis à disposition du ministre fédéral de la santé pour des mesures de court terme, notamment l’acquisition d’équipements de protection (masques, combinaisons), pour soutenir l’OMS dans le combat international contre le coronavirus ainsi que pour fournir des moyens supplémentaires au Robert-Koch-Institut. En outre, le ministère fédéral de l’enseignement et de la recherche recevra 145 millions pour le développement d’un vaccin et de traitements adaptés.

Le train de mesures économiques ambitieux qu’annonce l’introduction de ce document contraste assez singulièrement avec la retenue dont on fait preuve jusque-là les autorités fédérales allemandes. Ainsi, au soir du 14 mars 2020, l’Allemagne n’a pas encore pris des mesures aussi strictes que la France, l’Italie, la Suisse, l’Autriche ou l’Espagne : les discothèques et les bars restent ouverts, les frontières ne sont pas systématiquement contrôlées, et la plupart des commerces continuent d’être ouverts. Si des phénomènes d’achats massifs de produits de première nécessité ont été signalés dès le début du mois de mars, les autorités et les media sont pour leur part restés relativement prudents. La plupart des journaux allemand ont traité en une un certain nombre de faits, notamment concernant la situation à la frontière gréco-turque ou sur le marché du pétrole, qui sont passés presque inaperçus dans les pays voisins dès le déclenchement de la crise. La mortalité apparente très faible – dix fois moins de morts qu’en France pour un nombre de cas équivalent –, qui s’explique également par des tests plus systématique, est apparue encourageante. Cette semaine, la chancelière a tenu à rassurer sur la qualité du système hospitalier allemand tout en portant un discours structuré, à la fois relativement technique et teinté d’un certain fatalisme ; on pourrait arguer que, plus que de la gravité de la crise – qui ne semble pas avoir échappé à la population –, la chef du gouvernement ait voulu persuader l’opinion de l’utilité des mesures visant à l’affronter.

En outre, la répartition des compétences entre Berlin et les Länder, caractéristique d’un système allemand connu pour sa subsidiarité, n’est nullement remise en question. Après une réunion avec les dirigeants des Länder le 12 mars, la chancelière Angela Merkel, le ministre-président bavarois Markus Söder et le maire de la ville-Land de Hambourg ont insisté sur l’importance de la mise en place d’un mécanisme de coordination efficace entre Berlin et les régions, permettant de préserver le partage des compétences tout en assurant une réaction rapide. La fermeture des écoles, à titre d’exemple, a dû être décidée région par région, et est à cette heure en vigueur dans 15 Länder sur 16. S’y ajoute la nécessité d’une compatibilité de ces mesures d’aides avec le droit européen, notamment sur les aides d’État, qui sera évoquée dans la suite et requiert un échange étroit avec la Commission. A priori, la crise du Covid-19 semble parfaitement correspondre à un «  événement extraordinaire  » au sens de l’article 107(b) du Traité sur le fonctionnement de l’UE et qui permet d’assouplir les règles relatives aux aides d’État afin de remédier aux conséquences économiques d’une telle épidémie. 

L’annonce de mesures d’assouplissement économique et fiscal majeures constitue-t-il un revirement, comme l’ont aussitôt supposé de nombreux commentateurs, ou bien plutôt l’aboutissement cohérent d’une logique d’épargne engagée depuis de nombreuses années ? Certes, même au plus fort de la crise économico-financière, le gouvernement allemand s’était toujours fait le défenseur d’une rigueur budgétaire qui lui apportait jusque là des excédents significatifs. Mais à l’heure d’une crise d’une autre nature, à la fois imprévisible et relativement symétrique, le sens de la prévoyance budgétaire de ces dernières années pourrait se révéler au grand jour dans le jeu international. Car il va de soi que la logique des excédents nécessite, pour réussir, la mise en œuvre efficace des moyens patiemment accumulés. C’est ce qu’entend en somme démontrer le gouvernement allemand en tirant profits de ses larges réserves. Si les ambitions de ce plan semblent considérables, alors que les perspectives pour l’économie allemande s’étaient nettement assombries ces derniers mois, sa réussite signifierait l’obtention d’un avantage compétitif significatif pour l’Allemagne au lendemain de la crise.

Un bouclier de protection pour les salariés et les entreprises

Pour les salariés et les entreprises touchés par les conséquences du Coronavirus, est mis en place un bouclier de protection comportant quatre piliers :

1. Flexibilisation des indemnités de chômage partiel

Le système de protection sociale allemand est solide, et les mécanismes automatiques de stabilisation qu’il comporte soutiennent la conjoncture. Le gouvernement fédéral fera pleinement agir ces mécanismes. L’incertitude et les perturbations temporaires des flux commerciaux ne doivent pas conduire à ce que des salariés perdent leurs emplois. Dans ce domaine, le gouvernement fédéral dispose d’outils qui ont fait leurs preuves. D’ici début avril, la réglementation sur le chômage partiel (Kurzarbeit) sera adaptée de manière ciblée, afin d’alléger les conditions permettant d’y recourir :

  • Abaissement à 10 % du quorum des salariés touchés par une perte d’activité au sein d’une entreprise ;
  • Suppression partielle ou totale de l’obligation de mettre en place des soldes d’heures non travaillées ;
  • Indemnités étendues aux intérimaires ;
  • Remboursement total des cotisations de sécurité sociale par l’agence fédérale du travail.

2. Aide fiscale pour les entreprises rencontrant des problèmes de liquidités

Pour améliorer la liquidité des entreprises, de nouvelles possibilités de sursis de versement des impôts, d’abaissement des paiements anticipés et de suspension des mesures d’exécution seront mises en places. Au total, des possibilités de sursis de paiement à hauteurs de plusieurs milliards d’euros seront consenties aux entreprises. La concertation nécessaire avec les Länder dans ce domaine a été lancée par le ministère fédéral des finances. Le détail des mesures est le suivant :

  1. L’octroi de délais de paiement sera facilité. Les administrations fiscales pourront ajourner des contributions fiscales dans les cas où leur perception occasionnerait des difficultés financières significatives. Les administrations fiscales ont reçu l’instruction de faire preuve de souplesse dans ce domaine. Par ce report de l’échéance de paiement de l’impôt, la trésorerie des entreprises pourra être soutenue.
  2. Les paiements anticipés pourront être aisément réajustés. Dès lors qu’il apparaîtra clairement que le chiffre d’affaire des entreprises sur l’année en cours sera plus faible qu’initialement prévu, les paiements anticipés seront abaissés de manière simple et rapide. La situation de trésorerie sera ainsi améliorée.
  3. Toutes les mesures d’exécution (saisies de comptes) et les pénalités de retard sont suspendues jusqu’au 31 décembre 2020, dès lors que le débiteur sera touché de manière immédiate par les conséquences du coronavirus.

Concernant les impôts gérés par la direction des douanes (impôts sur l’énergie ou le transport aérien), instruction a été donnée à la direction générale des douanes de faire preuve de la bienveillance qui s’impose. Il en va de même pour la direction fédérale des impôts, qui procédera en conséquence concernant la taxe d’assurance et la taxe sur le chiffre d’affaires.

« La République fédérale d’Allemagne est un État fédéral démocratique et social » Loi fondamentale, article 20

Ces deux premiers points s’ouvre sur un rappel de l’importance de la protection sociale, vue à la fois comme garantie pour les individus et comme outil de gestion des risques pour la collectivité. La conception allemande d’« État social », souvent méconnue à l’étranger, est pourtant bel et bien au cœur de la culture politique allemande, et marquée par les apports de la tradition chrétienne-démocrate. On notera à ce sujet que le titre du document évoque ensemble « les salariés et les entreprises » et que le passage qui précède fait de la réduction des effets sur l’emploi l’effet majeur de la politique conduite. Avec un chômage à 5  % en 2019, l’Allemagne avait connu son meilleur résultat dans ce domaine depuis la réunification.

La législation allemande du travail s’efforce de limiter les effets du recours au chômage partiel sur le montant des cotisations sociales, acquittées dans ce cas uniquement par l’employeur, afin de protéger les droits des salariés. À la suite de la crise de 2009, l’État allemand avait décidé de prendre en charge jusqu’à fin 2011 la moitié de ces cotisations, afin d’alléger les coûts subis par les entreprises. Ce sont ces mesures, « éprouvées » (le terme revient à plusieurs reprises) par la crise, qui sont à nouveaux mises en œuvre ici. S’y ajoute une série de mesures fiscales accommodantes visant à éviter une crise de liquidité pour les entreprises saines, dans une période où la demande comme les chaînes d’approvisionnement sont fortement perturbées.

3. Un bouclier de protection à hauteur de plusieurs milliards d’euros pour les entreprises

De nombreuses entreprises souffrent actuellement de baisses de chiffre d’affaires involontaires – soit en raison de chaînes de livraison perturbées, soit du fait d’une baisse significative de la demande dans de nombreux secteurs de notre économie. Simultanément, les dépenses courantes ne peuvent pas être réduites, ou ne peuvent l’être que lentement. Cela peut conduire à ce que des entreprises saines se trouvent dans des situations de difficulté financière dont elles ne sont pas responsables, particulièrement en ce qui concerne leur accès à des moyens financiers liquides. Grâce à des mesures d’apport de liquidités nouvelles et illimitées quant à leur volume, nous protégerons les entreprises et les salariés. En raison du très haut degré d’incertitude de la situation actuelle, nous avons volontairement décidé de ne fixer aucune limite de volume. Il s’agit là d’une mesure majeure qui engage l’ensemble du gouvernement fédéral.

L’équilibre budgétaire ne semble plus guère à l’ordre du jour. Que les deux ministres concernés – le social-démocrate Olaf Scholz et le chrétien-démocrate Peter Altmaier –, soient issus des deux partis de la coalitions et réaffirment dans ce cadre leur unité n’est pas anodin. Leur Grande coalition, attaquée depuis des mois sur ses deux flancs, est apparue depuis le début de la législature comme fragilisée, sans qu’aucune autre option de gouvernement réaliste ne puisse pour autant se dégager. Olaf Scholz, issu de l’aile centriste du parti et dont le tandem avec Klara Geywitz, pourtant favori, à échoué à se faire porter à la tête de la SPD l’an passé au profit d’un duo issu de l’aile gauche, a conduit depuis le début de la législature une politique économique très proche de celle de son prédécesseur conservateur Wolfgang Schäuble. La décision de ne pas fixer aucune limite (supérieure) au volume de liquidités disponibles est certes une prise de risques, à la fois politique et financière. Cependant, par sa capacité de stabilisation des attentes des marchés – une pratique largement déclinée depuis la crise dans le domaine monétaire – elle constitue certainement l’un des outils majeurs de la gestion contemporaine des crises économico-financières. L’État allemand assure ainsi pleinement son rôle de prêteur et de garant « en dernier ressort ».

On notera toutefois que le passage nettement plus technique qui suit, et qui détaille les programmes d’aide développés sur deux volets (crédits et garanties), pose des limites d’accès aux entreprises en fonction de leur taille, et étend surtout des programmes existants en augmentant la part de risque prise en charge par l’État ainsi que le montant des plafonds permettant d’y accéder. En particulier, pour les plus grandes entreprises (celles dont le chiffre d’affaire dépasse cinq milliards d’euros), la situation sera toujours étudiée au cas par cas. L’objectif du gouvernement allemand reste bel et bien la mise à disposition des fonds par les établissements de référence habituels des entreprises (dits Hausbanken), et non une intervention financière directe.

Nous étendrons d’abord les programmes d’aides à la liquidité existants pour faciliter l’accès des entreprises à des crédits avantageux. Ce faisant, nous pourrons mobiliser de manière significative les offres de crédit des établissements bancaires privés visant à affronter des difficultés de trésorerie. Pour ce faire, les outils existants d’encadrement de l’offre de crédit des établissements bancaires privés seront élargis et mis à disposition d’un plus grand nombre d’entreprises :

  • Les conditions d’accès au KfW-Unternehmerkredit (pour les entreprises installées) et ERP-Gründerkredit-Universell (pour les entreprises existant depuis moins de 5 ans) seront assouplies au-travers d’une augmentation de la prise en charge des risques (exemptions de responsabilité) pour les crédits-fonds de roulement et l’ouverture de ceux-ci aux entreprises générant un chiffre d’affaire jusqu’à 2 milliards d’euros, contre 500 millions d’euros actuellement. Au travers d’une prise en charge du risque jusqu’à 80 % pour les crédits-fonds de roulement à concurrence de 200 millions d’euros, les banques travaillant habituellement avec ces entreprises seront encouragées à accorder ces crédits.
  • Concernant le programme destiné aux grandes entreprises, la limite de chiffre d’affaires sera relevée de 2 à 5 milliards d’euros. Ce « KfW-Kredit für Wachstum  » sera transformé et mis à disposition à l’avenir à des fins de financement consortial sans limitation quant au domaine d’activité (alors qu’il était réservé jusque-là à l’innovation et la digitalisation). La prise en charge des risques sera rehaussée, à 70 % contre 50 % actuellement. Nous faciliterons ainsi l’accès des grandes entreprises aux financements consortiaux.
  • Pour les entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse 5 milliards d’euros, le soutien sera accordé au cas par cas, comme jusqu’à présent.

Pour les banques de garantie (Bürgschaftsbanken), le montant maximal de garantie sera doublé pour atteindre 2,5 millions d’euros. La fédération augmentera sa part de risque à 10 % afin de pouvoir plus aisément faire face aux risques encore difficiles à évaluer causés par la crise. La limite de 35 % de ressources fonctionnelles dans l’exposition totale des Bürgschaftsbanken sera relevée à 50 %. Pour accélérer la mise à disposition des liquidités, la fédération ouvre la possibilité pour les Bürgschaftsbanken de prendre des décisions de manière autonome concernant les garanties dans un délai de 3 jours, pour un montant jusqu’à 250 000 euros.

Le programme de garanties larges (garanties parallèles fédération-Länder), qui était limité jusqu’ici aux entreprises situées dans des régions souffrant de difficultés structurelles, sera étendu aux entreprises situées hors de ces régions. La fédération permet ainsi la couverture du financement des ressources fonctionnelles et des investissements à partir d’un besoin en garanties de 50 millions d’euros et avec un taux de garantie jusqu’à 80 %.

Sur ce volet, nous sommes en échange étroit avec les Landesförderbanken et les Bürgschaftsbanken.

Ces mesures sont couvertes par les réglementations existantes sur les aides d’État.

Pour les entreprises qui, du fait de la crise, se trouvent temporairement confrontées à des difficultés de financement importantes, et n’ont par conséquent plus accès aux programmes de soutien existants, nous mettrons en place des programmes spéciaux supplémentaires au sein de la KfW (Kreditanstalt für Wiederaufbau). Ceci sera rendu possible par une augmentation de la tolérance au risque de la KfW, comme l’exige la crise. Ainsi, la prise en charge du risque pour les fonds destinés à l’investissement (exemptions de responsabilité) sera nettement augmentée, à hauteur de 80 % pour les ressources opérationnelles et même 90 % pour les investissements. Enfin, des structures consortiales seront proposées à ces entreprises.

Ces programmes spéciaux sont transmis pour autorisation à la commission européenne. La présidente de la commission a déjà signalé qu’elle veillerait à garantir la flexibilité de l’application des réglementations sur les aides d’État dans le cadre de la crise du coronavirus. Les ministres des finances de l’UE et de la zone euro feront en sorte que la commission européenne fasse preuve du degré de flexibilité nécessaire.

Le gouvernement fédéral donnera la capacité à la KfW de doter ces programmes de moyens suffisants, en fournissant les volumes de garanties nécessaires. Cela ne pose aucune difficulté. En effet, le budget fédéral prévoit un cadre de garantie d’environ 460 milliards d’euros. Ce cadre peut, si nécessaire, être complété dans de brefs délais par 93 milliards d’euros supplémentaires.

La fédération fournit à l’économie, au travers de ses garanties de crédit à l’export (dites « couvertures Hermès »), un soutien flexible, efficace et complet qui suffit à maîtriser une situation sérieuse, comparable à celle des années ayant suivi la crise financière de 2009. Les outils correspondants ont été éprouvés pendant cette période, et les moyens disponibles dans le budget 2020 suffisent à garantir une augmentation similaire du volume des aides. Celle-ci sera accompagnée d’un programme de la KfW, doté d’amples moyens financiers, pour refinancer les activités d’exportation. En cas de besoins supplémentaires de couverture des exports et de refinancement, le cadre d’habilitation pourra être très rapidement relevé.

Comme l’annonçait le terme « Schutzschild » (« bouclier de protection »), les plus importantes des mesures prises ici, et notamment la mise à disposition de garanties jusqu’à 550 milliards d’euros, tient de la gestion des risques et non du financement direct des pertes occasionnées par la crise. L’État allemand entend se porter garant à très grande échelle des difficultés du secteur privé, en présentant une masse financière suffisamment imposante pour protéger les entreprises d’une crise de liquidité majeure ou d’une panique financière, tout en leur permettant de faire faces aux pertes sèches causées par la crise du coronavirus. Les sommes considérées ne sont donc en aucun cas pensées comme destinées à une injection dans le système économique. En cela, les mesures annoncée ici doivent être distinguées, par exemple, de celles faites le Conseil fédéral suisse qui a indiqué le 13 mars mettre à disposition 10 milliards de francs d’« aides immédiates », montant en apparence significativement plus faible mais destiné à financer directement les difficultés de l’économie réelle.

Plusieurs entités propres au système économique allemand jouent dans ce cadre un rôle essentiel. La Kreditanstalt für Wiederaufbau (KfW), littéralement « établissement de crédit pour la reconstruction », institution bancaire de droit public dédiée au soutien aux entreprises depuis le lendemain de la seconde guerre mondiale, est la troisième banque du pays par le volume des actifs. Avec un bilan comptable de 441 milliards d’euros, elle constitue une courroie de transmission majeure de la politique de soutien à l’économie du gouvernement allemand. Les banques publiques régionales (Landesförderbanken) assurent également, à un niveau plus local, un rôle important. Enfin, les banques de garantie (Bürgschaftsbanken), établissements de droits privés soutenus par l’État et organisés à l’échelle régionale, soutiennent l’économie en prenant en charge une partie du risque des emprunts consentis par les banques traditionnelles.

Dans une continuité historique, la logique du Schutzschild actuel peut donc se concevoir comme antinomique de celle du Rettungsschirm (« parachute »), nom donné en allemand à la série de mesures prises pour sauver la zone euro au lendemain de la crise. Le gouvernement fait usage de ses réserves financières – « l’argent est là » selon les propres mots de Scholz – pour prévenir les dommages causés par la pandémie sur l’économie allemande. Une fois de plus, il serait trop simple d’y voir un simple revirement. L’adoption d’une politique budgétaire rigoureuse peut tout aussi bien être vue comme le préalable indispensable à une bonne gestion des risques.

4. Renforcement de la cohésion européenne

Au niveau européen, les ministres des finances et de l’économie, MM. Scholz et Altmaier, défendent une approche coordonnée et volontaire. L’Allemagne est consciente de sa responsabilité pour l’Europe. En échange étroit avec nos partenaires, le gouvernement fédéral inscrira ses mesures de lutte contre le coronavirus dans l’effort européen.

Le gouvernement fédéral salue l’idée, proposée par la Commission européenne, d’une « Corona Response Initiative » avec un volume potentiel de 37 milliards d’euros, parmi lesquels la réaffectation de 8 milliards d’euros de fonds structurels non-dépensés vers des priorités liées à la crise du coronavirus.

Il salue également la volonté de l’autorité bancaire européenne d’utiliser les marges de manœuvre disponibles pour que les banques puissent continuer de fournir des liquidités à l’économie, ainsi que les mesures annoncées hier par la Banque centrale européenne pour garantir aux banques les liquidités nécessaires.

C’est une bonne chose que le groupe BEI mette en œuvre les outils éprouvés lors de précédentes crises pour soutenir, en cas de crise de liquidités, les entreprises européennes touchées par le coronavirus. En particulier, il s’agira d’utiliser les garanties de portefeuille du FEI pour garantir la liquidité des entreprises.

Le texte se termine sur des considérations européennes, saluant les déclarations de la Commission européenne, de la BCE et des autorités bancaires en faveur d’un certain assouplissement et de la mise en place d’une coordination à l’échelle continentale.

On peut toutefois s’attendre à ce que de nouvelles mesures fortes soient prochainement prises, comme le déclenchement éventuel de la clause de sauvegarde du pacte de Stabilité et de Croissance permettant d’assouplir les règles européennes en matière de déficit face à la perspective d’un ralentissement désormais inévitable de l’activité économique dans l’ensemble de l’UE. L’Union sera attendue dans les prochaines semaines sur sa capacité à assurer un filet de sécurité afin de permettre aux Etats membres de déployer des politiques budgétaires appropriées sans subir de plein fouet la pression spéculative des marchés. C’est à ce moment que la volonté de coordination entre Etats membres et la cohérence européenne seront rudement mises à l’épreuve.

Il faut noter que l’Allemagne  s’était notamment opposée jusqu’au 14 mars à la fermeture unilatérale de ses frontières, comme le permettent les accords de Schengen en cas de crise, se disant convaincue de devoir rechercher dans ce domaine une approche coordonnée. Alors que les mesures fiscales et budgétaires fortes restent dans la main de l’État, cette « main publique » (öffentliche Hand) dont l’évocation ouvre le dernier paragraphe de ce texte, l’Allemagne semble vouloir croire en ses chances – et dispose dans ce domaine de moyens bien supérieurs à ceux de nombre de ses voisins. L’approche adoptée, résolument subsidiaire, cherchant à la fois à encourager les mécanismes de crédit traditionnels et à fournir un backstop d’une ampleur inédite dans de telles circonstances, pourrait, si elle réussit, fournir à une économie allemande ces derniers temps morose un avantage compétitif sur le reste du monde – mais y réussira-t-elle ?

Au-delà des montants considérables en jeu, on retiendra que ce qui apparaît comme une nouvelle doctrine allemande de la gestion de crise, largement informée par les événements de la décennie passée, est aussi et surtout une doctrine de la gestion raisonnée à long terme du risque. Risque économique couvert par une politique d’excédents ; risque sanitaire qui, quoiqu’il puisse être atténué par la qualité du système de santé, ne semble pouvoir être affronté qu’avec un certain fatalisme, sans pour autant céder à l’inaction. Tout en signant par ces mesures une démonstration de force, l’Allemagne s’est abstenue jusque-là de trop affirmer la verticalité de la prise de décision : les conférences de presse restent collectives, souvent en présence des experts requis. Comme ils l’ont fait sur la question migratoire ces dernières semaines, répétant volontiers que la situation n’était plus celle de 2015, les gouvernants allemands prennent une nouvelle le contrepieds de l’approche suivie au lendemain de la crise économique.

Tant le président fédéral que la chancelière n’ont pas manqué ces derniers mois de rappeler l’importance de « tirer des leçons de l’histoire ». L’histoire les aurait-elle finalement rattrapés ?

Perspectives

L’ensemble de ces mesures montre la détermination du gouvernement fédéral à s’opposer, par des mesures de soutien économique et financier, aux effets du coronavirus, afin d’éviter des dommages pour les salariés et les entreprises et d’amortir l’impact de la crise. À ce stade, l’ampleur des conséquences économiques de l’épidémie n’est pas encore prévisible. Dans l’éventualité où des signes de graves perturbations de l’évolution conjoncturelle se présenteraient, le gouvernement fédéral emploierait toutes les ressources disponibles, en concertation avec les Länder et nos partenaires européens, pour faire face de manière conséquente à cette évolution.

L’État est bien préparé à un tel scénario : au vu des excédents globaux de ces dernières années, il pourra soutenir la conjoncture, même sur une longue période, afin de la ramener sur la trajectoire de croissance qu’elle suivait jusque là.

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